« Jeu collectif » – 23° dimanche, Année A

« Si ton frère a commis un péché, va lui parler » (Mt 18, 15-20)

Si le christianisme était un sport, il serait un sport collectif. C’est ensemble que les baptisés vivent du Christ et non pas chacun dans son coin – jouant à qui sera le meilleur chrétien de la classe. Ainsi, la parole que Dieu adresse au prophète Ezéchiel (1° lecture) : « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur ».

En ce début de XXIe siècle, les progrès de la société n’ont pas libéré l’homme de sa conscience. Les mêmes questions qu’à l’époque d’Ezéchiel résonnent dans les cœurs : « Quel est le sens de l’existence ? Comment réussir sa vie ? Quel est le secret du bonheur ? » Les disciples du Christ se doivent donc d’être des « guetteurs » – des femmes et hommes capables de saisir l’enjeu spirituel des choses, d’avertir des impasses, d’inviter à une « conversion » – c’est-à-dire à un retournement de perspective.

« Si ton frère a commis un péché, va lui parler », enseigne l’Evangile. Mais attention à la caricature. Sans l’Esprit, le « guetteur » devient vite une éternelle belle-mère, un insupportable donneur de leçons,…. Vous savez, ces braves personnes qui ont à la bouche en toute circonstance, une parole assassine du genre : « Je te l’avais bien dit… » D’où l’avertissement de saint Paul dans son épitre aux Romains (2° lecture) : « L’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour ».

Soyons des guetteurs de l’amour. Mettons-nous à l’école de l’Esprit. En ce temps de rentrée scolaire, voilà bien une école ouverte tous les jours et à tous les âges. Une école de la réussite – où les baptisés restent élèves à vie.

« Qui perd gagne » – 22° dimanche, Année A

« Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de Moi la gardera ». (Matt 16, 21-27)

En ce temps de rentrée scolaire, il est bon d’inviter nos têtes blondes à viser l’excellence académique. En effet, tous nous avons reçu une intelligence du Créateur. Il s’agit donc de la développer – chacun à notre mesure – afin de prendre notre place dans la société. Mais, malheur à nous, si nous enseignons à nos gosses que dans la vie, le but est de « gagner » – et tant pis pour les autres. Celui qui transmet cela, éduque son enfant à devenir un éternel envieux. Et l’envie – tel un feu – lui consumera le cœur et brûlera tous ceux qui s’approchent. Tel est l’antique sagesse que Christ rappelle : Ce qui a le plus de prix dans la vie d’un homme – l’amour, l’amitié, l’honneur, le bonheur, le respect,… – ne s’achète pas. C’est gratuit. Cela n’a donc pas de prix. Et pour le recevoir, il faut donner – se donner. En amour – qui perd, gagne. « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais qui perd sa vie à cause de Moi la gardera ».

Tolkien, le théologien

En ce jour du 50 e anniversaire du décès de John RR Tolkien (1892-1973),  j’aimerais partager ce témoignage: j’ai lu la trilogie des « compagnons de l’anneau » bien avant la sortie des films. Je les ai dévorés et j’étais fasciné par la dimension théologique de l’ouvrage. Je pensais qu’il s’agissait d’une projection de ma part d’y voir un message chrétien, avant de me renseigner et d’apprendre qu’il en était bien ainsi. Tolkien était un catholique fervent, qui ne fit pas mystère de la visée religieuse de son roman.
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Selon moi, « les compagnons de l’anneau » est une des oeuvres théologiques les plus importantes du XXe siècle :
L’Anneau du pouvoir absolu a été retrouvé. Fabriqué quelques millénaires plus tôt par Sauron, maître des ténèbres, il lui assura la domination sur toute créature, jusqu’au jour où le roi Isildur réussit à le lui arracher du doigt. Mais les hommes sont faibles et le roi succomba aux charmes de l’Anneau. Au lieu de le détruire dans les gorges de la montagne de feu, il voulut le garder pour lui et périt dans une embuscade tendue par son entourage, qui convoitait un tel trésor. Lors de l’attaque, l’Anneau tomba dans les eaux profondes d’un fleuve et disparut. Il se fit oublier. Le monde en perdit la mémoire et – privé de tout pouvoir – le maître des ténèbres, lui-même, devint une légende. 
Un beau jour pourtant, l’Anneau fut retrouvé par hasard et sa présence maléfique réveilla l’œil noir de Sauron. Fort heureusement, le bijou était tombé entre les mains d’une créature naturellement dépourvue d’ambition, un hobbit, sorte de demi-homme aux mœurs  agraires.
C’est ainsi que le jeune hobbit Frodo se retrouva porteur de l’anneau, escorté pour sa sécurité par l’élite des guerriers – elfes, sorciers, hommes et nains – ceux qu’on appelle « les compagnons de l’anneau ». Au sein de ce groupe, l’orage gronde en permanence, car l’Anneau attise les convoitises. La tentation est grande pour ces hommes valeureux de s’emparer de cette arme de domination, afin de vaincre Sauron une fois pour toute.
La sagesse du sorcier Gandalf démasque un tel piège. Si une créature de lumière devenait à son tour Seigneur de l’Anneau, ce serait une calamité plus grande encore que la victoire finale de Sauron. En effet, cela signifierait que le Bien s’est laissé corrompre par l’Anneau du pouvoir. Un Seigneur de lumière serait un tyran bien plus à craindre que le maître des ténèbres, car il imposerait la vertu par la force. Avec lui, le Bien deviendrait esclave du pouvoir et sous le masque de la Vertu, c’est l’Anneau qui se soumettrait jusqu’aux forces de lumières.
Non – clame Gandalf – l’Anneau doit être détruit. De par l’humilité de sa condition naturelle et grâce à la pureté de ses intentions, seul Frodo le Hobbit peut en avoir la garde, sans être totalement dévoré par son pouvoir de séduction. Il devra se rendre aux gorges de la montagne de feu, situées au cœur même du royaume de Sauron, afin d’y détruire l’Anneau. Frodo accepte cette folie, bien conscient que la magie noire du bijou maudit est néanmoins en train de le corrompre et que, en acceptant sa mission, il marche vers le sacrifice…    
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Par son conte fantastique, Tolkien dévoile le cœur de l’épopée chrétienne : l’Anneau du pouvoir ne peut être que détruit. Aucun saint et pas même Dieu ne peuvent s’en emparer pour guérir notre monde du pouvoir des ténèbres. Si le Bien se mettait à combattre le Mal avec les armes de ce dernier, il se renierait. Même victorieux, il aurait tout perdu, car la victoire du Bien ne serait que le masque cachant le triomphe définitif du Mal.
Oui, l’Anneau du pouvoir ne peut être que détruit. Un dieu qui combattrait le Mal avec les armes du pouvoir, tomberait dans un piège diabolique. Il emporterait évidemment la victoire (qui donc peut résister à Dieu ?), mais le ferait en s’inféodant à la logique perverse de l’Adversaire. Ecrasé, l’esprit d’injustice et de mensonge serait définitivement vainqueur, car il aurait parasité le cœur même de Celui qui seul est Saint. Ce serait là une sorte d’anti-rédemption, œuvre d’un antéchrist.
Mais non ! Dieu est Dieu. L’épopée chrétienne révèle un Dieu qui prend le Mal à son propre piège. Le Dieu des chrétiens assume l’humble condition charnelle, car seulement ainsi peut-il détruire l’Anneau du pouvoir. Il marche les mains nues à la rencontre des Ténèbres, afin que celles-ci se saisissent de lui et l’étouffent de leur noire pesanteur. Il se laisse anéantir par elles – mais non pas corrompre – et plante de la sorte l’Amour au cœur du Mal, la Lumière au cœur des Ténèbres.

« Le roc et la pierre du scandale » – 21° dimanche, Année A

 « Ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. (Matthieu 16, 13-20)

Jésus pose à ses disciples la question capitale : « Pour vous qui suis-je ? » « Tu es le Messie. Le Fils du Dieu vivant », répond sans hésiter l’apôtre Simon. Jésus reconnaît ici la voix de l’Esprit et déclare : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais c’est mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église ».

Mais il y a la suite – ce sera l’Evangile de dimanche prochain (versets 21-23) : « Dès lors Jésus commença à faire connaître à ses disciples qu’il fallait qu’il allât à Jérusalem, qu’il souffrît beaucoup de la part des anciens, des principaux sacrificateurs et des scribes, qu’il fût mis à mort, et qu’il ressuscitât le troisième jour. Pierre, l’ayant pris à part, se mit à le reprendre, et dit : A Dieu ne plaise, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas. Mais Jésus, se retournant, dit à Pierre : Arrière de moi, Satan ! tu m’es en scandale ; car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes. »

Le drame de Pierre est celui de toute l’Eglise : quand les baptisés écoutent la voie de l’Esprit, ils deviennent des rocs – à la suite de l’apôtre Pierre et de ses successeurs à Rome. Mais chaque fois que leurs peurs prennent le dessus – ils deviennent des « scandales », ce qui signifie littéralement « des pierres qui font trébucher le long du chemin ».

Notre-Dame de la perpétuelle prière – La Libre p.33

En ce 14 août, veille de l’Assomptions, est parue ma chronique mensuelle dans le quotidien La Libre.
Pour la lire, cliquez sur: « Notre-Dame de la perpétuelle prière ». (Chronique rebaptisée par la rédaction: « Pourquoi le 15 août reste-t-il si populaire? »)
Merci à La Libre de m’offrir cet espace d’expression.

«  Lumière d’En-Haut » –  Transfiguration –  18° dimanche, Année A

 « Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière » (Matthieu 17, 1-9)

Transfiguration – c’est le contraire de défiguration. Le péché – défigure. Il suffit d’observer les « tronches » de personnes qui sont submergées par la haine.  L’amour, le pardon, la bienveillance,… – transfigurent. Regardez une photo de Mère Térésa de Calcutta : son regard est comme un brasier qui nous révèle le meilleur de nous-mêmes.

La transfiguration de Jésus sur la montagne, c’est l’expérience de l’infinie puissance d’amour de Dieu qui s’exprime à travers Lui. Difficile de décrire ce que les trois apôtres ont vu, mais ils ont ressenti leur Maître comme rayonnant d’une Lumière d’En-Haut. A ses côtés – Moïse, qui donna la loi, et Elie, modèle des prophètes. Les disciples pressentent donc que le Christ récapitule la loi et les prophètes et, dès lors, toute l’histoire sainte d’Israël. « Dressons trois tentes », dit Pierre. Ils ont envie de rester dans cet état d’extase et de bien-être.

Mais non, il faut redescendre de la montagne et poursuivre sa route. Une expérience de transfiguration est faite pour nous nourrir spirituellement et nous fortifier. Pas pour nous retirer du monde. Poursuivons donc notre chemin de Carême.

In memoriam Sinéad O’Connor – Ballade mélancolique de l’âme irlandaise

Depuis quelques jours, la voix rayée de Sinéad O’Connor me trotte dans la tête. Celle qui vient de quitter ce monde, est une des grandes artistes de ma génération. ’Nothing compares 2 U’… Le chant d’amour assez passe-partout de l’américain Prince, prenait avec elle une coloration unique, faisant vibrer chacune des paroles au son d’une mélodie recréée. 
Il en allait de même quand elle interprétait une traditionnelle ballade irlandaise. Même le populaire et quelque peu lourdingue ‘Molly Malone’, prenait avec elle un ton empreint d’une émotion aussi sincère que profonde. Celle des plaines et lacs d’Irlande. Celle de la complainte d’un peuple fier, qui a souffert et résisté. Tellement, qu’il ne sait trop que faire de sa liberté conquise et relative opulence. Un peuple bon, mais aux rapports durs.
Sinéad O’Connor incarnait une part de cette mélancolie irlandaise. Elle reçut l’éducation catholique stricte de sa génération et, comme une bonne part de ses congénères, passa sa vie à vouloir s’en détacher. L’image aimée et honnie de sa mère, était indissociablement liée à cette Eglise qu’elle rejetait sans pouvoir en faire le deuil. 
Sa quête spirituelle l’amena à d’abord recevoir une « ordination » dans une communauté chrétienne dissidente et puis à prendre le contre-pied de son féminisme, en s’identifiant à un islam identitaire, sous le nom de « Shuhada ».
Maintenant, elle sait. Et ce, en communion avec les défunts qu’elle aimait, dont son fils Shane. A Dieu, Sinéad. ’Nothing compares to you…’

« Là où est ton trésor, là sera ton cœur » – 17° dimanche, Année A

 « Ayant trouvé une perle de grande valeur, il vend tout ce qu’il possède, et il achète la perle». (Matthieu 13, 44-52)

La parabole du trésor dans le champ et celle de la perle rare, sont des illustrations de la conversion. L’homme ou la femme qui fait l’expérience spirituelle du Christ, comprend intérieurement que tout le reste n’aura de la valeur qu’en fonction de l’unique nécessaire. A la manière du jeune amoureux qui abandonne le confort de la vie célibataire pour sa belle, le disciple du Christ change de vie – non par devoir – mais par désir. Comme l’écrira quatre siècles plus tard saint Augustin : « Donne-moi quelqu’un qui aime et il sentira la vérité de ce que je dis. Donne-moi un homme tourmenté par le désir, donne-moi un homme passionné, donne-moi un homme en marche dans ce désert et qui a soif, qui soupire après la source de l’éternelle patrie, donne-moi un tel homme, il saura ce que je veux dire. »

La parabole du filet plein de poisson, que l’on trie sur le rivage – explique que le chrétien est ensuite invité à faire un tri dans sa vie pour choisir ses priorités : Qu’est-ce qui est au service de l’Evangile et qu’est-ce qui m’en détourne ?  « C’est ainsi que tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux, est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l’ancien ».

« La confiance du Semeur » – 15° dimanche, Année A

«Voici que le semeur est sorti pour semer…». (Matthieu 13, 1-23)

Nous connaissons tous l’explication de la parabole du semeur, telle qu’elle se trouve en l’évangile selon saint Matthieu. Elle est juste et judicieuse, mais sans doute ne date-t-elle pas de Jésus, mais bien de l’époque de la rédaction de l’évangile – quelque quarante années plus tard. Il s’agissait alors d’encourager la jeune Eglise, faisant face aux premières persécutions : « Soyez comme une bonne terre ! Ne vous découragez pas et ne laissez pas les soucis du monde, vous détourner de l’Evangile. » Voilà un message d’encouragement, qui invite à être une « bonne terre, qui accueille la semence ».

Quand Jésus raconte la parabole, le contexte est cependant différent. Il est suivi par des jeunes disciples, qui croient qu’Il est le Messie et comprennent d’autant moins que « rien ne bouge ». Ils le harcèlent donc de questions : « Quand vas-tu prendre le pouvoir ? Chasser les Romains ?  Rétablir un culte juste et la place du royaume d’Israël face aux nations ? » Face à tant d’impatience, Jésus répond : « Mon Père – lui – ne raisonne pas comme vous : Il sème Sa parole à tous vents. Pour les bons comme pour les méchants. Il sait qu’une partie de la semence ne germera pas. Mais Il garde confiance. Celle qui tombera en terre et portera du fruit, rapportera au centuple. » Ici, l’accent de la parabole est mis sur la confiance – un message qui murmure à notre âme : Tel le Père, soyons des semeurs d’amour et d’Evangile à tous vents – auprès des bons, comme des méchants.