Je n’aime pas les condamnations à l’emporte-pièce de la société à laquelle j’appartiens. Trop facile. Cependant, la lucidité enjoint de pointer vers certaines de ses contradictions, afin d’aider à une salutaire remise en question.
Ainsi ce procès aux assises de Bruxelles. L’accusé comparait pour le meurtre de sa femme. Derrière ce fait divers sordide, une particularité: l’épouse tuée était enceinte de huit mois et demi. Le bébé était sur le point de naître. Et pourtant on ne parlera pas de lui au procès. Pour la justice il n’a jamais existé. Un bébé sur le point de naître n’existe pas aux yeux du droit, même la veille de sa naissance. Tant que le travail d’accouchement n’a pas commencé, il n’est qu’une extension de sa mère. Nicole Gallus est professeur de droit à l’ULB et chargée de cours de bioéthique. Elle explique : « En droit, il n’y a de personne qui si on a la naissance d’un enfant vivant et viable. Avant la naissance, le fœtus n’est pas une personne au sens juridique du terme. Que la femme ait été enceinte de huit mois et demi changera peut-être au niveau de dédommagement parce que le préjudice est plus lourd mais il n’y a pas d’infraction spécifique concernant la personne de ce fœtus. » Ceci contraste avec le vécu de nombreux parents pour qui l’enfant bientôt né est plus d’un amas de cellules. Pourrait-on atténuer ce décalage et reconnaitre plus tôt le fœtus comme personne juridique ? Cela remettrait en question d’autres droits. « On parle essentiellement de la loi sur l’avortement. À partir du moment où l’on reconnaitrait qu’un embryon ou qu’un fœtus est une personne, il aurait notamment le droit à la vie et ce droit à la vie viendrait en contradiction avec le droit à la vie privée de la mère ainsi que son droit à l’avortement. » Or un avortement thérapeutique peut être pratiqué jusqu’au dernier jour de grossesse. Une série d’expériences scientifiques seraient aussi remises en question si le droit considérait les embryons comme des personnes en puissance. Bref, cette boite de pandore reste soigneusement fermée. Le débat vieux comme le monde qui est autant philosophique, religieux, que scientifique, peut se poursuivre. Le droit belge a sa réponse: il faut naitre pour exister.
Dont acte. La mort d’un enfant viable à quinze jour de sa naissance, ne donne droit qu’à un dédommagement plus élevé. Je n’exagère pas. Je n’ai fait que copier la dépêche RTBF. Nul besoin de commentaire: Il démontre à suffisance comment notre société s’est éloigné de la défense de l’inviolabilité de toute vie humaine. Durant mes études de droit, on m’enseignait l’antique adage romain, repris dans notre code civil: « infans conceptus pro nato habetur quoties de comodo ejus agitur ». Traduction: « l’enfant conçu sera considéré comme né chaque fois qu’il pourra en tirer avantage ». On est loin – très loin – du compte. Contradictions… contradictions.
Mais la dignité humaine est – hélas – également battue en brèche dans bien d’autres domaines. Je déjeunais dans un businessclub select le jour de l’annonce des licenciements massifs chez Ford Genk. Ces patrons n’étaient pas insensibles au drame humain – que du contraire – mais en même temps, il y avait chez eux ce fond de fatalisme: « C’est la loi des marchés. Celui qui ne joue pas le jeu, périt » Un langage de froide raison. Le lendemain, je me trouvais dans un milieu d’éducateurs sociaux. La perception du réel est toute différente: ici, c’est l’émotion qui parle et donc l’indignation qui prime. « Où va l’humain dans un tel monde? » martelaient-ils.
Au milieu d’un tel dialogue de sourds, il y a l’affaire Jérome Kerviel. L’ex-trader aurait perdu une somme colossale en spéculations hasardeuses. Selon un récent arrêt de la Cour d’Appel, la banque qui l’employait ne porterait aucune responsabilité dans son comportement. Elle en ignorait tout et ne serait que la victime de son ancien cadre. Pareille conclusion m’étonne, mais – si elle reflète la vérité – c’est encore plus inquiétant. Quelle est cette économie-casino qui laisse un jeune flambeur mettre en danger une des institutions bancaires les plus puissantes d’un grand pays européen? Contradictions… contradictions.
Je ne puis que rappeler ici le n°67 de l’encyclique Caritas in Veritate de Benoît XVI: « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. Une telle Autorité devra être réglée par le droit, se conformer de manière cohérente aux principes de subsidiarité et de solidarité, être ordonnée à la réalisation du bien commun, s’engager pour la promotion d’un authentique développement humain intégral qui s’inspire des valeurs de l’amour et de la vérité. Cette Autorité devra en outre être reconnue par tous, jouir d’un pouvoir effectif pour assurer à chacun la sécurité, le respect de la justice et des droits. Elle devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux. En l’absence de ces conditions, le droit international, malgré les grands progrès accomplis dans divers domaines, risquerait en fait d’être conditionné par les équilibres de pouvoir entre les plus puissants. »