Démocratie et usage de la raison…

Un de mes correspondants sur Twitter m’envoie la traduction anglaise d’un article du magazine allemand Der Spiegel. Son contenu mérite qu’on s’y arrête. Il parle de ces musulmans allemands de 2° et 3° génération, séduits par la prédication de jeunes imams salafistes.
Extraits de l’article : Alors que les mosquées « ordinaires » rencontrent en Allemagne une désaffection de la part de la jeunesse assez similaire à celle que connaissent les églises catholiques et protestantes, de jeunes imams charismatiques apparaissent et touchent les générations montantes. Ils ne prêchent pas un islam violent, mais n’en propagent pas moins une critique radicale de la culture occidentale et de son hédonisme individualiste. Ils lui opposent la stricte obéissance à la volonté divine. « Même si Allah te dit de passer toute ta vie avec une jambe contre un mur, tu le feras – car il est ton Dieu », enseigne un de ces imams. Pareil message plaît à nombre de jeunes, car il clair et simple – ce qui est confortable.

Obtenir des réponses toutes-faites, afin de ne plus devoir se poser de questions – telle est une des tentations récurrentes de l’esprit humain. Cela explique le succès des sectes – parfois même auprès des élites intellectuelles – mais aussi l’attrait pour le fondamentalisme. On retrouve cela dans les milices de jeunes fanatisés par les régimes totalitaires, comme chez les intégristes de tous poils.
Notons que le phénomène se rencontre également parmi nombre d’occidentaux qui se disent « libérés », mais vivent engoncés dans une moite paresse intellectuelle. Combien de fois n’ai-je pas eu comme réponse « mantra », alors que j’expliquais la vision catholique sur l’avortement : « Ce que tu dis ne tient pas la route : on vit tout de même au XXIe siècle ! » Cela signifiait pour eux : échec et mat, fin de discussion. Eh bien, non. Une discussion ne se termine pas ainsi. Oui, on vit au XXIe siècle, mais cela n’empêche pas de se poser des questions et d’être critique. Cela n’interdit pas de remettre en cause l’économie-casino, la surconsommation, ainsi que plusieurs enjeux bioéthiques. Bref, cela n’empêche pas de se creuser les méninges et d’ouvrir un débat.

Aristote enseignait : « l’homme est un animal politique, parce que l’homme est un animal qui parle selon la logique». Sans raisonnement, pas de dialogue, pas de débat. Bref, pas de démocratie. Dans une société insécurisée, où les fondamentalismes séduisent, tous ceux qui croient au bienfait de l’usage de la raison – et donc du débat démocratique au nom du raisonnement – sont appelés à unir leurs forces pour défendre les acquis politiques du régime de la libre-expression. En cela, je pense que l’Eglise catholique avec sa longue tradition philosophique et les francs-maçons sont des alliés objectifs – malgré leur vieux contentieux, que je ne cherche pas à minimiser. D’où l’importance d’éduquer les jeunes générations à l’usage de la raison. Apprenons-leur que la peur fait partie de la vie, mais que celui qui sacrifie son intelligence au profit du fondamentalisme devient esclave de cette peur.
Dans le prolongement de son livre « Les Catholiques belges et la Franc-maçonnerie » (Avant-Propos 2012) et de mon essai « Credo politique » (Fidélité/Avant-Propos, 2011), c’est le sujet que je souhaite aborder dans mon dialogue avec Hervé Hasquin à la Foire du livre de Bruxelles, ce dimanche 4 mars à 17h. Tous ceux qui veulent poursuivre pareil débat avec nous, sont les bienvenus.

 

 

 

6 réflexions sur « Démocratie et usage de la raison… »

  1. « Obtenir des réponses toutes-faites, afin de ne plus devoir se poser de questions – telle est une des tentations récurrentes de l’esprit humain. »
    Je partage pleinement votre avis.

    Nous nous enrichissons du dialogue et de nos différences. Et nous trouvons parfois, dans le discours de quelqu’un qui – a priori – pourrait être « qualifié » de distant de nos pensées : des préoccupations, des interrogations, et même des réponses tout à fait partagées, communes.

    Par exemple, hier matin, j’écoutais sur La Première l’émission « Tout autre chose », où le philosophe André Conte-Sponville était interviewé à l’occasion de la sortie de son livre « Le sexe ni la mort ». Eh bien, ce que cet homme, qui se dit athée, a dit de l’Amour était – à mon sens – profondément juste et en phase avec les valeurs de l’Evangile. Je me suis réjoui de la pertinence de sa réflexion sur la relation amoureuse de l’être humain, et me suis dit que bon nombre de citoyens – et de jeunes en particulier – gagneraient à entendre parler cet homme (notamment en continuation de votre billet écrit à l’occasion de la Saint-Valentin). Ecarter sa pensée sur base d’un argument-cliché tel « c’est un athée » serait une perte et une sottise.
    La sagesse de l’apôtre Paul (1 Thess. 5, 19-22) nous éclaire aussi : « N’empêchez pas l’Esprit de vous éclairer : ne méprisez pas les *prophéties; au contraire, examinez toutes choses, retenez ce qui est bon, et gardez-vous de ce qui est mauvais, sous quelque forme que ce soit. »…. »examinez toutes choses et retenez ce qui est bon ».

  2. Puis-je vous suggérer la lecture du « Causeur » de ce mois ci intitulé « Inculture générale, crimes contre les humanités » dans lequel vous trouverez plusieurs articles qui vont dans votre sens. Des analyses extrêmement pertinentes sur la tentation de la facilité et donc, de la médiocrité. J’ai lu votre blog grâce à Jean-Pierre Destrebecq qui poste toujours de très intéressants articles sur Facebook. Le vôtre m’a convaincue.
    Bien cordialement,
    Sophie Bastide-Foltz (traductrice, entre autres, de La Grève, de Ayn Rand, un roman qui est une défense de la raison contre la sentimentalité règnante.)

  3. A l’adresse d’André : Mr Conte Sponville n’est pas athée, mais agnostique. Cela fait toute la différence. Le doute permet la réflexion, pas les certitudes.

  4. « Obtenir des réponses toutes-faites, afin de ne plus devoir se poser de questions – telle est une des tentations récurrentes de l’esprit humain.  »

    Je me demande: la distribution en grande quantité du Youthcat aux JMJ n’appartient-elle pas à la même démarche, donner un prêt à penser plutôt que donner à penser?

    1. Le Youthcat informe sur le contenu de la foi catholique. Il donne à penser, car il s’adresse autant au coeur qu’à la raison. Le Concile Vatican Ier (1870) a rappelé la condamnation du ‘fidéisme’ – une démarche de foi qui sacrifie l’intelligence. Si Dieu nous a donné un cerveau, c’est pour s’en servir. Le contenu de la foi est d’ordre « trans-rationnel » (en ce qu’il dépasse nos capacités de perception et connaissance), mais jamais irrationnel (contraire à ce que notre intelligence et la science nous enseignent).

  5. A Lumen Vitae, j’ai eu la chance de suivre un cours sur le livre qu’André Comte Sponville a consacré à l’athéisme. Il s’y définit comme athée sans pouvoir démontrer le bien fondé de sa position, mais en la trouvant mieux à même de rendre compte du mal, en particulier.
    Bonne chance à Eric pour son débat avec Hervé Hasquin. J’espère puvoir y assister.

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