«L’herbe est toujours plus verte…» – 4e dimanche de l’Année, Année C

« Aucun prophète n’est bien accueilli dans son pays. » (Luc 4, 21-30)

« Pour qui se prend-il ? »  Telle est la réaction des habitants de Nazareth en entendant Jésus. Ils l’ont connu en culottes courtes – cela ne peut donc être l’Envoyé du Très-Haut. Rien n’a changé aujourd’hui : « Parlez-moi de Mère Teresa ou de Sœur Emmanuelle. Mais chez nous – un saint ? Cela se saurait. » C’est connu : L’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Et pourtant, chacun de nous a reçu au baptême l’Esprit du Christ. Chacun est donc appelé à la sainteté, dans le quotidien de ses jours. Vite dit, vite oublié. Mais – bon sang – qui prend cela vraiment au sérieux ? Le Christ n’est pas du genre à s’imposer. Si nous esquivons son appel à la sainteté, tant pis pour nous. Comme à Nazareth, Il nous laissera vivre une existence bercée de plaisirs tranquilles : « Mais Lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin ». 

«  Bonne Nouvelle » – 3e dimanche de l’Année, Année C

« Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture » (Luc 1, 1-21)

Notre pape François est sympathique, simple et souriant. Mais si vous suivez ce qu’il enseigne et les actes qu’il pose, vous constaterez qu’il y a un projet à la base de son pontificat : Celui de rappeler que l’Evangile est « bonne nouvelle » – un message de libération et de joie.

Trop souvent, le christianisme est travesti en morale pesante et puritaine. Il existe des principes moraux – bien sûr – mais ils découlent de l’amour gratuit de Dieu. Et non pas l’inverse : Ceux qui pensent que l’amour de Dieu « s’achète » à force de bonnes actions, n’ont pas compris le message chrétien. 

« L’Esprit du Seigneur (…) m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs la libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur ». 

« Cuvée divine » – 2e dimanche de l’Année, Année C

« Tel fut le commencement des signes que Jésus accomplit. » (Jean 2, 1-11)

Le temps de la Nativité se termine. Jusqu’au début du carême, nous entrons dans le cycle des dimanches, dits « ordinaires ». Les prêtres et diacres portent à cette occasion des vêtements liturgiques verts – couleur de l’espérance. Ce n’est donc pas par hasard que l’Evangile de ce dimanche raconte le premier des « signes » opérés par Jésus : celui des noces de Cana.  Les époux n’ont plus de vin. Alors, et sur insistance maternelle, Jésus change l’eau en un vin meilleur que celui qui avait été prévu. 

A Cana, le signe rejoint l’histoire sainte : Quand l’humanité veut célébrer ses noces avec Dieu, elle n’a plus que l’eau de nos calculs médiocres à offrir. Alors, le Verbe de Dieu s’invite à la noce. Et de notre vulgaire eau, il fait un vin meilleur que tout ce que nous aurions pu rêver. Cette cuvée divine, est celle de son amour donné jusqu’à en mourir. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, le conseil de Marie garde toute son actualité : « Faites tout ce qu’Il vous dira ».

Etonnant échange… – Baptême du Seigneur, Année C

« Moi, je vous baptise d’eau (…). Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu. » (Luc 3, 15-22)

Les premiers chrétiens étaient surpris d’apprendre que Jésus avait reçu le baptême de Jean. Comment s’expliquer que Celui qui est sans péché, reçoive un baptême de conversion – un baptême destiné aux pécheurs ?

Et pourtant, c’est ainsi. Avant d’entamer Sa mission publique, le Christ se rend pleinement solidaire du destin des hommes. J’ai visité le lieu où – selon les Ecritures – Jean baptisait. Le fleuve y est boueux, car il charrie toutes les impuretés transportées depuis sa source. Celui qui est plongé dans le Jourdain à cet endroit, ressort de l’eau plein de boue – comme chargé du poids de péché des hommes.

En demandant le baptême de Jean, c’est de cette boue humaine que le Christ se charge. Jésus se rend solidaire de notre condition pécheresse pour nous rendre solidaire de son intimité avec le Père, dans l’Esprit. Par notre baptême chrétien, nous sommes plongés dans la vie et la mort du Christ pour ressusciter avec Lui.

Etonnant échange : Lui se charge de notre boue, afin que nous soyons revêtus de Sa lumière. Comme prophétisa Jean : « Moi, je vous baptise d’eau (…). Lui, il vous baptisera du Saint-Esprit et de feu. »        

Suivre l’étoile – Epiphanie du Seigneur, Année C

« Les mages ouvrirent leurs coffrets, et lui offrirent leurs présents : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ». (Matthieu 2, 1-12)

« Epiphanie » signifie en grec : « manifestation ». Dans le calendrier chrétien, cette fête est plus ancienne que celle de la Nativité (fixée en 354 par le pape Libère à la date du solstice d’hiver – soit le 25 décembre). Jusqu’au milieu du IVe siècle, se célébrait au cours de l’épiphanie toutes les manifestations du Christ sur terre : de sa naissance à son premier miracle, lors des noces de Cana. Aujourd’hui, l’Eglise latine fête l’Epiphanie avec le récit des mages : elle voit dans le périple de ces trois sages suivant l’étoile depuis fort loin, le signe de la manifestation de la lumière du Christ à toutes les nations.

En ce dimanche de l’Epiphanie, prions donc spécialement avec nos frères chrétiens du monde entier. Race, langue, culture nous séparent – mais le Christ est la grande lumière qui fait notre unité. Comme les mages, venons l’adorer et offrons-lui, avec cette année nouvelle –  toutes nos réussites (l’or, symbole de tout ce qui est précieux), tous nos échecs et souffrances (la myrrhe, une herbe amère) et toutes nos prières (l’encens, ce parfum dont la fumée monte vers le ciel).

Mettons-nous en route en 2022. Suivons l’étoile. Allons vers l’Enfant de la crèche, qui manifeste la lumière de l’amour de Dieu pour notre monde.

Blog attaqué

Depuis la publication sur mon blog ce 8 décembre, d’une réaction critique à une enquête médiatique, il essuie de nombreuses attaques informatiques. Plusieurs de ses fichiers ont été endommagés et des commentaires ont dû, pour cela, être supprimés. Je m’en excuse auprès de leurs auteurs. Impossible de savoir si ces agressions sont le fait d’un individu ou d’un groupe; s’il s’agit d’une action réfléchie, d’une blague potache, ou d’un acte de colère. Peu importe, d’ailleurs… 

Sans vouloir dramatiser un événement, somme toute assez banal aujourd’hui, je souhaite simplement rappeler ici que la liberté d’expression est un des piliers d’une civilisation digne de l’humain. A chaque fois qu’une dictature impose le silence à une voix critique, c’est un peu de l’homme qui s’éteint dans le monde. A une échelle bien plus minime et dérisoire, il en va de même pour un blog: chacun est invité à exprimer son désaccord avec celui qui s’y exprime. Vouloir cependant le faire taire, est – de la part du hacker – le signe d’un comportement qui blesse la nature humaine. Rappelons qu’Aristote définissait l’homme comme « zoon logikon », soit un animal qui parle, c’est-à-dire qui raisonne et entre en dialogue.    

Crise d’adolescence ? – Sainte Famille, Année C

« C’est chez mon Père que je dois être. » (Luc 2, 41-52)

L’évangéliste Luc rapporte le surprenant épisode d’un Jésus, âgé de douze ans, qui fausse compagnie à Joseph et Marie pour demeurer dans le Temple de Jérusalem. Cette « fugue » est-elle le symptôme d’une crise d’adolescence ? Oui et non. Non, car le jeune Jésus n’est nullement en révolte contre l’autorité parentale. Mais oui, en ce sens que l’adolescence est le commencement de l’autonomie adulte. Autonomie qui passe par une prise de distance par rapport au cocon familial. Arrivés à l’adolescence, les enfants adoptés recherchent souvent leurs parents biologique – non pas par ingratitude envers les parents adoptifs – mais afin de découvrir leurs racines.

C’est un peu ce que fait Jésus en séjournant dans le Temple – lieu symbolique de la présence de Dieu en Israël. Quand Marie et Joseph le retrouvent après trois jours de recherche, sa mère lui lance de façon humainement bien compréhensible : « Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! » Alors Jésus rétablit son lien de filiation : « Ne le saviez-vous pas ? C’est chez ‘mon’ Père que je dois être. » L’enfant Jésus se dévoile à eux comme le Christ.

Plus tard, Il invitera ses disciples à quelque part l’imiter : « N’appelez personne votre « père » sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père Céleste. » (Mathieu 23:9) Il ne s’agit pas de rejeter nos parents selon la chair, mais de comprendre que selon l’Esprit, seul Dieu donne vie.  

Le début d’un monde nouveau – Nativité du Seigneur, Année C

« Aujourd’hui vous est né un Sauveur. » (Luc 2, 1-14)

L’année s’achève. Elle fut difficile pour nombre de nos concitoyens. Beaucoup se demandent : « où va notre société ? » Et pourtant…  avec Noël, nous célébrons le début d’un monde nouveau.  Un monde où l’homme n’est plus jamais totalement seul.

En l’Enfant de la Crèche, Dieu fait une alliance de chair avec l’humanité. Désormais, le Très-Haut verra le monde avec nos yeux, sentira les odeurs avec nos narines et le goûtera les saveurs avec notre langue. Il partagera nos joies et nos peines, l’amitié comme la trahison, la vie comme la mort. Et de son premier cri de nouveau-né jusqu’à dernier souffle de supplicié, c’est d’Amour infini qu’Il embrassera la terre.

Cette nuit-là, à Bethléem, un monde nouveau est né. Un monde qu’aucune violence ne peut défaire. « Qui nous séparera de l’amour de Christ ? Sera-ce la tribulation, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l’épée ? (…) J’ai l’assurance que ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni les choses présentes ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur. » (Romain 8, 35-39)

Avec Noël, est né un monde qui a la solidité de Dieu. « Aujourd’hui vous est né un Sauveur. » 

Dossier « Rafaël » : retour sur une polémique

Dans la nuit du 8 décembre, juste après la diffusion sur la « Une » (RTBF) de l’enquête sur les ASBL « Poverello » et « Rafaël » et la veille de sa publication dans les hebdo  Knack et Le Vif, j’ai publié une réaction critique sur mon blog. Je l’ai fait de ma propre initiative, en prenant sur mes heures de sommeil et sans consulter personne. Un « coup de sang », que je ne renie pas. Je n’ai pas parlé de « Poverello », qui n’a pas de lien structurel avec l’Eglise, mais j’ai réagi à ce qui avait été dit de l’ASBL « Rafaël ». Les médias catholiques Cathobel et Kerknet firent de même, les jours suivants. Une semaine plus tard, les journalistes, auteurs de l’enquête, ont répondu sur le site de la RTBF, du Vif et de Knack, à ces « critiques de leur travail journalistique ». Je souhaite rappeler ici que c’est surtout quant au format et au timing de diffusion que j’ai réagi. Même si je ne les rejoins pas dans certaines conclusions de leur enquête, à aucun moment, je n’ai visé le qualité professionnelle de ces journalistes. Il y en a d’ailleurs plusieurs dans cette équipe dont la réputation est flatteuse. Cependant, une réputation ne suffit pas pour empêcher toute réaction. Ceci, d’autant plus qu’une des personnes dans le viseur de nos journalistes, est Mgr Herman Cosijns, une personnalité fort respectée de l’Eglise de Belgique; un homme toujours disposé à rendre service, deux pas derrière les évêques et vivant sa prêtrise avec grande simplicité. Herman Cosijns n’est pas l’aise avec les médias, surtout dans une autre langue que sa langue maternelle. Le saviez-vous? Devoir répondre à plusieurs journalistes, avec une caméra pointée sur vous et qui vous filme en continu, n’est chose facile.  D’où le malaise perceptible à l’antenne. Ceci explique, sans doute aussi, que je me sois mouillé pour une ASBL dont je n’avais jamais entendu parlé auparavant. Je souhaite revenir une dernière fois sur cette affaire, non pas pour avoir le dernier mot, mais par souci de m’expliquer suite à une polémique qui semble avoir pris des proportions étonnantes, tant sur les réseaux sociaux que dans certaines rédaction. 

« Boule puante de Noël » et « Oeufs pourris de Pâques »Le titre de l’article sur mon blog – « Boule puante de Noël » – m’est venu spontanément. Cette formule « coup de gueule » ne me ressemble guère, moi qui manie en général la nuance. Mais ici, elle s’imposait à moi. Le secrétaire général d’une importante fédération de journalistes a écrit à son sujet sur sa page FaceBook: « J’ai été particulièrement heurté par le fait qu’un commentateur que j’apprécie par ailleurs, Eric de Beukelaer, réduise le travail d’enquête du Vif et de la RTBF à une « boule puante » (ce qui supposerait que le sujet visé n’ait en fait rien à se reprocher et que les journalistes qui ont mené l’enquête soient animés par une intention méchante). C’est une accusation facile et indigne. On ne répond pas à une enquête journalistique fouillée par ce type de propos qui vise juste à décrédibiliser sans apporter de réponse sur le fond. C’est proprement révoltant. Ce comportement trumpien est juste abject! » Comparer mon modeste blog à la communication de Donald Trump, champion du populisme, souligne à quel point ce petit article a dû énerver et ce, jusque d’importantes instances médiatiques. Pourtant, je le répète une fois de plus, ce n’est pas l’enquête des journalistes (réalisée au coeur de l’été) que j’ai comparée à une « boule puante », mais bien la sortie de pareille enquête juste avant Noël, que j’ai ressentie comme « une boule puante de Noël ». En fait, la formule remonte à l’époque où j’étais porte-parole des évêques. Je constatais que régulièrement, avant Noël ou avant Pâques, une sortie médiatique salissant la réputation de l’Eglise catholique, venait troubler la sérénité de la fête.  Je me rappelle un célèbre journaliste de la RTBF, ponctuant une émission qui raillait, peu avant Pâques, les miracles de Lourdes, par un rieur : « Allez, bonne fête de Pâques, quand même ! » A l’époque, j’avais (eh oui, déjà…) répondu durement et, suite à la polémique que cette réaction avait engendrée – au cours d’une émission de décodage de la polémique sur la même RTBF – Pierre Delrock m’avait donné partiellement raison, en dénonçant un ton de « persifflage ». Suite à cet incident, j’avais donné à ces coup de griffes médiatiques avant les fêtes, les noms de code de : « Boule puante de Noël » et « Oeufs pourris de Pâques ». Dans le cas qui nous occupe, un responsable de la RTBF m’a assuré que ce n’était que par hasard que la diffusion/publication de l’enquête sur l’ASBL « Rafaël » (pourtant bouclée en été) avait été diffusée peu avant de Noël. Je veux bien le croire, mais l’effet n’en pas moins le même: c’est juste au moment où toutes les associations caritatives catholiques font leur plus gros appel aux donateurs, que ce genre d’enquête est publié… L’effet est celui d’une « boule puante ». L’évêché de Liège – qui n’a rien à voir avec l’ASBL « Rafaël » – a reçu, dans la foulée de cette enquête, des courriers de personnes déclarant qu’elles ne donneraient plus rien pour les oeuvres. Dans une paroisse de banlieue liégeoise, un paroissien s’est levé au moment de la collecte le dimanche suivant l’émission, pour déclarer qu’il voulait savoir « où allait l’argent ». Bref, ce genre d’enquête nuit bien au-delà des associations visées. Et juste avant Noël, cela nuit gravement. Des rédactions me répondrons qu’elles n’ont pas à tenir compte du calendrier religieux et qu’elles choisissent le timing de diffusion/publication que l’actualité leur dicte. C’est évidemment leur droit. Qu‘elles me laissent alors au moins la possibilité de réagir, en exprimant mon agacement de voir si souvent les fêtes chrétiennes polluées par des actualités qui assombrissent leur sens spirituel. 

Enquête sur deux ASBL ou sur l’Eglise? Si mon blog avait mis en cause « tous les médias mainstream », plutôt que de critiquer le traitement rédactionnel d’une émission, j’aurais vraiment mérité d’être comparé à Donald Trump. Voilà pourquoi, je m’autorise à inverser la logique et à poser cette question: pourquoi l’enquête dont il est question, fut-elle annoncée comme mettant en cause « l’Eglise » en général, plutôt que deux associations? Ce fut le cas dans le teasing de l’émission sur la RTBF et aussi dans la presse écrite. Le Vif annonce sur sa couverture: « Lutte contre la pauvreté: la gestion opaque de l’église catholique ». En p.20, le titre de l’article est « Les étranges affaires de l’Eglise ». Il est introduit de la sorte: « L’Eglise catholique soutient-elle vraiment les plus démunis? »  Quand on sait que, par exemple à Liège, le CPAS fait appel depuis deux ans à l’Evêché pour l’aider dans son plan grand froid et que nous recevons régulièrement des appels au secours des autorités, quand elles sont dépassées par des situations, cela est vécu comme une profonde injustice. A ce sujet, le même secrétaire général de l’association de journalistes répondit à mes questions, en écrivant : « Je ne trouve pas correct le titre (du Vif) qui implique toute l’Eglise, mais je trouve beaucoup plus scandaleux ton titre « boule puante »! »   Pour la « boule puante », j’ai répondu ci-dessus et laisse chacun juger. Je me permets cependant de souligner qu’un article sur un blog privé n’a en rien la force de frappe de trois grandes rédactions du pays. Si ce représentant de la presse trouve vraiment des titres et traitements rédactionnels « pas corrects », j’espère que cela fera l’objet d’une réflexion en interne. Question: cette façon de « mouiller toute l’Eglise » est-elle due à une volonté d’attaquer les catholiques? Je n’exclus pas que certains en profitent, mais je ne pense pas que ce soit la raison première. La motivation me semble surtout de gonfler les résultats de l’enquête pour faire vendre de l’audimat et du papier. Or, on ne peut à la fois regretter la défiance grandissante dans la société envers toutes les institutions – défiance qui nourrit le populisme – et d’autre part, à son tour nourrir pareille défiance.    

Le dossier « Rafaël ». Le coeur de ce que les journalistes en charge de l’enquête appellent « le scandale Rafaël », tourne autour d’un ancien hôpital, cédé par des religieuses françaises à un prêtre, afin qu’il s’occupe de pauvres. A son décès, Mgr Cosijns est devenu président du Conseil d’administration (appelé aujourd’hui Organe d’administration). L’ASBL « Rafaël » avait 161 000 euro de fonds en 2011. En 2019, elle est en négatif de -279 000 euro. Sauf à postuler que les administrateurs se sont enrichis (les journalistes prétendent le contraire: «  Bien entendu, on ne parle pas ici d’un enrichissement personnel de la part de Mgr Herman Cosijns ou de Marie-Françoise Boveroulle»), ou qu’ils auraient gérés comme des manches (ce qui ne ressemble en rien à la réputation de Mgr Cosijns), il y a fort à parier que les frais du bâtiment se sont imposés comme trop lourds à supporter. En 2016, deux inspecteurs de l’urbanisme constatent, en effet, que le bâtiment n’est pas aux normes et qu’il y a un nombre de logement bien supérieur à celui approuvé en 2004. Ce problème de surpopulation remonte à l’ancien responsable, prêtre généreux, mais gérant sans doute « à l’ancienne ». Bref, si les nouveaux responsables de l’ASBL « Rafaël » n’avaient pas réagi, il y a fort à parier qu’un jour des journalistes leur auraient reproché de loger des pauvres dans des conditions indignes. La décision fut donc prise en 2017 de rénover totalement le bâtiment et de le faire entrer dans le « projet Bethléem ». Afin de pouvoir réaliser les travaux, le bâtiment (estimé à 3 millions) fut donné en 2021 à l’archevêché, à charge pour celui-ci d’emprunter pour 10 millions, en vue de construire des logements sociaux pour le « projet Bethléem » (projet de l’Archevêché, qui consiste à mettre des bâtiments à disposition de personnes en précarité). Mgr Cosijns explique que s’adosser à un partenaire financièrement plus solide, était pour l’ASBL la seule façon de financer un tel chantier. Les journalistes parlent eux d’un « magnifique cadeau » à l’Archevêché, qui récupérerait son investissement en 25 ans.  De plus, un professeur de droit public y voit un potentiel conflit d’intérêt, que Mgr Cosijns aurait dû signaler, avant de se déporter pour les délibérations. Cette expertise doit être entendue, mais peut être contestée. La nouvelle loi de 2019, qui encadre les ASBL, définit ainsi le conflit d’intérêt:  « lorsque l’organe d’administration est appelé à prendre une décision ou à se prononcer sur une opération relevant de sa compétence à propos de laquelle un administrateur a un intérêt direct ou indirect de nature patrimoniale qui est opposé à l’intérêt de l’association. » (Art 9,8 §1 du CSA) Comme nous avons ici une ASBL à caractère catholique, qui donne son principal patrimoine à une autre ASBL catholique, afin de pouvoir durablement poursuivre son objet social par de nouveaux moyens, je pense quant à moi que la décision n’était nullement « contraire à l’intérêt de l’association », mais qu’elle était, bien au contraire, de nature à pouvoir sauver celle-ci. D’ailleurs, n’était-ce pas aussi un peu la conclusion des journalistes, vu que l’un d’entre eux a expliqué sur antenne au JT de 13h, du 8/12, sur la RTBF, qu’ils étaient d’avis d’arrêter leur enquête… jusqu’à l’interview avec Mgr Cosijns. Cette interview avait, en effet, mis en lumière qu’un prêt avait été fait à l’administratrice-déléguée, afin de lui permettre de conserver sa maison, à la suite de son divorce. Cet élément relança l’enquête des journalistes. Ce prêt n’était pas illégal et était mu par le désir d’aider un membre-pivot de l’association. Il n’en reste pas moins une action maladroite. Notons, cependant, que Mgr Cosijns n’a rien caché et qu’il a répondu à ce sujet aux questions des journalistes. Les journalistes pointent, en outre, vers une gestion humaine discutable des sans-papiers par cette administratrice-déléguée et dénoncent le fait qu’elle aurait perçu une commission de ses protégés sur des assurances-décès qu’elle leur aurait venues. Comme je l’ai écrit le soir même sur mon blog, il s’agit ici de « vraies questions ». Méritent-elles, pour autant, d’être présentées comme un « scandale », alors que l’ASBL poursuit un travail remarquable? Je ne le pense pas. Je le répète, la question du « conflit d’intérêt », qui est au coeur de leur argumentation,  est tout sauf établie. Une ASBL catholique a fait passer un bâtiment à une autre ASBL catholique, pour poursuivre plus efficacement son aide aux pauvres. Je ne vois pas en cela de conflit d’intérêt.     

L’entre-soi, ou le débat? Dans leur réaction, les journalistes en charge de l’enquête concluent: « Nous avons été accusés d’avoir mené une enquête  » à charge « , ce que nous contestons formellement. (…) Il est étonnant de voir certaines personnes refaire une enquête de six mois en une soirée ou quelques jours. » Un des journalistes en question parle même sur sa page FaceBook de « diffamation » de son travail. Il n’est, de fait, jamais agréable de recevoir des critiques, mais cela suffit-il pour ne pas les tolérer ? L’entre-soi est une tentation qui guète toutes les professions, en ce compris les journalistes. Comme Vicaire-général, je passe mon temps à me faire critiquer par des personnes qui n’acceptent pas mes décisions. Ce n’est pas gai, mais je dois accepter cela. Sans débat, il n’y a pas de vie en société qui tienne. Donc – oui – tout travail journalistique peut et même « doit » être soumis à la critique. C’est d’ailleurs le signe qu’il a été pris au sérieux. Ceci, d’autant plus que le journalisme d’investigation pratique une enquête et celle-ci – qu’on le veuille ou non – n’est jamais totalement « neutre ». Et donc, elle peut être ressentie comme étant menée « à charge ». Le juriste que je suis, rappelle que quand le procureur du roi apporte un dossier au tribunal, nul ne prétend qu’il a mal fait son boulot. Et pourtant, chacun convient que l’accusé a droit à un avocat pour se défendre. Il en est de même face au journalisme d’investigation. Je me suis donc arrogé le droit de me faire l’avocat de cette cause, face au tribunal de l’opinion. Je ne suis pas journaliste et face à cette émission et ces articles, le petit chroniqueur que je suis, n’avait que quelques heures – et pas six mois – pour réagir. Il fallait faire vite, car sinon, le public serait passé à autre chose. Un autre format d’émission permettrait, selon moi, d’éviter ce genre d’incidents. Une enquête d’investigation devrait systématiquement être mise à disposition des personnes visées, une semaine avant sa diffusion et un débat devrait être organisé après l’émission, afin que chacun puisse raconter sa version de l’histoire. Qu’on ne m’objecte pas que ceci avait été possible durant l’émission. Mgr Cosijns avait reçu une demande d’interview sur le « projet Bethléem », sans vraiment se faire expliquer l’objet de l’interview. Si le porte-parole des évêques se trouvait à ses côtés, ce fut purement par hasard, car il était dans la maison. Comment se préparer à répondre adéquatement dans ces conditions, quand on n’est pas rompu à la pratique des médias? J’ai été taxé de trumpisme. Or, le trumpisme se développe quand la confiance se perd dans les institutions, dont les médias. D’où l’importance du débat. Le débat interne n’érode pas la confiance, mais la consolide. Plus les médias laissent place à un vrai débat interne avec des avis et des contre-avis en leur sein, plus il deviendra évident que loin des délires complotistes,  les rédactions tentent de faire de leur mieux pour accomplir la noble mission d’informer. J’ai d’ailleurs été heureux de constater que les réactions à l’article sur mon blog allaient en sens divers: plusieurs journalistes m’ont soutenu et plusieurs catholiques ont défendu l’émission. Voilà ce que j’aime: une société où chacun ose sortir des clivages, pour permettre un débat en vérité. 

A tous, à commencer par les journalistes auteur de cette enquête, je souhaite une fête de Noël pleine de paix dans ce monde en quête d’une vérité, qui nous précède et nous attire.