Théologiens musulmans : le défi (ter) – Hassem Chalghoumi, la question à poser

Suite au bref passage dans notre pays de l’imam de Drancy, Hassem Chalghoumi, je reste avec une question. Dans son éditorial de la semaine (Marianne-B p.3: « Un imam d’enfer »), Pascal Vrebos salue cet homme « qui se déplace entouré de gardes du corps, toujours sur le qui-vive, un courage tranquille et une parole qu’il est bon d’entendre en ces temps d’extrémisme ». Et de conclure: « Cet imam est-il isolé chez nous? D’autres imams vont-ils tenir publiquement un discours semblable? Devront-ils être mis sous protection policière? Une seule réponse: que cette majorité que l’on dit silencieuse se mette à faire beaucoup de bruit ».  A l’opposé de cet éloge, il y a l’article critique paru dans les colonnes du quotidien « le Soir » du mardi 11 juin (p.5). Celui-ci soulignait la méfiance à l’égard de l’imam de Drancy de la part de nombreux intellectuels musulmans de Belgique, considérant que Chalghoumi est surtout préoccupé par la promotion de son récent livre. « Peopolisé », il ferait beaucoup de bruit pour un message paisiblement vécu par tant de musulmans de Belgique.

Je ne connais pas l’imam de Drancy et me refuse donc d’évaluer la sincérité de ses propos. Il est vrai qu’Hassem Chalghoumi ne laisse pas indifférent. A en croire une courte recherche sur internet, certains musulmans le traitent de « sioniste », d’homme de Manuel Valls, de chien du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France), de collabo, etc.  Ainsi, cette vidéo de « repentance » de Farid Hannache, un de ses anciens collaborateurs.  Cependant – quel que soit le jugement sur la personne – le fait que l’imam de Drancy ait besoin de protection policière est le signe d’un très gros malaise. Quel critique de l’establishment chrétien, juif ou athée aurait besoin d’être ainsi protégé? Un malaise qui explique que, dans un récent sondage des journaux Sudpresse (29 mai p.2), 78% des Wallons (!) déclarent l’islam non compatible avec les valeurs de la Wallonie (contre 18% d’incompatibilité pour le catholicisme – alors que les Wallons ne sont guère tendres avec la parole de l’Eglise). Les identitaires islamistes et islamophobes ne seront pas troublés par ce sondage, car ils sont d’accord sur un point: Nous sommes engagés dans une lutte à mort entre la charia et l’état de droit constitutionnel. Ce n’est donc pas à eux que je m’adresse, mais à tous les autres (lire mes interventions à ce sujet à l’ULB). Et je reprends à ma manière la question de Pascal Vrebos: Je me fiche pas mal de savoir si les musulmans de Belgique apprécient ou non l’imam Chalghoumi. Mais sont-ils d’accord avec le contenu de son message?  Si non, pourquoi? Et, si oui – au vu du sondage de Sudpresse – comment faire en sorte pour que cela se sache davantage?

6 réflexions sur « Théologiens musulmans : le défi (ter) – Hassem Chalghoumi, la question à poser »

  1. Eric, il n’y a pas de lutte à mort entre Charia et droit constitutionnel : il y a le droit et la séparation des pouvoirs ….Point à la ligne.

    Nous – les démocrates- devons imposer cela : nous serons redevables de toutes faiblesses…Même, si sur le plan intellectuel, nous pourrions faire toutes les nuances …La défense de la démocratie ne peut admettre quelque casuistique : il faut faire front…
    L’Histoire a montré que la faiblesse (à la fois intellectuelle que physique) n’a jamais favorisé la démocratie..En d’autres termes, même à notre esprit défendant, il nous rejeter des comportements anti-démocratiques : l’expérience des « printemps arabes », ont montré leur limite : on ouvre une porte, et y rentre qui veut (souvent les extrémistes)

    1. Sauf erreur de ma part, la Charia est en soi un code civil qui a pour finalité de régir les comportements entre individus (avec force de droit), là où l’Evangile donne à l’homme un « code moral » à (essayer) de suivre du mieux possible (sans être créateur de droit).
      Dès lors, pensez-vous sérieusement que là où le Christianisme (je fais allusion à la « morale chrétienne » de l’Evangile) a laissé sa place à la société civile pour établir son propre droit (Dieu laisse l’homme libre de ses propres choix ; cf. parabole du fils prodigue), l’Islam pourrait en faire de même?
      Honnêtement je ne le crois pas (mais je suis ouvert à tout argument).
      Rien qu’à observer les vies respectives des « personnages-clés » de ces deux religions, l’un se situait dans une dimension purement spirituelle (en refusant tout pouvoir terrestre), l’autre était un chef « d’ici-bas ». L’une sépare le temporel du spirituel (même si, en pratique, cela n’a pas toujours été le cas), l’autre ne connait pas ce principe.
      Par ailleurs, je ne crois pas que le système démocratique soit positif, bien ou moral en soi : une majorité pourrait d’ailleurs légitimement instaurer la Charia, condamner à morts certaines franges de la population, etc.
      Qu’en pensez-vous?

  2. @ Merlot,
    Je ne suis pas théologien, ni spécialiste des religions…Je me permets seulement de faire quelques commentaires à votre réponse, en tant que chrétien de base : sans (dé)formation, sans a-priori mais avec ma lecture de l’Evangile…et ma vie, ma culture et mon éducation : c’est comme dans la cuisine un plat peut être interprété de mille façons !
    1. Quand je lis l’Evangile, il n’y a pas de « code moral » : il y a un message, quelques vérités (qui dépendent de la foi) et un contexte, qui visent à l’universalité.
    2. Jésus, fils de Dieu (pour les chrétiens) n’est pas un prophète (pour les chrétiens) : il est Dieu fait homme (pour les chrétiens)…Mohamed est un prophète…Il n’y pas « deux personnages-clé » (sauf sur le plan historique).
    3. La démocratie n’est pas le 50% +1 : c’est aussi la séparation des pouvoirs (voir Montesquieu) …et cela rejoint la différence : il n’y a pas d’Etat religieux…L’Evangile nous donne des références : « rendez à César « , « ce que vous faites au plus petit des miens », « la femme impie », les pharisiens », les marchands du temple
    4. Hélas, l’Eglise Catholique s’est trop souvent comportée comme un fille légère, se mêlant avec les pouvoirs temporels et avec l’argent…François a un très vaste chantier ouvert…Je prie pour lui !

    1. Cher Monsieur Halleux,

      Avant tout merci de votre réponse, je crois que la confrontation d’arguments est la seule et unique manière d’avancer, dans quelque démarche que ce soit.
      1. Concernant l’Evangile, je suis tout à fait d’accord avec vous, raison pour laquelle j’ai mis code moral entre parenthèses. Je voulais juste souligner que face au message de l’Evangile, le chrétien est seul devant sa conscience (devant Dieu), sans contrainte physique (temporelle) aucune (cf. Benoît XVI : « la foi est le fruit de l’âme, non du corps »).
      2. Concernant Jésus et Mahomet, tout à fait d’accord sur leur différence de nature. Néanmoins, leur passage terrestre (historique) n’a pas été comparable : l’un a été un chef de guerre (avec une volonté de puissance toute nietzschéenne), l’autre a refusé tout titre de ce monde.
      3. La démocratie est bel et bien un système de gouvernement donnant le pouvoir à la majorité, c’est donc techniquement le 50% + 1. La séparation des pouvoirs n’est pas une condition sine qua non à ce régime politique. Montesquieu semblait d’ailleurs plus favorable à un système monarchique (le monarque ayant pour tâche de faire respecter des règles fixes ; monarchie constitutionnelle et non absolue donc) qu’au système démocratique (la monarchie permet plus de liberté que la république puisqu’en monarchie il est permis de faire tout ce que les lois n’interdisent pas alors qu’en république la morale et le dévouement contraignent les individus). Par ailleurs, il disait également que la monarchie dégénère ordinairement dans le despotisme d’un seul, l’aristocratie dans le despotisme de plusieurs, et la démocratie dans le despotisme du peuple. Historiquement parlant, c’est d’ailleurs ce dernier cas qui a fait (de très loin) le plus de dégâts.
      4. Il est clair qu’il est difficile d’être « dans le monde » sans devenir « mondain ». Sur ce point et pour clôturer, reste à réitérer la prière de Salomon (Premier Livre des Rois) lorsque Dieu lui accorda une requête à l’occasion de son intronisation : « Donne à ton serviteur un cœur docile pour gouverner ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal ».

      Au plaisir de vous lire.

  3. @ Merlot :
    Merci pour votre réponse.Je vois que nous coïncidons sur l’essentiel.
    Quant à la démocratie, je me permets d’insister sur la séparation des pouvoirs (j’ai cité Montesquieu, comme référence…mais il s’inscrit à la fois dans une tradition , il signifie une rupture et d’autres ont développé ces racines ). Pour moi, le symbole de la démocratie n’est pas le Parlement ou l’Agora : c’est le respect des droits fondamentaux tels qu’on les retrouve, par exemple, dans la déclaration des Droits de l’Homme et les droits dérivés (liberté d’association, de presse, religionsetc.). On apprend avec l’histoire et le développement des connaissances…
    Quant au fait d’attribuer à la démocratie (= 50+ 1), les pires crimes, vous constaterez qu’il y a eu la démission (fusse par abstention) des autres pouvoirs. Hitler est venu au pouvoir par les urnes mais tant l’Eglise Catholique, que le pouvoir judiciaire avaient abdiqué avant… peur de la violence (physique, économique) ? Je ne fais le procès des gens (car, moi non plus je ne sais comment j’aurais réagi) : mais il faut constater cette lente déliquescence, ces petites démissions, cette pusillanimité doivent nous mettre en « veille »…sans tomber dans l’activisme dénonciateur à tous crins (voir les mouvements des indignés)…
    C’est la multiplicité des pouvoirs, de structures « citoyennes », qui permet de cadrer une démocratie, qui sera toujours perfectible…
    Nous aurons l’occasion de nous rencontrer sur d’autres sujets…A +

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