Pratiquants non croyants

Il y a quelques temps, j’échangeais avec un ami breton de ma génération. Agnostique et ayant des parents – jadis fort chrétiennement engagés – qui ont pris distance par rapport à la foi de leur enfance, il me parlait de ses grands-parents avec des mots forts: « Ils étaient pratiquants jusqu’à la mort… mais je ne pense pas qu’ils étaient croyants ». Il décrivait là le risque d’une religiosité sociale: le fidèle suit le mouvement plus qu’il n’y adhère.

En lisant en p.39 du quotidien ‘la Libre’ de ce jour, l’interview du prix Nobel Christian de Duve, je me dis qu’il y a dû y avoir quelque chose de cela chez lui. Je cite ce savant de réputation mondiale: « Les gens n’ont pas appris à raisonner avec la rigueur et l’honnêteté intellectuelle qu’essaient d’observer les scientifiques, à pratiquer le doute méthodique dont parlait Descartes. Ils manquent d’objectivité et sont obnubilés par des croyances et des certitudes qui ne se fondent sur aucune réalité démontrable. C’est vrai du Pape qui parle de “vérités révélées” et donc, non contestables et qui est pourtant suivi par 1,5 milliard de gens« . Comment un homme aussi intelligent et respectable, qui a baigné bien plus que moi dans un catéchisme à l’ancienne, peut-il sortir une phrase aussi énorme du point de vue épistémologique? Comment peut-il tomber à pieds joints dans le piège du « rationalisme concordiste », qui consiste à prétendre que la méthode scientifique est la seule qui fasse sens? Comment peut-il à ce point confondre une affirmation scientifique visant la réalité finie et quantifiable avec une adhésion de foi, touchant à l’infini et donc à l’indémontrable?  Et quid de la poésie et de la danse? Leur vérité sont-elles démontrables? Je pense que le professeur de Duve a longtemps été un pratiquant non croyant, avant de se reconnaître agnostique. Il a adhéré durant sa jeunesse à des « preuves de l’existence de Dieu » et des « raisons de croire », avant de les laisser tomber comme peu crédibles. Mais jamais, sans doute, ne fit-il l’expérience intime du Ressuscité.

Et que penser pour cet aimable notable venu me voir après une Messe dominicale? Au cours de l’homélie, j’avais rappelé que – sans nier en rien l’horreur de certains actes –  le pardon de Dieu était offert à tous, en ce compris Michelle Martin. Il me dit que là, il ne pouvait me suivre. Je lui répondis que je ne faisais que citer le Christ, qui rappelait qu’il fallait pardonner septante-sept fois sept fois. Il ne dit plus rien, sauf qu’il n’était pas d’accord. Une fois de plus je me dis que ces personnes qui militent pour l’école catholique pour leurs petits-enfants et les bonnes manières, mais n’intègrent pas la folie du pardon dans leur vie, n’ont sans doute jamais croisé le regard du Crucifié.

Idem pour ces cadres catholiques qui m’invitèrent jadis à une conférence sur la doctrine sociale de l’Eglise. En début de soirée, la plupart insistaient bien sur le fait qu’ils étaient des rebelles, car ils avaient pris distance du Vatican et de ses « pompes ». Pourtant certains de ces « rebelles » manquèrent d’avaler de travers quand je leur ai dit que le bourgeois catholique a en général le cœur à gauche et le portefeuille à droite. Que l’enseignement de l’Eglise, par contre, les invitait à avoir le cœur à droite et le portefeuille à gauche. « Critiquer le Pape », d’accord… mais soutenir une solidarité par l’impôt plutôt que la rentabilité de leurs ‘sicavs’ – quel blasphème!

Les pratiquants non croyants ont encore de beaux jours devant eux. D’où la nécessité de prier sans cesse pour que souffle l’Esprit. Afin qu’eux aussi puissent un jour proclamer: « Amazing Grace! »

 

15 réflexions sur « Pratiquants non croyants »

  1. Très vrai!!! Et c’est là certainement tout l’enjeu et la difficulté de la nouvelle évangélisation: permettre (et rendre compte de, par un témoignage crédible en accord avec notre propre vie) cette rencontre authentique et personnelle avec le Christ ressuscité. Et l’expérience me montre que, bien souvent, dans le témoignage rendu, dès que l’on passe de la « théorie » (« le Christ est un homme extraordinaire ») et la morale (« être chrétien, c’est aimer son prochain ») à la question engageante d’une relation personnelle à Dieu, l’interlocuteur s’effraie et se rebiffe…

  2. Je partage totalement, cher Eric. J’ai moi-même été soufflée en lisant le livre du prof de Duve: comment peut-on être à la fois aussi intelligent, scientifiquement parlant, et si péremptoire en matière de (non) foi, si pauvre « chercheur » de la vérité? J’ai trouvé ça désolant comme témoignage (alors que le reste de son livre était intéressant).
    Aux croyants-pratiquants d’être contagieux pour transmettre le goût de la rencontre avec le Christ, l’encouragement nécessaire à la recherche de la vérité, le témoignage d’une harmonie réflexion et action…
    Merci pour tes exemples, ton analyse et… ton témoignage!

  3. Que dire alors .. je suis anticlérical, ai un gros problème avec les Eglises.
    Mais j’ai besoin de dire merci de tant de merveilles, je crois tant à l essence du message d’amour, à l’humilité et au respect.

  4. J’avais lu l’article du professeur de Duve. OK pour le reproche de concordisme. Ceci admis, la générosité de l’approche de cet a-thée (qui ne croit pas à la possibilité d’entrer en relation avec Dieu) proche de la mort m’a impressionné. Je ne sais pas si je serais capable d’une vision aussi désintéressée du futur.

  5. Répondre par une provocation au professeur Duve

    Le serment antimoderniste (tombé en désuétude donc intéressant)

    – Et d’abord, je professe que Dieu, principe et fin de toutes choses, peut être certainement connu, et par conséquent aussi, démontré à la lumière naturelle de la raison « par ce qui a été fait » Rm 1,20 , c’est-à-dire par les œuvres visibles de la création, comme la cause par les effets.

    – Deuxièmement, j’admets et je reconnais les preuves extérieures de la Révélation, c’est-à-dire les faits divins, particulièrement les miracles et les prophéties comme des signes très certains de l’origine divine de la religion chrétienne et je tiens qu’ils sont tout à fait adaptés à l’intelligence de tous les temps et de tous les hommes, même ceux d’aujourd’hui.

    – Troisièmement, je crois aussi fermement que l’Eglise, gardienne et maîtresse de la Parole révélée, a été instituée immédiatement et directement par le Christ en personne, vrai et historique, lorsqu’il vivait parmi nous, et qu’elle a été bâtie sur Pierre, chef de la hiérarchie apostolique, et sur ses successeurs pour les siècles.

    Saint Paul, le juif converti répond que l’athée est inexcusable car la contemplation des choses visibles plaident pour les réalités invisibles comme des effets à la cause première. Au chrétien qui s’excuse d’exister saint Paul le provocateur répond que l’athée est inexcusable. J’aime l’insolence.

    Bienheureux catholique sociologique qui a tous les défauts pour le moderniste. Modernistes ils le sont sans le savoir.

    Cordialement

    Olivarus

  6. Mt 7, 21 : «Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas tous dans le royaume des cieux ; mais bien celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux.
    22. En ce jour-là bien des gens me diront : Seigneur, Seigneur, n’est-ce pas en ton nom que nous avons prêché, en ton nom que nous avons chassé les démons, en ton nom que nous avons fait bien des miracles ?
    23 Et cependant je leur déclarerai : Je ne vous ai jamais connus. Retirez-vous de moi, mauvais ouvriers.

    Il y aura bien des surprises dans l’univers invisible… Et beaucoup de premiers seront derniers.

    1. Pharisaisme et apostasie, vous avez raison

      Oui, la pureté de la doctrine exige des actes ou se transforme en formalisme.

      On peut aussi souffrir du contraire une doctrine hétérodoxe et des actes inconséquents.

      L’Eglise enseigne donc la Foi, l’Espérance et la Charité dans cet ordre et pas dans le désordre.

      Je me méfie de la critique du passé par les modernes. Il faut faire mieux pour prétendre critiquer.

      La vraie foi est le préalable à la Charité. Je me méfie d’une foi entachée d’hérésies qui se prétend charitable. On aura alors un pharisaisme à rebours, foi fausse et prétention d’être sauvé par des oeuvres discutables.

      Le moderniste dans toute son horreur.

      Cordialement

      Olivarus

      1. Cher Olivier, le protestant que je suis devrait vous écrire qu’on n’est pas sauvé par les oeuvres mais que les oeuvres témoignent du salut. Je n’aime pas écrire cela, car cela fait trop « ligne du parti ». Suggestions que vous jugerez peut-être insolente, lisez si vous en avez l’occasion une vie de Loisy, elle vous montrera, je pense, un homme de bonne volonté.
        Bravo pour votre rappel de l’existence du serment anti-moderniste. Je ne l’aurais évidemment jamais prononcé mais prends plaisir à bénéficier de votre culture. Plus fondamentalement, tous mes voeux pour la poursuite de votre chemin de foi.

          1. Je pense que l’un et l’autre étaient capables de reconnaître l’homme de Dieu par delà les conflits d’idées. J’ai une réelle tendresse pour Loisy, qui n’a jamais été bas ni discourtois. Je suis aussi impressionné par le souci pastoral de Pie X. Enfin, comme vous vous en rendez sûrement compte, je vous lis toujours avec intérêt. Bien à vous

  7. Un autre éclairage, en direct de la Parole de Dieu (2 Timothée 3-5) :
    « Certes, ils resteront attachés aux pratiques extérieures de la religion, mais, en réalité, ils ne voudront rien savoir de ce qui en fait la force »

  8. J’invite à lire le commentaire de cet article sur le blog de Matthieu BOUCART sur:
    http://www.claude-tresmontant.com/article-la-foi-et-la-demarche-scientifique-110981370.html
    Même s’il l’exprime avec délicatesse, l’auteur ne m’en voit pas moins glisser vers le « fidéisme » (la foi sans la raison). Personnellement, je pense que c’est lui qui risque de verser dans le « rationalisme » en déclarant: « Voilà pourquoi la foi est fondamentalement un acte de l’intelligence ».
    Entendons-nous: Les « raisons de croire » sont d’utiles marche-pieds pour inviter notre intelligence à reconnaître que la foi est raisonnable. Ils constituent donc également souvent une préparation à l’Evangile. Mais ils ne sont pas les prémisses logiques qui conduisent nécessairement en la foi au Ressuscité. Comme si la nature humaine se suffisait pour devenir chrétien et que l’Esprit était superflu. « Credo ut intelligam » enseignait saint Augustin.

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