Début janvier, j’ai publié un court commentaire à une interview de Mgr Bonny au quotidien De Morgen, qui fit pas mal de bruit. Un lecture attentif de ce blog m’envoya une longue interpellation. Par manque de temps, et aussi pour sortir de la surchauffe émotionnelle, je ne réagis que maintenant :
Interpellation :
Premier constat : tu as pu aller à la source. Toutes mes demandes de contact auprès de Mgr Bonny sont restées sans réponse. Si ce n’est celle d’Olivier Lins, son secrétaire.
Il m’a dit avoir transféré mon email à Mgr Bonny. J’ai en effet souhaité entrer en dialogue. Sans succès. Mgr Bonny a dû réagir « en tribu ». Je reste donc avec mes questions. (voir ci-dessous). Par ailleurs, je suis en contact avec des personnes homosexuelles. Athées, cathos, cathos pratiquant l’homosexualité ou personnes à tendance homosexuelle catholiques pratiquantes. Bref en dialogue, comme tu dis. Ils ne sont pas de ma tribu, cela ne m’empêche pas d’échanger avec eux.
En ce qui concerne le fond. Je lis dans ton post « Il a simplement posé la question d’une forme de reconnaissance au sein de la communauté catholique de la réalité que vivent des couples homosexuels stables et fidèles ». Ce n’est pas ce que j’ai lu. Mgr Bonny a demandé une reconnaissance FORMELLE de la relationalité. Voici ses mots : « Nous devons, en effet, chercher une reconnaissance formelle de la « relationalité » présente chez beaucoup de couples holebis croyants. Cela doit-il être une reconnaissance sacramentelle du mariage ? Peut-être que l’Église devrait plutôt réfléchir à la diversité de forme de reconnaissance. Cette discussion est la même pour le mariage civil. En Belgique, il existe le même modèle pour les relations hommes femmes que pour les relations homosexuelles. Mais il existe d’autres possibilités, qui selon moi, sont autant valables. Il n’est peut-être pas nécessaire de mettre toutes les relations dans le même modèle »
Quelques questions/réflexions :
- C’est quoi une relationalité ? Inconnu au dictionnaire. Pour être en dialogue, une condition est de parler clair. La novlangue est connue pour sa vertu d’orientation de la pensée en pervertissant la réalité. Quand je Google le mot relationalité, le premier résultat me conduit à http://methodos.revues.org/2603 Butler (la papesse du genre) face à Hégel. Tout un programme.
- C’est quoi un couple bisexuel ? Mgr Bonny veut-il parler d’un trouple ? Un couple à trois? Un homme deux femmes ou deux hommes une femme ou un transsexuel et un homme et une femme ou… C’est cette pratique qu’il souhaite faire reconnaître formellement par l’Eglise catholique ?
- Si je lis bien le mariage homosexuel est autant valable qu’une autre possibilité (genre PACS?). Est-ce à dire que Mgr Bonny reconnaît la valeur du mariage homosexuel (civil) ? Ce qui est le plus frappant, c’est qu’à aucun moment Mgr Bonny ne donne la position de l’Eglise sur la pratique de l’homosexualité. Il est clair à ce sujet (cfr CEC 2337 à 2359 ici : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/_P80.HTM). Il est très malheureux de dissocier l’amour de la vérité. Ce n’est pas qu’une question d’homosexualité. Dans son document de 25 pages livré avant le synode, Mgr Bonny avait ouvert aussi la porte au concubinage avant le mariage. On voit bien qu’il y a une énorme difficulté par rapport à l’exigence de la chasteté en général (chasteté, contraception,…). Il y a une énorme différence entre faire des compromis dans nos vies (on en fait tous) et un compromis de principe (considérer que ce que je fais de mal est bien au lieu de reconnaître la réalité). Nous connaissons bien le passage de la femme adultère ou de la Samaritaine. Jésus accueille la personne comme elle est. Mais il échange en vérité avec les personnes. Il dit son péché. Et il l’appelle à se convertir. Il dit : « « Moi, je suis la lumière du monde. Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres, il aura la lumière de la vie. » (Saint Jean, 8 – 12). Très clairement, omettre d’annoncer l’enseignement de l’Eglise est un manquement grave à la charité. Comment un fidèle peut-il suivre le Christ si on ne lui montre pas le chemin? Ceci est vrai pour tout catholique mais certainement plus pour un prêtre et encore plus pour un évêque. Ce dernier a reçu la mission de fortifier ses fidèles dans la foi de l’Eglise catholique. La réalité du soutien au sein des couples homosexuels. En ce qui concerne la réalité positive du soutien réciproque au sein de couples homosexuels, voici ce que dit le rapport non final dit Relatio post disceptationem (http://press.vatican.va/content/salastampa/fr/bollettino/pubblico/2014/10/13/0751/03037.html) : « 52. Sans nier les problématiques morales liées aux unions homosexuelles, on prend acte qu’il existe des cas où le soutien réciproque jusqu’au sacrifice constitue une aide précieuse pour la vie des partenaires. » Il y a bien ici une expression de la problématique morale. Ce qui est absent du discours de Mgr Bonny. Comme tu le dis, ce texte a été rejeté dans le rapport final car passé sous le quota des 2/3. Le rapport final est ici (http://www.vatican.va/roman_curia/synod/documents/rc_synod_doc_20141018_relatio-synodi-familia_fr.html). Le fait que plus de 50% des participants aient voté pour ce texte est tristement révélateur et affligeant. Mais ceci est une autre affaire. Mgr Bonny ne fait pas que prendre acte de l’existence de ce soutien, il veut une reconnaissance formelle de la relationnalité. Ce qui représente donc une étape de plus que le texte rejeté des pères synodaux. Je ne connais pas le principe d’Oikonomia cher aux chrétiens orthodoxes. Il m’intéresse beaucoup. Il allie apparemment bien la vérité et la charité. Ce que ne fait pas Mgr Bonny, faut-il encore le rappeler.
Gestion des cas délicats dans une famille La question de la gestion des relations avec un membre divorcé remarié (mais on peut aussi prendre le cas du concubinage) au sein d’une famille catholique pratiquante pour une grande fête chrétienne (tu cites Noël) est délicate. Chaque situation appelle une position. Ce qui sera capital dans toutes les
circonstances est la clarté à maintenir sur la vérité de la situation (on ne transige pas avec l’exigence). En fonction de l’âge des autres membres de la famille et de l’influence que la situation peut avoir sur eux, une certaine réserve peut être nécessaire. Il pourra être plus approprié de maintenir ces rencontres dans un contexte différent. Le mot reconnaître a plusieurs sens. Il va de l’identification à l’acceptation. Reconnaître dans le sens de constater (ce que tu sembles dire) sans approuver n’a de nouveau rien à voir avec une reconnaissance formelle demandée par Mgr Bonny.
Parcours cabossé. Nous sommes tous pécheurs et moi le premier. Je ne pense cependant pas qu’il soit correct de mettre dans le même sac une personne qui vit dans un état de péché public et permanent et celui qui pèche par occasion (« chacun de nos parcours est cabossé »). Evidemment ceci nécessite que ce premier en soit conscient.
Il faut donc que quelqu’un qui connait l’enseignement de l’Eglise le lui ait dit avec charité. Et pour cela il ne faut pas taire l’exigence.
Les bisexuels. Le cas des couples hétéros vivant une double vie homosexuelle. Que tu ne condamnes pas les personnes est une chose compréhensible (c’est ce qu’enseigne l’Eglise), mais ne pas parler de la faute grave de l’adultère est assez préoccupant. Est-il préférable de vivre cette relation homosexuelle au grand jour ? Ni l’un ni l’autre !
Le dialogue se poursuit « La piste lancée par Mgr Bonny est ouverte à la contradiction ». A ce jour je ne vois aucune contradiction francophone d’un prêtre, d’un évêque, d’un professeur en théologie, en morale, en pastorale familiale, d’un responsable de communauté, … sur le fond. Dans ton billet, je ne lis pas quelle est ta position à toi sur ces questions. Je vois cependant que des jeunes laïcs réagissent sur le fond. C’est une chose de dire que les uns sont pour, les autres sont contre, d’autres encore ni pour ni totalement contre, que certains hétéros sont homos en cachette, que d’autres finissent par accueillir chaleureusement leur enfant homosexuel à Noël, … Mais au lieu de cet inventaire des avis des uns et des autres, ce qui m’intéresse c’est de savoir comment tu réponds toi sur le fond à ces sujets soulevés par Mgr Bonny. Es-tu pour un changement de la position de l’Eglise catholique tel que repris dans le catéchisme ? Ou bien es-tu favorable au maintien de l’enseignement de l’Eglise mais à la recherche de solutions pastorales pour les cas compliqués (divorcés remariés, couple homosexuels, … catholiques) ? En somme répondre aux questions du type : est-ce qu’un divorcé remarié peut enseigner le catéchisme, est-ce qu’une personne vivant en concubinage peut être responsable de la préparation au baptême, etc. … Le dialogue est ouvert.
Réponse :
Je ne vais pas faire l’exégèse de l’interview de Mgr Bonny sur le sens de « reconnaissance formelle de relationnalité », car je ne suis pas son porte-parole. Tout ce que je puis te confirmer, c’est qu’il m’a écrit qu’on lui avait transmis ma contribution sur le blog et qu’elle correspondait fort bien à ce qu’il a voulu dire. Il va de soi qu’il n’a jamais parlé de couples bisexuels – car cela n’existe pas. La notion ‘holebi’ en Flandre correspond à notre terme gays et lesbiennes. Rien de plus.
Tu écris « Il est très malheureux de dissocier l’amour de la vérité ». Je pense que c’est un peu court. L’évêque a essayé de réagir en pasteur. Et crois-moi, un pasteur ne réfléchit pas en « tribu », comme tu sembles penser. Il accueille l’humanité dans sa complexité et essaie d’annoncer l’Evangile. Bien sûr qu’il est plus facile de citer tel ou tel n° du catéchisme universel, en se rassurant que l’on a « annoncé la vérité dans la charité ». Peut-être suis-je un prêtre lâche et indigne, mais je n’ai jamais fonctionné comme ça. Le Pape François rappelle que « la réalité est plus importante que l’idée ». Cela ne veut pas dire que les préceptes de l’Eglise sont secondaires. Mais qu’il s’agit d’abord d’accueillir les personnes. Tu dis encore « on ne transige pas avec les exigences ». J’ai connu un homme – âgé aujourd’hui – qui me répétait cela souvent. Devenu adulte, un de ses enfants m’a un jour craché toute sa colère au visage. Oui – il respectait les « exigences » du catéchisme, mais il était dur avec sa famille. Et combien de fois n’a-t-il pas mis la vie de sa famille en danger, en roulant trop vite et en ayant bu plus que de raison ? Bref, cet homme voyait la paille chez le voisin, mais pas la poutre dans son œil. Cela m’a rendu prudent. Et je ne suis pas de ceux qui « transigent avec les exigences ». Je suis exigent, mais aussi bienveillant. A cet égard, je me retrouve bien dans ce passage du texte de nos évêques, qui date de 1998 – bien avant la législation belge sur le mariage civil pour personnes homosexuelles – et bien avant que Mgr Bonny soit évêque, mais bien Mgr Léonard : « Nous sommes conscients de la condition malaisée de certaines personnes homosexuelles. Parfois ces personnes aspirent réellement à une vie commune durable et exclusive, mais elles ne peuvent pas sceller leur union en contractant mariage. Nous pouvons comprendre qu’elles demandent instamment un statut particulier reconnu par le droit et par la société, avec des droits et des devoirs réciproques. Mais ceci reste une disposition purement légale, nullement un équivalent du mariage ». (Choisir le mariage, octobre 1998, p.21.)
Tu me demandes ce qu’est le principe d’Oikonomia ? Pour les orthodoxes, l’Évangile est porteur d’une exigence de sainteté qu’il ne s’agit pas de banaliser. Cependant, la nature humaine est fragile, ce que les responsables d’Église ne peuvent ignorer, car trop de rigueur détourne les âmes du Christ. Les évêques ont dès lors pour mission d’agir en « économes » de la grâce d’un Dieu, dont la miséricorde rejoint l’homme jusque dans ses échecs et son péché. « L’économie » n’est pas une exception faite à la loi ecclésiastique. Elle prend acte de situations « hors-la-loi » en vue du bien spirituel de ceux que les circonstances de la vie ont éloignés de l’idéal évangélique. L’Occident n’est pas habitué à ce genre de réflexion. Chez nous, une loi doit être appliquée, sauf dispense préalable. Quand la règle n’est plus applicable, il faut la modifier. Le principe orthodoxe d’économie raisonne en d’autres termes. Il voit en l’idéal de l’Évangile non pas une pratique à appliquer, mais une loi de sainteté. Confrontée à notre humanité, pareille loi se trouve régulièrement en décalage avec la réalité. C’est donc aux pasteurs que revient la charge de veiller à ce que, tout en ne dénigrant pas la loi, certaines situations humainement bloquées ne se transforment pas en impasses spirituelles.
Je suis depuis de nombreuses années collaborateur dans les causes de « déclarations de nullité de mariage ». Parfois, un époux responsable de l’échec de son couple, obtient la déclaration – parce que son mariage n’était pas valide. Il peut se remarier en pleine communion. Ce n’est pas évident à expliquer à l’époux d’un mariage valide, abandonné sans responsabilité de sa part, et qui refait sa vie – se trouvant durablement en irrégularité. Alors oui – je trouve le principe orthodoxe d’« économie » sage et humain.
Merci pour le dialogue, mais quelque chose me gêne dans le ton que tu utilises. Quand j’étais séminariste et jeune prêtre, je rencontrais déjà ce ton « militant et revendicateur » chez certains catholiques d’avant-garde. Souvent, ils fonctionnaient en meute et avaient un regard dur pour tous ceux – surtout évêques – qui n’entraient pas dans ce qu’ils avaient décrété « l’esprit du Concile ». J’ai eu souvent affaire à eux, car je n’ai jamais voulu entrer dans leur « tribu ». Je retrouve exactement le même ton, la même dureté vis-à-vis d’autres évêques, aujourd’hui chez d’autres catholiques – cette fois au nom de « la lettre du catéchisme ». Le point commun entre ces deux clans – qu’apparemment tout oppose ? Un esprit de système, plutôt qu’une dynamique de l’Esprit. Je bénis donc le Ciel de n’avoir jamais voulu appartenir à une « tribu ». En cela, j’ai au moins un point en commun avec Notre-Seigneur. C’est déjà ça…
En ce qui me concerne, notre dialogue se clôt ici. Je ne prétends pas avoir raison. J’ai simplement essayé de partager ma façon de voir. Je ne réagirai pas davantage sur cette question, par manque de temps. Prions l’un pour l’autre.
Eric
Hi, please forgive me for making a comment in English. The above discussion is quite interesting, and I’m glad that you’ve given it a chance to appear on your blog!
I just wanted to refer to a post of another blogging priest that struck me because it expresses the same unease with terms like « the art of accompaniment » (found in the synod document), which is in the same league as « relationalité » mentioned above.
When church opinion makers like mgr. Bonny use this kind of language, be it pastoral and with the best of intentions, they must realize that their communication lacks clarity and unambiguity. Their language appeals to feelings and emotions (which is good, there’s more than only reason and faith), but it is important that they’re clear about the impact of their message on the reason and the faith (read: on church doctrine and practice). That’s why your reader stresses on the word « formal recognition » that mgr. Bonny used. We should not loose sight of the ‘formal’ when talking pastoral.
Merci, cher Eric, pour ces clarifications bien précieuses, notamment sur la compréhension « économique » des Orthodoxes.
Comme tu le dis en finale, prions pour que l’Esprit inspire ceux qui auront à décider pour l’Eglise, et chacun de nous dans sa vie de chrétien.
Je ne veux pas rentrer dans une polémique, mais comme chrétien , comme pauvre pécheur j’ai du mal à entendre un pasteur de l’Eglise se poser la question du changement de la règle sous prétexte qu’elle n’est plus respectée par beaucoup et qu’il faudrait y mettre » 50 nuances de blanc plus ou moins cassé a des gris multiples tirant vers le noir.
La Vérité est Immuable car Elle est Divine et l’Amour est sa seule substance.
La tache de celui qui conduit le troupeau , in personna Christi est de montrer le chemin toujours étroit qui mène au Royaume.
Alors dire que le chemin est trop compliqué trop pénible et qu’une promenade sur une plage serait plus accessible….
La vraie pastorale c’est aimer passionnément et prioritairement le pécheur ennui redonnant à chaque chute le courage de continuer , pour permettre, chacun à son rythme d’arriver à la salle des noces. Mais faut il changer l’évangile et les grandes règles qui fondent l’Eglise, se poser cette question et y répondre plus ou moins positivement c’est nier la Croix du Christ c’est refuser la notre . Entrer dans ce processus ne peut conduire qu’au reniement.
Le mariage, tant maltraité, conspué de toute part, ridiculisé reste cependant un creuset de Sainteté et de bonheur par ce qu’il participe à la CROIX . Et il n’y a pas d’alternative .
Toutes les autres situations ou l’amour humain s’exprime de manière plus ou moins forte sont à respecter et leurs acteurs à aimer mais aussi à enseigner pour les aider à prendre le « Petit Chemin »
Il n’y a donc pas lieu de changer les grande règle mais bien plutôt à nous convertir et à aimer mieux à mieux accueillir en demandant toujours au Seigneur de nous montrer le beau dans chacun mais sans nier le péché…
Merci cher Eric et cousin, je suis toujours très attentif à tes pensées et ecrits. je suis très heureux quand tu as l’occasion de t’exprimer dans la libre! remets bien le bonjour à tes PARENTS! au plaisir de te revoir et de parler d’ANNETTE.
Un petite précision de langue : holebi réfère bien à « HOmos, LEsbiennes et BIsexuels ».
Oui, mais le terme est générique et désigne tout ce qui touche à l’homosexualité. Cela ne signifie pas pour autant que Mgr Bonny parle de couples stables bisexuels. Tout simplement parce qu’il s’agit d’une contradiction, sauf à penser que le sujet du jour était la polygamie. Pour ne pas faire dire à son auteur n’importe quoi, un texte se lit et se comprend dans son contexte.