La démocratie – comme enceinte de débat face à des idées qui ne sont pas les nôtres – ne nous est pas connaturelle. Pour s’en assurer, il suffit de se trouver un beau jour au sein d’une minorité idéologique et puis d’analyser comment la « majorité bienpensante » vous traite. Quelqu’un qui en a fait les frais – dans un tout autre domaine – est l’ex-Ecolo Bernard Westphael. D’où sa conclusion : « Je pars sans réelle amertume (du parti Ecolo) car la politique est d’abord un rapport de force ».
Rapport de force ? Trop souvent oui. Celui qui vient remettre en question nos belles « certitudes » est un empêcheur de ronronner en rond. Il éveillera donc en nous une sourde violence. Votre serviteur n’est pas immunisé de ce réflexe de défense infantile. Farouche défenseur d’une attitude écologique responsable, j’ai souvent la tentation de me boucher les oreilles, plutôt que de débattre avec les climato-sceptiques. A tort, bien évidemment: le débat grandit ses protagonistes et – s’il n’est pas un dialogue de sourd – affine les analyses. Dans un autre ordre d’idée, c’est exactement ce qui arriva à l’ULB lors du chahut « Burqa blabla ». Caroline Fourest dérangeait. Plutôt que de débattre avec elle, il fallait l’empêcher de parler. D’où mon indignation répétée dans ce blog face à pareil chahut – moi qui suis tout sauf un fan de Madame Fourest.
Dans le cadre du débat sur l’avortement – où l’homme assez politiquement correct que je suis en général, a le malheur de se trouver pour une fois clairement dans le camp de la minorité idéologique – cela donne quelque chose de détonnant. De quoi s’agit-il dans ce débat ? D’une question de « curseur ». Où place-t-on le curseur du respect de la vie humaine à naître et pourquoi ? Je fais partie de ceux qui pensent que la vie humaine est trop précieuse pour placer un pareil curseur. La majorité dans ce pays n’est pas de cet avis. Bien. Débattons donc…
Catéchisme de ceux qui déclarent ne pas en avoir.
Débattre ? Pas si facile… Mis à part quelques voix respectueuses de la diversité dans le débat sur l’avortement – que je salue – l’approche de la 3° Marche pour la Vie de Bruxelles fut plutôt accueillie par des canonnades.
Ainsi cette carte blanche parue vendredi dernier dans les colonnes du Soir (pp.14-15), intitulée : « La loi sur l’avortement face aux discours totalitaires » . « Totalitaires »… ça commence bien : me voilà déjà assimilé à un fils spirituel de Goebbels. Passons au début de l’article : « L’évolution de nos sociétés oppose généralement deux tendances forcément antagonistes : les progressistes et les conservateurs. L’aile ultra des conservateurs se montre aujourd’hui prête à tout pour revenir sur des progrès qu’elle estime contraires à des valeurs du passé, présentées comme respectueuses de « la vie »… » Cela est curieux. Voilà des personnes qui se réclament du « relativisme philosophique » (chacun son choix de vie) et récusent toute vision « dogmatique » de l’histoire, mais qui scandent haut et fort que l’humanité se divise « urbi et orbi » en deux camps : les gentils (bref, les progressistes, c’est-à-dire ceux qui pensent comme eux) et les méchants (conservateurs… bref, ceux qui ne pensent pas comme eux – bref, moi). Mesdames et Messieurs les gentils, sur quel catéchisme basez-vous telle certitude péremptoire ?
Dans un style plus soft, mais nullement moins efficace, il y eut cette séquence du JT, qui commence par ce commentaire navré : «Aujourd’hui encore, le droit à l’avortement – un combat que l’on pouvait croire gagné, acquis, est encore remis en question ».
Même son de cloche chez les jeunes MR, parti cette fois de centre-droite: « Parallèlement, les Jeunes MR condamnent fermement la « Marche Pour la Vie » qui se déroulera ce dimanche à Bruxelles. Bien que défenseurs de la liberté d’expression, les Jeunes MR ne conçoivent pas qu’en 2012 encore, certains s’adonnent à autant de prosélytisme pour stigmatiser des milliers de femmes qui ont recours à l’avortement ». Bref, voilà des jeunes qui sont défenseurs de la liberté d’expression – seulement si on exprime ce qu’ils jugent concevable en 2012. Une fois de plus, au nom de quel catéchisme ?
Après le « Burqa blabla », voici « Avortement blabla ». Ce que les opposants au droit à l’avortement défendent – c’est-à-dire qu’il ne peut s’agir d’un « droit », mais tout au plus d’une transgression dépénalisée – est trop dérangeant. L’expression de leur opinion est donc balayée d’un revers de la main, du genre : « comment peut-on encore penser comme ça en 2012 ? », plutôt qu’accueillie au sein d’un débat aussi respectueux que musclé.
Moutons de Panurge
Non décidemment, la démocratie – comme enceinte de débat face à des idées qui ne sont pas les nôtres – ne nous est pas connaturelle. Le psychologue Pascal de Sutter s’en explique dans le Vif de cette semaine (p.58) : « Or les études de plusieurs psychologues-chercheurs ont démontré qu’en société l’être humain est d’un conformisme stupéfiant. Chaque sujet tente d’ajuster son opinion à ce qu’il pense être le consensus du groupe. Même si, au départ, il avait une opinion différente. Chacun aligne sa pensée à celle du groupe sans trop se soucier de savoir ce qui est vrai ou faux. Le cerveau de l’être humain semble programmé génétiquement pour favoriser ce que les psychologues nomment « la pensée de groupe ». Ce que l’on retrouve aussi sous les vocables de « pensée unique », de « prêt à penser »… ».
Je ne pense pas que le professeur de Sutter partage mon point de vue sur l’avortement (mais au fond, je n’en sais rien), mais je crois qu’il serait de ceux qui accepteraient d’en débattre. Car tel est le prix de la démocratie.