Margaret Thatcher est décédée aujourd’hui. Ainsi se referme une page de la grande histoire qui rejoint des souvenirs bien personnels. En septembre 1979, je pars à presque 16 ans étudier deux années dans un « United World College » au sud du pays de Galles. La Dame de fer est alors aux affaires depuis quelques mois seulement. Prétendre qu’elle était populaire en terre galloise, surtout dans un milieu internationaliste comme celui que je fréquentais – serait mentir. Beaucoup de mes condisciples britanniques arboraient alors un petit badge qui énonçait: « I didn’t vote Tory » (« Je n’ai pas voté conservateur »). Nous – c’est-à-dire les étudiants du reste du monde – nous amusions gentiment de cela, en nous demandant qui avait finalement voté pour cette Dame de fer, lui octroyant une majorité si confortable aux Communes? Je me souviens également d’avoir entendu, lors d’une des traditionnelles conférences du vendredi soir dans la grande salle du collège, Len Murray, le charismatique secrétaire général du TUC (coupole des syndicats britanniques) conclure son exposé par un vibrant: « Quoi qu’elle fasse, elle se trompe! ». Cela n’empêchera pas ce socialiste convaincu de terminer sa carrière comme ‘Baron Murray of Epping Forest’. C’est cela aussi, le Royaume-Uni.
L’héritage politique
Les années ’80 – les hyppies passent de mode. Place aux yuppies. Plus de fleurs dans les cheveux et de combi volkswagen dans les prés. Mais du champagne au frigo et la Golf GTI au garage. Avant j’écoutais Neil Diamond chanter « Johantan Livingstone Seagul ». Désormais, je découvre « The Wall » de Pink Floyd. Le monde se fait plus réaliste, moins guimauve, plus dur, plus fluide aussi. La Dame de fer est une des icônes de cette période aux côtés de son frère d’arme – le vieux cow-boy Reagan. Courage politique et patriotisme sans complexe. Dire que la majorité des Belges ont apprécié le Thatcherisme, serait mentir. Nous sommes trop Européens pour cela. Mais admirer la trempe de la Dame de fer – certainement. Surtout à l’époque de la terrible crise des Falklands.
Son véritable héritier politique? Sans hésiter: Tony Blair. Avoir converti ses opposants politiques à une bonne partie de sa révolution sociale, restera sans aucun doute sa plus durable victoire. Le Blairisme, c’est le Thachérisme avec plus de com et de cœur. La force publique se fait l’alliée de l’ascenseur social. La social-démocratie comprend que la santé démocratique se joue auprès des classes moyennes.
Le passif économique
Nous sommes en 1982. Je me souviens de mes cours d’économie politique à l’Université Saint-Ignace d’Anvers, avec le Pr E. Van B. A juste titre, cet académique dissociait les politiques économiques de Reagan et de Thatcher. Le premier appliquait la « supply-side economics » – une économie de relance par l’offre. Le président/cow-boy pouvait se le permettre, vu que le dollar était la monnaie de réserve du monde entier. L’oncle Sam relançait son économie par l’endettement, sans risquer l’hyperinflation. Cela mit à genoux l’Union Soviétique et les dollars de la dette américaine servirent de monnaie de réserve aux pays prêteurs. (C’est encore le cas aujourd’hui). Madame Thatcher, elle, appliquait une politique monétariste stricte – en disciple de Milton Friedman. L’inflation était l’ennemi public n°1. Le remède était de maitriser la masse monétaire. Pour ce faire, il fallait couper sans états d’âme dans les dépenses publiques, afin de résorber le déficit structurel de l’état et rendre confiance en la livre sterling. Fille d’épicier, elle savait que les comptes devaient être en équilibre pour que la boutique tourne rond. « I want my money back! » Et mon prof d’économie de l’époque, pourtant grand libéral devant l’Eternel, de conclure: « C’est une femme courageuse, mais sa politique économique ne marchera pas à long terme ». La Dame de fer a voulu comprimer les dépenses publiques, en liquidant la vieille industrie et en faisant confiance au monde de la finance en plein boom. La City et le quartiers londonien de Canary Wharf se sont développés. Et avec eux, l’économie casino. Celle-ci créa une masse monétaire parallèle énorme, bien peu compatible avec la discipline monétariste. Un quart de siècle plus tard – avec la faillite de Lehnman-Brothers en 2008 – le système s’est enrayé, suite aux mauvais crédits immobiliers… américains. Le véritable curateur de faillite du Thachérisme fut Gordon Brown. Pour sauver le système financier mondial en pleine crise de confiance, cet autre successeur de la Dame de fer endetta les états occidentaux, en les proposant comme garants des banques en faillite virtuelle. C’est la fable de l’épicière économe et pas trop prêteuse – qui a veillé toute sa vie à ne pas s’endetter. Afin d’encore pouvoir vendre quelque chose, la voilà désormais obligée de faire crédit à ses meilleurs clients, qui ont soudainement perdu leur fortune en bourse. Le pays de Madame Thatcher se doit de relever aujourd’hui des défis de taille – comme la plupart de ses voisins européens: Parmi ceux-ci, comment réindustrialiser dans une économie mondialisée? Comment comprimer les dépenses publiques dans un monde où les monnaies n’ont aucun étalon objectif pour mesurer leur valeur réelle? Un monde plus complexe et polymorphe encore, que celui que connut la Dame de Fer. Mais où ses qualités de leadership et son courage politique demeurent des valeurs sures qui, elles, ne craignent pas l’inflation…