Bouc émissaire

La semaine dernière, une nouvelle plainte contre l’ancien évêque de Bruges fut étalée dans les médias. Suite à celle-ci, voici ce qu’écrivit son avocat le jeudi 16 août dernier, dans les colonnes du quotidien le Soir (p.7): « Le penseur français René Girard parle du mécanisme du bouc émissaire. Nous vivons des temps instables, la crise est partout et, à un moment donné, quelqu’un surgit dans le viseur… Cet homme ou cette femme devient alors l’incarnation de tous les maux. L’hallucination collective qui en découle rend la communauté sourde à l’éventuelle innocence de la personne en question. La seule présence physique de cette personne est considérée comme une menace : il faut la chasser, l’exclure de l’abbaye, la bannir du pays. Le mécanisme du bouc émissaire est le remède idéal, l’excuse parfaite, un mythe indémontable ».

Il y a quelque chose de juste dans la complainte de Me Joris Van Cauter. Entendons-nous bien: je ne veux pas exclure que cette nouvelle plainte contre Roger Vangheluwe soit fondée, et/ou que l’ancien évêque de Bruges ait abusé sexuellement d’autres victimes. En effet, les experts apprennent que pareille récidive est fréquente. Mais une fréquence statistique ne suffit pas pour déclarer quelqu’un coupable. Il est donc tout aussi possible que l’ancien prélat dise la vérité et qu’il n’y ait pas d’autres victimes. C’est donc à raison que son avocat se plaint du fait que – concernant Roger Vangeluwe – toute nouvelle plainte est désormais enregistrée par campagne de presse interposée. Pour « l’infâme », pas de secret d’instruction qui tienne. Seule compte le tribunal de l’opinion publique. Celui-là même qui l’a déjà condamné. Je cite ici encore Me Van Cauter: « Cette semaine, nous avons appris par la presse qu’une nouvelle plainte avait été déposée contre Roger Vangheluwe. Mon client n’a en rien été informé par la Justice. Nous ne savons pas qui est la victime, ni pour quel fait elle dépose plainte. Par contre, l’avocat du plaignant affirme à la télévision que mon client est un récidiviste ». Quand j’entends cela – et ici ce n’est plus le prêtre qui parle, mais le juriste – je pense que la société dérape. Quels que soient les torts de l’ancien évêque de Bruges (et je pense avoir été, à l’époque, suffisamment mêlé à sa démission éclair pour avoir, en la matière, voix au chapitre), il a le droit à un traitement judicaire équitable. Celui-ci implique qu’il soit informé de toute nouvelle plainte et puisse se défendre, avant que le monde entier en soit averti par presse interposée et que la vox populi ait prononcé sa sentence.

Un même type de fonctionnement se rencontre à propos de l’ancien directeur de FMI. La moindre plainte ou rumeur contre le politicien déchu et la presse hexagonale s’en empare, disserte et juge. Pas de secret de l’instruction qui tienne pour DSK – l’infâme – celui qui alimente désormais les blagues de comptoir et les sketchs des humoristes. Notre époque est pourtant permissive et le comportement affectif des hommes publics relève de la vie privée. Mais malheur à celui qui franchit la ligne invisible du Sofitel: il devient un paria. Une fois encore, loin de moi l’envie de défendre les débordements affectifs de DSK. Quand il était puissant, il eut été courageux de le lui reprocher. Maintenant qu’il est à terre, laissons la justice faire son boulot – comme pour Vangheluwe – plutôt que de l’utiliser comme exutoire de nos colères et angoisses. Vous avez dit bouc émissaire?

3 réflexions sur « Bouc émissaire »

  1. Je comprends votre position mais nous, chrétiens de base, n’en pouvons plus d’être montrés du doigts, diabolisés, insultés depuis cette sordide histoire. Nous portons aussi notre croix tous les jours, au boulot, entre amis, sur internet, dans les médias. Que justice soit faite et vite !

  2. Je comprends. Mais si tous les chrétiens ont souffert de cette affaire, parmi eux les prêtres n’ont pas non plus été épargnés. Donc, serrons-nous les coudes et gardons un jugement digne de l’Evangile sur celui qui causa cela.

    1. Votre réponse est belle et digne, Monsieur l’Abbé, et j’imagine bien que les prêtres souffrent plus encore que les fidèles. Tout ce que nous pouvons faire, en effet, c’est nous recentrer sur l’Evangile… tous ensemble.
      Merci pour vos textes !

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