Emphase réthorique
Il est tentant d’aborder les récents événements qui ont secoué la planète depuis le bureau ovale, avec des formules chocs et une emphase réthorique. La sidération créant l’angoisse, beaucoup cèdent à cette douce tentation, pour se donner une contenance alors que le sol des repères se dérobe sous nos pieds. Il est cependant nécessaire que les opinions publiques bien vite se ressaisissent pour accompagner leurs décideurs dans les actions cruciales à prendre en ces temps incertains.
Non verba sed res
Il y a au moins un reproche que personne ne fera au président Trump, c’est celui de dissimuler ce qu’il pense derrière une politesse de façade. Avantage: le reste du monde sait exactement à quoi s’en tenir. Quels sont les motifs de sa politique de ruptures brutales avec la tradition américaine depuis la fin de la seconde guerre mondiale ? Est-il un agent de Moscou, un président-promoteur immobilier, un produit de la télé-réalité, un isolationniste, ou un opportuniste? Chacun répondra avec ses dosages propres, mais la seule certitude est qu’il est le président démocratiquement élu des États-Unis d’Amérique. Aux doctes analyses doit donc succéder une réponse adéquate. Ce qui semble clair, c’est que l’intérêt des Etats-Unis passe désormais devant la défense de valeurs. Cela fut toujours un peu le cas, mais est désormais assumé ouvertement. Comment les alliés traditionnels de l’Amérique doivent-ils réagir? Nos démocraties européennes ont la réputation de beaucoup parler et peu agir. ‘Non verba sed res’: pas de paroles, mais des actes. Agissons donc. Mais comment? Il y a deux paroles du président US que nous ne devons pas oublier: (1) « L’union européenne a été créée pour entuber (‘screw’) les Etats-Unis » Le président est donc hostile aux ensembles politiques, surtout alliés, qui peuvent faire de l’ombre à la machine économique américaine. A l’Union européenne de lui prouver le contraire: l’Europe unie est un allié, non un rival. (2) (à Zelensky) « Vous jouez aux cartes avec peu d’atouts » (en anglais, les atouts, s’appellent… ’Trump cards’). Si nous voulons ne pas subir les événements avec rage et impuissance, il s’agit de jouer nos cartes en connaissant avec exactitude nos forces et faiblesses. Pour ne pas rester incantatoires, nos idéaux doivent se fonder sur une froide lucidité.
Euro-commonwealth
Une nouvelle carte géostratégique se dessine. Elle rapproche Royaume-Uni, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Union européenne et Turquie. Avec Londres et son Premier Ministre dans le rôle de pont entre les deux rives de l’Atlantique. Il a raison de ne pas vouloir couper le dialogue avec Washington, car sans la puissance américaine, les démocraties sont militairement démunies. Avec Paris et son président comme moteur d’une relance de l’Europe de la défense. Macron propose même d’étendre le parapluie nucléaire français à l’Union européenne (… cependant, aussitôt contredit par Marine Le Pen). Avec le Commonwealth anglo-saxon (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) qui se rapproche de ce pôle mondial des démocraties. Avec la Turquie qui saisit qu’en cas de victoire russe, elle sera bientôt en tension avec Moscou. Avec l’Inde qui se profile en partenaire commercial privilégié. Développer ensemble une politique étrangère cohérente et construire une industrie de la défense commune, devient urgent et vital. Le ministre de la défense belge défendait il y a deux jours la commande d’avions américains F35, comme étant bien plus performants que l’Eurofighter britannique et le Rafale français. Je me suis permis de réagir à sa communication en signalant que la vraie question était de savoir si tous les Européens (en ce compris britanniques) étaient disposés à ensemble mettre au point un chasseur de 6° génération, le jour où il faudra remplacer les F35. Ce projet pourrait inclure le Commonwealth anglo-saxon. Il ne s’agit pas de rejeter l’alliance avec les Américains, mais bien – dans un monde multipolaire – de ne plus vivre en dépendant de leur protection. Ecoutons ce que répètent ces derniers jours les dirigeants polonais, scandinaves et baltes, si géographiquement proches du conflit ukrainien : il ne disent pas autre chose.
La paix et la justice
Le pape François n’a de cesse de répéter ce que chacun sait: toute guerre est une défaite de l’humanité. Une paix durable en Ukraine reste l’objectif à poursuivre. Sans perte de souveraineté, mais en prenant en compte les intérêts des russophones habitant l’est du pays. Au-delà de son enjeu moral, une défaite de l’Ukraine nous impacterait directement, car elle serait un signal de faiblesse de la part de l’Europe et aiguiserait les appétits des faucons de Moscou. Le plan présenté par Keir Starmer avec Macron va dans la bonne direction. Il démontre que notre continent prend ses responsabilités. Le Royaume-Uni jouit des faveurs de Donald Trump, qui a une maman écossaise. Son Premier Ministre joue pleinement ce rôle avec l’aide de Charles III, qui invite le président américain à Balmoral et reçoit le président Ukrainien à Sandringham. L’Union européenne prend sa part avec la France et son président en tête. Espérons que l’Allemagne reviendra bientôt pleinement dans le jeu avec un nouveau chancelier. Sans oublier la Pologne, l’Italie et toutes les autres capitales. C’est le temps des diplomates pour conjurer la guerre. Et bâtir une paix qui ne signifierait pas le naufrage de la justice.