S’indigner, c’est aussi passer à l’acte – Marc Metdepenningen (Le Soir)

La « dénonciation judiciaire » peut procéder d’une indignation sincère ou d’une pure méchanceté. La marge est étroite entre ces deux démarches : toute dénonciation ne devient légitime que si elle aboutit à la confusion du dénoncé. Le vil délateur, mû par le seul désir de nuire, peut ainsi être loué si son « coup » réussit ; l’indigné généreux dont la dénonciation échoue risque, lui, d’être vilipendé. Il en va de même pour l’authentique victime confrontée au non-aboutissement (prescription, absence d’infraction au sens pénal, insuffisances de preuves, etc.) d’une démarche judiciaire : au terme de son parcours, elle prend le risque de devoir échanger ses habits de victime avec celui de son tourmenteur impuni.

Dénoncer est un risque. C’est aussi une obligation morale : une indignation qui va jusqu’au bout de la sincérité. La loi jugule les risques et soutient la morale. Le Code d’instruction criminelle (article 19) impose aux fonctionnaires publics la dénonciation de crimes et délits constatés dans l’exercice de leurs fonctions. Le Code pénal (448 bis) permet de déroger aux secrets. Les foudres de la non-assistance pèsent sur l’inaction de celui qui aurait renoncé à se porter aux côtés d’une victime. La gestion « en bon père de famille » ou d’honnête homme « placé en des circonstances identiques » imprègne les jugements et arrêts.

La protection confortable des « secrets » dans lesquels pouvaient se vautrer des délinquants à raison de confidences faits à leurs confesseurs, médecins, ou avocats (tous considérés comme clercs sous l’Ancien régime) ont été considérablement rabotées depuis deux siècles. Le secret médical est levé de plein droit  pour les professionnels de la santé confrontés à des victimes d’actes de maltraitance. Les médecins commis à des missions judiciaires en sont délivrés. Les praticiens qui témoignent en cour d’assises évaluent de plein droit les limites du secret absolu qui les lie à l’accusé. L’obligation faite au corps médical de dénoncer aux autorités sanitaires une cinquantaine de maladies contagieuses affectant leurs patients abandonne le secret au profit des intérêts de  la communauté. Le serment d’Hippocrate les y autorisait : « les choses qui ne doivent pas être divulguées au dehors, je les tairai », ce qui impliquait que celles qui devaient l’être pouvaient être révélées…

Le dialogue intime d’un médecin avec son patient lors d’une consultation se doit de bénéficier du secret. Pourvu que cette cloche sécurisée de la confidence ne s’applique qu’à ce qui concerne la sphère de compétence du praticien : la santé.

Il en va de même du secret de la confession dont la protection a fait l’objet d’interrogations au sein de la Commission parlementaire « abus sexuels commis dans une relation d’autorité ». La confidence auriculaire entre le confesseur et le confessé qui le sollicite doit bénéficier du secret, me semble-t-il, dès lors qu’il ne concerne que l’exercice de la foi. L’auteur d’un crime, s’il en vient à demander l’absolution (ce qui est la finalité de la confession) n’est-il pas en devoir, avec l’assistance appuyée de son confesseur, d’aboutir à la vraie rédemption en se livrant à la justice civile ? Un prêtre pourrait-il intellectuellement et humainement supporter les confessions répétitives d’un délinquant sexuel ou autre, assuré du secret, qui nierait ses repentances   précédentes et ignorerait délibérément, en se moquant du sacrement, de son interlocuteur et de la Miséricorde qu’il est venue lui même réclamer ? Certes, la confession ne constitue-t-elle plus qu’une fraction infime de la relation entre un prêtre et celui qui se confie à lui dans l’enceinte sacramentelle qu’est le confessionnal. La confidence reçue à tout moment par le prêtre peut également se prévaloir du secret professionnel, dès lors que l’ecclésiastique revendique d’exercer son ministère en tout temps et en tout lieu. Il ne pourrait être prêtre uniquement « dans ses heures de service ». Tout ce qu’il reçoit en son état serait donc couvert par un secret dont il est redevable à son confident, même hors le sacrement de la confession. Un malintentionné pourrait ainsi le contraindre à accepter pour vraie une délation à l’encontre d’un tiers, sans qu’il n’ait la possibilité de vérifier la réalité des allégations reçues.

Que faire ? Saint-Paul, dans l’Epitre aux Romains (13.3-5) ne dit-il pas : « Ce n’est pas pour une bonne action, c’est pour une mauvaise que les magistrats sont à redouter (…) Le magistrat est serviteur de Dieu. Si tu fais le mal, crains car ce n’est pas en vain qu’il porte l’épée, étant serviteur de Dieu pour exercer la vengeance et punir celui qui fait le mal. Il est nécessaire d’être soumis, non seulement par crainte de la punition, mais encore par motif de conscience ». Il ne dit pas autre chose dans son épître aux Corinthiens (2.4-2) : « Nous rejetons les choses honteuses qui se font en secret (…). En publiant la vérité, nous nous recommandons à toute conscience d’homme devant Dieu ». Luc (évangile 8.17) s’intéresse aussi à la perversion du secret : « Car il n’est rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être connu et mis au jour ».

Ces textes, comme d’autres, semblent donner au prêtre l’obligation biblique de dénoncer le criminel dont la repentance aurait échoué.

La « dénonciation judiciaire » est, pour l’honnête homme, un acte de résistance, quoiqu’il puisse lui en coûter. La violation d’un secret professionnel se doit d’être mis en balance de l’intérêt de la victime et de celui de la société. L’abbé Gabriel Ringlet avait dit, devant la  Commission parlementaire qu’il n’hésiterait pas à dénoncer des faits d’abus s’ils lui avaient été confiés en confession. C’est un acte de résistance, d’indignation qui expose son auteur à des foudres de la loi bien moins lourdes que serait la charge immorale mais légale de conserver un odieux secret par devant lui… S’indigner sans passer à l’acte, c’est une forme de complicité.

 

Le devoir de dénonciation existe – Jean-Claude Matgen (La Libre)

Selon le code d’instruction criminelle, le témoin d’un attentat contre une personne ou des biens a l’obligation de dénoncer le fait au procureur du Roi.

Par ailleurs, le code pénal arrête que les médecins et tous autres dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu’on leur confie seront punis d’emprisonnement s’ils révèlent ces secrets, hors le cas où ils sont appelées à témoigner en justice ou devant une Commission parlementaire et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets.

Comme le rappelait dans un article déposé voici quelques mois sur le site de “Justice-en-ligne.be” le bâtonnier Pierre Legros,  il est unanimement admis que les prêtres et les avocats sont soumis à  la disposition du code pénal réglant cette question.

Dans un autre article du code, adopté après l’affaire Dutroux, il est toutefois précisé que la révélation d’un fait n’est pas punissable lorsqu’il s’agit d’un attentat sexuel commis sur la personne d’un mineur.

En outre, depuis longtemps, les tribunaux ont admis que le respect du secret s’imposant à certaines personnes, n’est pas absolu. “Ainsi”, commente Pierre Legros “s’est dégagée l’idée d’une hiérarchie des valeurs: on ne peut se réfugier derrière le secret si une valeur supérieure est en jeu, par exemple le respect de la vie”.

Le prêtre, en recevant la confession de ses fidèles, l’avocat, en recevant les aveux de ses clients, le médecin, en recevant les confidences de ses patients sont dispensés d’invoquer le secret professionnel s’ils ne souhaitent pas camoufler la violation d’une valeur supérieure, par exemple, l’atteinte portée à l’intégrité physique d’un mineur.

A tout le moins, ils échappent à toute condamnation pénale si, en conscience, ils estiment devoir révéler ce qu’ils ont appris.

Cette exception est renforcée par l’infraction de non assistance à personne en danger, qui les expose à des poursuites pénales s’ils ne prennent pas toutes les dispositions nécessairespour éviter la mise en danger d’une tierce personne.

 

Il me semble que dans l’état actuel des textes, tout est réuni pour rendre, d’un strict point de vue juridique, les choses claires et évidentes aux yeux des dépositaires de “secrets” et de ceux qui sont témoins d’une infraction ou qui sont amenés à en connaître l’existence. Pourquoi faudrait-il, dans ces conditions, modifier une législation qui me paraît adaptée aux cas d’espèce qui pourraient se poser?

Il y a cependant matière à se poser quelques questions sur le plan moral.  Il est souvent difficile d’opter entre la révélation à l’autorité d’infractions graves et le strict respect des confidences reçues.

Par ailleurs, d’aucuns, comme le professeur Xavier Dijon, estiment que la commission d’une même faute peut être lue de deux manières différentes. L’Etat peut y voir une infraction commise à un article du code pénal là où une autre instance peut  y voir d’autres signes, comme la rupture d’une relation de confiance. Ceux-là estiment “que ces deux lectures doivent avoir le droit de se déployer dans un régime démocratique soucieux de respecter les citoyens pour ce qu’ils sont”.

Et quand une victime, qui n’est pas détournée contre son gré du juge que la loi lui assigne, choisit de ne saisir qu’une instance privée pour se confier, elle doit avoir le droit qu’on respecte son choix.

Toujours dans le même registre, Paul Martens, ancien président de la Cour constitutionnelle, rappelle que, souvent, les victimes d’infraction “souhaitent mettre le drame de leur vie entre les mains d’une institution sachant leur accorder une qualité d’attention qui excède les aspects purement juridiques de l’infraction qui les a blessées.”

Longtemps les victimes de certains types d’infraction, comme les abus sexuels, ont hésité à confier leurs maux à la justice parce qu’elles craignaient d’être accueillies avec scepticisme voire ironie.  La justice a grandement modifié son accueil  des victimes mais le procès pénal demeure une épreuve difficile à affronter.

Bref, le devoir de dénonciation existe et c’est une bonne chose mais le droit, pour une victime, de préférer, en connaissance de cause et pour autant qu’elle soit  à l’abri de toute pression, que son cas ne soit pas nécessairement porté sur la place publique devrait être préservé

Een strengere wet zou niet beter zijn – José MASSCHELIN (Het Laatste Nieuws)

Ik denk niet dat onze wetgeving verstrengd moet worden. Als de bestaande regels en wetten ook nageleefd zouden worden, dan komen we al een heel eind verder. Een algemene aangifteplicht bestaat inderdaad niet, maar als het echt om (seksueel) misbruik van kinderen gaat, dan wordt iedereen geacht « al het nodige en redelijke » te doen om dat bij de gerechtelijke diensten bekend te maken en zo  het (de) kind(eren) in kwestie te beschermen en andere slachtoffers te vermijden. Ook de mensen die normaal gezien aan beroepsgeheim (priesters, artsen, paramedici,…) gebonden zijn, moeten in die gevallen praten. Het jammere is dat dit in het verleden vaak niet is gebeurd, ook niet binnen de Kerk.

Ik geloof niet dat een strengere wet beter zou zijn. We moeten ook verhinderen dat iedereen met wilde geruchten naar het gerecht zou stappen. Het volstaat mijns inziens niet dat je iets hebt « van horen zeggen » en vermoedens om de politie te alarmeren. Het moet meer zijn dan dat.

Une société de corbeaux ? – Marie-Cécile Royen (Le Vif/L’Express)

En 1996, un juge d’instruction ardennais avait lancé une « ligne verte » pour recueillir les témoignages de victimes supposées d’abus sexuels ou de personnes au courant de ceux-ci. Il agissait dans le cadre de l’affaire Dutroux. Il devait aller vite en besogne. L’affaire allait sans doute lui être retirée. Les dénonciations n’ont pas fait bouger l’enquête d’un pouce – à l’époque, certains acteurs policiers et judiciaires suspectaient l’existence d’un vaste réseau de pédophilie impliquant des hommes riches et puissants. En revanche, elles ont fait remonter à la surface un flot d’histoires douloureuses, souvent prescrites, d’incestes et de viols. Les examiner une à une impliqua beaucoup de travail pour les policiers, les distrayant de leur enquête principale. Personne n’a été très fier de cette initiative baroque, même si elle a permis une libération de la parole des victimes, comme cela s’est produit en Flandre après les aveux de l’ancien évêque de Bruges.

Peut-être certaines victimes en ont-elles été soulagées ? Peut-être. Mais les experts de l’aide aux victimes (avocats, thérapeutes…) disent aussi que l’intervention abrupte de la justice peut conduire à une victimisation secondaire si d’autres conditions ne sont pas réunies : un travail sur soi-même, l’aide des proches, du thérapeute, le tact des policiers, des avocats et des magistrats qui vont croiser la route de la victime. Faire croire que la justice est en soi un facteur de résilience est un leurre, surtout lorsque l’on sait qu’en matière de viol 90 % des plaintes sont classées sans suite, faute de preuves. Ce qui n’empêche pas qu’il faut encourager les victimes à déposer plainte et prélever les traces ADN le plus vite possible, malgré leur état de choc, comme l’a fait la femme de chambre du Sofitel de Manhattan, encouragée par ses collègues.

Lorsqu’une personne est immédiatement en péril, même adulte (pensons aux seniors maltraités), il faut faire appel à la justice, sauf si l’on est en mesure, physiquement, de s’interposer. A défaut, il y aurait non-assistance à personne en danger. Les détenteurs du secret professionnel peuvent déjà passer outre celui-ci en cas d’abus sur mineur. Mais lorsqu’on n’est pas complètement sûr de l’existence de la maltraitance ou qu’elle concerne un adulte, et non pas un mineur, une réponse graduée, proportionnée me semble préférable au déclenchement immédiat du feu judiciaire. Il faudra peut-être avant en référer au supérieur hiérarchique de l’auteur suspecté (directeur d’école, d’hôpital, de club sportif…) et s’assurer que l’affaire va être prise en mains et éclaircie avant de passer à la vitesse supérieure. Réfléchir à plusieurs est certainement une bonne chose. Une société de la dénonciation banalisée, « sécurisée », serait irrespirable.

Aangifteplicht – 4 gerechtsjournalisten reageren op deze blog.

Mijn jongste ‘post’ gaf een korte samenvatting van de Belgische wetgeving i.v.m. aangifteplicht. N.a.v. de pedofilieschandalen alsook van de recente aangifte van seksueel geweld binnen de politieke wereld, vroeg ik aan gerechtsjournalisten, in hun hoedanigheid van bevoegde waarnemers: Dient de Belgische wetgeving omtrent aangifte versterkt te worden? Indien zo, hoe? Indien niet waarom ? Vier van hen zijn op mijn aanvraag ingegaan, elk in zijn moedertaal. Uit hoffelijkheid zal ik als eerst de reactie van Marie-Cécile Royen (le Vif/l’Express) publiceren. De bijdragen van de drie heren volgen dan in alfabetische rangorde, met name José Masschelin (Het Laatste Nieuws), Jean-Claude Matgen (La Libre) et de Marc Metdepennigen (Le Soir).

Hun deelname is een waardevolle bijdrage tot het debat. Mag ik aan vele lezers vragen hen hiervoor te danken via een oprechte maar – liefst hoffelijke – reactie op hun schrijven?

In de toekomst, hoop ik om de anderhalve maand (ong.) een soortgelijke dossier op deze blog te mogen publiceren.

NB. Wat het biechtgeheim betreft, verwijs is naar mijn ‘post’ van 29 maart Beroepsgeheim en biechtgeheim : realiteit en verbeelding.

Dénonciation judiciaire – 4 chroniqueurs judicaires réagissent sur ce blog

Dans mon dernier « post »,  je rappelle la législation belge en matière de dénonciation judiciaire. Ma question à ces observateurs qualifiés que sont les chroniqueurs judicaires, est : au regard des affaires de pédophilie et aussi des récentes dénonciations d’abus sexuels dans le monde politique, faut-il renforcer la loi belge en la matière? si oui, dans quel sens ? si non, pourquoi ?

Finalement, 4 de ces journalistes spécialisés ont répondu à ma demande, chacun s’exprimant dans sa langue maternelle. Par galanterie, je publierai d’abord l’avis de Marie-Cécile Royen (le Vif/l’Express). Puis par ordre alphabétique, les contributions de José Masschelin (Het Laatste Nieuws), Jean-Claude Matgen (La Libre) et de Marc Metdepennigen (Le Soir).

Je leur suis reconnaissant d’avoir joué le jeu. La plus belle façon de les remercier, est que les lecteurs de ce blog réagissent généreusement – et avec bienveillance – à leur intervention.

J’espère pourvoir relancer un dossier de ce type sur mon blog tous les mois et demi environ.

PS. Pour ce qui est du secret de la confession, le renvoie simplement à ce que j’ai écrit sur la question, ce 29 mars Secret professionnel des prêtres et secret de confession : réalité et phantasme.

Aangifteplicht – 3 journalisten reageren maandag op deze blog

Toen ik perschef van de bisschoppen was, antwoordde ik regelmatig op vragen van de pers. Ik heb de formule omgedraaid door deze keer vragen te stellen aan journalisten gespecialiseerd in rechtszaken over de Belgische wetgeving omtrent aangifteplicht. N.a.v. de pedofilieschandalen alsook van de recente aangifte van seksueel geweld binnen de politieke wereld, vroeg ik hen of de Belgische wetgeving omtrent aangifte diende versterkt te worden? Indien zo, hoe? Indien niet waarom ?

In het kort, bestaat er naar Belgisch recht geen algemene aangifteplicht voor wie geen ambtenaar is en niet zelf getuige is van een misdrijf. Wel is vereist dat wie kennis heeft van een misdrijf, zeker in een gezagsrelatie, ervoor zorgt dat daartegen doelmatig wordt opgetreden om derden te beschermen, en al het redelijke worden gedaan om nieuwe slachtoffers te vermijden. Anders zou hij schuldig kunnen bevonden worden aan schuldig verzuim. Wie onder het beroepsgeheim valt, mag zelfs geen informatie verstrekken over wat een dader hem heeft toevertrouwd, behalve wanneer het gaat om kindermisbruik (art.458 bis strafwetboek). Dan mag hij van zijn zwijgplicht afstand doen.

Ik ben de mening toegedaan dat deze wetgeving gepast is. Hoe denken gespecialiseerde journalisten hierover? Het antwoord van 3 journalisten uit de Franstalige pers – le Soir, La Libre en le Vif/l’Express – kunt u maandag op deze blog lezen. Ik ben hen dankbaar voor hun reactie. Ik had ook 2 gerechtsjournalisten uit de Vlaamse media gevraagd, maar kreeg spijtig genoeg geen antwoord.

Dénonciation judiciaire – lundi, 3 journalistes réagissent sur ce blog

Quand j’étais porte-parole des évêques, je répondais régulièrement aux questions de la presse. Cette fois-ci, j’ai voulu inverser la formule en interrogeant des journalistes spécialistes des tribunaux sur la question de la législation concernant la dénonciation aux autorités. En effet, lors d’un  échange avec un chroniqueur religieux, celui-ci me disait que le récent document du Vatican, rappelant aux conférences épiscopales de suivre la loi du pays en matière de dénonciation d’abus sexuels, n’allait pas assez loin. Ceci, parce qu’une obligation générale de dénonciation n’existait pas en droit belge. Au regard des affaires de pédophilie et aussi des récentes dénonciations d’abus sexuels dans le monde politique,  j’ai donc voulu recueillir l’avis autorisé d’observateurs qualifiés : faut-il renforcer la loi belge en la matière? si oui, dans quel sens ? si non, pourquoi ? Trois d’entre eux – appartenant aux rédactions du Soir, de La Libre et du Vif/l’Express – ont accepté de répondre à mon invitation. Je leur en suis fort reconnaissant.

Pour rappel : La loi belge énonce que pour les non-fonctionnaires, il n’y a pas de devoir général de dénonciation, sauf pour le témoin direct d’un délit. Cependant, celui qui a la connaissance indirecte d’un délit, surtout commis dans le cadre d’une relation d’autorité, doit faire en sorte que la victime ou d’autres soient protégées. Sinon il risque d’être accusé de non-assistance à personne en danger. Par ailleurs, les personnes qui sont soumises au secret professionnel ne peuvent dénoncer ce qui leur est confié dans le cadre de la confidentialité. Seule exception : les cas d’abus sur mineurs, qui ouvrent la possibilité, mais non l’obligation, de rompre la confidentialité (art.458 bis code pénal).

Je suis d’avis que pareille législation est suffisante, mais qu’en pensent ces journalistes ? Je les remercie d’avoir joué le jeu. Leur réponse est à lire ce lundi sur le blog et chacun pourra réagir.

On n’a pas tous les jours 20 ans… (air connu)

Ce 23 juin 2011 marquait le vingtième anniversaire de mon ordination presbytérale. Ce fut pour moi une journée ordinaire, sans flonflon ni festivité particulière. Par contre, j’ai vécu ce jour dans l’action de grâce. Oui, je pense être un prêtre heureux. Pas de ce bonheur béat de ceux qui vous disent – après 20 ans de mariage – que tout a toujours été rose et formidable. Ceux-là, soit ont beaucoup de chance, soit  ils cachent quelque chose. Non, je pense au bonheur de la personne qui, après 20 ans de vie en couple, dit que son conjoint n’est pas toujours une sinécure, mais qu’il ne se verrait pas vivre avec une autre personne.

C’est cela que je ressens : en 20 ans, tout n’a pas toujours été facile, mais c’est ma vie. Et c’est beau d’être prêtre – messager particulier du Christ pour le monde. Ce 23 juin était également la solennité du Corps du Christ – fête de l’Eucharistie. Le lien est facile à faire : l’Eucharistie est le canal, par excellence, par lequel le prêtre porte le Christ au monde. Alors, Deo gratias

Spiritualité citoyenne: Dis-moi les médias qui te branchent et je te dirai qui tu es

Cette semaine, le journal tabloïd flamand « Story » fit ses choux gras des soi-disant SMS sulfureux que le premier-ministre aurait envoyé à une personne qui n’est pas son épouse. Luc Van der Kelen – éditorialiste du Laatste Nieuws et un des grands seigneurs de la presse flamande – écrit dans un billet en p.16 du quotidien « Le Soir » de ce jeudi 23 juin : « D’un côté la Flandre, de l’autre, Bruxelles et la Wallonie. Deux pays distincts, y compris sur le plan médiatique. L’élément personnel occupe une place beaucoup plus importante dans la presse flamande que dans les médias francophones. Au sud, un journalisme nettement plus « traditionnel », généralement attaché au modèle de la presse d’opinion d’autrefois, même si celui du groupe Sudpresse et de La Dernière Heure tire une certaine inspiration de l’exemple flamand. Quant à savoir laquelle est le plus suivie, c’est clair comme de l’eau de roche : la vie privée suscite éminemment plus d’intérêt que la chronique politique. Et elle se vend mieux, raison pour laquelle la presse affiche aussi une meilleure santé économique en Flandre. La loi des faits-divers règne elle-même depuis des lustres, les Romains la subissaient déjà – ils avaient leurs auteurs à scandale –, et l’actuelle impasse politique contribue à en accentuer la portée. Quand aucun fait significatif n’anime la scène politique, les petites querelles intestines entre les Michel et autres Maingain ne suffisant pas à troubler cette quiétude, la presse met en exergue d’autres aspects de la vie des principaux protagonistes. Et les hommes et femmes politiques de saisir cette chance, tirant parti d’une liberté d’expression qui n’existe dans nul autre pays ».

Comment réagir à cette tabloïdisation de nos médias – surtout en Flandre ? Je suis de ceux qui pensent qu’il est hypocrite de crier au scandale. En effet, les médias fonctionnent avant tout comme une loupe qui grossit ce que nous sommes. A cet égard, j’aime beaucoup l’anecdote que me conta un prélat français, ayant travaillé plusieurs années durant dans le monde de la communication. Tout jeune évêque, il se retrouva un jour entre de vénérables confrères qui se lamentaient de la platitude des médias. Il leur tint à peu près ce discours : « Mes chers Pères, imaginez-vous que vous rentrez chez vous un soir, après une tournée harassante de vos paroisses. Votre secrétaire a mis un exemplaire du « Monde » sur votre bureau en soulignant un article. Vous jetez un coup d’œil sur son titre : « Progrès dans l’œcuménisme avec les protestants ? » Le sujet est important, mais vous êtes bien fatigués. Vous allez donc vous coucher. La lecture attendra demain – si vous trouvez du temps. Maintenant, imaginez un instant que le titre de l’article soit plutôt : « Le Pape est-il secrètement amoureux de la Reine d’Angleterre ? », dans ce cas je puis vous assurer que, quel que soit votre état de fatigue, vous lirez tous cet article avant d’aller dormir. Vous voyez – concluait-il – les médias savent cela et publient en conséquence ».

L’évolution des médias vers une peopolisation est donc compréhensible. Mais comme je l’écris dans « Credo politique », pareil glissement n’est pas sans conséquence. La frontière entre une société de l’hyper-information et de l’hyper-désinformation est tenue. Au déficit des analyses répond l’inflation de l’émotivité ; celle qui met au monde une société surfant sur les petites phrases et anecdotes, sur arrière-fond de peopolisation qui fait vibrer par procuration. Les sociologues appellent cela l’ « émocratie ». Phénomène inévitable à l’heure des multimédias, mais qui ne doit pas pour autant devenir totalitaire. Dans la mesure des moyens humains et financiers, j’en appelle donc à un sursaut du journalisme d’analyse qui ne se contente pas de reprendre les dépêches d’agences et ose même parfois un raisonnement à contre-courant des grandes vagues d’indignations made in politiquement correct… Au risque de fâcher le faux-dieu des rédactions : saint audimat priez pour nous.

Certains me rétorqueront que ma position est celle d’un intellectuel naïf. Que le public aime les faits-divers concrets plus que les analyses pointues. Je réponds à cela qu’on a souvent tort de prendre l’homme de la rue pour un imbécile. Que, de plus, si on veut faire dans le fait-divers, il y a matière à tri. Ainsi, il y a l’histoire de ce chômeur américain qui fait un hold-up dans une banque pour… 1$. Histoire de se retrouver en prison, le seul endroit où il puisse se faire soigner par un médecin. Voilà bien un fait-divers qui est facile à comprendre, intéressant à entendre raconter et qui nous informe de l’état des plus démunis dans notre société. C’est tout de même moins idiot que cette histoire de SMS qui ne concerne personne, mis à part l’intéressé et sa famille.