In memoriam Christian de Duve

Ce 16 mars dernier, nous étions plusieurs à débattre devant quelque 150 médecins à Lessive (près de Rochefort). Pour la première (et dernière) fois, je faisais face à l’éminent professeur de Duve. J’avais lu sa « Génétique du péché originel » (Odile Jacobs 2009). Mon jugement  était et reste que, autant le prix Nobel faisait un excellent pédagogue en matière de sciences, autant – dès qu’il parlait philosophie – ce savant pratiquait un concordisme en retard de deux siècles. Pour Christian de Duve, c’était la science plutôt que la foi – comme aux grandes heures du positivisme. L’idée que les deux démarches puissent coexister pacifiquement – la science cherchant le « comment » des choses et la foi creusant leur « pourquoi » – lui était étrangère. Voilà pourquoi, en me serrant la main ce jour-là, cet homme sensible et aimable, me glissa comme par défi: « Nous ne serons sans doute pas d’accord sur de nombreuses choses ». Le débat vérifia son pressentiment. Face à un auditoire de médecins souvent critiques, ma place n’était pas de tout confort. Le seul qui me vint à un moment donné en renfort, fut – à la surprise de tous – l’ancien recteur de l’ULB, Hervé Hasquin. Il rappela qu’il était démographe de formation et que les thèses anti-natalistes à connotations mathusiennes du Professeur de Duve (diminuer par tous les moyens le nombre d’humains pour sauver la planète), ne tenaient pas compte des courbes naturelles de régulation des populations. Le débat clôturé, le vieux professeur me salua néanmoins avec grande courtoisie, en me glissant – presque timidement: « J’espère ne pas vous avoir brusqué ». Gentleman jusqu’au bout des ongles…

Pratiquant non croyant
Christian de Duve a suivi le parcours de nombre d’intellectuels de sa génération, appartenant à la meilleure société catholique: Nourris depuis l’enfance au lait maternel de la religion et ayant fréquentés tous les « bons » collèges, troupes scoutes, catéchismes… Ceci, avant de se découvrir viscéralement incroyants. En soi, ce parcours n’a rien de choquant; la foi est Grâce et non évidence. Deux choses surprennent, malgré tout: D’abord que ce rejet du catholicisme se greffe sur une vision caricaturale et une méconnaissance massive de la révélation chrétienne. D’où ma question: « La culture chrétienne qui a bercé leur enfance, était-elle donc tellement infantilisante et de si piètre qualité? » A ce jour, je n’ai pas de réponse à mon interrogation. Mon second étonnement, est que – tout en ayant rejeté la foi chrétienne – cette génération continua à se comporter en parfait petit soldat de l’ancien « pilier catho »: Leur enfants ont également fréquenté l’enseignement catholique, les mouvements de jeunesse chrétiens, l’UCL, etc. Pratiquants non croyants, en quelque sorte. A l’instar de certains vieux maçons qui – au terme de leur vie et avant de rejoindre l’Orient éternel – me confessèrent au creux de l’oreille une foi baptismale assez détonante. Inattendus destins croisés… Ainsi, n’est-il pas troublant que ce soit « l’autre » prix Nobel belge, le chimiste Ilya Prigogine, juif agnostique de l’ULB, qui découvrit un ordre sous-jacent au chaos moléculaire, décelant une forme de téléonomie dans l’évolution? Un Nobel de l’ULB pointant vers le Mystère et un Nobel de l’UCL se défiant de la Transcendance, au nom de la science. Curieuse et passionnante époque, qui bouleverse bien des codes.

Suicide médicalement assisté
Tel Sénèque, Christian de Duve a choisi de quitter la vie au moment choisi par lui – afin de partir en pleine conscience. Acteur de sa vie jusqu’au dernier souffle. La culture chrétienne sans la foi, engendre un retour au stoïcisme. Une vertu lucide et sans autre espérance que la satisfaction d’avoir « bien vécu ». Comment ne pas respecter cela? Cependant, le respect n’empêche pas les commentaires. Je constate tout d’abord que la remarque que je faisais à l’époque du débat sur la loi belge dépénalisant l’euthanasie, se vérifie: Il ne s’agit pas tant d’un débat sur la fin de vie de personnes qui agonisent. La question de savoir si, en soulageant les souffrances un peu plus, on écourterait une vie de quelques jours, pouvait être laissée entre les mains des médecins. Non, cette loi ouvre – sans oser le dire – le débat sur le suicide médicalement assisté. Christian de Duve n’était pas agonisant ou aux prises à des douleurs insoutenables. (Le 16 mars, il était en pleine possession de ses moyens et remarquablement alerte pour un homme de cet âge). Souffrant d’une maladie incurable, il était fatigué de vivre dans cet état et ne voulait pas connaître la déchéance. Sans doute aussi, ce veuf récent souffrait-il de l’absence de son épouse tant aimée. Il a donc choisi de mourir. Je ne puis que respecter sa décision. Mais n’ayons pas peur des mots: cela s’appelle un suicide médicalement assisté. Si telle est la société voulue par une majorité de nos concitoyens, qui suis-je pour m’y opposer? Il n’empêche – cela me donne froid dans le dos. Une visiteuse de malades et mourants, me lança: « Quel terrible exemple pour les vieux! »  Surpris par la virulence de cette personne, d’habitude plus modérée que moi, je lui demandai ses raisons: « Je crains que nombre d’aînés qui se battent pour vivre, se sentiront désormais encouragés à mourir ». Vaste débat.

A Dieu, donc, cher Professeur de Duve. Ma foi me porte à croire que vous avez dû avoir une « divine » surprise en franchissant l’ultime pas. Votre science me rétorquerait que pareille espérance est un leurre de mon imagination. Qui vivra… verra. En attendant, cela ne m’empêchera pas de prier pour vous.

  

26 réflexions sur « In memoriam Christian de Duve »

  1. Cher Éric, rien ne permet d’affirmer qu’on n’est pas face, ici, à une euthanasie légale: M. De Duve souffrait bien d’une affection grave et incurable (un cancer du côlon); et rien ne prouve qu’il ne présentait pas une souffrance physique OU psychique constante, insupportable et inapaisable, comme le prévoit la loi du 28 mai 2002. Bien à toi, RG

  2. Merci pour ton éclairage, j’ai découvert ton texte avec grand intérêt. Il y a des décryptages passionnants. Nous t’embrassons tous, depuis nos Ardennes profondes.

  3. Cher Ric, Merci de ce commentaire. Je ne mets pas en doute que l’on se situe ici dans le cadre légal. J’énonce simplement que cette loi ne concerne pas principalement la gestion des derniers instants. Combien ne m’ont pas objecté que la distinction entre euthanasie passive (admise par l’Eglise catholique) et euthanasie active (visée par la loi) était souvent imaginaire, voire hypocrite: le médecin adoucit-il la souffrance ou accélère-t-il la mort? Ici, nous nous trouvons clairement dans un autre cadre: Il s’agit de choisir le timing de sa porte de sortie. (« J’attends que mon fils soit rentré des Etats-Unis »). Pour moi, cela s’appelle le suicide médicalement assisté. Je puis comprendre et ne fais donc pas un drame. Mais – oui – il s’agit d’une toute autre approche de la mort, que je ne partage pas.

  4. Les thèses néo-malthusienne de de Duve m’ont en effet interpellé. Mais comment ne pas être frappé par les chiffres suivants: à sa naissance au début du XXème siècle, la population mondiale était d’environ 2 milliards d’habitants et nous avons aujourd’hui dépassé les 7 milliards. Une population qui triple sur l’espace d’une vie et la pression écologique qui en découle a objectivement quelque chose de préoccupant et même si les modèles démographiques extrapollent une stabilisation future, il est néanmoins pertinent de s’intérroger sur l’urgence de mener des politiques de contrôle de natalité/ planning familial dans les pays qui en sont dépourvus.

  5. Cher Éric, je n’exige nullement de toi que tu adhères à la conception de M. De Duve. Je signale juste qu’au regard de la loi, il s’agit bien d’une euthanasie et non d’un suicide médicalement assisté (que la loi n’encadre pas, contrairement à ce qui se passe en Suisse). Que tu contestes l’étendue du prescrit légal est une autre affaire: c’est ton droit le plus strict. Tes commentaires auraient pu laisser penser qu’on était ici face à une euthanasie « illégale »; je me permets juste de préciser que rien ne permet de soutenir cette hypothèse. Cette précision est importante pour la famille de M. De Duve et pour son médecin.

  6. D’accord Ric. Mon commentaire rappelait que – déjà à l’époque du débat sur la loi – j’énonçais que celle-ci ne consistait pas uniquement à abréger des souffrances finales, mais ouvrait une porte au « suicide légalement assisté ». Dans l’opinion en p.15 « du Soir », on parle de « suicide » quand l’intéressé ouvre lui-même les vannes de la perfusion. Selon moi, il y a « suicide » quand quelqu’un prend la décision d’en finir avec la vie, à un moment donné. Une fois encore: cela est respectable et pleinement cohérent avec la philosophie de vie de Christian de Duve. Mais c’est une toute nouvelle approche de la vie et de la mort, que je ne partage pas.

  7. Un grand monsieur…

    Cher Eric, tu poses une question et exprimes un étonnement. A mon tour d’être étonné.

    Dans ces milieux conservateurs, l’éducation chrétienne a gardé bien longtemps un ton infantilisant et opaque. Cela n’empêche qu’elle ait des vertus. Comme le dit Edgar Morin: « Chaque culture a ses vertus, ses vices, ses savoirs, ses arts de vivre, ses erreurs, ses illusions ».

    Se découvrir incroyant après tant d’années peut être vécu comme une trahison. Je me suis toujours demandé ce que ressentait un enfant quand il découvrait la vérité sur le bon Saint-Nicolas qu’on lui avait fabriqué de toutes pièces… Désillusionné? Rassuré? Triste? Le ressenti est encore plus fort pour un adulte.

    Peut-être en va-t-il de même avec d’autres inculcations de notre enfance, comme le patriotisme, l’occidentalocentrisme ou certaines intolérances historiques. Mais pourquoi jeter le bébé avec l’eau du bain? Et d’abord, comment? Nous sommes si profondément et intimement ancrés dans notre culture qu’il est presque qu’impensable d’opérer un changement aussi radical que l’abandon de tout un système éducatif dans lequel on a trempé depuis la prime jeunesse. En vérité, le contraire est bien plus probable.

    Un jeune engagé deviendra plus facilement animateur dans l’unité qui l’a formé mais va-t-il nécessairement en reprendre toutes les convictions? La réponse semble plus logique que la réalité.

    Nos ancêtres gréco-romains – pas plus idiots que nous – ont bien adhéré pendant des siècles à une culture qui entretenait une mythologie des plus irrationnelles et qui s’est métamorphosée par la suite. Pour autant, cette civilisation n’a pas disparu quand son système s’est effondré. Encore heureux.

    Par ailleurs, les scouts et les écoles catholiques sont généralement à recommander, même pour des non croyants ;-)

    « Il ne s’agit pas d’un relativisme culturel, mais d’un universalisme humaniste », poursuit Edgar…

    Merci pour tes billets, toujours intéressants!

  8. Cher Eric,
    Comme Ricardo parle avec précision de l’affection grave et incurable dont souffrait Christian DE DUVE, je me sens autorisée à rejoindre les commentaires. Pour ma part, il n’était même pas nécessaire de parler de cancer pour confirmer que la demande de Christian De Duve se situait bien dans le cadre de la loi et que le médecin qui a accepté d’entendre cette demande s’est conformé au prescrit légal. Mais ceci est une autre histoire. Une réflexion cependant : il nous faut encore donner des justifications qui relèvent de l’intime, voire du secret médical pour éviter que l’acte murement réfléchi d’un homme ne soit soumis à toutes les interprétations possibles.
    Il est par ailleurs difficile de dialoguer lorsque nous ne partons pas des mêmes définitions. Au point de vue légal, l’euthanasie est l’acte pratiqué par un tiers qui met fin intentionnellement à la vie d’une personne à sa demande. Et il est admis que la loi belge, qui ne précise pas la méthode, intègre dans cette définition le suicide médicalement assisté …pour autant que le médecin respecte toutes les conditions légales, ce qui implique aussi sa présence jusqu’au dernier souffle de son patient. La différence donc entre euthanasie et suicide assisté ne porte que sur la méthode : induction de l’inconscience par voie de perfusion d’un produit anesthésiant (penthotal par exemple) suivi d’un curarisant ou par voie orale, le patient buvant un sirop de barbituriques. Désolée d’entrer dans les détails techniques derrière lesquels il ne faut oublier les moments intenses d’émotion et d’humanité.
    L’interprétation que tu nous proposes pour différencier l’euthanasie du suicide assisté nous amène sur un autre terrain, qui nous éloigne donc de la législation adoptée en Belgique. En effet, la différence que tu introduis se marque par le temps : à quelques minutes de la mort dite ‘naturelle’, dans la phase de l’agonie, il s’agirait d’une euthanasie. A quelques jours, semaines, mois voire années de l’échéance, il s’agirait d’un suicide assisté.
    J’insiste sur le fait que nous ne sommes plus sur un plan légal (la loi de dépénalisation de l’euthanasie prévoit la situation de décès non prévisible à brève échéance) mais plutôt sur un terrain philosophique.
    Je pourrais retourner l’argument et plaider que toute euthanasie est en réalité un suicide assisté. Sans doute vais-je choquer certaines personnes qui vivent le suicide comme un acte brutal, agressif. En ce, les Néerlandais offrent une solution intéressante sur le plan des mots : ils font la différence entre « zelfdoding » et « zelfmoord ». Et je partage cette approche du suicide : mettre fin à sa vie par un geste désespéré, en recourant à la corde, au saut dans le vide du haut d’un gratte-ciel ou sur une voie ferrée, appartient bien à cette catégorie d’acte brutal. En revanche, prendre la décision de mettre fin à sa vie, sans heurter personne (cela ne veut pas dire que les proches n’éprouveront pas du chagrin) n’a pas nécessairement cette charge négative.
    Pour toi, Eric, mettre fin à la vie quelques minutes avant la mort dite naturelle serait une euthanasie, et dès que l’on passerait à quelques mois, ce serait un suicide assisté. Mais cette querelle sémantique est vaine puisque de toute manière tu es opposé à l’euthanasie par principe ! C’est parfaitement ton droit et la loi de dépénalisation de l’euthanasie a précisément entendu préserver la liberté de tous, sans imposer rien à personne.
    Je te l’ai déjà écrit, j’ai été étonnée que tu interprètes la volonté d’un autre, que tu mettes dans sa bouche tes propres paroles. : « Christian de Duve n’était pas agonisant ou aux prises à des douleurs insoutenables. Il était fatigué de vivre et ne voulait pas connaître la déchéance. ». Qu’en savais-tu ? Tu as jugé bien rapidement la décision de cet homme ou plutôt tu dis la respecter mais tu donnes ta propre vision, tes propres explications, tu mets tes propres mots dans sa bouche…Fatigué de vivre, mais non. Certes, le sentiment d’avoir accompli pas mal de choses. Son récent veuvage ? Là aussi tu interprètes. Traduttore, traditore. J’imagine que nous entendrons par la voix de ses proches les dernières pensées qui ont animé Christian De Duve lors de la séance d’hommage qui lui sera rendu sous la houlette de Gabriel Ringlet.
    Un peu long ce message de la part d’une militante non pas du droit à l’euthanasie mais bien du droit pour chacun de vivre et de mourir son ses propres conceptions philosophiques ou religieuses.
    Jacqueline

  9. Bonjour Eric,
    Le choix de Monsieur De Duve ne peut être réduit à une simple question. Je travaille au sein d’une équipe d’accompagnement en soins palliatifs « Sémiramis » à Bruxelles, et je t’invite à nous rencontrer. Toute l’équipe pourra te dire que chaque patient vit un cheminement personnel. Il y a 10 ans, sans avoir accompagné ces patients, j’aurais dit aussi comme toi, quelle tristesse pour en arriver à demander l’euthanasie. Aujourd’hui, je peux dire que j’ai rencontré des patients sereins, ayant mûrement réfléchi leur demande. On est loin des euthanasies sauvages que l’on connaissait avant. Aujourd’hui, la société reconnait le droit à un choix, un choix philosophique, est-ce que ma souffrance à un sens pour moi, souffrance physique ou psychique?
    Je sais que ce ne serait pas mon chemin de vie, mais j’ai rencontré des patients heureux et soulagé d’avoir toujours été accompagné et écouté quel que soit leur demande. Oui, certains patients vont jusqu’au bout, toujours avec courage et souvent par conviction. Je suis heureux de vivre en 2013 et être témoin de cela.
    Et j’encourage chacun à respecter l’autre au-delà de sa différence.
    Bien à toi.
    Patrick Rossignol

  10. Certains chercheurs passent leur vie a comprendre les sciences de la vie pour dégager les principes qui permettront dans la médecine a soulager ,comprendre,conforter,encourager ceux qui souffrent sur cette terre des erreurs de la nature et des civilisations….Ensuite d’ autres médecins,infirmieres,gardes malade,aides soignant,hygienistes,familles appliqueront ces principes pour soulager la souffrance voir « guérir » la maladie….Vous en ferez peut etre partie…Ce jour la ,pensez a mon ami et professeur Christian…il en sera certainement heureux….son commerce n était pas de béatifier la souffrance ,ni d épiloguer a son propos…son but était de la soulager. Un vieux toubib de campagne….l ‘amour n est l apanage d aucune religion,d’aucun mouvement ,d aucun « D »ieu…l ‘amour peut appartenir a tous et toutes…Bonne route.

  11. Interpellant de lire de plus en plus « Il a jugé que sa vie ne valait plus la peine, qu’elle était accomplie, et donc a demandé à se faire euthanasier ».
    Chacun vit-il pour soi sur une île déserte ? Sans doute l’intelligence a-t-elle du mal à percevoir la bonté du lien entre nous, une qualité du coeur et du don de soi, mêmes vieux et malades.
    Autre chose me questionne dans cet épisode de Duve : pourquoi faut-il rendre public – et qui l’a fait ?- ces gestes de morts qui impactent sur les mentalités des jeunes et vieux d’aujourd’hui ? Faut-il se vanter de son suicide ?
    Quel est le message de cette médiatisation de l’euthanasie de certaines personnalités qui voudraient servir d’exemple ?

  12. Je viens de lire le dernier chapitre d’un livre du professeur de Duve où il se prononce en faveur de l’ultime réalité (j’en ai déjà oublié le titre et ne peux le retrouver n’étant pas chez moi) ainsi que son opuscule récent De Jésus à Jésus en passant par Darwin. Ce qui me frappe, c’est sa décision de ne croire qu’en ce qu’il peut affirmer vrai de façon certaine. Il fait référence à Descartes à ce propos et explique p. ex. qu’il croit en la vitesse de la lumière et en la formule la reliant à la masse qui donne l’énergie. Il se ferme donc d’emblée la possibilité de croire telle que je l’entends c.a.d. d’opter pour une possibilité qui ne peut être prouvée et d’engager sa vie là-dessus. Cela relève pour lui du mythe auquel un esprit scientifique doit renoncer. Il a la plus grande estime pour Jésus le moraliste dont le message devrait nous aider à vaincre notre tendance génétique à l’opposition entre groupes mais souhaite que que nous puissions nous passer de références à la divinité de ce Jésus. Du reste, l’idée de transcendance, de Dieu créateur etc lui paraît incongrue. Il critique ceux qui prétendent en démontrer l’inanité mais elle est hors de son champ d’intérêt. La religion reste utile cependant pour nous soutenir dans nos émotions personnelles et collectives, et pour éclairer nos choix entre le bien et le mal. Elle nous ouvre à un aspect de l’ultime réalité, celui des sentiments. Cette réalité n’est que le monde du connaissable expérimentalement mais nous ne l’approchons que si nous lui accordons toute notre attention. Il refuse d’être traité d’athée, n’est pas heureux de se voir réduit à l’agnosticisme mais paraît prêt à être considéré comme panthéiste. Tout cela est mesuré, digne, respectueux d’autrui mais je suis étonné que la combinaison de l’incertitude et de l’engagement ne lui soit apparue ne fût ce que comme un mode de vie possible.

  13. Cher Abbé,
    Vous avez le courage d’appeler un chat un chat. Je crois en effet que Cristian De Duve a choisi sa mort et le moment de celle-ci en pleine conscience : cela s’appelle un suicide et qu’il soit assisté ou non n’y change rien, sans vouloir manquer de respect à ce grand scientifique qui a perdu Ninon (sa femme) il y a quelques années et il savait que seule sa peinture la maintenue en vie.
    Je m’incline devant ce immense savant, ce grand humaniste que je peux comprendre face à la peur de la déchéance qu’il voulait fuir.
    Quant au reste, vous le développez bien mieux que je ne pourrais le faire et vous en remercie vivement.

  14. Merci pour ce billet. J’ai été vivement frappé par la description que vous faites des « pratiquants non croyants », que j’ai trouvée extrêmement pertinente. Je me demande s’il ne faut pas incriminer une transmission de la foi insuffisamment vertébrée, tant au plan de sa radicalité évangélique que de son contenu intellectuel.

  15. Cette tranche de vie et les commentaires qu’elle suscite me remettent en mémoire un texte lu jadis et souvent médité depuis lors :

     » Que l’homme ne donne pas un contenu prométhéen à son attitude morale, qu’il ne sculpte pas sa statue. Certains veulent faire le bien en donnant à leur conduite valeur d’affirmation de soi. Certes ce qui est bien est bien, et mieux vaut que quelqu’un se conduise correctement! Mais sur le chemin de la conscience morale et de la relation à Dieu, il reste encore un pas énorme à franchir. [ …] Il faut encore que cette perfection recherchée s’inscrive dans l’amour de Celui qui est la source de toute perfection. […] Le méconnaitre, c’est s’enfermer dans sa propre vertu, courte et précaire. L’homme doit faire le bien avec la grâce de Dieu. Mais quand il aurait fait tout le bien possible, il aurait encore un acte suprême à accomplir, qui est la clé de tous les autres : ouvrir la « chambre forte » intérieure qu’il a gardée scellée et fermée, où il se mire en son miroir, et sortir de cette solitude radicale de l’orgueil pour accepter d’entrer en communion avec Celui qui est son vis-à-vis, son origine et sa Béatitude. »

    L’ouvrage dont ce passage est extrait est intitulé « Le choix de Dieu » . Son auteur est Jean-Marie Lustigier. Il répondait ainsi à Dominique Wolton qui lui demandait de préciser sa pensée quand il affirmait que selon la théologie, « nos actes sont méritoires s’ils sont reçus de Dieu ».

    Oui finalement, l’homme advient en choisissant …

  16. Bonjour monsieur l’Abbé,

    Je vous remercie infiniment pour votre commentaire : il m’a été droit au coeur.
    La distinction entre euthanasie passive et active est infiniment subtile mais elle demande, me semble-t-il, un degré de perception difficilement abordable car la frontière se trouve sur le fil du rasoir.
    Les suicides de personnages importants de l’antiquité m’ont vraiment interpellée lorsque j’étais à l’école normale. Et également la distinction entre les stoïciens et les épicuriens. J’ai souvent admiré le courage des stoïciens dans leur choix du suicide notamment. Quel panache !!!
    Aide bénévole auprès des mourants dès l’organisation des soins palliatifs, j’ai vécu des moments intenses auprès de personnes en fin de vie. Ayant connu deux expériences d’Etat proche de la mort, j’ai suivi le parcours d’Elisateth Kubler Ross, la pionnière en ce domaine. C’est à elle que nous devons cet intérêt envers les mourants qui, à une époque pas si éloignée, étaient complètement délaissés. Epoque aussi où l’acharnement thérapeutique était devenu la règle. Certaines personnes qui en avaient les moyens partaient à l’étranger pour pouvoir mourir en paix.
    Enfant, j’ai assisté aux décès, somme toute assez paisibles, de quelques membres de ma famille. Le médecin connaissait parfaitement la manière de s’y prendre et celle de nous apporter du réconfort. Il connaissait aussi les médicaments appropriés pour alléger les derniers moments, sans pour autant en arriver au « suicide assisté ». Bref, il pratiquait sans le savoir ce que l’on appelle « euthanasie passive » qui n’est pas hypocrite du tout n’en déplaise à certains.
    Dans notre famille, peu aisée, l’on se cotisait néanmoins pour acheter une bouteille de champagne afin d’humidifier les lèvres du patient. Des rites que nous avons, hélas, perdus. Le vocabulaire lui-même était apaisant : il passe …. elle prépare son voyage devant certaines attitudes incontrôlées. Ces idées du voyage, du passage …. étaient fortement ancrées dans notre inconscient.
    Mais c’était une époque où la mort faisait partie de la vie et n’était pas occultée.
    Aussi, le simple fait de savoir que l’on utilise un produit « létal » pour nous faire basculer dans la mort peut, véritablement, en effrayer plus d’un. Il suffit de consulter Wikipedia pour en connaître un peu plus sur la signification de ce mot. Brrr.
    Je salue au passage Carine Brochier contactée naguère car je partage également ses convictions en ce qui concerne « la fin de vie dans la dignité ».
    Je viens de vivre récemment le choix d’une euthanasie dite passive et quel réconfort
    pour la personne et sa famille de savoir qu’elle s’est endormie (l’endormissement – la dormition) paisiblement et sans souffrance. La personne avait choisi d’arrêter ces traitements que, finalement, elle ne pouvait plus supporter. Encore jeune, elle avait lutté avec courage …. jusqu’à l’acceptation finale.
    Néanmoins, le choix du Professeur De Duve ne m’a pas laissée indifférente. Je respecte ce choix et je prie pour lui, car je suis triste face au désespoir qu’il a dû connaître et que l’on peut parfaitement comprendre. Notre monde évidemment ne fait que s’enfoncer dans le marasme le plus complet et l’avenir s’assombrit de plus en plus. Mais le siècle passé était-il un exemple de quiétude ?
    .
    Aussi, gardons, malgré tout, courage et espérance.

    Bonne fin de journée à tous.

  17. Cher Eric,

    J’ai pris connaissance de ton opinion sur la vie et le décès de Christian de Duve et je t’en remercie.

    Permets moi de dire 3 choses :

    1.- Soyons très prudent à donner une opinion ou un jugement devant l’euthanasie demandé par Christian de Duve. Il vaut mieux tacher de comprendre plutôt que de juger.

    2.- Nous avons tous une identité à la base de notre personnalité, de notre manière de penser, d’agir et de comprendre le monde.

    3.- Christian de Duve était un scientifique pur et dur, à la pointe de la recherche fondamentale, il recherchait l’excellence, d’une rigueur soutenue jusqu’à ses 95 ans et surtout pendant une période ou la biologie, la génétique, la biochimie, grâce à des technologies de pointe ont progressé d’une manière exponentielle. Remettons ce grand savant dans le cadre de son époque et tachons de comprendre son identité, laquelle explique clairement ses attitudes.

    Bien amicalement.

    Henry Willaert
    Médecin

    1. Cher Henry,
      Merci pour cette réaction.
      Crois bien que je m’efforce à ne jamais juger l’homme et que je prie pour lui.
      Le Christ a dit: « Ne juge pas et tu ne seras pas jugé ».
      Mais, cela n’empêche pas de donner un avis sur une situation objective.
      Le premier qui le faisait dans les débats… c’était Christian de Duve, lui-même.
      J’en ai fait l’expérience lors de notre récent débat devant des médecins.
      Bien à toi,
      Eric

  18. Monsieur l’abbé,

    Comme chez de nombreux scientifiques honnêtes, la démarche philosophique du Professeur de Duve aboutit à la conclusion qu’il n’existe pas de dieu dans notre univers.

    Cette conviction n’exclut en rien la pratique d’une spiritualité vivante, qui n’est pas l’apanage des croyants en une religion.

    Dans cette optique, il est regrettable que des représentants du monde catholique tentent de récupérer à leur profit le message philosophique que nous laisse le Pr de Duve.

    Y compris, comme Sénèque, le droit que possède tout homme de mettre fin à ses jours quand il le juge bon.

    1. MERCI DE CE COMMENTAIRE. J’Y REPONDS:
      Comme chez de nombreux scientifiques honnêtes, la démarche philosophique du Professeur de Duve aboutit à la conclusion qu’il n’existe pas de dieu dans notre univers. OUI ET, CHEZ D’AUTRES, CELA CONDUIT A LA FOI RELIGIEUSE.
      Cette conviction n’exclut en rien la pratique d’une spiritualité vivante, qui n’est pas l’apanage des croyants en une religion. JE N’AI JAMAIS DIT LE CONTRAIRE…
      Dans cette optique, il est regrettable que des représentants du monde catholique tentent de récupérer à leur profit le message philosophique que nous laisse le Pr de Duve. CE N’EST CERTAINEMENT PAS MON CAS. JE DONNE UN COMMENTAIRE CRITIQUE, COMME IL LE FIT A MON EGARD UN MOIS PLUS TOT. CECI N’EMPECHE PAS LE RESPECT MUTUEL.

  19. Cher Eric,

    Lorsque vous vous demandez si la culture chrétienne qui a bercé l’enfance de la génération de Monsieur de Duve aurait pu infantiliser celle-ci ; sauf votre respect, il me semble que ce n’est pas tant cette culture que le catholicisme lui-même qui, de par « sa vision caricaturale et sa méconnaissance massive de la révélation chrétienne », est venu à bout de sa confiance en l’Eglise et, plus grave encore : de sa confiance en Dieu.

    Notez que je ne jette pas la pierre qu’à l’Eglise Catholique Romaine , mais également à l’ensemble des religions dont la ligne de conduite consiste principalement à infantiliser les fidèles afin de les soumettre : non pas à Dieu, mais à ses prétendus représentants. Cela engendre de plus en plus souvent chez ceux qui se remettent en question, des réactions excessives comparables à celle de Monsieur de Duve qui avouait pourtant avoir été sensible, à ses tout débuts, à la doctrine du « vitalisme ». Il nous confie dans ses mémoires que : « Bouckaert était un mécaniste convaincu, pour qui la science, y compris la biologie, avait pour but d’essayer d’expliquer les faits en termes strictement naturels de physique et de chimie, sans faire appel à des entités immatérielles telles que «  le souffle de vie » qui, selon l’école dite des vitalistes, « anime la matière » dans les êtres vivants. »… « Enthousiasmé par mes lectures ,  j’avais commis un « essais sur la vie », dans lequel je n’ hésitais pas à parler avec vénération d’une mystérieuse «  force vitale » et que j’ai soumis à Bouckaert avec le secret espoir d’être complimenté. L’éclat de rire avec lequel il a accueilli mes élucubrations et la critique impitoyable qu’il en a faite au cours d’un goûter sont restés dans ma mémoire. Depuis lors, j’ai adopté le mécanisme inconditionnel de mon Maître,… ». Un peu plus loin, Monsieur de Duve décrit ses recherches comme étant menées « en toute objectivité et sans idée préconçue » ! A mon sens, ce genre de comportement porte un nom que je vous laisse le soin de deviner…

    Concernant ce pauvre homme devant l’Eternel, que j’ai croisé, juste le temps d’un petit différend devant la maison d’ Erasme vers 1990, son sort est à présent entre les mains de notre Créateur…, mais il existe malgré tout des scientifiques tels que Commoner, né la même année que de Duve et qui nous a quitté en 2012 , bien plus objectifs et moins frustrés par une quelconque religion, qui soutiennent qu’ à l’intérieur de la cellule, divers facteurs échappant aux dogmes de la biologie moléculaire font qu’une même séquence d’ ADN constituant un gène peut être à l’origine de plusieurs protéines différentes. Selon eux, il faut également renoncer à la vision mécaniste simpliste selon laquelle l’ ADN serait à l’origine de la vie. Dans l’état actuel des connaissances, conclut Barry Commoner, il faut plutôt soutenir que c’est la cellule qui, pour assurer sa reproduction, a créé l’ ADN.

    Cette façon de voir est l’équivalent, au niveau de la cellule, de l’hypothèse Gaïa au niveau de la biosphère. De même que c’est la vie qui a créé les gaz de l’ atmosphère et les maintient en équilibre, c’est la vie qui a créé les molécules d’ ADN. Ne serait-ce pas là un retour au vitalisme ?

    Jean Snaps

  20. A force d’abnégation de et sur soi-même, on finit par ne plus savoir ce que l’on aime, ce que l’on vit, ce que l’on ressent. Il me semble qu’une forme de dématérialisation intérieure peut parfois survenir, probablement pour se débarrasser de son orgueil et de ses frustrations. Cela peut être dangereux car cette dématérialisation conduit à une absence de plaisir et à un sentiment destructeur qui peut se retourner contre soi. Je ne vois pas par quel autre chemin l’essence de soi-même disparaît ou se révolte au point de conduire au suicide.
    La suprême abnégation de soi est la voie royale de l’euthanasie ou du suicide. Sans porter de jugement, la nouvelle de la mort du Professeur de Duve, ce 4 mai, m’a attristé profondément. Il a été un phare dans mes études et ma vie.
    Est-ce notre époque tumultueuse et tueuse qui a bouleversé l’échelle des valeurs ? Où sont nos vraies valeurs ? Peut-on décemment laisser quelqu’un s’euthanasier sous le prétexte de ne plus avoir la force de supporter la vie ?
    Serait-ce l’impuissance face aux douleurs terminales ou face à la déchéance terminale qui peut conduire à réclamer l’euthanasie ?
    Serait-ce le sentiment d’abandon de ce siècle technologiquement confortable et humainement inconfortable ?
    Serait-ce le sentiment d’avoir accompli une existence remplie à ras bord et de ne pouvoir plus compter sur cette énergie exceptionnelle de tant d’années vécues ?
    Tous les matins, le Professeur de Duve s’adonnait à la natation. Et un matin d’avril, il avait eu un gros malaise et il était resté toute la nuit plaqué au sol, sans pouvoir se relever.
    L’énergie finirait-elle par manquer ? Mourir seul sans être entouré des siens ? Autant de questions qui ont certainement cogné dans sa tête et qui ont orienté sa décision et sa réflexion. Réflexion qu’il a entretenue toute sa vie durant. Son parcours philosophico-religieux en a été bouleversé à plusieurs reprises. D’une vision catholique avec l’acceptation d’un Être Immanent suivi d’une phase agnostique très longue, il débouche sur un antithéisme pur : « Je n’ai pas peur de l’après car je ne crois pas. Lorsque je disparaîtrai, il ne restera rien « . Pourquoi tant de pessimisme ? Cet antithéisme débouche sur un vide. Pour ma part, Monsieur l’Abbé Éric de Beukelaer, c’est plutôt l’inverse : plus je comprends les mécanismes complexes de la cellule, plus je tiens à la Vie et plus je crois en cet Immanence Suprême dont il est difficile d’appréhender le sens et la signification … car notre esprit n’est pas à même de le faire et ne se trouve pas dans la même dimension. Si, Monsieur le Professeur de Duve, il restera pourtant quelque chose : d’une part, votre œuvre scientifique et philosophique dans le souvenir et le témoignage de tous ceux qui, scientifiques ou pas, vous admiraient (et je fais partie de ses fervents admirateurs), d’autre part, votre œuvre génitrice par vos deux filles et deux garçons qui vous ont accompagné dans votre destin final, ainsi que par les petits-enfants puis les arrières petits-enfants, etc … La Vie.
    La Vie, en somme, miracle dans l’Univers, que vous avez prêché de préserver au sens large du terme. Même si la vie vous avait gâté avec vos 95 ans, vous avez estimé en âme et conscience : « Je dois partir maintenant « . Respectons cette décision d’homme libre qui a voulu s’en aller dans la dignité, entouré par les siens. Sans avoir oublié pour autant de nous mettre en garde contre la folie du monde et de recommander la voie de la Sagesse. Dans le Paris-Match du 8 mai, il est cité : « Je suis ébloui par le passé que j’ai vécu et effrayé par l’avenir (…). Si cela continue comme ça, ce sera l’apocalypse, la fin « . Là est votre vrai message : il nous reste donc à découvrir la voie de la Sagesse pour laquelle aucun Prix Nobel ne sera assez gratifiant …
    Doc => voir l’entièreté de l’article sur le site web : actualités : « Hommage au Professeur de DUVE »

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