« Les sentinelles de la crèche » – 1er dimanche de l’Avent, Année B

« Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez ! » (Marc 13, 33-37)

Avec le temps de l’Avent, s’ouvre une nouvelle année liturgique : nous quittons l’année durant laquelle l’Evangile selon Saint Matthieu fut lu chaque dimanche à l’église et entrons dans l’année consacrée à Saint Marc.

Plus immédiatement, l’Avent est le temps de quatre semaines qui nous prépare à la Nativité. Alors que la devanture de tant de magasins se met aux couleurs de la fête, l’Eglise nous propose de préparer nos cœurs à la venue de l’Enfant de la crèche. Ce serait dommage qu’arrivé le temps de la Messe de minuit, nous nous disions soudainement – comme surpris : « déjà Noël ! » Un mois nous est donné, afin d’apprêter la crèche de nos cœurs à recevoir le Divin Enfant. C’est tout le symbole des couronnes de l’Avent qui ornent nos églises et – je vous y invite – également nos maisons : à chaque semaine, la lumière qui jaillit de la couronne augmente. De même, nous sommes appelés à devenir chaque semaine davantage lumineux de Noël.

L’Avent nous invite à nous ressaisir, afin que l’esprit de Noël ne se vive pas qu’une petite journée par an. Alors, soyons des sentinelles de la crèche. Il vient l’Enfant qui porte l’Amour au monde. Ne le ratons pas, parce que notre cœur somnole.  «Ce que je vous dis là, je le dis à tous : Veillez !» (Marc 13, 33-37)

« Malheureux vous les riches » (Luc 6, 24)

Je me suis intéressé à une dépêche de presse RTL, tombée ce jour : l’an dernier, le milliardaire Karl Rabeder a annoncé qu’il allait renoncer à sa fortune. En effet, M. Rabeder aurait réalisé que le luxe ne le rendait pas heureux. L’Autrichien s’est donc séparé de sa maison et de son entreprise dans l’espoir de vivre le réel bonheur. Par ailleurs, il a versé l’argent récolté par la vente de ses biens à une société de micro-crédit qu’il avait créée et qui aide les populations du tiers monde à survivre ou à réaliser leurs projets. Le milliardaire s’est habitué à une vie trop confortable, le poussant à acheter des biens sans cesse et dont il n’avait pas besoin. Lors d’un voyage à Hawaï, Karl Rabeder a eu une révélation. Tout lui a soudainement paru faux: « Le personnel jouait le rôle de personnes amicales, les autres vacanciers jouaient le rôle de personnages importants et personne n’était réel« . Lors de certains voyages, Karl Rabeder a également ressenti un sentiment de culpabilité. C’est le fait de visiter des régions pauvres et d’être confronté à une réalité difficile qui l’a poussé à mettre ses biens en vente au profit des autres. Aujourd’hui, l’homme vit dans une petite maison en bois et se dit plus heureux que jamais. M. Rabeder a expliqué que « si dans un premier temps l’argent peut rendre heureux parce qu’il apporte une vraie liberté, une fois passé le bonheur du changement, on se rend compte que tout n’est qu’illusion« . Même s’il s’est reconverti, M. Rabeder est un ex-homme d’affaires et sait comment faire de l’argent. Avec ses activités actuelles de coach personnel et conférencier, il gagne encore très bien sa vie, mais ne conserve que 1.000€ pour lui. Le reste, il le verserait à la société de micro-crédit qu’il a créée.

Voilà une parabole des temps modernes. Quand il prononce son sévère « malheureux vous les riches » (Luc 6,24), le Christ ne condamne pas la création de richesse par des entrepreneurs plus créatifs et travailleurs que la moyenne de la population. Non, le Fils de l’homme dénonce le fait de rester prisonnier du besoin d’amasser des fortunes sidérales. La recherche frénétique de lucre apaise les angoisses de manque et flatte la vanité par des produits de luxe. Mais le cœur de l’homme n’en est pas nourri. Surtout quand la richesse se vit dans un océan de misère. Quel confort de vie possède l’homme qui doit se réfugier derrière des barrières et se protéger de son prochain affamé par des gardes armés ? A méditer dans les années de crise économique aiguë qui s’annoncent. « Malheureux vous les riches »…

Evidemment, nous ne sommes pas tous des François d’Assise, mais heureux l’homme nanti qui a découvert la joie du partage et de l’authentique redistribution. Une sagesse populaire dit que les chrétiens ont souvent le cœur à gauche, mais le portefeuille à droite. Ils aiment les généreuses idées, mais protègent avec zèle leur pouvoir d’achat. Je me reconnais volontiers dans cette boutade. En fait, c’est le contraire qu’il faut faire advenir : un chrétien se doit d’avoir le cœur à droite, mais le portefeuille à gauche. Il est bon qu’il défende les bonnes vieilles valeurs traditionnelles – du travail bien fait, du respect de l’autre, du sens du devoir – mais que si la vie lui donne l’aisance matérielle, il trouve tout naturel de partager pour en faire profiter son prochain. Non pas « pour gagner son paradis », mais afin de trouver joie et bonheur dès ici-bas… Vous ne comprenez toujours pas ? Demandez à Monsieur Rabeder.

« Le Roi crucifié » – Dimanche du Christ-Roi, 34e dimanche, Année A (Matthieu 25, 31-46)

«Chaque fois que vous l’avez fait à un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait» (Matthieu 25, 31-46)

En ce dernier dimanche de l’année liturgique – dimanche du Christ-Roi – l’Evangile nous fait réfléchir sur ce qu’on appelle communément « le jugement dernier ». Des générations entières ont eu l’imagination marquée par les représentations de jugement dernier sculptées sur les portails de nos cathédrales: le Christ-Roi y trône en majesté.

Mais cette représentation-là ne correspond pas pleinement à celle de l’Evangile. Dans l’Evangile, le Christ est un roi dont la seule couronne est d’épine et l’unique trône, le bois d’une croix. Un roi humilié. Un roi crucifié. Un roi qui se fait le frère de tous les laissés-pour-compte de l’histoire. Telle est donc l’unique question que ce Roi nous posera lors du jugement dernier : quand tu as croisé la route de ce pauvre type, nu, malade, prisonnier, affamé… L’as-tu servi comme un Roi? Si tu l’as méprisé, comment pourrais-tu me reconnaître comme ton Roi ?  Regarde-moi : je suis nu, malade et prisonnier. «Chaque fois que tu as fait du bien à un de ces petits qui sont mes frères, c’est donc à moi que tu l’as fait»

 

Le Vatican face à Benetton

Je pense que le Vatican a raison de réagir (lire ci-dessous) face à la campagne « Benetton ». Je sais bien qu’il existe des choses plus graves sur cette terre. Je me rends également compte que celui qui réagit, tombe droit dans le piège de la provocation recherchée par le provocateur en amplifiant le « buzz » médiatique. Mais il y a un discernement à avoir.

A l’époque où j’étais porte-parole des évêques, je n’ai jamais voulu entreprendre d’actions légales contre des caricatures faites à des fins « humoristiques » ou « artistiques » – même quand elles étaient de très mauvais goût. En effet, je suis opposé à toute législation sur le blasphème et la liberté de l’artiste doit être respectée – tant qu’elle reste dans les limites de la légalité. Comme le rappelait Mgr Léonard à Matin Première (RTBF-radio), une religion solide doit se situer au-dessus de la provocation. Cela n’empêche pas de manifester pacifiquement que l’on est blessé. Mais – par un curieux retournement d’opinion – celui qui proteste agressivement, endossera le rôle d’agresseur et sera donc médiatiquement perdant. Donc, mieux vaut garder calme, sérénité et hauteur… à l’exemple du Christ.

Par contre, quand la provocation est faite à des fins commerciales, il n’y a pas à hésiter. Une religion n’a pas à servir « d’homme sandwich » pour nourrir de bas intérêts commerciaux. Pour cette raison, j’avais, en son temps, réagi avec succès contre une campagne « Plug TV » mettant en scène un Jésus de pacotille. Et le public avait compris. Ici, le Vatican fait de même contre Benetton. Sans s’énerver, mais avec détermination. J’espère que l’opinion publique comprendra et ne se fera pas prendre en otage d’une simple campagne publicitaire qui cherche à faire… du fric.

MANIPULATION DE L’IMAGE DU PAPE
CITE DU VATICAN, 17 NOV 2011 (VIS). Hier après-midi, le P.Federico Lombardi, SJ, Directeur de la Salle-de-Presse du Saint-Siège, a vigoureusement « protesté contre une campagne publicitaire commerciale (Italie), manipulant l’image du Pape de manière inacceptable. Il s’agit d’un grave manque de respect envers le Saint-Père et d’une offense à la sensibilité des fidèles, prouvant combien la publicité peut violer les règles élémentaires de la décence due à chacun aux fins d’attirer l’attention par le biais de la provocation. La Secrétairerie d’Etat étudie les démarches appropriées pour que soit garanti le respect du Pape et de son image ».

Aujourd’hui, en début d’après-midi, la Secrétairerie d’Etat a diffusé le communiqué suivant: « La Secrétairerie d’Etat a chargé ses avocats d’entreprendre en Italie et hors d’Italie les démarches nécessaires pour bloquer la circulation, y compris médiatique, du photomontage utilisant l’image du Saint-Père. Cette publicité commerciale Benetton constitue une atteinte à la dignité du Pape et de l’Eglise catholique, ainsi qu’une offense à la sensibilité des fidèles ».


Etat d’âme – le père Noël est sur la paille

(Billet paru cette semaine dans l’hebdomadaire « Dimanche »)

La presse nous l’apprend : victime de la crise financière internationale, le père Noël est fauché. Papa Noël – qui comme chacun le sait, habite au Groenland – n’a plus le sou. Son principal sponsor, l’office de tourisme de la capitale du Groenland, est au bord de la faillite. Les courriers envoyés par des milliers d’enfants depuis le monde entier, arrivent toujours dans la boîte-aux-lettres géante et rouge – celle qui trône fièrement sur le port de Nuuk, capitale du Groenland – mais ils resteront cette année sans réponse. Même son site www.santaclaus.gl est fermé, faute de moyens.

Si la nouvelle semble bénigne par rapport aux drames humains causés par la récession, elle dit quelque chose du vent arctique qui souffle sur nos économies. Et cependant, le retour de fortune du sympathique bonhomme rouge peut également nous faire réfléchir. A quelques semaines de Noël, le père Noël est sur la paille. Curieux ça, quand on pense que – depuis deux millénaires – une Autre s’y trouve et l’y attend. Là, sur la paille. Nu. Sans office de tourisme, ni service postal ou site web. Peut-être que la mésaventure du père Noël lui ouvrira les portes d’une nouvelle vie. Au lieu de devoir trainer comme chaque année dans les centres commerciaux entre parents nerveux et enfants gâtés, il passera Noël sur la paille de la crèche. Là où tout a commencé. Là où tout allait être renouvelé. Comme l’écrivait Charles Péguy en 1913 sur l’Enfant qui l’invite à le rejoindre: « Il allait hériter d’un monde déjà fait, Et pourtant il allait tout jeune le refaire ». Alors, sainte fête de Noël, Père Noël ! Sans doute que ce Noël-ci sera pour vous moins confortable, mais – qui sait ? – peut-être aussi n’en sera-t-il que plus authentique.

Blog: bilan du mois d’octobre

Ce blog a été ouvert le 11 mars 2011. En mars, il recevait 1467 visites et 2383 pages avaient été vues. Du 3 avril au 3 mai, il recevait 3689 visites et 5483 pages étaient visionnées ; du 1er mai au 31 mai 3322 visites et 5626 pages visionnées. Du 1er juin au 31 juin, le blog a reçu 3464 visites et 5721 pages furent visionnées. La fréquentation baissa durant les vacances, car le blog – aussi – pris du repos. Pour le mois de septembre 4423 visites sont enregistrées et 6683 pages sont visionnées. Petite baisse de régime en octobre avec 3027 visites pour 4689 pages visionnées. Il est vrai que j’écris moins souvent.

Le lectorat reste majoritairement belge (2715 visites). La France suit avec 170 visites. Plus d’un mois après sa publication, l’article le plus fréquenté reste « In Memoriam Philippe Grollet » avec 424 visites. Suit ensuite « S’aimer soi-même – vaste programme » avec 223 visites.

Merci aux lecteurs et suite au mois prochain.

Les catholiques belges et la franc-maçonnerie – une préface

Jeudi dernier, le quotidien « La Libre » et l’hebdomadaire « Le Vif » ont présenté le dernier livre du professeur (ULB) Hervé Hasquin: « Les catholiques belges et la franc-maçonnerie » (éd. Avant-Propos).  L’auteur me fit l’honneur de me demander d’en rédiger la préface, à côté de l’excellent journaliste (RTBF – radio) et maçon Eddy Caekelberghs. L’article de La Libre souligna que ma préface appelait au dialogue. Le Vif mit en exergue que je signalais que des différences persistaient entre Catholicisme et Maçonnerie.  Les deux affirmations sont exactes. J’ai tenté dans cette préface de donner – aussi honnêtement que possible et de façon non définitive – l’état de ma réflexion sur les relations entre catholiques et maçons. Pour ceux que le sujet intéresse, je reproduis ci-dessous – avec l’aimable permission de l’éditeur – le texte de ma préface:

PREFACE

A propos de l’auteur :
Ma première rencontre avec le Professeur Hasquin remonte à plusieurs années. Ce soir-là, nous prenions ensemble la parole dans un grand collège jésuite de Bruxelles. Ce qui m’impressionna d’emblée chez le Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, ne fut pas tant l’étendue de sa culture ou l’aisance de son élocution. Non, ce qui me frappa avant tout, c’est son mode de présence. Une chose transpire de sa personnalité : Hervé Hasquin n’aime pas la meute. Et il ne fait aucun effort pour le cacher. L’homme se déploie dans la vie avec autorité et liberté. J’en veux pour preuve supplémentaire, le fait que ce Recteur émérite de l’ULB – université fondée au XIXe siècle sur la lutte contre l’emprise ecclésiastique – demande à un ancien porte-parole de l’épiscopat de cosigner la présente préface. Ce choix m’honore. Une des raisons en est – sans doute – qu’avec Eddy Caekelberghs, je fus un des facilitateurs de la rencontre au sommet entre le Cardinal Danneels, alors archevêque de Malines-Bruxelles et Henri Bartholomeeusen, qui était le Grand-Maître du Grand-Orient de Belgique (GOB). Une première, semble-t-il. Mais, il y a plus. En me choisissant, Hervé Hasquin fait place dans son ouvrage au contre-chant. En grand seigneur, il n’a pas peur de la contradiction et trouve même que celle-ci pimente la vie. Les faibles craignent le débat à visière ouverte. C’est le propre de l’homme fort – car enraciné dans ses convictions – que de respecter ceux qui ne partagent pas son point de vue. Hervé Hasquin est de ceux-là.
 
A propos de la franc-maçonnerie :
Je ne pense pas faire un fracassant coming out en déclarant que je ne suis pas franc-maçon. C’est dès lors pour moi un exercice délicat de discourir de la franc-maçonnerie, d’autant plus que son histoire avec l’Eglise catholique est pour le moins conflictuelle – comme le démontre le présent ouvrage. Difficile d’échap­per au reproche de parler à partir de préjugés. Ayant néanmoins été invité à quelques tenues blanches (séances maçonniques ouverte à un non-initié…), je me permettrai de donner ici mon appréciation avec bienveillance et franchise:

Côté positif : Lors d’un repas festif faisant suite à une tenue blanche, je me suis retrouvé à côté du Vénérable (responsable d’un atelier maçonnique) et en face de l’ancien Vénérable. Le premier était un poète anarchiste et le se­cond officier supérieur. Je ne connais qu’un seul autre milieu capable d’ainsi brasser les origines et les options politiques… la parois­se. Plus généralement, j’ai rencontré nombres de maçons qui étaient des êtres dotés d’une authentique recherche philosophique, voire spirituelle. Alors oui, je préfère un authentique franc-maçon à un petit consommateur apathi­que et cynique.

Côté clin d’oeil : Depuis que j’ai assisté au décorum maçonnique, j’ai perdu tout comple­xe quant aux prétendus fastes de la liturgie ca­tholique… De même, je me suis rendu compte qu’il n’y a pas que dans notre Eglise que se vit une certaine séparation entre les sexes…. En­fin, s’il est vrai que les chrétiens ont connus de nombreuses querelles intestines, les francs-ma­çons les ont en cela largement imités…

Côté négatif : La franc-maçonnerie se veut une société discrète. Pourquoi pas ? Elle est également une société qui applique la préfé­rence entre membres : « Dans des circonstances identiques, donne la préférence à un Frère pauvre, (…) avant toute autre Personne dans le besoin », stipulent les Constitutions d’Anderson. Je veux bien. Ce qui me dérange, c’est la discrétion plus la préférence. Imaginons un journaliste sta­giaire dans un grand groupe audiovisuel où la rumeur veut (à tort ou à raison… qu’importe) que la direction compte une majorité de francs-maçons. La tentation sera grande pour ce jeune homme de chercher à devenir maçon à son tour, en pensant ainsi avoir de meilleures chan­ces d’être embauché. Ici, je dis : attention. (Ce passage est un extrait de l’ouvrage coécrit avec mon ami, le professeur ULB Baudouin Decharneux : « Une cuillère d’eau bénite et un zeste de soufre », éditions EME, préfacé par le cardinal Danneels, ainsi que par… Hervé Hasquin).

A propos des relations entre franc-maçonnerie et catholicisme:
Hervé Hasquin le note dans la conclusion de son ouvrage : je suis de ceux qui pensent qu’il existe encore un contentieux entre catholicisme et franc-maçonnerie. Entre eux, la fracture ne me semblent pas qu’affective – mais également effective. Il est vrai que la maçonnerie ne véhicule aucune doctrine officielle, mais l’anthropologie commune  aux loges me paraît davantage insister sur l’autonomie du sujet, là où la vision catholique souligne la personne en relation. D’où, entre autre, les différences d’appréciations concernant le début ou la fin de vie – ce qui se répercute dans les débats sur l’avortement ou l’euthanasie.

Il aurait pu en être autrement. Si l’histoire avait été différente, peut-être que la franc-maçonnerie serait aujourd’hui pour les adultes, ce que le scoutisme est à la jeunesse : une pédagogie de la croissance humaine, aussi compatible avec le libre-examen qu’avec le catholicisme. Mais – comme l’explique le présent ouvrage – l’histoire a pris un chemin qui a pollué les perceptions mutuelles. Soyons honnêtes : la frontière n’est pas à sens unique. Le discours officiel catholique rappelle l’actuelle incompatibilité entre catholicisme et appartenance maçonnique, mais l’inverse se vit également – même si c’est de façon moins explicite. En effet, si un catholique – papiste convaincu – frappe à la porte d’une loge du Grand-Orient ou autre obédience a-dogmatique, voire régulière… ses chances d’être reçu, seront plutôt minces. Il existe, bien sûr, des catholiques maçons – ou des maçons catholiques. Aujourd’hui, cela est d’ailleurs moins vécu sous le mode de la transgression, que comme un panachage philosophique. Dans son livre, Hervé Hasquin rappelle ce que je déclarai à ce sujet au quotidien bruxellois « le Soir » du 30 novembre 2005 : « Nous sommes tous des fils de ce qu’on appelle « l’ultra-modernité », où chacun veut bien appartenir à des réseaux mais pas nécessairement à des blocs ». Ceux-là se sentent-ils pleinement catholiques ? Se sentent-ils pleinement maçons ? D’aucuns me l’ont affirmé. Je n’ai pas à douter de la sincérité de leur témoignage, mais tel n’est pas mon choix.

Plutôt que de forcer une réconciliation, je me fais l’avocat du dialogue. La logique des tranchées est stérile. S’il est intellectuellement confortable de rejouer le scenario du XVIIIe siècle en ce début de XXIe – les cathos considérant les maçons comme des agents du diable et les maçons voyant en tout catho un suppôt de « l’infâme » – cela n’est pas sans danger pour la démocratie. Le socle commun sur lequel reposent les droits de l’homme est, en effet, plus friable qu’il n’y paraît. Et s’il existe un domaine où se rejoignent fils d’Hiram et fidèles de Rome, c’est bien celui de la confiance en la philosophie. Tant l’Eglise catholique que la Franc-maçonnerie font confiance au pouvoir de la raison humaine et sont, dès lors, des adeptes d’une vie politique qui fasse droit au débat entre opinions contradictoires. J’en suis persuadé : les frères ennemis sont aussi parfois des alliés naturels. Ainsi, face à toute confusion entre science et foi, comme c’est le cas avec le créationnisme.

Hervé Hasquin le sait au moins autant que moi : tout dialogue rencontre sa part d’embuche. J’en veux pour preuve les lettres et mails effarés que je reçus d’honnêtes catholiques. Et ceux-là étaient encore inoffensifs, comparés aux flèches décochées par d’autres sous le couvert d’un courageux anonymat. Dans l’autre camp, je pense à ces vieux maçons, qui – en vue d’une de mes visites – décrochèrent les portraits d’anciens vénérables morts depuis des lustres, de peur sans doute que j’aille exorciser leur tombe. Une autre fois, il me fut demandé d’arriver en loge les yeux bandés. La perspective du jeu de piste fit sourire le vieux scout que je suis, mais l’ami maçon qui m’invitait ce soir-là entra – lui – dans une « sainte » colère. Il fit savoir haut et clair que si on ne me recevait pas en ami, il annulait tout. C’est là que je compris que le dialogue entre maçons et cathos n’avait pas tant besoin de transgresseurs, que d’apôtres de la rencontre de l’autre dans son humanité. Telle est la clef qui ouvre la porte de l’amitié. La démarche d’Hervé Hasquin, m’invitant à préfacer ce livre, est de cet ordre. Un livre érudit et passionnant, que je t’invite – ami lecteur et quelque soit ta famille philosophique ou spirituelle – à désormais découvrir.

« Talent caché – talent gâché » – 33e dimanche, Année A (Matthieu 25, 14-30)

«J’ai eu peur et je suis allé enfouir ton talent dans la terre» (Matthieu 25, 14-30)

La parabole des talents est bien connue. On s’étonne, car le pauvre type qui n’en a reçu qu’un seul (grosse somme tout de même) n’a rien fait de malhonnête : il rend l’argent – tel quel – à son patron. Et pourtant, il se fait traiter de « mauvais et paresseux ». Pourquoi ? Parce que – plutôt que d’oser prendre des risques – cet homme a écouté sa peur. Il a caché l’argent qu’il aurait pu faire fructifier.

La somme d’argent vise ici nos potentialités : c’est d’ailleurs – suite à cette parabole – le sens que le mot « talent » a reçu dans le langage courant. Le message est le suivant : tous nous avons reçu des talents. Tant pis si – parfois – nous connaissons l’échec : cela fait partie de la vie. La seule chose qui nous sera reprochée, c’est d’avoir caché nos talents par peur de mal faire : talent caché – talent gâché.

 

Vatican et économie : cocktail explosif

Ceux qui pensent qu’il n’y a que la sexualité qui soit un sujet d’enseignement à haut risque dans l’Eglise catholique, doivent revoir leur copie. Le document du Conseil Pontifical Justice et Paix de ce 24 octobre en est la preuve. A peine l’encre du document – appelant de ses vœux une réforme mondiale du marché avec une gouvernance économique mondiale et une taxe sur les transactions financières – avait-elle séché  qu’une série d’intellectuels américains proches des Républicains, grinçaient des dents. En France – souvent plus romantiques – plusieurs voix ont rappelé que vouloir un gouvernement mondial, était précisément le projet de… l’antéchrist. Mais c’est surtout autour du Vatican que la bataille fait rage. Le Vaticaniste de renom Sandro Magister publia une tribune critique le jour même dans l’Espresso, sous le titre aigre-doux de « Occuper Wall Street ». Le Vatican sur les barricades. Aujourd’hui, il en remet une couche par une chronique intitulée Trop de confusion. Bertone verrouille la curie.

Le Conseil Pontifical en contradiction avec le Pape ?
Que le document du Conseil Pontifical Justice et Paix ait été publié sans une concertation suffisante avec les autres dicastères romains et que le Cardinal Secrétaire d’Etat s’en émeuve, est une chose possible – mais nullement inédite. La coordination interne entre les dicastères romains est un très vieux problème. Que cet écrit abordant en relativement peu de pages un problème aussi complexe que la crise économique mondiale, ne soit pas infaillible dans toutes ses propositions, est tout aussi possible et inévitable, dès que le Magistère ecclésial se fait plus concret. Par contre, je ne puis suivre Sandro Magister lorsqu’il écrit : « Ce qui a le plus irrité beaucoup de lecteurs compétents du document du conseil pontifical Justice et Paix, c’est qu’il est en contradiction flagrante avec l’encyclique « Caritas in veritate » de Benoît XVI. Dans son encyclique, le pape Joseph Ratzinger ne fait pas du tout appel à une « autorité publique à compétence universelle » pour la politique et l’économie, c’est-à-dire à cette espèce de grand Léviathan, inventé on ne sait ni comment ni par qui, dont le document du 24 octobre parle si favorablement. Dans « Caritas in veritate » le pape parle plus justement de “governance » (c’est-à-dire de réglementation, en latin « moderamen ») de la mondialisation, à travers des institutions subsidiaires et polyarchiques. Cela n’a rien à voir avec un gouvernement monocratique du monde ». Pour avoir un peu travaillé la question, qu’il me soit permis d’ici réagir.

Que dit l’encyclique « Caritas in Veritate » ?
L’encyclique signale, de fait, que l’Eglise ne prône pas l’installation d’un gigantesque Léviathan mondial, mais bien une articulation harmonieuse des niveaux de pouvoir : « Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux.» (Caritas in Veritate, N°57). Plus loin encore, elle précise cependant sa pensée : « Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes.(…) Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. (…) Une telle Autorité devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux ». (Caritas in Veritate, N°67)
 
Que dit le document du Conseil Pontifical?
J’invite chacun à relire ce qu’écrit le Conseil pontifical Justice et Paix dans son document « Pour une réforme du système financier et monétaire International dans la perspective d’une autorité publique à compétence universelle » et plus particulièrement son n°4 : « Une attention spécifique devrait être réservée à la réforme du système monétaire international, et plus particulièrement à l’engagement de créer une forme de contrôle monétaire mondial quel qu’il soit, par ailleurs déjà implicite dans les Statuts du Fonds Monétaire International. Il est clair que cela équivaut, dans une certaine mesure, à mettre en discussion le système des changes existants afin de trouver les modes efficaces de coordination et de supervision. C’est un processus qui doit aussi impliquer les pays émergents et en voie de développement, dans la définition des étapes d’une adaptation graduelle des instruments existants. On voit, sur le fond, se dessiner en perspective l’exigence d’un organisme assurant les fonctions d’une sorte de « Banque centrale mondiale » règlementant le flux et le système des échanges monétaires, à la manière des Banques centrales nationales. (…) Il revient aux générations actuelles de reconnaître et d’accepter en toute conscience cette nouvelle dynamique mondiale vers la réalisation d’un bien commun universel. Certes, cette transformation s’effectuera au prix d’un transfert, graduel et équilibré, d’une partie des attributions nationales à une Autorité mondiale et aux Autorités régionales, ce qui s’avère nécessaire à un moment où le dynamisme de la société humaine et de l’économie, ainsi que le progrès de la technologie, transcendent les frontières qui se trouvent en fait déjà érodées dans l’univers mondialisé ».

Conclusion
Je le répète, loin de moi l’idée de prétendre que le document du Conseil Pontifical Justice et Paix est une parole ultime et indépassable sur la crise économique. Cependant, prétendre qu’il est contraire à l’encyclique de Benoît XVI ne me semble pas intellectuellement honnête. Comme quoi, face au magistère romain, les arguments de ceux qui sont libéraux en matière économique ressemblent souvent aux arguments de ceux qui sont libéraux en matière familiale – même si ces deux groupes sont souvent opposés au sein de l’Eglise: On décrédibilise le discours en disant qu’il est issu d’un tout petit groupe peu représentatif, pas compétent et déconnecté de la réalité. Bref, rien de très neuf sous le soleil. Quoique… Si un document du Vatican sur l’économie dérange tellement, c’est qu’il mérite au moins d’être lu et médité, car il pose de bonnes questions. Ami lecteur, c’est ce que je t’invite à faire, afin de te faire en la matière… ta propre religion.

« La fourmi n’est pas prêteuse » – 32e dimanche, Année A (Matthieu 25, 1-13)

«Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure» (Matthieu 25, 1-13)

La parabole des vierges sages et des vierges folles que nous recevons ce dimanche comme Evangile, ressemble un peu à la fable de la Fontaine : « la cigale et la fourmi ». Les prévoyantes ne sont pas prêteuses et refusent de passer une partie de leur réserve d’huile aux étourdies. Du coup, ces dernières ratent la noce. Jésus ne fait pas l’éloge de l’avarice des vierges prévoyantes, mais met en garde contre l’étourderie des vierges folles. Combien de fois ne nous lamentons-nous pas en disant : « ah, si j’avais su ! »  Souvent, si nous avions été attentifs, nous aurions vu… mais notre cœur dormait. Alors, réveillons-nous et écoutons ce que nous souffle l’Esprit. «Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure».