La démocratie ne nous est pas naturelle.

Récemment, je reçus un mail aigre-doux d’une militante du droit à l’euthanasie, me disant toute sa déception de me voir soutenir une plateforme s’opposant à l’élargissement de la loi actuelle sur la fin de vie en Belgique. Ma correspondante est une personne que j’estime, mais  je lui répondis que j’étais – quant à moi – déçu de me voir reprocher d’exercer mon droit démocratique à exprimer une opinion. Cette mienne opinion est sans nulle doute perçue comme arriérée ou obscurantiste par mes contradicteurs – et peut-être ont-ils raison – mais est-ce une raison suffisante pour la censurer?

Reconnaissons-le tous une bonne fois pour toute: La démocratie ne nous est pas naturelle. Bien sûr, nous nous déclarons de grands adeptes de la liberté d’expression… Mais, en réalité, cela s’applique uniquement envers ceux qui nous confortent dans notre opinion. Quant aux autres: Notre « belle ouverture d’esprit » leur concède tout juste le droit de penser autrement… en grand silence. Quand ceux-ci ont l’outrecuidance d’exprimer hautement une opinion qui dérange et contrarie – alors stupeur et tremblement. Nous voilà soudainement choqués et furieux: « Comment ose-t-on? » Non, décidément: la démocratie ne nous est pas naturelle. Pas étonnant que les parlementaires britanniques se font face, séparés par la longueur de deux lames d’épées dressées l’une contre l’autre. La démocratie est une éthique du débat qui s’apprend… ou se perd.

Ainsi: Est-il choquant que de nombreux Français descendent dans la rue pour exprimer – sans homophobie – leur opposition à une loi sur le mariage et l’adoption par des couples homosexuels? A en entendre certains – et non des moindres – ce serait déjà une expression de haine et de rejet. Pourtant, voilà enfin un débat de société – « c’est quoi une famille? » –  qui est à la portée de tous (bien plus compréhensible que les critères de stabilité budgétaire européens). Réjouissons-nous donc, à une époque où tant dénoncent le désintérêt croissant pour la politique, que le peuple se passionne pour un tel débat. Est-il donc démocratique de prendre une attitude outrée d’élite bienpensante – du genre: « Les manifestants ne sont sympathiques que quand ils pensent comme moi? Quand ce n’est pas le cas, ce sont, soit des égarés, soit des fachos ». A contrario: Est-il antidémocratique que – malgré cette opposition – une majorité parlementaire vote une loi sur le mariage et l’adoption par des couples homosexuels qui est inscrite à son programme? Le parlement n’est-il l’expression de la souveraineté populaire que quand cela nous convient? Si cette loi dérange, en démocratie il n’y a pas à appeler à l’émeute – comme j’ai entendu d’aucuns le faire. Si vous n’êtes pas d’accord, attendez les prochaines élections pour changer de majorité et revoir la loi. La démocratie est une éthique du débat qui s’apprend… ou se perd.

Ainsi encore: Est-il justifié d’arroser d’eau l’archevêque de Malines-Bruxelles – un homme de 72 ans – invité à s’exprimer au sein d’une université, devant un public qui ne lui est pas naturellement acquis?   Raison: « Femen ne tolère pas qu’il veuille imposer cette chasteté à la communauté homosexuelle ». Or qu’a exprimé Mgr Léonard à ce sujet dans une interview au quotidien bruxellois « le Soir »? Interrogé sur la question de l’homosexualité, le prélat avait d’abord soupiré, en disant qu’il souhaitait vivement parfois être interrogé sur d’autres sujets. C’était tout juste avant Pâques et il espérait , sans doute, naïvement pouvoir parler de cette fête, qui est la plus importante du calendrier chrétien. Devant l’insistance des journalistes, il a alors rappelé, une fois de plus, le point de vue de l’Eglise catholique sur la question: Soit, que l’homosexualité est « une donnée que les gens découvrent en eux-mêmes et dont l’origine reste un peu mystérieuse. Il n’y a pas de responsabilité morale là-dedans ». Suite à une nouvelle question, Mgr Léonard ajouta: « Quand je m’adresse à des chrétiens, je les invite à assumer cette situation dans une forme de célibat, comme on le fait dans beaucoup d’autres cas. Mais même des non-chrétiens peuvent percevoir cette exigence dont le fondement est de nature philosophique. Il y a des gens qui en fonction de leur santé, leur situation familiale, professionnelle, sont immanquablement conduits à faire le choix d’une vie de célibataire ». Peut-on m’expliquer en quoi l’archevêque a voulu « imposer » quoi que ce soit à qui que ce soit? Il a répondu par politesse à une question en expliquant ce qu’il conseillait aux personnes lui demandant conseil. Je doute que les « Femen » fassent partie du lot. Il n’y a donc qu’un seul point sur lequel je rejoins les « Femen »: L’une d’entre déclara que durant leur « action » l’archevêque « a été très calme, il a pris une position de prière et il faut croire qu’il a prié pour nous ». Oui – Mesdames – je connais assez l’archevêque pour confirmer: « Il priait pour vous. Pas par dépit ou condescendance. Par pure bienveillance ». Alors, dites-moi: Qui se conduit ici en démocrate? La démocratie est une éthique du débat qui s’apprend… ou se perd.

 

8 réflexions sur « La démocratie ne nous est pas naturelle. »

  1. La démocratie (50 % + 1) ne peut être confondue avec le suffrage universel ni avec la liberté d’expression. Sans même parler de la vérité…

  2. Le juriste que je suis ne peut que s’étonner de lire sous la plume de monsieur Mélon que la démocratie serait « 50% +1 » ! Ainsi, une démocratie ne serait rien d’autre que la loi de la jungle ou la loi du plus fort, parce qu’il serait majoritaire…
    La démocratie n’est évidemment pas ça et peut être même l’inverse. La démocratie se définit par « le respect des droits fondamentaux des minorités » face à une majorité qui voudrait imposer « sa » loi.
    La question n’est donc pas « qu’est ce que la démocratie ? » mais elle est « que sont les droits fondamentaux ? »
    Nos civilisations considèrent à juste titre – me semble-t-il – que le droit d’émettre une opinion contraire à celle de la majorité est un de ces droits fondamentaux.

  3. Oupla..
    A lire ton post dans ces termes temment choisis, je comprends que tu es ‘un peu faché…
    Je suis absolument d’accord que l’AGRESSION vis à vis de Monseigneur Léonard est absurde et ridicule.
    (j’ai reçu Monseigneur Léonard ici pour un débat ‘âpre » mais parfaitement ‘ouvert’ ! avec le Grand Rabin d’Antwerpen : Monsiegneur est certainement qq’un de très ouvert à toute discussion).. bref. Bravo a sa réaction à l’agression ; bravo aussi au fait que (si j’ai bien lu les articles de presse) l’Eveché ne portera pas plainte.
    Juste pour rappel : Bill Gates a reçu une tarte en pleine figure au Concert Noble lors de sa présentation en 1998. Il n’est plus jamais venu en Belgique depuis, je crois.. J’espère que Monseigneur restera, lui ;-))
    Je crois que c’est un peu « l’institut » ‘Eglise (=PAS les administrés/foule de bénévoles qui travaillent pour .. !!) qui sont un peu dépassés par les évènements, surtout par les possibilités de communications planétaires qui font que certains (-aines) profitent de ce système pour, de façon provocante, arriver à faire la une des journaux… Jolies Madames ;-))
    Très d’accord donc avec tes conclusions.. mais svp du concret, de la lucidité pour ‘le monde’ dans lequel on vit, de la simplicité, de la compréhension, du dialogue ouvert !

    Merci de m’avoir lu et sans aucun ‘bad-feeling’ !

    Benoît

    1. Je me demande encore ce qu’on entend par « institut Eglise » si on en vire les membres… il reste la tête, le Christ. Mais alors le Christ serait dépassé? Et en plus il ne serait pas concret…

      Bref…
      Monsieur l’abbé, merci pour ce texte.

  4. Article intelligent, comme d’habitude…

    Très heureux d’avoir enfin fait votre connaissance hier lors de la conférence avec Monseigneur Léonard. J’espère que nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance. En attendant, une excellente semaine à vous !

    Jean-Charles

  5. C’est presque gênant d’écrire à quel point je suis d’accord avec tout ce que tu nous as communiqué dans ton dernier post. Pour la France, il faut respecter les institutions dont le fonctionnement a été correct, même si la recherche d’un soutien plus large au prix de concessions eût été éminemment souhaitable. Quant à Mgr Léonard, son comportement mérite une profonde estime. Son invitation à la continence n’était pas adéquate, selon moi, mais une invitation n’a rien de coercitif et les catholiques homosexuels, dont je suis, doivent décider de leur comportement en conscience, après avoir écouté véritablement leur hiérarchie.

  6. Derrière ces actions très visibles, plutôt violentes et en rupture par rapport à nos traditions démocratiques, il faut y voir une critique, mal exprimée de la partie immergée de l’iceberg: la peur de la sexualité dans l’Eglise catholique romaine et … la non reconnaissance des femmes dans ce qu’elles sont réellement, leur enfermement dans des stéréotypes comportementaux, le placard du féminin contre l’estrade du masculin .

  7. Commentaire tres tardif, je ne sais s’ il sera lu !
    L’ action contre l’ archevêque était de fait virulente. Mais je crains qu’il ne perçoive pas bien la virulence de ses propres propos vis à vis des homosexuels. Il me semble plutôt être persuadé de tenir une position mesurée et conciliante. Or prôner l’ abstinence pour raison philosophique (laquelle ?) dans un tel cas frôle reellement l’ homophobie. en fait la seule chose qui empêche son point de vue d’ être homophobe est son ignorance manifeste de ce qu’il le soit.

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