Ce dimanche 25 mars vers 12h40 – rendez-vous est donné à la gare des Guillemins de Liège, sur le quai du train qui part pour Bruxelles à 13h. Rendez-vous adressé à qui le désire, de rejoindre la 3° Marche pour la Vie. Celle-ci débute à 14h au Mont des Arts (près de la gare centrale de la capitale). Pourquoi cet appel qui prend à rebrousse-poil une opinion très majoritaire en Belgique, en manifestant pour que la question de l’avortement ne soit pas évacuée du débat citoyen ?
Je participais ce mardi à une rencontre sur l’Europe. A la fin du repas, une jeune militante me signale qu’elle participera à la manifestation « pro-choice » de samedi 24. Elle me demande mon avis « sincère » sur la question de l’avortement – sous-entendu : pas celui que je suis censé défendre comme prêtre. Je lui réponds que je serai « sincèrement » présent le 25 à la Marche pour la Vie, mais que je comprends que les adversaires manifestent la veille, car la démocratie naît du débat d’idée et puis aussi parce que cette contre-manifestation contribue à faire de la publicité autour du débat concernant la vie à naître.
S’ensuit un laborieux échange entre elle et moi. Difficile à résumer, mais j’ai l’impression de ne recevoir de sa part que des arguments de forme et non de fond. J’entends dans sa bouche : « mais le débat sur l’avortement a déjà eu lieu au parlement il y a des années et la question fut tranchée ». Je lui réponds que le parlement n’a pas pour vocation de promulguer des dogmes infaillibles et que – sur tant d’autres dossiers – le parti où elle milite remet en cause des débats tranchés par le passé. Elle me dit : « mais comment est-ce qu’une opinion philosophique sur le début de la vie peut empêcher une femme de décider librement de sa grossesse » ? Je réponds que tout l’enjeu est là. La liberté d’un citoyen s’achève là où commence celle d’un autre. Dénier à l’embryon le statut de sujet de droit, c’est le chosifier. Au nom de quoi et à partir de quand peut-on décider qu’une vie humaine en développement n’est pas inviolable ? Pourquoi ne pas également « chosifier » le nouveau-né ? Le petit enfant ? Qui décide et au nom de quels critères ?
Je n’ai jamais eu, de la part des pro-choice, de réponses satisfaisantes à mes interrogations. C’est pourquoi je me joins à la 3° Marche pour la Vie. Celle-ci se veut une démarche citoyenne avec pour objectif de remettre justement à l’ordre du jour la question cruciale : « à partir de quand et pourquoi une vie humaine est-elle inviolable ? » Elle demande que l’on cesse de glisser de la dépénalisation au « droit à l’avortement » ; de la transgression non pénalisée à la justification de pareille transgression.
Il y a quelques années j’ai abordé la question de l’avortement dans un ouvrage – sorte de joute philosophique avec mon ami Baudouin Decharneux, professeur à l’ULB (Une cuillère d’eau bénite et un zeste de soufre, édition EME)). Baudouin était d’un autre avis sur la question de l’avortement, mais ne m’a jamais dit que j’étais complètement idiot d’avoir les convictions que je défendais. Ci-dessous ce que j’écrivais à l’époque. Je n’ai pas changé d’avis.
Une cuillère d’eau bénite et un zeste de soufre – extrait
Avec l’avortement nous touchons à un des sujets les plus cruciaux du débat politique. Normal : Il s’agit d’un enjeu de vie ou de mort ; la question qui consiste à définir à partir de quand la vie humaine est inviolable et donc protégée par la loi. L’humanisme dont se réclament, avec d’autres, les catholiques ne tergiverse pas avec ce respect : Selon ses critères, la vie humaine est inviolable depuis son origine naturelle (conception) et ce, jusqu’à sa fin naturelle (mort). Limiter ce droit, c’est se lancer sur une pente glissante – slippery slope, disent les britanniques – pour l’état de droit : Quand la vie humaine devient « conditionnellement » inviolable (avant autant de semaines, la vie de l’embryon dépend de la volonté de sa mère à le garder ou non…), cette valeur centrale pour notre civilisation des droits de l’homme, perd son caractère « sacré » pour devenir relative à nos besoins du moment.
J’accepte que d’autres citoyens ne partagent pas cet avis, mais je m’énerve quand ils dénaturent le plaidoyer qui est ici fait. Non, il ne s’agit pas d’imposer sa religion à des femmes enceintes – comme j’entends beaucoup trop souvent déclarer – mais bien de défendre l’inviolabilité de toute vie humaine au nom d’un humanisme sans concession. L’enjeu n’est donc pas religieux, mais philosophique et politique. C’est à ce niveau-là que doit se situer le débat, s’il se veut honnête.
Je précise cependant qu’une conviction forte ne peut bannir le bon sens et l’humanité. Dans les chambres d’hôpital, des thérapeutes se trouvent souvent bien seuls face à tant de drames humains à gérer. Il faut de la retenue et beaucoup de pudeur avant de condamner ce qu’ils ont décidé de faire en âme et conscience. La défense de l’humain est un idéal avec lequel il n’y a pas à transiger. N’en faisons pas pour la cause un système sourd qui juge, sans entendre le cri des hommes. J’ai rencontré des millionnaires américains – catholiques bon teint – qui ne voulaient pas entendre parler d’avortement, mais n’imaginaient pas non plus, hélas, de financer une sécurité sociale un tant soit peu élaborée, pour aider les filles mères. A chacun – et donc à moi-même – s’adresse l’avertissement du Christ : « Sur la chaire de Moïse se sont assis les scribes et les Pharisiens : faites donc et observez tout ce qu’ils pourront vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes : car ils disent et ne font pas. Ils lient de pesants fardeaux et les imposent aux épaules des gens, mais eux-mêmes se refusent à les remuer du doigt. » (Matthieu 23, 2-4)
La dépénalisation de l’avortement a contribué à banaliser ce qui reste un acte d’interruption de vie. Je suggère plutôt de favoriser l’accouchement sous X avec possibilité d’adoption. N’est-il pas curieux que nous vivions dans un pays où il semble à celles qui vivent une grossesse non-désirée, plus facile d’avorter que de permettre l’adoption ? Et nous voyons les couples sans enfants parcourir la moitié du globe terrestre pour pouvoir accueillir un enfant. Je pense qu’il y a ici matière à réflexion, même pour cette majorité de mes concitoyens qui ne partagent pas mon point de vue sur l’IVG.