Tant chez les Cathos que chez les Laïques, cela débat « grave »
Cela débat ferme chez les cathos belges, depuis la sortie de l’évêque d’Anvers contre le « responsum » de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Comme si souvent, ce sont les paroles les plus clivantes qui prennent le dessus, opposant – selon l’idéologie – les gentils progressistes aux méchants conservateurs ou « les vrais croyants » aux cathos tièdes qui « pactisent avec le monde ». Bref, un dialogue de sourd, alors que le débat, c’est la vie.
Notons qu’au même moment en Belgique, cela chauffe aussi « grave » dans le monde laïque de gauche. Ici, c’est le rapport à l’islamisme qui est en jeu, entre une tendance plus « radicale-laïcale » qui ne veut rien leur passer et une tendance plus « convergence dans les luttes de gauche » qui prône un alliance objective avec un certain islam politique, contre le capitalisme dévastateur. Il ne me revient pas de prendre ici partie en la matière, mais je trouve ce débat intéressant pour faire bouger les lignes, du moins s’il se fait dans l’écoute et non les anathèmes faciles.
Le responsum romain, la carte blanche de Mgr BONNY, la déclaration des évêques de Belgique
– La Réponse romaine de la Congrégation pour la Doctrine de la foi du 22 février (cette congrégation est l’organe gardien de la doctrine à Rome) n’est pas l’oeuvre d’un conservateur obtus. Le cardinal Ladaria, son préfet, est un brillant théologien jésuite. (J’ai eu cours de lui lorsqu’il enseignait à l’Université Pontificale Grégorienne). Ici, il répond à la demande de fidèles allemands sur la possibilité, ou non, de bénir les couples homosexuels. Sa réponse n’est pas la caricature que certains en ont fait. Elle appelle au respect et à la non-discrimination des personnes. Elle vaut tout autant pour les couples divorcés-remariés et les jeunes (ou moins jeunes) vivant conjugalement hors les liens du mariage. Elle n’exclut pas la présence d’éléments positifs dans ces situations « irrégulières » au regard de l’Eglise : « il n’est pas licite de donner une bénédiction aux relations ou partenariats, même stables, qui impliquent une pratique sexuelle hors mariage (c’est-à-dire hors de l’union indissoluble d’un homme et d’une femme ouverte en soi à la transmission de la vie), comme c’est le cas des unions entre personnes du même sexe. La présence dans ces relations d’éléments positifs, qui en eux-mêmes doivent être appréciés et valorisés, n’est cependant pas de nature à les justifier et à les rendre ainsi légitimement susceptibles d’une bénédiction ecclésiale, puisque ces éléments se trouvent au service d’une union non ordonnée au dessein du Créateur. »
Ce qui manque à ce responsum c’est un enseignement sur une pastorale possible pour accompagner ces personnes, mis à part des bénédiction individuelles. Et puis surtout, il y a cette finale – qui a le mérite de la clarté, mais aussi de la dureté: « l’Église rappelle que Dieu lui-même ne cesse de bénir chacun de ses enfants en pèlerinage dans ce monde, car pour Lui « nous sommes plus importants que tous les péchés que nous pouvons commettre ». Mais Il ne bénit pas et ne peut pas bénir le péché ».
Une célèbre revue de jésuites américains souligne la formule hésitante de l’approbation pontificale. Au lieu de dire que le Pape a « approuvé » le document et « ordonné » sa publication, il est signale que François a été « informé » et a « consenti à sa publication ». Si le responsum est bien dans la ligne traditionnelle de l’Eglise, il ne peut masquer que – jusqu’au Vatican – le débat n’est pas clos.
– La carte blanche de Mgr Bonny du 16 mars, parue dans le quotidien flamand De Standaard constitue un véritable « coup de gueule ». Ceux qui présentent l’évêque d’Anvers comme une tête brûlée progressiste, font également dans la caricature. Johan Bonny est un prélat classique, ayant longuement travaillé au Vatican. Il fut le représentant de la Belgique au synode des évêques sur la famille de 2015. Avant cela, il avait déjà publié une lettre remarquée, appelant à une attitude plus accueillante envers les « situations matrimoniales irrégulières ».
Mgr Bonny est également un pasteur soucieux de son troupeau. D’où sa « sainte colère », exprimée en des termes fort peu ecclésiastiques: « Comment je me sens après ce ‘responsum’ ? Mal. Je ressens une honte par procuration pour mon Église, comme l’a dit hier une ministre. Et surtout, je ressens une honte intellectuelle et morale. Je tiens à m’excuser auprès de tous ceux pour qui cette réponse est douloureuse et incompréhensible : les couples homosexuels croyants et engagés dans la foi catholique, les parents et grands-parents de couples homosexuels et leurs enfants, les agents pastoraux et les accompagnateurs de couples homosexuels. Leur douleur pour l’Église est la mienne aujourd’hui. »
Il parle de ces couples homosexuels qu’il côtoie et qui participent à la vie de l’Eglise. C’est surtout le mot « péché » qui le fait réagir: « Ensuite, le concept de ‘péché’. Les derniers paragraphes sortent l’artillerie morale la plus lourde. La logique est claire : Dieu ne peut approuver le péché; les couples homosexuels vivent dans le péché; par conséquent, l’Église ne peut pas bénir leur relation. C’est exactement le langage que les pères synodaux n’ont pas voulu utiliser, tant dans ce dossier que dans d’autres dossiers repris sous le titre général de situations dites ’irrégulières. Ce n’est pas le langage d’Amoris laetitia, l’exhortation du Pape François de 2016. Le ‘péché’ est l’une des catégories théologiques et morales les plus difficiles à définir, et donc l’une des dernières à être collées sur des personnes et sur la façon de partager leurs vies. Et certainement pas sur des catégories de personnes en général. Ce que les gens veulent et sont capables de faire, en ce moment même de leur vie, avec les meilleures intentions qu’ils ont pour eux-mêmes et pour les leurs, face à face avec le Dieu qu’ils aiment et qui les aime, n’est pas une question simple. D’ailleurs, la théologie morale catholique classique n’a jamais traité aussi simplement de ces questions. »
Après des considérations liturgiques concernant la « célébration », l’évêque conclut: « En bref : dans le présent ‘responsum’, je ne retrouve pas les lignes de force – telles que je les ai expérimentées – du Synode des évêques de 2015 sur le mariage et la famille. C’est dommage pour les couples homosexuels croyants, leurs familles et leurs amis. Ils ont le sentiment de ne pas avoir été traités véridiquement et honnêtement par l’Église. Les réactions sont déjà là. C’est également regrettable pour l’Église. Ce ‘responsum’ ne donne pas l’exemple d’un cheminement en commun. Le document mine la crédibilité tant de la ’voie synodale‘ fortement prônée par le pape François que de l’année de travail annoncée avec Amoris laetitia. Le véritable synode, veut-t-il se lever ? »
– La déclarations des évêques de Belgique du 17 mars et l’intervention de Mgr Delville, évêque de Liège au JT de la RTBF. Sans utiliser le ton de Mgr Bonny, la déclaration des évêques de Belgique ne laisse guère de doute sur le fait qu’ils jugent insuffisante la réponse romaine: « Les Évêques belges ont pris connaissance du ‘responsum’ du 15 mars 2021 par lequel la Congrégation pour la Doctrine de la Foi rappelle que la bénédiction des couples de ‘personnes de même sexe’ n’est pas permise. Ils ont conscience que ceci est ressenti de manière particulièrement douloureuse par de nombreux couples homosexuels croyants et leur famille, leurs parents et grands-parents, leurs proches et leurs amis. Depuis de nombreuses années, l’Église catholique de notre pays, à tous ses niveaux (évêques, prêtres et collaborateurs pastoraux, théologiens, scientifiques, politiciens et travailleurs sociaux), œuvre avec d’autres acteurs sociaux, à un climat de respect, de reconnaissance et d’intégration. Nombre d’entre eux sont de plus engagés au niveau ecclésial ou dans des institutions chrétiennes. Les Évêques encouragent leurs collaborateurs à poursuivre dans cette voie. Ils se sentent soutenus par l’Exhortation ‘Amoris Laetitia – La Joie de l’amour’ publiée par le Pape François suite au synode des Évêques de 2015 : discerner, accompagner et intégrer restent des mots-clés pour les Évêques. »
Cette position des évêques sera commentée par l’évêque de Liège, lors de son passage au JT de la RTBF du 17 mars. Avec son style propre, Mgr Delville y parle d’une déclaration romaine « inopportune ».
Le discernement théologique se déploie face au réel
Les débats dont utiles, à condition qu’ils se fassent dans l’écoute de l’autre et – en théologie – à l’écoute de l’Esprit. C’est d’ailleurs ce que notre pape nous encourage à vivre. Comme souvent, le débat théologique naît et se déploie quand une conviction « descendante » (déductive) se trouve confrontée à la réalité du terrain (inductive).
Jésus, le premier, en fit l’expérience, alors qu’Il destinait encore sa mission et les signes qui l’accompagnaient au peuple élu. Une femme cananéenne vient le supplier de guérir sa fille (Matthieu 15, 21-28). « Femme, ta foi est grande », finira par reconnaître le Christ, face à cette païenne qui lui tient gentiment tête.
En Galates 2 11-21, c’est l’apôtre Paul qui engueule publiquement saint Pierre, quand ce dernier cherche encore à se comporter en Juif, plutôt que de s’ouvrir à la nouveauté de non-Juifs devenus chrétiens.
Des siècles plus tard, catholiques et protestants se firent une incessante guerre en se vouant mutuellement à l’enfer. La réalité du terrain de frères chrétiens ayant bien plus à partager qu’à déchirer, fit naître le mouvement oecuménique.
Longtemps aussi, les suicidés ne recevaient pas de funérailles chrétiennes. En s’ôtant la vie, ils s’étaient révoltés contre Dieu. Et puis la psychologie fit comprendre que l’âme humaine était bien plus complexe. Aujourd’hui, les funérailles chrétiennes de suicidés sont un moment fort de prière et de guérison.
Enfin, jusqu’au début du XXI siècle, le catholicisme récusait la « liberté religieuse » en politique, car elle signifiait de laisser « le droit à l’erreur » se répandre dans les Etats chrétiens. Il fallut que les évêques du bloc de l’Est expliquent au Concile Vatican II que c’est au nom de la même logique que le marxisme persécutait les chrétiens, pour que l’Eglise change solennellement son discours sur le sujet.
Dans le présent débat, la réalité déductive de la doctrine catholique sur la sexualité et le mariage se confronte à tous ces couples divorcés-remariés, jeunes hors-mariage et homosexuels qui font partie de l’Eglise. En particulier pour ces derniers, la catégorie de « péché » appliquée à leur vie affective, sonne comme un coup de massue. Voici, en effet, qu’un gars/une fille se sent de naissance attiré(e) exclusivement par les personnes du même sexe. Il ne l’a pas choisi et ce n’est même pas quelque chose de « contre-nature », vu que le phénomène se rencontre aussi chez les animaux. Catholique et disciple du Christ, cette jeune femme/ce jeune homme ne se voit pas vivre toute sa vie dans la continence… (Etonnant? Je vis moi, avec joie, le célibat pour le Royaume. Je sais donc ce que cela signifie et que seule la Grâce donne la fidélité heureuse.) Bref, alors que cette jeune femme/ce jeune homme tente honnêtement de construire un couple homosexué dans la fidélité, son Eglise lui explique que, quoi qu’il fasse, il vit dans une situation de « péché ». Après cela, on lui rappelle que ce Dieu qui l’a créé ainsi est amour et que telle est la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. En clair: prends-toi ça dans la gueule…
Ajoutons qu’un document d’Eglise allait, il y a quelques années, jusqu’à vouloir bannir les jeunes hommes homosexuels du séminaire, alors que l’honnêteté intellectuelle force de reconnaître que des prêtres ayant une inclination homosexuelle existent et que certains ont vécu et sont morts en saints. Ce dernier texte romain, fut d’ailleurs inspiré par un prélat et psychiatre français, qui publia de bonnes choses, mais qui est aujourd’hui écarté du ministère pour faits de moeurs… homosexuelles. Plus largement, nous savons aujourd’hui que certains grands défenseurs de la « stricte morale catholique » ayant eu pignon sur rue ces dernières décennies à Rome, avaient une sombre double vie, souvent… homosexuelle. (J’ai lu « Sodoma », le livre écrit par le journaliste Frédéric Martel sur l’homosexualité au Vatican. L’ouvrage me semble fort exagérer le phénomène, mais Martel est un journaliste militant et non moins sérieux. Tout n’est forcément pas faux. Et quand bien même le tiers du quart de la moitié de ce qu’il écrit, serait véridique…)
Soyons clairs: les évêques de Belgique, en ce compris Mgr Bonny, ne sont pas favorables à un changement de la doctrine sur le mariage, ou sur la GPA ou autre… Ils plaident pour que la théologie continue à creuser son sillon, afin d’arriver à une juste reconnaissance de ce que vivent nos soeurs et frères qui ont une affectivité homosexuelle.
« Oui, mais les condamnations de l’Ecriture sainte? », me direz-vous. Les textes bibliques qui rejettent l’homosexualité, sont à comprendre dans un contexte particulier: le besoin de se reproduire dans l’ancienne alliance et le rejet d’une société aux moeurs lascives chez saint Paul. A ceux qui m’opposeront que je tords les textes sacrés au gré de mes lubies, je réponds que – dans ce cas – la lapidation ou l’extermination d’une ville ennemie devraient être justifiés.
Sans vouloir ici faire la leçon à qui que ce soit, le fait d’avoir suivi cinq années de théologie, m’a tout de même appris à lire l’Ecriture en centrant toutes choses en Christ. Pour discerner, la théologie doit accepter – comme le Maître – de parfois scruter la réalité des hommes, avant de lui coller une réponse déductive… comme faisaient si facilement les pharisiens. Le christianisme n’est pas un système clos et ne peut le devenir. Il est un chemin de vie, ancré en Celui qui a dit « c’est la miséricorde que je veux et non les sacrifices ». (Matthieu 9, 13)