Michelle Martin jouit désormais d’une libération conditionnelle. Je suis frappé par l’édito du jour chez Sudpresse (p.2) – premier tirage parmi les quotidiens francophones. Demetrio Scagliola y note la « terrible division » qui menace la société belge. « Cette fois, ce ne sont plus les Flamands et les francophones qui s’opposent sur l’avenir du pays. Non, la rupture semble bien plus profonde et plus dangereuse car cette affaire a creusé un fossé énorme au sein de la société belge. » Deux camps s’affrontent: « d’un côté, la grande majorité de l’opinion publique, blessée par la faveur faite à l’ex-épouse de Marc Dutroux; de l’autre une certaine élite intellectuelle, ou prétendue telle, qui a fait du respect du droit une sorte de règle parfaite et donc indiscutable« . « Une nouvelle fois, il appartient au monde politique, composé d’élites mais élu par le peuple, de réduire cette fracture« , conclut-il.
Fracture? Il suffit de lire certains commentaires sur les fora de discussion de Sudpresse pour comprendre le propos. J’en cite un: « un être humain reste un être humain?????? alors que la sale pute de récidiviste à laisser mourir les ptites??????? t’as raison pèpère accueillez la avec des chants religieux et la fanfare du Vatican……..n’oubliez pas d’inviter les pédos à votre petite sauterie !!!!!!!!!!!!!!!!!!!! » Pour info, pareil commentaire recueillit… 46 « like ».
Cette « certaine élite intellectuelle » est, sans nul doute, représentée par Guy Haarscher, qui écrit dans les pages du Soir d’aujourd’hui (pp.12-13): « Les vrais débordements viennent de la population. Là, oui, j’ai entendu des mots qui vont au-delà du populisme, qui parlent de vengeance, qui estiment qu’on ne doit pas donner une seconde chance à Michelle Martin, vu qu’elle n’a pas donné de chance aux petites. C’est absurde quant aux règles de l’état de droit: on ne fait pas aux criminels ce que les criminels font aux victimes ». Inutile de dire que je souscris à cette analyse. Il est d’ailleurs frappant – et c’est plutôt bon signe – de noter que le débat traverse les clivages « politico-philosophiques » belgo-belges: Jean-Denis Lejeune se présente sur les listes du CDH, alors que Guy Haarscher vient de l’ULB.
Que conclure? D’abord, que Sudpresse a raison d’inviter à écouter la vox populi. Les « élites » ne peuvent donner l’impression de la snober. Je me rappelle que j’étais rentré d’un pèlerinage diocésain à Lourdes quand on avait retrouvé les corps de Julie et Melissa. Comme tant d’autres acteurs de la vie civile, je n’avais pas compris l’émotion populaire qui secouait le pays, malgré le fait que – précédemment – j’avais organisé des conférences sur le sujet. Ce n’est que tard – trop tard – que je saisis la vague de fond qui balayait la société belge. Donc oui: les « élites » doivent être à l’écoute du peuple. En temps de crise, surtout, elles ne peuvent donner l’impression de vivre dans une cage dorée… une sorte de « Versailles ». C’est ce que j’exprimais dans mon ‘post’: Quand les riches s’en mêlent. Cependant, ces mêmes « élites » doivent également ne jamais oublier que la vox populi n’est pas forcément la vox Dei. Je rappelle ici les foules de tricoteuses devant la guillotine à Paris, les foules fanatisées aux rassemblements nazis de Nürenberg, les foules en colère tondant les femmes « collabos » à la libération… La foule en colère peut être un monstre cruel. Ce n’est donc pas par caprice que notre démocratie est représentative: le peuple y vote pour des élus, mais ce sont ces élus qui font les lois et les juges les appliquent. Cela est sage et cela est sain. Cela met de l’espace entre émotion populaire et décisions politiques. Dieu nous préserve d’un monde fonctionnant comme une grande émission de télé-réalité: « pour éliminer Michelle Martin, tapez 1 », « pour plébisciter les parents en colère, tapez 2 »… Comme le disait un Grand Homme, la démocratie (représentative) est le pire des systèmes… à l’exception de tous ceux qui ont été essayés, de temps à autre, au cours de l’histoire…