Tant La Libre que le Soir de ce jour citent l’étude parue dans le Courrier hebdomadaire du CRISP, signée par Etienne Arcq, le rédacteur en chef et Caroline Sägesser, dont j’ai souvent salué le sérieux des analyses. N’ayant pas lu le courrier, mais seulement les extraits de presse, je m’exprime ici avec prudence.
La conclusion principale de l’étude semble exacte, mais n’est pas un scoop : nous évoluons d’une religiosité sociologique à une religion de conviction. Autrement dit, on ne se dit plus chrétien de par ses origines familiales, mais parce qu’on a fait une expérience spirituelle du Christ. Ou dit avec les mots de l’étude : « la baisse de la pratique religieuse et la pénurie des vocations sont le signe de la fin d’une forme de catholicisme sociologique marqué par un encadrement spatio–temporel étroit de la population par l’Eglise: le maillage territorial des paroisses et le suivi du fidèle de la naissance à la mort ».
Mon seul commentaire est que ceci nous en apprend plus sur la sécularisation que sur le christianisme, la cause principale de cette évolution se trouvant dans le changement de société et non dans l’évolution des Eglises.
L’enquête va plus loin en analysant la réaction en interne, mais semble – si les extraits de presse la citent avec à-propos – prendre un tour plus idéologique dans ses analyses. Elle parle de deux groupes dont l’un “cherche à redéfinir la place de l’Eglise dans la société en accompagnant la sécularisation et la modernité de manière positive bien que critique” alors que l’autre “refuse la modernité et espère une reconquête par l’Eglise de son influence passée sur la société”. Si le premier camp se compose surtout d’“anciens combattants” de Vatican II, le second se présente comme plus jeune mais présente également des marques d’essoufflement même s’il a davantage l’appui de Rome ». L’article du Soir (p.8) n’hésite pas à parler à leur sujet de « nouveaux croisés ».
Le terme de « nouveaux croisés » m’a fait bondir, parce qu’il ne correspond que fort peu au profil de ce que le journaliste américain et vaticanologue John Allen appelle le « catholicisme évangélique » – par analogie avec ce qui se passe dans le protestantisme. Tous les sociologues le soulignent : la sécularisation entraine des recherches identitaires plus prononcées. Celles-ci ne sont pas forcément malsaines – comme le démontrent les nombreuses manifestations folkloriques qui retrouvent des couleurs à l’heure de la mondialisation. Qui oserait stigmatiser les 15 août en Outremeuse ou les fêtes celtiques de Bretagne ? Ricardo Gutierrez – auteur de l’article dans le Soir – avait d’ailleurs fort bien saisi cela ce 22 septembre dernier, en recadrant… son propre journal pour le traitement médiatique d’une thèse de doctorat sur les recherches identitaires des jeunes musulmans de Belgique. Cela avait d’ailleurs été relayé par ce blog – où Ricardo était intervenu. Je le cite dans le Soir : « Leïla El Bachiri, l’auteur de la thèse doctorale qui constate la « réislamisation » d’une partie de la jeunesse bruxelloise, tient à dénoncer, dit-elle, la « manipulation frauduleuse » de ses propos, à la Une du Soir, lundi, qui évoquait la « radicalisation » des jeunes réislamisés. Leïla El Bachiri insiste : ni les articles publiés dans Le Soir, ni son entretien, « restitué fidèlement », ni sa thèse doctorale n’évoquent de tendance à la radicalisation, à l’intégrisme ou à l’extrémisme. « Il s’agit d’une déformation médiatique grave qui a été relayée par l’ensemble de la presse, faisant les choux gras de certains médias jouant la carte du sensationnel ». « Le terme de radicalisation, pure invention que l’on a attribuée à ma recherche, est dangereux, car il sous-entend un rejet de l’autre. Il stigmatise une partie de la jeunesse, citoyens belges d’ascendance musulmane, déjà précarisée socio-économiquement et qui aspire à un enseignement de qualité et à une insertion socioprofessionnelle. Ce terme cautionne le sentiment de peur, source d’une islamophobie grandissante ». La doctorante rappelle que la notion de réislamisation « vise essentiellement à un retour aux textes fondamentaux de l’islam », phénomène qu’elle a observé par l’étude de 60 discours religieux. Pas pour prouver un quelconque extrémisme, insiste-t-elle ».
A juste titre Ricardo refuse-t-il de traiter tous les jeunes réislamisés de « nouveaux jihadistes ». Pourquoi donc voir en ces jeunes cathos décomplexés de « nouveaux croisés » ? En prenant le temps et la peine, il y a quelques mois, de rencontrer les organisateurs de la « marche pour la vie », Ricardo avait d’ailleurs fort honnêtement reconnu qu’ils n’avaient pas le profil de nostalgiques de l’ancien régime. Au contraire, la génération JMJ est pleinement moderne, en ce qu’elle assume son identité claire – mais nullement agressive – au milieu d’un monde sécularisé. Cela ne veut pas dire que leur profil soit sans risque de repli frileux, mais c’est le propre de l’humanité de faire en sorte que toute manifestation porte en son sein de potentielles dérives. Ceci ne suffit pas pour la discréditer.
Dommage que cette nuance ne soit apparemment pas soulignée par le courrier hebdomadaire du CRISP ou dans l’article du Soir. La sociologie se doit d’analyser en toute neutralité un phénomène par comparaison avec d’autres qui lui ressemblent et non faire entrer celui-ci dans une grille de lecture – pour le moins « située ». Pour conclure, qu’il me soit permis de citer – en applaudissant – ce que Ricardo écrivait, il y a moins d’un mois, sur ce blog: « Comme si le fait de renouer avec la religion ne pouvait passer que par son expression la plus intolérante! Les idées reçues, les stéréotypes, ont manifestement encore de beaux jours devant eux. Ceci m’incitera à encore plus de prudence, à l’heure d’évoquer ce sujet délicat. On ne maîtrise jamais l’interprétation des faits. Le journaliste doit en être conscient, au moment où il tient la plume ».