Philosophie et question du sens (Le Vif/L’Express 5 octobre p.11)

L’hebdomadaire le Vif/L’Express de cette semaine publie une intéressante interview de Raphaël Enthoven, un jeune philosophe assez présent dans les médias en France. Une de ses remarques a retenu mon attention. Enthoven déclare: « La philosophie n’est pas la théologie. A la question du sens de la vie, la philosophie substitue la question de savoir d’où vient le besoin qu’on a de trouver un sens à la vie. La philosophie, c’est questionner les questions plus que d’y répondre ».
Suis-je d’accord avec un tel point de vue? Oui et non.

Oui – la philosophie n’est pas à confondre avec la théologie. Elle n’a pas à trancher la question du sens de la vie. Cette question « ultime » n’est pas d’abord de l’ordre de la raison, mais bien de la foi. L’accueil d’un acte de foi, ou le refus – voire la suspension – de tout acte de foi religieux (ce qui est encore une forme d’acte de foi) dépasse le champ de la philosophie, en ce qu’il implique un « saut » par-delà le rationnel vers le Mystère. Ici, nous entrons dans le monde de la théologie, ou de l’athéologie, ou même de l’agnosticologie.

Mais non – la philosophie ne peut se contenter de questionner notre besoin de trouver un sens à la vie. Car ce questionnement est lui aussi une question de sens. Ce n’est pas notre « besoin de trouver un sens à la vie » qui est l’objet de la philosophie, mais bien le questionnement de ce sens de l’existence qui s’impose à nous. Telle était la question de Socrate face aux sophistes. Ces derniers faisaient fi du sens. Pour eux, la vérité n’était qu’un art rhétorique: le plus tribun, adroit ou séducteur imposait ses réponses. Dans ce cas, arrêtons la philosophie et prenons des cours de manipulation (ou, sous une forme moins socialement nocive: de marketing). Et qu’importe si les réponses sont fausses. Puisque rien n’a de sens, les mots « mensonge » et « vérité » ne sont que des leurres. Mais si la question de ce qui est « vrai » et « faux » a quel qu’importance, c’est que la réponse à pareille question a du sens – comme le pensait Socrate. Alors ce sens, comment le penser avec les ressources de notre raison et en mettant toute forme de foi entre parenthèse? Telle est – par excellence –  la question philosophique.

Pour ceux qui trouveraient tout ceci un peu trop abstrait, je reformule à partir d’une illustration tirée de l’histoire récente: « Hitler avait-il tort parce qu’il a perdu la guerre ou parce que sa pensée et son action étaient la parfaite négation de humanité? » Cette dernière thèse signifie que, même s’il avait gagné la guerre, il aurait encore tort. Celui qui pense comme moi que – même si le nazisme avait vaincu – il aurait néanmoins encore tort, affirme que tout n’est pas relatif. Et donc, qu’un « sens » existe qui dépasse nos points de vue subjectifs et les contingences de l’histoire. Discourir sur ce « sens » à partir de la simple raison, afin que le discours soit recevable par tous les hommes – croyants, agnostiques ou athées – tel est, selon moi, l’enjeu premier de la philosophie.

5 réflexions sur « Philosophie et question du sens (Le Vif/L’Express 5 octobre p.11) »

  1. Ah, si on se met à philosopher sur la philosophie… c’est de la métaphilosophie!

    Personnellement je suis d’accord avec ce Monsieur Enthoven. Etymologiquement, la philosophie étant l’amour de la sagesse, en d’autres mots, l’étude (ou la compréhension) de la connaissance de l’homme, elle ne peut y apporter les réponses d’emblée.

    Le changement étant continu, dans toutes les dimensions connues, l’homme ni la vie ne sont définissables de manière péremptoire, statique et finale. Les bouddhistes s’en doutaient, Darwin l’a confirmé mais est-ce que Socrate le savait?

    « Connais-toi toi-même » implique qu’une pleine conscience de notre être (cette nature présente) soit fondamentale pour vivre. Cela peut mener à la question sur le sens, mais sans se prévaloir de celui-ci.

    Car il se pourrait fort bien que la vie n’ait aucun sens en soi, et que chaque homme, chaque société, chaque religion doive y donner le sien. La philosophie n’y répondra pas, la théologie s’y emploie. Différemment à travers les âges.

    PS. Pour ton exemple, je suppose que tous les humains ne penseront pas la même chose, à commencer par les nazis eux-mêmes…

  2. Bonjour,

    Qu’est-ce « le sens » ? Une réponse à un pourquoi ? Une direction à suivre ? S’impose-t-il réellement à nous comme vous l’écrivez, ou avons-nous la possibilité de prendre un sens interdit, au risque de nous brûler les ailes ? Peut-il être considéré en faisant abstraction de sa Foi ? Peut-il être considéré sans avoir la Foi, quelque soit la nature de celle-ci ?

    Dans le dernier paragraphe, je vois que vous donnez même une troisième signification au mot sens :-) Il devient en quelque sorte un synonyme de Vérité, ce qu’il est peut-être en faisant abstraction de toutes les significations de ce mot.

    Je vous rassure, je crois aussi en l’existence d’un sens.

    Vous pointez parfaitement le coeur de cette réflexion en écrivant : « Celui qui pense comme moi que – même si le nazisme avait vaincu – il aurait néanmoins encore tort, affirme que tout n’est pas relatif. »

    Soit il y a un sens, une Loi d’en haut, et donc une Vérité absolue et il y a des monstres qui commentent des actions monstrueuses. Soit il n’y a pas de sens, pas de Loi d’en haut, et donc aucune Vérité absolue, et les monstres, quelques soient leurs actes, n’en sont plus.

    Si on pense que tout n’est pas relatif, qu’il y a des actes intrinsèquement bons et d’autres intrinsèquement mauvais, alors il faut accepter l’existence d’une Vérité qui nous dépasse et faire l’effort de s’interroger elle. Si on refuse l’existence d’une Vérité ( quelque soit la forme qu’on lui prête ) qui existe en dehors de l’humain, et indépendante de lui, Hitler n’est pas plus monstrueux que le Petit Poucet.

    Par contre, je ne vous suis pas quand vous écrivez : « Discourir sur ce « sens » à partir de la simple raison, afin que le discours soit recevable par tous les hommes – croyants, agnostiques ou athées – tel est, selon moi, l’enjeu premier de la philosophie. » Le sens, tel que chacun le conçoit, fait bien partie du domaine de la Foi et la simple raison ne suffit pas.

    J’écrirais, si vous le permettez : « Discourir sur ce « sens » afin que le discours soit recevable par tous les hommes tel est, selon moi, l’enjeu premier de la philosophie. »

    Bien à vous.

  3. Je lis un peu Raphaël Enthoven, superficiellement. Je le trouve assez médiatiquement mondain pour ne pas dire plus.

    Oui, sophiste plus que philosophe. Ennemi de la certitude. les mots sont des moyens de se dérober à toute pensée un peu construite, un arsenal. Mais en première approche,il faudrait creuser.
    Je ne suis pas sûr que cela en vaille la peine. Laissons le parisianisme s’user un peu.

    Bernard, lui fait un peu profession de mobilisme philosophique. C’est un peu du scepticisme à la Protagoras, tant il est vrai que la philosophie tourne toujours autour des mêmes thèmes depuis 2300 ans. Du mobilisme à la Héraclite ou à la Hegel.

    Facile à réfuter avec Aristote, mais ne l’aidons pas d’emblée. Laissons-le mijoter s’il ignore les objections. Il faut qu’il découvre ou argumente.

    Je ne suis pas enthousiaste pour Raphaêl, pour son prénom, oui, pour le reste snobons-le un peu. Il y a des géants de la philosophie, les nains peuvent grandir.

    Cordialement

  4. Quand j’étais jeune, je demandais à la philosophie de me prouver l’existence de Dieu, autre époque. aujourd’hui, j’espère d’elle un éclairage éthique, en particulier sur l’importance de la relation et les exigences qui en découlent.
    Idéalement, on pourrait demandrer à la philosophie d’offrir un tronc commun inter-convictionnel, susceptible p.ex. d’enrichir la conception commune des droits de l’homme et de fonder la vie en société. Utopie sans doute. Pour arriver à cette fin, le dialogue interreligieux n’est probablement pas moins approprié que la confrontation des pensées philosophiques. Finalement, nous disposons là de deux chemins de réflexion vers un but hors d’atteinte mais qu’il est fondamental de poursuivre.

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