Extension de la loi sur l’euthanasie: deux éditos et une déclaration

Rarement, deux éditos auront été plus différents que celui de ce jour dans « Le Soir » (Béatrice Delvaux) et « La Libre » (Annick Hovine). Cette dernière reflète bien ce que je ressens. Et pas uniquement ma petite personne. J’ai rencontré ces jours-ci des personnes actives dans les hôpitaux auprès des mourants. Des personnes nullement « ultracathos », mais qui m’ont exprimé leur désarroi face à cette proposition de loi. C’est la première fois que je les entendais – habituellement si critiques envers les évêques – regretter que ceux-ci n’aient pas tapé plus fort du poing sur la table. Comme quoi….  Quant à l’édito Béatrice Delvaux, le fait que je ne partage pas son avis, ne m’empêche pas de reconnaître la qualité de son argumentation. Il n’y a qu’un seul élément de son raisonnement que je ne puis suivre: Quand elle écrit « Ceux qui votent ces textes-là le font à titre personnel« , je pense qu’elle sait fort bien que cela ne vaut pas pour tous les partis. Je pense à ce grand parti démocratique de Belgique francophone, qui ne voulait pas entendre parler d’extension de la loi, il y a quelques années. Du coup, rien ne se fit. Son attitude a changé depuis et c’est comme un seul homme que ses sénateurs voteront en faveur d’un élargissement de la loi sur l’euthanasie. Bref, nous assistons pour cette instance politique à une démarche de parti et non à un vote personnel. Ayons l’honnêteté de le reconnaître. Tout en bas de ma contribution, je reproduis la nouvelle déclaration des responsables religieux de Belgique. Aura-t-elle plus d’impact dans les médias que la première? J’en doute. Auprès des élites, les carottes sont déjà cuites…

Le Soir: Euthanasie: une extension indispensable et urgente Béatrice Delvaux
Il faut saluer le fait que ce mercredi, la commission du Sénat passe au vote sur l’extension aux mineurs, de la loi sur l’euthanasie. On a longtemps craint que le sujet soit reporté : il n’était pas prévu au programme de cette législature, le débat préalable aurait été chaotique et trop bref. Ces raisons ne tiennent pas car le débat a eu lieu mais, surtout, un éventuel vote en Commission ne le clôt pas car le chemin parlementaire est encore très long. Certains disent qu’il serait trop tôt pour étendre la portée d’une loi qui n’a que 11 ans, et dont on n’aurait pas encore bien analysé le fonctionnement. Qu’on améliore urgemment alors ce suivi et qu’on se donne les moyens d’effectuer ce bilan pertinent. Mais il est une souffrance qui ne peut attendre qu’on « perfectionne » le dispositif : celle des enfants confrontés à une souffrance intolérable et à une maladie incurable, assortie au désarroi total de leurs parents et des médecins arrivés au bout de leurs réponses. Le fait que le vote éventuel soit obtenu ce mercredi au Sénat par une majorité alternative n’est pas non plus un motif d’y surseoir ou de le délégitimer. Les questions éthiques échappent en Belgique à l’affrontement particratique : c’est l’une des choses qui fait l’exemplarité de notre société. Ceux qui votent ces textes-là le font à titre personnel. Ce sont les consciences individuelles qui s’expriment, pas les fractures politiques ou idéologiques d’une particratie. C’est là toute la sagesse de notre démocratie, différant en cela de l’affrontement meurtrier sur ces thèmes de la société française. On ne peut dès lors que saluer la contribution de la N-VA, auteur du texte qui recueille cette majorité, dans sa construction d’un consensus. Les opinions relatives à l’euthanasie sont toutes respectables, car on touche à l’intimité de chacun. Pour ce qui nous concerne, nous estimons cette extension aux mineurs indispensable et urgente. Le texte proposé nous paraît extrêmement pertinent en n’imposant pas d’âge limite, mais en faisant appel à la capacité de discernement du mineur – assortie de l’accord des représentants légaux. Rappelons que l’euthanasie légalisée reste un choix, qui n’est pas alternatif mais fait partie d’un tout, comprenant notamment le recours aux soins palliatifs. L’existence d’une loi est le meilleur garde-fou contre les dérapages possibles de ce qui se pratique déjà dans la clandestinité. Elle dote aussi ce geste ultime et grave d’un contexte empreint de sérénité, car permettant une discussion ouverte, et sans crainte, de tous, en ce compris les médecins confrontés aux demandes. Avec la possibilité au bout de ce dialogue de maintenir ou pas un souhait.

La Libre: Euthanasie des enfants, pas de loi-symbole – Annick Hovine

Il s’appelait Thomas. A dix ans, un cancer vicieux l’a emporté, après quatre années d’un combat acharné, d’éprouvantes opérations suivies de chimiothérapies, de nausées, de cheveux qui tombent et repoussent, d’école forcément buissonnière, d’espoirs cruels douchés par ces tumeurs qui avaient accroché leurs racines dans son ventre. Dix ans, ce n’est pas un âge pour mourir. Ce n’est pas un âge pour souffrir, non plus. Les derniers jours ont pourtant été terribles pour lui et pour ses proches. A un fil de l’au-delà du supportable. Ses parents lui avaient dit : si ça devient vraiment trop dur, on t’aidera à partir. Un médecin était prêt à lui donner la mort douce. Thomas n’a rien demandé. Il est mort un matin. Pour lui, une extension aux mineurs de la loi sur l’euthanasie n’aurait rien changé. Mais il arrive que des enfants qui se trouvent, comme lui, dans une situation médicale sans issue et souffrant de douleurs inapaisables, veuillent mourir un peu plus vite. Des pédiatres, des intensivistes, des oncologues, venus témoigner devant les sénateurs, ont expliqué que dans certains cas, on répondait à ces enfants et qu’on leur administrait des substances létales qui accélèrent ou causent le décès. Faut-il, pour autant, réglementer cette pratique, en élargissant la loi de 2002 dépénalisant l’euthanasie aux mineurs capables d’apprécier raisonnablement les conséquences de leur demande ? Non, nous ne le pensons pas. Où serait l’urgence ? Où serait la nécessité ? Il s’agirait juste d’une loi-symbole. Ces cas, douloureux à l’extrême, restent exceptionnels. Aujourd’hui, les médecins prennent déjà leurs responsabilités après un dialogue avec leur petit patient et ses parents. Et aucune plainte n’a jamais été enregistrée.

Déclaration commune des responsables religieux en Belgique suite au vote en Commission du Sénat Justice et Affaires Sociales élargissant l’euthanasie aux mineurs

 Le 6 novembre 2013, à titre tout à fait exceptionnel, tous les responsables religieux de Belgique déclaraient d’une seule voix, leur opposition à l’élargissement de l’euthanasie aux mineurs. Ce 27 novembre 2013, nous ne pouvons qu’exprimer notre déception et notre tristesse. Nous partageons l’angoisse de parents si un enfant arrive à une fin de vie prématurée et, particulièrement quand il souffre. Nous croyons cependant que les soins palliatifs et la sédation sont une manière digne d’accompagner un enfant qui meurt de maladie. Des médecins praticiens, oncologues ou intensivistes, nous l’ont clairement affirmé. Ecoutons-les. Nous plaidons pour un arrêt de l’acharnement thérapeutique et pour le remplacement des soins curatifs par des soins palliatifs. Nous croyons que nous n’avons pas le droit de laisser un enfant souffrir : c’est pourquoi la souffrance peut et doit être soulagée. La médecine en a les moyens.  Ne banalisons pas l’acte de donner la mort alors que nous sommes faits pour la vie. Aimer jusqu’au bout demande un immense courage. Mettre fin à la vie est un acte qui non seulement tue, mais détruit un peu plus les liens qui existent dans notre société, dans nos familles, en proie à un individualisme grandissant. Entourons et aimons les malades et leurs familles, ainsi que les soignants, et si la maladie l’emporte, qu’elle soit accompagnée de notre affection intense et par l’irréductible respect de la vie.  

Rabbin Albert Guigui,  Grand Rabbin de Bruxelles, Chanoine Robert Innes, président du Comité Central de l’Église Anglicane en Belgique, Monseigneur André-Joseph Léonard, président de la Conférence Épiscopale de Belgique, Monsieur Geert Lorein, président du Synode Fédéral des Églises Protestantes et Évangéliques de Belgique, Métropolite Panteleimon Kontogiannis, Exarque du Patriarcat Œcuménique de Constantinople (Église Orthodoxe), Monsieur Semsettin Ugurlu, président de l’Exécutif des Musulmans de Belgique

 

4 réflexions sur « Extension de la loi sur l’euthanasie: deux éditos et une déclaration »

  1. J’approuve totalement la déclaration des responsables religieux !
    « Nous plaidons pour un arrêt de l’acharnement thérapeutique et pour le remplacement des soins curatifs par des soins palliatifs. »

    Ils ont tout dit en quelques lignes

  2. Je suis complètement oposée à l’euthanasie,mais tout à fait pour les soins palliatifs,
    pour la bonne raison que je suis chrétiennes ,et que nous n’avons aucun droit de vie
    ou de mort sur nous-memes et moins encore sur autrui.
    Lorsque maman fut opérée en 1969 ,elle fut déclarée inguérissable et fit plusieurs
    comas
    Mon père et moi avons prié avec ferveur et avons obtenu sa guérison.
    Un vrai miracle!
    Mais elle a encore vécu 17 ans en très bonne santé!!!!!!!

  3. Bonsoir,
    Je suis vraiment choqué et écœuré par cet éditorial d’Annick Hovine.
    Effectivement, dans le cas du malheureux petit garçon dont elle nous parle, une loi permettant l’euthanasie n’aurait rien changé, puisqu’il n’y a au final pas eu de demande de sa part. Mais pour ceux qui le voudraient, quid?
    Je m’attendais à la traditionnelle réponse affirmant les vertus rédemptrices de la souffrance. Dur certes, mais au moins cohérent et honnête. En lieu de quoi, on nous explique benoîtement que, dans les cas de souffrance insupportable, il reviendrait aux médecins de « prendre leurs responsabilités », de braver l’interdiction donc et de se mettre hors la loi sciemment! Qu’ils agissent donc selon leur conscience, fassent preuve de compassion mais laissent les autres les mains pures, qui détourneront les yeux et ne porteront pas plainte.
    Quelle hypocrisie. Quelle malhonnêteté intellectuelle. Et la preuve s’il en est que cette loi est en effet un symbole et par là même nécessaire. Même pour un seul cas.

  4. c’est tellement complexe le vivre et mourir pour chacun dans nos différences , que pour moi aussi, légiférer à toutes forces ne me semble pas être la bonne approche, ni surtout suffisante.
    Nous avons désappris, me semble-t-il, et il nous est difficile d’accepter que nous appartenons à cette force de vie et de mort qui nous emmène…sans trop savoir où?, ni quoi?. nous avons difficile d’accepter que nous ne contrôlons pas grand chose
    Il n’y a sûrement pas d’opposition entre la notion d’euthanasie et le « palliatif ».
    J’ai en moi la notion de soins continus , sans nécessaire coupure entre soins curatifs, palliatifs, puis…..soins ou ??euthanasie
    est ce la peur d’y mettre de l’argent? de la présence? et tout le partage de tous les savoirs actuels qui justifient ce saucissonnage?
    arrivons-nous vers le vivant en fin de vie avec nos peurs et l’occasion d’y exprimer nos revendications dans nos vrais besoins de vie, enfin??
    peut-être avons-nous peur de descendre d’un « bateau ivre de pouvoir » qu’est la « vie économique et politique » actuelle, qui nous vend du bien-être à toutes les sauces, au lieu de se centrer sur la joie d’être et de pouvoir prendre le temps de nous accompagner.
    cela n’a jamais empêché l’utilisation des substances de soins modernes ou autres ou de gestes simples manuels, ou de présence d’écoute, ou tout ce que l’humain ou l’animal ont déjà découvert depuis tant de temps.
    La loi est elle là pour pallier à nos insuffisances en notre humanité, en notre absence de quête de sens ou de prise de conscience???

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.