L’argent n’a pas d’odeur. Vraiment?

« Qu’est-ce que l’argent? » Voilà bien une question tout à la fois simple et complexe. La réponse la plus universellement acceptée semble être: L’argent est un étalon symbolique qui mesure la valeur des biens, afin de permettre les échanges commerciaux. Vient alors inévitablement cette nouvelle interrogation: « Et qu’est-ce qui fixe la valeur de cet étalon de valeur? » Avant, la plupart auraient dit: « C’est le Prince qui frappe la monnaie en fonction des réserves en or de la banque nationale qui émet la devise« . Mais ça, c’était avant. Depuis, l’économie est mondialisée et la monnaie s’est numérisée. Le Prince (les états nationaux) est globalement hors-jeu. Quant à l’or, depuis l’effondrement du système de Bretton Woods en 1971, il ne sert plus que de butin de guerre symbolique, mais ne représente plus une garantie de solvabilité obligatoire. Aujourd’hui, le seul étalon pour mesurer la valeur de l’argent est la confiance que les marchés font à chaque devise. La monnaie est devenue « fiduciaire » au sens fort du terme.
L’argent est donc un étalon symbolique fondé sur la confiance de ses utilisateurs. Pas étonnant qu’une notion aussi peu solide, soit appelée « du liquide »… Une des choses que j’apprécie chez l’économiste Bruno Colmant, est sa capacité à prendre du recul quand il analyse la notion même de l’argent. Je vous invite ainsi à lire son article sur le ‘money fiat’ (la création de devise), ainsi que celui sur le rapport à l’argent qu’entretiennent les Américains, les Allemands et les Français. En résumé: Si les grandes nations vivent des tensions par rapport à leur devise en ce temps de crise économique, ce n’est pas uniquement parce que les unes sont cigales et les autres fourmis. C’est aussi – et peut-être davantage qu’on ne le pense – parce que diffère le rapport affectif que chaque nation entretient avec cet étalon symbolique qu’est l’argent. Pas d’odeur l’argent… Vraiment?

Dollar philosophal
Prenons le cas des Etats-Unis. L’empire d’outre-Atlantique est bien plus endetté que l’Europe et pourtant, il continue à doper son économie en y injectant des milliards de dollars. Cela, sans hyperinflation. Pourquoi? Cela s’explique par la fonction tout à la fois pragmatique et impériale de la devise au pays de l’Oncle Sam. Pragmatique: Si c’est par l’endettement que l’économie tourne mieux, l’Américain n’aura pas de scrupule: « Cela fonctionne. Où est le problème? » Impériale: Cette civilisation de pionniers a fait de sa devise la nouvelle frontière. Le billet vert est le socle de l’économie mondiale et un nouvel afflux de dollars sert donc de monnaie de réserve à toutes les économies émergentes dont la balance commerciale est en bonus. De par sa situation éminente actuelle, l’Amérique est donc le seul pays au monde qui peut faire des dettes sans avoir vraiment à les rembourser… Car ses dettes valent de l’or. Une version actualisée de la pierre philosophale, en quelque sorte. Le jour où la place centrale du dollar dans l’économie mondiale cessera, les Américains adapteront leur politique monétaire dans la douleur, mais non sans un même pragmatisme.

L’euro, le beurre de l’euro et le sourire de la Chancelière
Observons l’axe franco-germanique, qui est la colonne vertébrale de l’euro. Je me remémore cet ami de vieille souche française, qui pliait négligemment ses billets dans la poche. Une façon inconsciente d’exprimer son mépris pour l’argent. Comme l’écrit Bruno Colmant, dans une culture de tradition catholique, l’argent est plutôt perçu comme un mal nécessaire. Les citoyens doivent le souffrir et l’Etat le juguler. Pour soulager une population en récession économique, une dévaluation n’est donc pas un drame. Au contraire, elle signifie que l’Etat reste maître de sa monnaie. En bref, dans une culture latine et catholique, l’argent est ce qui permet d’acheter du beurre. Dans une culture nordique et protestante, par contre, l’argent est paré d’une certaine noblesse. Il signale que son possesseur a vendu du beurre et qu’il pourra investir dans une crèmerie. Ici, la monnaie est le fruit d’un juste labeur et la source de nouveaux investissements. Il s’agit donc d’un symbole qui se doit de demeurer fort et respecté. Une dévaluation est toujours un échec – surtout en Allemagne, qui vit encore le traumatisme de l’hyperinflation des années ’20 du siècle dernier. (Bruno Colmant rappelle, bien à propos, que le mot allemand Schuld désigne tout à la fois la dette et la faute). Nombre d’experts conseillent une dévaluation progressive de l’euro par voie d’inflation contrôlée. Cependant, il faut se rendre à l’évidence: Sans une plus grande intégration de la politique monétaire européenne, on ne peut avoir l’euro, le beurre de l’euro et le sourire de la Chancelière.

Smith sur le divan de Freud
Ce que nous constatons en micro-économie vaut en macro-économie: Le « sujet économique standard » est une abstraction. Un patron d’entreprise engage et son concurrent licencie. Un employé dépense et son collègue épargne. Un consommateur achète une moto et son voisin une assurance-vie. Pourquoi? Pour autant de raisons conscientes et rationnelles, qu’inconscientes et affectives. Il en va de même pour les populations. Une analyse ne peut faire l’impasse sur le rapport affectif qui lie les cultures à l’économie en général et à l’argent en particulier. Les pères fondateurs de l’Europe – et leurs successeurs qui signèrent en 1992 le Traité de Maastricht – avaient bien compris que l’orgueil monétaire alimente le ressentiment nationaliste, et que celui-ci conduit à la guerre. Le mouvement de repli identitaire actuel est une réaction de protection compréhensible, mais adolescente. Cela, et malgré leurs puissantes différences, les Texans, Californiens, New-Yorkais et habitants du Midwest, l’ont bien compris. Ceux qui méprisent la devise européenne comme un corps étranger, doivent expliquer où le tribalisme s’arrête et pourquoi. Demain poussera-t-il sur les ruines de l’euro, une monnaie bretonne, écossaise, flamande et – mieux encore – principautaire liégeoise? A l’inverse, ceux qui veulent sauver l’euro, ne peuvent oublier qu’on ne bâtit une communauté de destin qu’en tenant compte de la réalité des peuples. Et le rapport à l’argent de ceux-ci est plus émotionnel qu’il n’y paraît. On dit que l’argent n’a pas d’odeur. Si Adam Smith se couchait un peu plus souvent sur le divan de Sigmund Freud, peut-être en serait-il moins convaincu.

« Trois fois Saint » – Sainte Trinité, Année C

 «  Tout ce qui appartient à mon Père est à Moi ; voilà pourquoi je vous ai dit ; l’Esprit reprend ce qui vient de Moi pour vous le faire connaître ». (Jean 16, 12-15)

La Trinité n’est pas un problème de mathématiques. Pourtant, comme l’amour ne s’additionne pas, mais se multiplie – ne dit-on pas le « Dieu trois fois Saint » ? – chacun peut vérifier que 1 X 1 X 1, cela fait toujours 1. La Trinité : 3 Personnes divines en un seul Dieu. Mais bien plus qu’un problème de mathématiques, la Trinité est Mystère d’amour. Le peu que la révélation chrétienne nous ait donné de percevoir de l’infinité de Dieu, est que celui-ci est une éternelle Relation de Don : entre le Père qui est Source de tout Don, le Fils à Qui le Don est destiné et qui le rend au Père dans l’unité de l’Esprit – qui est Don.  La Bible nous enseigne que l’homme est créé à l’image de Dieu. Voilà pourquoi nous sommes des êtres relationnels et voilà pourquoi seul le Don de nous-mêmes nous fait rejoindre notre vérité profonde. Devenir disciple du Christ et vivre son baptême, c’est dans l’Esprit s’unir au don du Fils pour devenir enfant du Père.       

In memoriam Edouard Jakhian – racines, vérité, courage

Edouard Jakhian vient de nous quitter. Grâce à une amie journaliste, j’ai eu la chance et l’honneur de déjeuner quelques fois avec le défunt bâtonnier. Outre sa grande gentillesse, il m’impressionna par trois aspects de sa personnalité: racines, vérité et courage.

Racines – Cet Arménien, né à Bruxelles, revendiquait ses racines. Bien que ce juriste de l’ULB ne professait pas de foi explicite (du moins, c’est ce que j’ai cru comprendre, car il parlait de la religion avec tact et respect), il s’est battu pour que les Arméniens aient une église à Bruxelles.

Vérité – Si la reconnaissance du génocide arménien (et de tous les génocides) l’habitait, c’était au nom de la vérité. Jamais de la vengeance. Il parlait des Turcs avec grande élégance. Si je devais résumer sa pensée sur la question, je dirais: « La vérité guérit. La vengeance salit ».

Courage – Cet intellectuel avait compris que, sans le courage des forts, le faible devient un opprimé. Il en appelait à une citoyenneté debout dans la tempête. En cela, il y avait un côté « churchillien » chez lui. Et chacun aura compris que, dans ma bouche, il s’agit d’un compliment.

Cher Edouard Jackian, je prie pour vous. Et du plus profond de moi-même, je pense que vous entendez désormais la Voix vous caresser l’âme par ces mots: «C’est bien, serviteur bon et fidèle, entre dans la joie de ton Maître». (Mt 25, 21)

« Clarté dans la nuit profonde » – Pentecôte, Année C

 « Le Défenseur, l’Esprit Saint que le Père enverra en Mon nom, Lui, vous enseignera tout et Il vous fera souvenir de tout ce que je vous ai dit ». (Jean 14, 15-26)

Observez la flamme d’une bougie. Elle est si petite et sa lumière est bien fragile. Un rien et elle s’éteint. Et pourtant… Placez-la dans une grande pièce sombre : elle l’illuminera. Ainsi l’Esprit de Pentecôte. Sa présence paraît parfois insignifiante au cœur de nos vies. Mais sa clarté éclaire la nuit la plus sombre. « L’Esprit Saint que le Père enverra en Mon nom, Lui, vous enseignera tout. » Un sourire à celui qui n’attire jamais l’attention. Un merci à celle dont le labeur semble une évidence. Un coup de main à celui qui a déjà baissé les bras. Une écoute de celle qui n’a rien à dire. Une visite à celui qui se sent oublié. Un pardon à celle qui a tout gâché. Une prière pour celui qui vient de nous insulter. Une pensée pour celle qui, depuis longtemps, est décédée. Ainsi l’Esprit.

Je crois que je vais aller buter un Curé…

« Au nom du fils » est joué depuis peu dans un cinéma de ma bonne ville de Liège. Pour ceux qui n’ont pas encore entendu parler du film de Vincent Lannoo, il s’agit de l’histoire d’une sage paroissienne, animatrice bénévole de radio catholique. Le jour où son fils adolescent – abusé par un prêtre – se suicide, son monde bascule. La fidèle devient vengeresse: Elle abat sans pitié tous les ecclésiastiques abuseurs sur sa route. Sur le modèle de « Pulp fiction » de Tarantino, il s’agit donc de ce que le réalisateur appelle un « pamphlet jubilatoire », nullement économe en hectolitres d’hémoglobine. Je n’irai pas voir ce film, mais – sur le principe – je n’ai rien à redire. La pédophilie n’a touché qu’une minorité du clergé catholique et elle sévit bien ailleurs – à commencer dans les familles. Il n’empêche, ce qui a eu lieu au sein d’une Eglise dont le « core business » est la défense des plus petits, mérite l’opprobre. Outre que l’abus sexuel est un sordide délit, quand celui-ci est commis par un « homme de Dieu » – cela est particulièrement grave: En plus de la souillure du corps et de la confiance envers l’adulte, c’est toute la relation à la Transcendance qui est salie. Dès lors, si d’aucuns s’en donnent aujourd’hui à cœur joie par une démarche cinématographique « jubilatoire », reconnaissons que certains au sein du catholicisme leur ont fourni des bâtons pour se faire battre.

Rien à redire donc sur le film, ni sur la vidéo de promotion, qui interroge les spectateurs liégeois à la sortie de la première en Cité ardente. Que la production ne garde que les commentaires élogieux, est de bonne guerre. Ce qui dérange, c’est que cette vidéo se conclut par la provocation d’un spectateur: « Je crois que je vais aller buter un Curé ». Et que, sur son site Facebook, la production salue la remarque par ces mots: « Mention spéciale pour la dernière phrase de la vidéo ».  Malgré le  petit smiley » qui suit le commentaire, ici une ligne rouge est franchie. Non pas par le provocateur qui – je l’espère – manie le second degré. Mais par la production, qui met sa boutade en exergue. Pour rappel, selon le centre pour l’égalité des chances, par « inciter à la (cyber)haine« , « il faut entendre toute communication verbale ou non-verbale qui incite à, stimule, attise, encourage, accentue, provoque, pousse ou appelle d’autres personnes à certaines réactions de haine ». Imaginons un film sur le fondamentalisme musulman, que les producteurs ponctueraient par l’éloge de la remarque: « Je crois que je vais aller buter un Imam ». Ou un film sur des malversations en milieu maçonnique ponctué par: « Je crois que vais aller buter un Vénérable ». Dans le prolongement de « l’affaire Trullemans », je doute que cela passerait. Entendons-nous bien: Je ne fais pas partie de ceux qui proclament que les catholiques sont devenus les parias de notre société. Je réclame simplement les même droits pour tous les citoyens – en ce compris les Curés. Il est un peu court de s’en tirer en disant: « Lol, c’était pour rire! ». Le jour où un déséquilibré prend une arme et « bute un Curé » – il sera trop tard de s’en étonner au cours de doctes débats télévisés dominicaux.

Pour conclure, j’ajoute que ces jours-ci, j’ai assisté – dans les diverses paroisses du centre-ville à Liège, dont je suis le… Curé – à plusieurs fort belles cérémonies de premières communions et de profession de foi. Les enfants semblaient heureux de mieux découvrir le Christ et désireux de vouloir grandir au sein de son Eglise. Le catholicisme ne se réduit pas à des pamphlets, si jubilatoires soient-ils. Cela aussi, méritait d’être rappelé.

 

« L’union fait la force » – 7° dimanche de Pâques, Année C

« Que tous, ils soient un, comme Père, Tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que Tu m’as envoyé. (…) Que leur unité soit parfaite. » (Jean 17, 20-26)

L’Esprit unifie. Non pas de l’extérieur, comme un moule qui donne forme à une pâtisserie. Mais bien de l’intérieur, comme la sève qui irrigue l’arbre, ou le sang qui alimente le corps. D’où l’importance d’avoir une « vie intérieure ». Comment laisser l’unité se faire en nous, si nous passons notre vie à nous agiter au milieu du bruit ? Les jeunes disent : « On s’éclate ». Cela convient pour une soirée de détente, mais pas pour toute une vie. Celui qui passe son existence à « s’éclater », finit par ne vivre qu’à la périphérie de son être. Il devient – au sens étymologique du terme – une être « excentrique », c’est-à-dire un être qui n’a plus de centre. D’où l’importance « vitale » de laisser place au creux de nos vies, à du silence et de la prière. Là, l’Esprit parle à l’intérieur de notre esprit et Il nous unifie. « Que tous, ils soient un, comme Père, Tu es en moi, et moi en toi. »

Durant l’ultime semaine qui nous sépare de la Pentecôte – fête du don de l’Esprit, prions chaque jour dans le silence. Demandons au Souffle de Dieu de nous unifier.

« En attente » – Solennité de l’Ascension, Année C

« Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une force venue d’en haut » (Luc 24, 46-53)

Si le Ressuscité avait voulu nous garder sous sa coupe, Il se serait contenté d’apparaître de temps en temps dans les églises ou au coin des rues. Plus besoin d’Evangile, de Vatican, de curés et chacun serait convaincu… Convaincu, oui. Croyant, non. Il faut être libre pour vivre l’aventure de la foi. Le Christ – qui est liberté suprême – ne s’impose pas à notre conscience. Avec l’Ascension, Il retourne dans la gloire de Son Père et nous envoie Son Esprit.

Neuf journées séparent l’Ascension de la Pentecôte – fête du don de l’Esprit. Prions chacune de ces neuf journées. Demandons que le Souffle de Dieu nous renouvelle.  Soyons en attente de la Force venue d’En haut.

L’homme ne naît pas démocrate – La Libre 7 mai p.55

Ce 7 mai, ma chronique du mois a été publiée en p.55 du quotidien La Libre.
Elle est un prolongement de mon récent post: « La démocratie ne nous est pas naturelle »
Pour la lire, cliquez sur le lien suivant: « L’homme ne naît pas démocrate ».

Merci à la rédaction de « La Libre » de m’offrir cet espace d’expression.

 

In memoriam Christian de Duve

Ce 16 mars dernier, nous étions plusieurs à débattre devant quelque 150 médecins à Lessive (près de Rochefort). Pour la première (et dernière) fois, je faisais face à l’éminent professeur de Duve. J’avais lu sa « Génétique du péché originel » (Odile Jacobs 2009). Mon jugement  était et reste que, autant le prix Nobel faisait un excellent pédagogue en matière de sciences, autant – dès qu’il parlait philosophie – ce savant pratiquait un concordisme en retard de deux siècles. Pour Christian de Duve, c’était la science plutôt que la foi – comme aux grandes heures du positivisme. L’idée que les deux démarches puissent coexister pacifiquement – la science cherchant le « comment » des choses et la foi creusant leur « pourquoi » – lui était étrangère. Voilà pourquoi, en me serrant la main ce jour-là, cet homme sensible et aimable, me glissa comme par défi: « Nous ne serons sans doute pas d’accord sur de nombreuses choses ». Le débat vérifia son pressentiment. Face à un auditoire de médecins souvent critiques, ma place n’était pas de tout confort. Le seul qui me vint à un moment donné en renfort, fut – à la surprise de tous – l’ancien recteur de l’ULB, Hervé Hasquin. Il rappela qu’il était démographe de formation et que les thèses anti-natalistes à connotations mathusiennes du Professeur de Duve (diminuer par tous les moyens le nombre d’humains pour sauver la planète), ne tenaient pas compte des courbes naturelles de régulation des populations. Le débat clôturé, le vieux professeur me salua néanmoins avec grande courtoisie, en me glissant – presque timidement: « J’espère ne pas vous avoir brusqué ». Gentleman jusqu’au bout des ongles…

Pratiquant non croyant
Christian de Duve a suivi le parcours de nombre d’intellectuels de sa génération, appartenant à la meilleure société catholique: Nourris depuis l’enfance au lait maternel de la religion et ayant fréquentés tous les « bons » collèges, troupes scoutes, catéchismes… Ceci, avant de se découvrir viscéralement incroyants. En soi, ce parcours n’a rien de choquant; la foi est Grâce et non évidence. Deux choses surprennent, malgré tout: D’abord que ce rejet du catholicisme se greffe sur une vision caricaturale et une méconnaissance massive de la révélation chrétienne. D’où ma question: « La culture chrétienne qui a bercé leur enfance, était-elle donc tellement infantilisante et de si piètre qualité? » A ce jour, je n’ai pas de réponse à mon interrogation. Mon second étonnement, est que – tout en ayant rejeté la foi chrétienne – cette génération continua à se comporter en parfait petit soldat de l’ancien « pilier catho »: Leur enfants ont également fréquenté l’enseignement catholique, les mouvements de jeunesse chrétiens, l’UCL, etc. Pratiquants non croyants, en quelque sorte. A l’instar de certains vieux maçons qui – au terme de leur vie et avant de rejoindre l’Orient éternel – me confessèrent au creux de l’oreille une foi baptismale assez détonante. Inattendus destins croisés… Ainsi, n’est-il pas troublant que ce soit « l’autre » prix Nobel belge, le chimiste Ilya Prigogine, juif agnostique de l’ULB, qui découvrit un ordre sous-jacent au chaos moléculaire, décelant une forme de téléonomie dans l’évolution? Un Nobel de l’ULB pointant vers le Mystère et un Nobel de l’UCL se défiant de la Transcendance, au nom de la science. Curieuse et passionnante époque, qui bouleverse bien des codes.

Suicide médicalement assisté
Tel Sénèque, Christian de Duve a choisi de quitter la vie au moment choisi par lui – afin de partir en pleine conscience. Acteur de sa vie jusqu’au dernier souffle. La culture chrétienne sans la foi, engendre un retour au stoïcisme. Une vertu lucide et sans autre espérance que la satisfaction d’avoir « bien vécu ». Comment ne pas respecter cela? Cependant, le respect n’empêche pas les commentaires. Je constate tout d’abord que la remarque que je faisais à l’époque du débat sur la loi belge dépénalisant l’euthanasie, se vérifie: Il ne s’agit pas tant d’un débat sur la fin de vie de personnes qui agonisent. La question de savoir si, en soulageant les souffrances un peu plus, on écourterait une vie de quelques jours, pouvait être laissée entre les mains des médecins. Non, cette loi ouvre – sans oser le dire – le débat sur le suicide médicalement assisté. Christian de Duve n’était pas agonisant ou aux prises à des douleurs insoutenables. (Le 16 mars, il était en pleine possession de ses moyens et remarquablement alerte pour un homme de cet âge). Souffrant d’une maladie incurable, il était fatigué de vivre dans cet état et ne voulait pas connaître la déchéance. Sans doute aussi, ce veuf récent souffrait-il de l’absence de son épouse tant aimée. Il a donc choisi de mourir. Je ne puis que respecter sa décision. Mais n’ayons pas peur des mots: cela s’appelle un suicide médicalement assisté. Si telle est la société voulue par une majorité de nos concitoyens, qui suis-je pour m’y opposer? Il n’empêche – cela me donne froid dans le dos. Une visiteuse de malades et mourants, me lança: « Quel terrible exemple pour les vieux! »  Surpris par la virulence de cette personne, d’habitude plus modérée que moi, je lui demandai ses raisons: « Je crains que nombre d’aînés qui se battent pour vivre, se sentiront désormais encouragés à mourir ». Vaste débat.

A Dieu, donc, cher Professeur de Duve. Ma foi me porte à croire que vous avez dû avoir une « divine » surprise en franchissant l’ultime pas. Votre science me rétorquerait que pareille espérance est un leurre de mon imagination. Qui vivra… verra. En attendant, cela ne m’empêchera pas de prier pour vous.

  

Du vivre-ensemble…

Comment réagir à l’affaire « Trullemans »?
Loin de moi l’envie d’entrer dans le débat personnel et toutes les émotions qu’il brasse.
Laissons la justice faire son œuvre et le temps calmer les esprits.
Par contre, il suffit parfois de tourner les pages d’un quotidien, pour se rendre compte à quel point – en ce temps de crise – le vivre-ensemble ne va plus de soi.
D’aucuns objecteront à la manière des gosses en cour de récréation: « Oui mais, c’est l’autre qui a commencé et ce qu’il fait est pire! »
Aux citoyens adultes et responsables est cependant posée une seule question:
Les tensions entre communautés se durcissent… Qui joue au pyromane et qui sera pompier?
Et puis surtout: Où cela va-t-il s’arrêter?
Sans autres commentaires – donc – voici trois extraits de presse, glanés sur trois pages qui se suivent (pp.14, 15 & 16) dans le quotidien « La Libre » de ce jour.
Une telle accumulation vaut mieux qu’un long discours:

Allemagne: les Turques perdent confiance (La Libre p.14)
« La communauté turque d’Allemagne et les immigrés en général suivront avec émotion le procès qui s’ouvre ce lundi devant le tribunal supérieur de Munich contre les terroristes d’extrême droite du “Nationalsozialistischer Untergrund” (NSU), un groupuscule accusé du meurtre de huit Turcs, d’un Grec et d’une policière allemande. Quand on a appris en novembre 2011 que ceux-ci étaient les victimes de néonazis et non pas d’une prétendue mafia turque, les trois millions de Turcs vivant en Allemagne, dont la moitié a la nationalité allemande, ont pris peur. Le fait qu’en Allemagne, le “père” Etat ait subi une grave défaillance en ne réussissant pas à mettre fin la série d’assassinats les a marqués, explique le docteur Ali Kemal Gün, psychothérapeute et psychologue turc, que “La Libre Belgique” a interrogé à la clinique psychiatrique rhénane LVR de Cologne. Il y a vingt ans, ce psychologue avait soigné les victimes turques de l’incendie criminel de Solingen. Le procès contre le groupe terroriste NSU va-t-il pouvoir panser les plaies? (…) « L’attaque contre un homme qui vise en fait tout un peuple est une expérience traumatisante. Les proches des victimes, mais aussi ceux qui s’identifient avec eux, subissent un traumatisme. Les Allemands d’origine turque pensent: “Cela peut aussi m’arriver, je suis aussi une cible potentielle.” Cela crée un sentiment de peur et d’insécurité. On n’est plus sûr dans la société, on se sent en danger. On perd confiance dans l’Etat de droit. Le procès devra aider à restaurer la confiance. Car, sans cela, les immigrés continueront à se sentir mal à l’aise dans la société allemande.« 

Hongrie: les Juifs ont peur (La Libre p.15)
« Plusieurs centaines de nationalistes hongrois ont manifesté samedi à Budapest à la veille de la tenue de l’assemblée du Congrès juif mondial (CJM), qui a débuté dimanche, pour trois jours. La manifestation, au cours de laquelle des responsables du parti d’opposition Jobbik ont accusé les Israéliens de chercher à “acheter” la Hongrie, a finalement été autorisée par la justice. Elle avait été, dans un premier temps, interdite par la police sur ordre du Premier ministre, Viktor Orban. Mais cette interdiction a été jugée tardive et illégale par la justice. Le chef du gouvernement devait prendre la parole dimanche soir lors de l’ouverture du CJM, qui normalement se réunit à Jérusalem mais a décidé de se réunir cette année à Budapest pour dénoncer la montée de l’extrême droite et de l’antisémitisme en Hongrie. (…) “Les conquérants israéliens, ces investisseurs, devraient chercher un autre pays de la planète pour s’en emparer parce que la Hongrie n’est pas à vendre”, s’est écrié le président de Jobbik, Gabor Vona, lors du rassemblement organisé non loin du Parlement, lui-même situé sur le Danube. Un autre membre de Jobbik, le député Marton Gyongyozsi, a déclaré à cette occasion : “Notre pays est devenu la proie du sionisme, il est devenu une cible de la colonisation alors que nous, le peuple d’origine, devrions nous résigner à un rôle de figurants!”.

Egypte: les chrétiens discriminés (La Libre p.16)
« Depuis quelques années, et plus particulièrement depuis la chute du régime de Moubarak et l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans, les attaques envers les chrétiens se sont multipliées. Il y a un mois jour pour jour, quatre chrétiens et un musulman étaient abattus lors d’une bagarre à Khoussous, une banlieue populaire du Caire. Comme chaque fois, cela avait commencé par une banale dispute, avant de déboucher en gigantesque affrontement confessionnel.Le jour des funérailles dans la cathédrale Saint­-Marc du Caire, la foule de chrétiens, qui scandait des slogans anti-Frères musulmans, avait été la cible de jets de pierre, cocktails Molotov et tirs au pistolets. Nouvel affrontement, nouveaux morts. Les événements comme ceux-ci sont nombreux. Le plus célèbre demeure l’attentat à la bombe le soir du Nouvel An 2011 devant une église d’Alexandrie, qui avait tué 21 fidèles. (…) Plus régulièrement, des églises sont incendiées, des commerces chrétiens sont vandalisés ou des descentes meurtrières sont organisées dans des quartiers à forte population copte.Chaque famille chrétienne, ou presque, possède son martyr. (…) Depuis l’introduction de la charia Les discriminations et persécutions dont sont victimes les quelque 10 millions de chrétiens en Egypte ont débuté dans les années 80, quelques années après que le président Sadate ajoute un article à la Constitution, instituant la charia comme source principale de législation. Depuis lors, la situation des chrétiens dans le pays n’a cessé de se dégrader. En trente ans, ils sont devenus des citoyens de seconde zone, dans l’accès au logement, à l’emploi ou à des hauts postes à responsabilité. L’arrivée des islamistes au pouvoir l’an dernier n’a fait qu’empirer ce climat d’intolérance religieuse. Stigmatisés dans les médias de propagande salafiste comme des “infidèles”, accusés de viols, de meurtres ou d’enlèvements dans une série de légendes urbaines plus loufoques les unes que les autres, les Coptes sont les boucs émissaires d’une population à la fois peu instruite et profondément frustrée par une situation économique déplorable. Face à cela, le gouvernement se montre très passif et les crimes commis à l’encontre des chrétiens restent bien souvent impunis. »