Premier ‘post’ sur mon blog pour l’année 2015, avec mes meilleurs vœux à chacun. De retour de quelques jours de congé, un chapelet de nouvelles accrochent mon attention :
L’hebdomadaire belge « le Vif/l’Express » publie cette semaine un intéressant dossier sur le bonheur des Belges, avec quelques témoignages – dont celui de votre serviteur (p.40). Ce qui me frappe, c’est que la plupart des autres témoins racontent leur vision du bonheur, là où je tente d’expliquer ce qu’est – à mon avis – la vision du bonheur (Une vision sous forme profane : je me suis gardé de faire appel à ma foi, sans la nier ou la cacher, pour faire passer un message d’ordre philosophique et non religieux, afin que chacun se sente concerné). Bref, face à des démarches subjectives, la mienne se voulait objective. Cela dit quelque chose de mon décalage assumé par rapport à la société « ultra-moderne » qui advient : « chacun sa route, chacun son destin ». La modernité a libéré l’homme, en reconnaissant son droit politique à la subjectivité – c’est-à-dire à la liberté de conscience. Ceci nous a guéri des religions d’état et idéologies totalitaires. Mais l’ultra-modernité va plus loin, en insinuant qu’il n’y a pas de vérité objective (religieuse, philosophique, éthique,… qu’importe) à rechercher à travers les méandres de l’existence. Que tout est subjectif et donc relatif. Ceci est illustré par une expérience que je fis déjà, quand – il y a plus de 30 ans – j’annonçai à mes copains que j’entrais au séminaire. Peu m’ont dit « je ne comprends pas ! » ou même « tu es fou ! », mais beaucoup ont murmuré, avec une moue dubitative : « si c’est ton truc ». Chacun sa route, chacun son destin.
Le destin de Frank Van Den Bleeken est une illustration tragique de l’ultra-modernité. Alors que nos modernes ont lutté contre la peine de mort au nom de la dignité de toute vie, la lutte ultra-moderne pour le droit de mourir « avec dignité », mène à la demande d’euthanasie d’un détenu (euthanasie finalement ajournée, mais le débat reste planté). Selon moi, il s’agit là du premier pas vers une législation de dépénalisation généralisée du suicide médicalement assisté. Pour l’ultra-modernité, la vie n’est un bien, que si elle est choisie (par nos parents : d’où le droit à l’avortement) et tant que je souhaite vivre. Je dis cela sans moquerie, ni dramatisation, même si tel n’est pas mon projet de société. Quand la seule règle de vie devient « chacun sa route, chacun son destin », difficile de résister à la logique sociale que cela engendre. Dans les colonnes du quotidien bruxellois « le Soir » de ce jour (p.9), Jacqueline Herremans, présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité et membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, ne considère pas le sujet du « suicide assisté » comme tabou pour : « des personnes dont la vie est accomplie, des personnes qui ont le sentiment que la boucle est bouclée, que même sans éprouver de souffrances, elles ont fait leur temps, qu’elles ne pourront plus ajouter quelque chose de positif à leur vie. C’est le fait de dire que ma vie m’appartient et que c’est donc à moi de décider si, à un moment, je tiens à la quitter. A titre personnel, et non à titre de présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, c’est dans ma philosophie de vie. » Chacun sa route, chacun son destin…
Pareille évolution n’est pas sans conséquences sociales et politiques. Si l’ultra-modernité triomphe (des contre-courants solidaires existent) la société pourrait un jour ressembler à une gigantesque couvée de poussins qui piaillent, comme dans la chanson de Jacques Dutronc : « et moi, et moi et moi ». L’homme ultra-moderne suit sa route et son destin, mais supporte de moins en moins la contradiction. Combien de discussions sur les réseaux sociaux ressemblent plus à un dialogue de sourds, qu’à une écoute de celui qui ne pense pas comme moi ? L’émotion prend le dessus, car la frustration de se sentir contredit n’est plus guère tolérée. D’où la socialisation de l’homme ultra-moderne en « tribus », constituées de tous ceux qui partagent son avis ou sa passion (les amateurs de jazz, les anarchistes de droites, les fans de pêche à la ligne…). Une socialisation en forme de jeu de miroir, en quelque sorte. De cela, Eric Zemmour est une belle illustration. L’homme est aussi intelligent et charmant que provocateur. Nullement haineux ou imbécile, mais « diablement » pessimiste sur la nature humaine. D’où le rêve d’un retour à la tribu « France éternelle » – blanche, béret et gros rouge. Que certains réseaux musulmans aient envie de boycotter la présence en Belgique de celui qui les déclare inapte à l’intégration en Occident, est compréhensible : n’a-t-on pas récemment fait la même chose avec un théologien koweitien anti-Juif ? Mais en faisant cela, ces compatriotes musulmans se présentent également comme une autre… tribu. Je trouverais donc plus intelligent d’inviter Eric Zemmour à la grande mosquée de Bruxelles pour un débat calme, intelligent et tapissé de cet humour qu’il affectionne – histoire d’illustrer avec le sourire que le souci d’intégration, n’est peut-être pas là où l’on croit. Je me souviens du roman et film « Le Da Vinci Code », présentant l’Opus Dei comme une sournoise bande criminelle. Chacun s’attendait à ce que cette organisation catholique réagisse à pareille calomnie par la colère, voire un procès en diffamation. Au lieu de cela, ils ont répondu avec un beau sang-froid par de l’humour, en faisant passer le message : « Nous sommes donc si terrible que ça ? Venez vérifier ». Cela leur a gagné le respect de beaucoup et même permis de faire quelques adeptes. Voilà une attitude citoyenne et responsable.
« Je suis effaré ». « Il faut réagir ». «Ces propos créent confusion et division ». Vu toutes les réactions lues et entendues de la part de nombre de catholiques censés, il est clair que les propos sur l’homosexualité que Mgr Bonny a tenu, au cours d’une interview donnée récemment au quotidien flamand « De Morgen » ne laissent pas indifférents. D’autres catholiques, ont réagi à l’inverse en applaudissant des deux mains. Et puis, il y a tout ceux qui – ni vraiment « pour », ni totalement « contre » – m’ont glissé : « Ce n’est tout de même pas très prudent comme déclaration ». Tout cela, je l’ai lu et entendu. Par contre, j’ai peu rencontré d’arguments de fond. Une fois encore, chacun semble avoir réagi en « tribu », pour se rassurer par une posture, sans trop chercher à entrer en dialogue. Or, qu’a dit l’évêque d’Anvers ? Je me suis renseigné à la source : Il n’a en rien remis en cause le sacrement du mariage, ni même parlé de bénédiction pour des couples homosexuels. Il a simplement posé la question d’une forme de reconnaissance au sein de la communauté catholique de la réalité que vivent des couples homosexuels stables et fidèles. La question fut discutée lors du récent Synode sur la famille. Dans le rapport intermédiaire de ce Synode, fut ainsi saluée « la réalité positive » vécue au sein de couples non-sacramentels (n°36) et le soutien réciproque au sein de couples homosexuels, qui peut constituer « une aide précieuse pour la vie des partenaires » (n°52). Ces passages ne furent pas retenus dans le rapport final, car ils n’obtinrent pas les votes de 2/3 de l’assemblée – mais ils n’en recueillirent pas moins plus de la moitié des suffrages des pères synodaux. Il ne s’agit donc pas d’une opinion défendue par quelques cathos bobos. Au contraire, ici se retrouve quelque chose du traditionnel principe d’Oikonomia, cher aux chrétiens orthodoxes : On ne transige pas avec l’exigence de l’Evangile, mais il faut tout faire pour que pareille exigence n’éloigne pas les hommes du Christ. Si vous avez dans votre famille ou vos proches quelqu’un qui est remarié après divorce, allez-vous continuer à le fréquenter tout en niant le nouveau couple qu’il a formé ? Admettons qu’il s’agisse de votre enfant, inviterez-vous son nouveau conjoint à Noël ? Si oui, il s’agit d’une forme de reconnaissance. Pas d’une approbation, mais bien d’une reconnaissance de l’autre avec son parcours cabossé – comme chacun de nos parcours. Et si votre fils ou fille est homosexuelle et tente de former un couple avec un partenaire du même sexe, inviterez-vous ce dernier à Noël ? Si oui, il s’agit d’une forme de reconnaissance. Avant de prétendre que JAMAIS vous ne feriez cela – même pour votre enfant et même à Noël – permettez-moi une première réflexion : J’ai rencontré plus d’un catholique classique tenant un tel discours… jusqu’à ce que cela arrive dans sa propre famille. Et une seconde observation : Je connais plusieurs catholiques en couple hétéro, qui vivent en cachette une double vie homosexuelle. Je ne condamne nullement ces derniers, mais est-ce préférable à ceux qui assument leur orientation sexuelle ? Bref, la piste lancée par Mgr Bonny est ouverte à la contradiction, mais à condition que cela se fasse dans l’écoute, le dialogue et le débat avec d’éventuelles contre-propositions concrètes. C’est ce que souhaite notre Pape. Pas une Eglise divisée en petites tribus ultra-modernes : entre « tradis », « modérés » et « progressistes », chacun sa route, chacun son destin. Non – un peuple de disciples du Christ, qui ensemble interrogent les chemins que l’Esprit nous invite à prendre.
Merci pour cette très belle réflexion Eric. J’ai commis un article dur le sujet « Bonny » dans le journal « Dimanche » qui paraît aujourd’hui. Au fait : bonne année 2015.
Cher Eric,
je suis 100% d’accord avec ton angle de vue , qui est large ! Je me sens à l’étroit dans notre » émocratie » où le sens critique a été remplacé par des formules lapidaires . De zapping en zapping, on n’écoute pas l’argumentation , on n’écoute pas l’autre jusqu’au bout. Pour l’euthanasie, en effet c’est depuis que le droit à la dignité de tous est plus mis en exergue qu’on voit apparaître la revendication de se suicider « dans la dignité « . Même chose pour l’avortement , où il me semble, les contraceptifs sont moins évoqués depuis le célèbre « mon ventre m’appartient » remis au goût du jour l’an dernier. « L’individualissisme », une conscience de soi à l’excès, nuit à la santé sociale . Merci pour ton éclairage sur les propos de Mgr Bonny, que tu as écouté jusqu’au bout…
Merci Eric pour ce texte si réfléchi. Je l’ai partagé sur Facebook. Je me suis également permis de reproduire la dernière section de l’article de Christophe Herinckx qui a été partagée.
Pour moi qui vit en couple fidèle depuis près de six ans après un parcours souvent chaotique, la réflexion de Mgr Bonny et ton commentaire, parmi d’autres textes, sont une invitation à poursuivre la recherche d’une vie conforme à l’appel de Jésus.
Cher Éric,
Merci pour cet article. Il y a quand-même un problème avec ton texte, c’est que tu prétends que les pères du Synode ont voté le rapport intermédiaire (dont tu cites les No 36 et 52) et que ces points fort décriés ont obtenu plus de la moitié des votes. C’est inexact. C’est le rapport final qui a été voté, et c’est les points correspondants du rapport final qui n’ont pas obtenu la majorité des deux tiers, et ces textes étaient pourtant très largement en recul sur ce que tu cites. Il est vraisemblable que ceux que tu cites n’auraient pas obtenu la moitié des suffrages, vu le brouhaha qui a suivi leur publication à la mi-synode.
Allez, bonne année !
Oui Christophe, merci pour cette précision. D’autres me l’ont déjà signalé. Il est vrai que je n’ai plus guère le temps de suivre l’actualité synodale au jour le jour. Mais surtout, je réponds que cela ne change rien au coeur du débat: 1. Mgr Bonny n’est pas un franc-tireur, mais se situe au coeur de l’actuel débat ecclésial. 2. On peut ne pas partager son point de vue, à condition de venir avec une contre-proposition concrète: Quel discours à votre enfant divorcé-remarié ou en partenariat homosexuel? Bonne année à toi.
l’église ferait bien mieux de rassembler la diversité des gens de notre société ! La bénédiction des couples homosexuels ? Ca se fait déjà par certains prêtres et nous n’avons cure de l’aval ou non des autorités.