Foire du livre : dix livres fondateurs…

Je l’avais annoncé sur ce blog – ce dimanche 4 mars à 17h, je débattais à la foire du livre de Bruxelles avec Hervé Hasquin sur le thème : « Franc-Maçonnerie et Eglise catholique: ennemis ou alliés face à la démocratie »? Il y avait la foule des grands jours au stand du « Soir ». J’espère que c’était aussi pour nous, mais sans doute également un peu parce que Christophe Deborsu et Bert Kruismans nous précédaient et surtout parce que Mgr Léonard suivait face à Denis Ducarme (MR), Georges Lallemand (CDH), Karin Lalieux (PS) et Philippe Lamberts Ecolo) – débat animé par Jean-Jacques Durré (Médias Catho, organisateur de l’événement), Christian Laporte (La Libre) et Ricardo Gutierrez (le Soir). Ce fut d’ailleurs une belle marque d’intérêt et de simplicité de la part de l’archevêque de venir assister à notre débat comme simple spectateur – avant de monter à son tour dans l’arène. Le débat avec Hervé Hasquin fut comme chaque fois courtois, passionné et… trop court (nous sommes tous les deux redoutablement intarissables une fois sur l’estrade :-)).

Le lendemain, lundi 5 mars, j’étais invité à participer à un débat bien différent à la même foire du livre. Amnesty international organisait différentes rencontres entre deux acteurs de la vie civile, avec pour thème : les 10 livres qui ont fondé vos valeurs. Cela était programmé juste avant la clôture de la foire. Je croisais mes lectures avec le laïque Paul Danblon, sous la modération de Jean-Jacques Jespers (professeur de journalisme ULB). Au milieu d’exposants qui commençaient à faire leurs caisses, nous avons donc commencé à parler devant une petite dizaine de personnes. Heureusement, l’assistance gonfla et nous avons passé la dernière animation de la foire du livre 2012 dans une excellente ambiance et devant un honorable public. Paul Danblon fut – comme à son habitude – charmant et intelligent et Jean-Jacques Jespers tint brillamment son rôle (pour un ancien présentateur-vedette de JT, qui en douterait ?)

Voici donc – par ordre vaguement chronologique de lecture – les 10 livres que j’ai présentés, car ils ont forgé les valeurs qui me font vivre:

  1. Depuis ma plus tendre enfance : la Bible, évidemment – parce qu’elle parle dès ses premières pages des « hommes et femmes créés à l’image de Dieu » (Genèse 1, 27) et qu’elle précise que « la vie est la lumière des hommes » (Prologue de S. Jean 1, 4) Et puis, aussi pour cette parole du Christ (Matthieu 25, 31-40): «Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire (…) ; il séparera les hommes les uns des autres, comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les brebis à sa droite, et les chèvres à sa gauche. Alors le Roi dira à ceux qui seront à sa droite : ‘Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi !’ Alors les justes lui répondront : ‘Seigneur, quand est-ce que nous t’avons vu…? tu avais donc faim, et nous t’avons nourri ? tu avais soif, et nous t’avons donné à boire ? tu étais un étranger, et nous t’avons accueilli ? tu étais nu, et nous t’avons habillé ? tu étais malade ou en prison… Quand sommes-nous venus jusqu’à toi ?’ Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ » Ou encore (Matthieu 5, 43-45) : « Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi. Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous maltraitent et qui vous persécutent. Alors vous serez fils de votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.».
  2. Depuis mon enfance : Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Ce livre subit le même sort que les « Quatre Saisons » de Vivaldi : à force de trop l’entendre… Cependant, il s’agit de le relire tous les 10 ans, afin de se prémunir contre la vieillesse spirituelle – celle des « grandes personnes ». « Si vous ne devenez pas comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux » (Matthieu 1, 3)
  3. Durant mon adolescence : Le Royaume près de la Mer de Jean-Claude Alain. Ce bouquin faisait partie des livres de jeunesse (genre littérature scoute), qui me venaient de la bibliothèque de ma mère. Ecrit fin des années 50 en pleine guerre froide, celui-ci était différent. Il racontait l’amitié improbable entre un jeune bourgeois catho et un jeune communiste militant. A la fin, le communiste meurt lors d’une grève et – par fidélité – son ami choisit d’embrasser la condition ouvrière. Récit naïf sans doute, mais décapant. Avec cette préface de l’auteur: « Il est impossible que tu ne sois un jour placé dans l’axe éblouissant de la Vérité. Ceinture-toi alors à elle, pour ne pas la perdre et vivre dans la médiocrité. Ce qui est beau avec la vérité est qu’elle est éblouissante, mais ce n’est qu’un éclair ».
  4. A la fin de mes études secondaires dans un collège international au Pays de Galles : Small is beautiful de Ernst-Friedrich (Fritz) Schumacher. Ecrit en 1973, ce livre annonce la sortie du gigantisme industriel des 30 glorieuses et la prise de conscience écologique. Ainsi : « le pétrole n’est pas une ressource naturelle infinie, mais un capital non-renouvelable ». Son sous-titre “ A Study Of Economics As If People Mattered” n’a décidément rien perdu de son actualité.
  5. Durant mes études universitaires : Les Frères Karamazov de Dostoïevski. Surtout pour sa légende du Grand Inquisiteur, un des sommets de la littérature chrétienne : A Séville au XVIe siècle – en pleine terreur de l’inquisition – le Christ revient parmi les hommes. Il fait des guérisons et est reconnu par la foule, mais le Grand Inquisiteur – austère vieillard – le fait arrêter. La nuit tombée, il va visiter son prisonnier et lui dit qu’il sait fort bien qui Il est. Il lui reproche alors d’avoir voulu apporter la liberté et lui démontre que les hommes ne la méritent pas et ne la veulent pas. Ils veulent être rassasiés (de pain et de miracles), rassurés (par le mystère), conduits (avec autorité). Le Christ se tait et – pour toute réponse – lui offrira un baiser, en mémoire du baiser de Judas.
  6. A mon entrée au séminaire : Mémoire d’une âme de Ste Thérèse de Lisieux. La petite religieuse normande écrit dans une style à l’eau de rose bien de son époque, mais le fond de sa pensée ramène aux sources du christianisme : Dieu ne se gagne pas à force d’efforts et bonne œuvres. Son amour est donné… gratuit. Celui qui l’accueille en est transformé.
  7. Comme jeune prêtre : Lettre aux Anglais de Georges Bernanos : écrite en 40 depuis son exil brésilien, ce chrétien conservateur crucifie la lâcheté bien-pensante du régime de Vichy et ce Français viscéral, loue la résistance d’Albion.
  8. Il y a plusieurs années : The second World War de Winston Churchill – parce qu’il est un récit de résistance héroïque. J’ai toujours été fasciné par l’implosion molle des démocraties dans les années ’30 et par la résistance héroïque – seuls contre tous – des Britanniques en ’40. A l’heure où tant d’hommes firent naufrage face à la Bête, un vieux lion se dressa et promit à son peuple « sang, labeur, larmes et sueur ». Le 18 juin ’40, alors que la BBC offrait ses antennes pour relayer l’appel à la résistance d’un général français encore obscur, une voix grave accompagnée d’un léger zézaiement s’élève dans la chambre des Communes. Le  Premier ministre britannique se doit de convaincre son peuple de combattre – seul – contre l’ennemi victorieux : « De cette bataille dépend le sort de la civilisation. […] Hitler sait qu’il devra nous vaincre dans notre île ou perdre la guerre. Si nous parvenons à lui tenir tête, toute l’Europe pourra être libérée et le monde s’élèvera vers de vastes horizons ensoleillés. Mais si nous succombons, alors le monde entier, y compris les États-Unis, et tout ce que nous avons connu, aimé, sombrera dans les abîmes d’un nouvel âge des ténèbres, rendu plus sinistre et peut-être plus durable par les lumières d’une science pervertie… ». Aux heures les plus sombres, pareille détermination transforma cette résistance en ‘heure la plus belle’ (‘finest hour’).
  9. Par la suite: Nemesis et Hubris, les  deux tomes de la formidable biographie d’Hitler rédigée par le britannique Ian Kershaw. Parce qu’elle démontre que l’horreur naît de l’ordinaire. Hitler, c’est d’abord une personnalité assez banale – voire médiocre – mais avec quelques traits de caractère exceptionnels, tel son art oratoire. Petit à petit, le délire s’installe et devient raison d’état. Et pourtant, l’homme n’en demeure pas moins jusque 1943, le chef d’état le plus populaire de l’histoire d’Allemagne. Comme quoi la Bête sommeille en chacun de nous d’un sommeil plutôt léger.
  10. Juste après la sortie du premier film de la trilogie : Le Seigneur des Anneaux de JRR Tolkien. Le fan d’Harry Potter que je suis, a voulu lire ce récit fondateur du genre heroic fantasy avant d’aller au cinéma. Durant des vacances, j’ai dévoré les trois tomes en m’étonnant de trouver là un des plus grands ouvrages de théologie chrétienne du XXe siècle. Ce n’est que par après que j’ai appris que Tolkien était un fervent catholique et ne faisait pas mystère de la visée religieuse de son œuvre: L’Anneau du pouvoir absolu a été retrouvé. Fabriqué quelques millénaires plus tôt par Sauron, maître des ténèbres, il lui assura la domination sur toute créature jusqu’au jour où le roi Isildur réussit à le lui arracher. Mais les hommes sont faibles et le roi succomba aux charmes de l’Anneau. Au lieu de le détruire dans les gorges de la montagne de feu, il voulut le garder pour lui et périt dans une embuscade tendue par d’autres qui convoitaient un tel trésor. Lors de l’attaque surprise, l’Anneau tomba dans les gorges d’un fleuve profond et disparu. Ainsi se fit-il oublier. Le monde en perdit la mémoire et – privé de tout pouvoir – le maître des ténèbres lui-même devint une légende. Un beau jour pourtant, l’Anneau fut retrouvé par hasard et sa présence maléfique réveilla l’œil noir de Sauron. Fort heureusement, le bijou était tombé entre les mains d’une créature naturellement dépourvue d’ambition, un hobbit, sorte de demi-homme aux mœurs  agraires. C’est ainsi que le jeune hobbit Frodo devint le porteur de l’anneau, escorté pour sa sécurité par l’élite des guerriers – elfes, sorciers, hommes et nains – ceux qu’on appelle « les compagnons de l’anneau ». Au sein de ce groupe, l’orage gronde en permanence, car l’anneau attire la convoitise. La tentation est grande pour ces hommes valeureux de s’en emparer en vue de vaincre Sauron une fois pour toute. La sagesse du sorcier Gandalf, démasque un tel piège. Si une créature de lumière devenait à son tour Seigneur de l’Anneau, ce serait une calamité plus grande encore que la victoire finale de Sauron. En effet, cela signifierait que le Bien s’est laissé corrompre par l’Anneau du pouvoir. Un Seigneur de lumière serait un tyran bien plus terrible que le maître des ténèbres, car il ferait le bien de ses sujets malgré eux. Avec lui, le Bien deviendrait esclave de l’Anneau du pouvoir et sous le masque de la Vertu, c’est l’Anneau qui se soumettrait jusqu’aux forces de lumière. Non – clame Gandalf – l’Anneau doit être détruit. De par l’humilité de sa condition naturelle et grâce à la pureté de ses intentions, seul Frodo le Hobbit peut en avoir la garde sans être totalement dévoré par son pouvoir de séduction. Il reçoit pour mission suicidaire de se rendre aux gorges de la montagne de feu située au cœur même du royaume de Sauron afin d’y détruire l’Anneau. Frodo accepte cette folie, bien conscient que, ce faisant, il marche vers le sacrifice…

 

4 réflexions sur « Foire du livre : dix livres fondateurs… »

  1. Chouette partage. J’en ai l’un ou l’autre en commun.
    Rainer Maria Rilke me manque dans ta liste, mais tu es toi et je suis moi.
    Bises Eric, à bientôt.

  2. Il est clair que les livres (et la culture, en général) nous façonnent, tout comme nous les façonnons… Finalement, c’est un peu l’histoire de la création: Dieu nous crée à son image – et vice-versa. « Le vieux prof et la mer » serait sans doute dans ma liste… et Mark Eyskens écrirait que Dieu créera l’homme à son image car il est « celui qui sera » dans la quête de l’humanité. Ou alors « l’Affaire Titus » qui décrit la bibliothèque d’un seul mot: le verbe de vie?

    Mais tu omets la seconde partie de la parole biblique, qui gâche la première: « Alors il dira à ceux qui seront à sa gauche: Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel préparé pour le démon et ses anges… »

    Ce sont là des métaphores qui ont pourtant la vie dure. Ici aussi, Monsieur Eyskens rétorquerait: « Je ne crois pas en Dieu. Je crois au Bon Dieu ».

    Seul l’amour incarné par les hommes de bonne volonté peut changer les choses… sans gloire ni jugement.

    1. Je n’ai pas mentionné la seconde partie, mais je ne l’oublie pas. La perspective de l’enfer rappelle que l’amour est libre. Dieu ne force pas à aimer. Le texte d’évangile rappelle que le « feu » n’est pas fait pour l’homme, mais bien pour les démons. Cependant, si l’homme use de sa liberté pour renier son humanité et se conduire en démon avec son prochain – il ne voudra pas de l’éternité d’amour d’un Dieu qui se fait proche. Il choisira plutôt cet isolement orgueilleux que son aveuglement lui fera percevoir comme exquis. Quelqu’un est-il assez abimé pour choisir cela? L’Eglise ne se prononce pas sur la question, mais elle nous avertit que la question existe.

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