Et du milieu des brouhahas… – 2e dimanche de l’Avent, Année C

« L’an quinze du règne de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, et Hérode prince de Galilée, son frère Philippe prince du pays d’Iturée et de Traconitide, et Lysanias prince d’Abilène, les grands prêtres étant Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean, le fils de Zacharie, dans le désert. » (Luc 3, 1-6)

Avec l’Avent nous sommes entrés dans une année liturgique nouvelle, consacrée à l’évangéliste Luc. Cet intellectuel grec, disciple de Paul, aime situer son propos dans le temps et dans l’espace. Lisons l’extrait de ce dimanche : Il y retrace règnes et pontificats. Comme pour mieux souligner un paradoxe. Au cœur de ces dynasties, qui complotent et se jalousent, un événement d’un autre type advient. La Parole fut adressée à Jean. Du milieu des brouhahas, il y a ce cri : « Préparez les chemins du Seigneur ! » Qui se souvient de Lysanias, prince d’Abilène ? Par contre, la voix du Baptiste – elle – résonne toujours. En ce temps de l’Avent, accueillons-la dans nos déserts spirituels.   

Blog: bilan du mois de novembre

Ce blog a été ouvert le 11 mars 2011. En mars, il recevait 1467 visites et 2383 pages avaient été vues. Du 3 avril au 3 mai, il recevait 3689 visites et 5483 pages étaient visionnées ; du 1er mai au 31 mai 3322 visites et 5626 pages visionnées. Du 1er juin au 31 juin, le blog a reçu 3464 visites et 5721 pages furent visionnées. La fréquentation baissa durant les vacances, car le blog – aussi – pris du repos. Pour le mois de septembre 4423 visites sont enregistrées et 6683 pages sont visionnées. En octobre, il y eut 3027 visites pour 4689 pages visionnées. En novembre, il y eut 2679 visites pour 3915 pages visionnées. En décembre, 3203 visites pour 4754 pages visionnées. En janvier, 3143 visites pour 4815 pages visionnées. En février, cela donne 3709 visites pour 5501 pages visionnées. En mars, il y eut 3592 visites et 5530 pages visitées. En avril, il y eut 4063 visites pour 6280 pages visitées. En mai, il y eut 4895 visites pour 8100 pages vues. En mai, il y eut 4499 visites pour 5395 pages vues. Je n’ai pas reçu les chiffres de juin. En juillet,  3502 visites pour 4158 pages vues. En août: 3213 visites pour 5059 pages vues. En septembre: 5624 visites pour 8773 pages vues. En octobre 3268 visites pour 5337 pages vues. En novembre 3467 visites pour 5777 pages vues.

Le lectorat reste majoritairement belge (2841 visites). La France suit avec (451 visites), puis le Canada (26 visites) et le Royaume-Uni (21 visites).

L’article le plus fréquenté fut « Libérer la recherche des dogmes religieux? (soupir) » du 7 novembre avec 420 visites. Vient ensuite « Cher Boanergues » du 20 novembre avec 377 visites et « Lîdje! » du 22 novembre avec 211 visites.
Merci aux lecteurs et suite au mois prochain.

Quand sonne le réveil – 1er dimanche de l’Avent, Année C

 « Restez éveillés et priez en tout temps». (Luc 21, 25-36)

Nous connaissons tous ce sentiment : Bien au chaud dans notre lit, le sommeil nous berce et puis soudain, la sonnerie du réveil nous tire de cet état bienheureux. Durant les premières secondes, notre esprit vacille et hésite entre rêve et réalité: «Où suis-je ? Que se passe-t-il ? » Enfin, la conscience s’éclaircit. Une nouvelle journée commence.

Il en va un peu de même avec l’Avent : Ce temps de préparation à la Nativité est destiné à nous sortir de la torpeur. Le réveil de Dieu a sonné : « Soyez prêts, le Messie va venir ! » Une belle façon de s’y préparer, est d’installer chez nous une couronne de l’Avent. Chaque semaine elle s’illumine d’une bougie de plus. Une invitation à éclaircir notre cœur, afin qu’il devienne une crèche, laissant un peu de place à l’Enfant-Dieu.  

Nerf de la guerre et Royaume des cieux

J’invite tous les lecteurs de ce blog, s’ils sont amateurs d’analyses économiques, à régulièrement consulter le blog du professeur Bruno Colmant. Outre l’amitié qui nous lie, Bruno est un penseur libre et profond. Ses conclusions croisent mes intuitions, sans toujours les rejoindre. Cela ne rend l’échange que plus fructueux.
Son dernier ‘post’ de ce 25 novembre, est intitulé « des monnaies et des Dieux »  . Il s’ouvre par des paroles dignes de l’apocalypse: « Avec un peu d’intuition, nous savons que des phénomènes monétaires inattendus se préparent. Il y aura d’immenses ajustements puisque nous vivons à crédit d’une dette publique dont le remboursement est repoussé d’années en années. Il faut donc réfléchir au sens de la monnaie car je crains qu’un jour, la monnaie perde « sa » valeur. Ce jour-là, ce sera un profond aggiornamento ».
Comment ne pas mettre cela en parallèle avec l’évangile de dimanche prochain? « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre, les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le bruit de la mer et des vagues. Des hommes rendront l’âme de terreur dans l’attente de ce qui surviendra sur la terre, car les puissances célestes seront ébranlées. (…) Puis il leur dit une parabole: «Regardez le figuier et tous les autres arbres. Dès qu’ils bourgeonnent, vous savez de vous-mêmes que déjà l’été est proche. De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche. Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive ». (Luc 21, 25-36)

Et Bruno Colmant de poursuivre en se faisant philosophe: « Ceci étant, le sujet du phénomène monétaire est obscur. Il est même ténébreux. Parfois, je suis saisi par l’effroi de sa vacuité. Qu’y a-t-il derrière ce dernier ? Le pâle reflet d’imparfaites et éphémères conventions humaines ? Une tentative de mesure dégradée du temps ? Une hallucination collective choisie ? Le néant, une plongée dans son côté sombre ou plutôt une tentative de maquillage de ses ténèbres ? Dans les évangiles, Jésus range l’argent parmi les puissances qui asservissent l’homme. Un nom démoniaque est donné dans l’évangile de Matthieu à l’argent : Mammon. Jésus avance que « Nul ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24). Cette affirmation rappellerait-elle que Dieu et la monnaie sont peut-être de fragiles équivalents sociologiques ou, au contraire, des formulations antagonistes ? La monnaie serait-elle la déclinaison humaine indispensable à la divinité, puisque toute religion est fondée sur la charité et le don…de monnaie. Dieu et la monnaie ne seraient-ils finalement que deux artefacts ? »

Deux grandes questions sont ici posées: Qu’est-ce que l’argent? Qu’est-ce que Dieu? Deux projections du désir humain, qui « fonctionnent » pour faire tourner le monde, mais qui en réalité ne sont que néant? Ce n’est évidemment pas le point de vue du chrétien. L’évangile d’il y a deux semaines le rappelait:  « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ». (Marc 13, 24-32) Le monde passera, mais ce qui vient de Dieu est éternel. Ainsi l’amour. Et l’argent? Il est « monnaie d’échange » au sens propre du terme: pour ne pas retourner à une société du troc (« Je te donne mes carottes, si tu me donnes tes œufs »), un étalon sert de mesure commune à l’échange commercial. Mais l’étalon est devenu marchandise à son tour: le marché vend et achète des produits financiers. Et contrairement à la carotte, une valeur financière ne vaut que le bénéfice futur qu’on lui attribue. Par le jeu de la spéculation, l’étalon qui – en soi – ne fonctionne que si on a confiance en lui – une confiance basée sur la situation présente et passée (le métal noble de la pièce, la puissance du roi qui bat la monnaie, … ), est devenu tributaire d’un pari sur l’avenir. C’est ici que naissent les bulles spéculatives et les krachs. De plus en plus vite et de plus en plus fort, car l’étalon n’est plus « liquide ». Il est devenu gazeux – ou plutôt numérique. A la vitesse de l’éclair des sommes astronomiques circulent aujourd’hui à travers le globe, dans un permanent jeu d’échec financier bien davantage que pour permettre la circulation des biens de consommation. L’argent est aujourd’hui tellement abstrait que Bruno Colmant pose – à juste titre – la question de sa consistance. Ma réponse est que « oui »: l’argent a une consistance. Mais quand il est confondu avec Dieu, alors – comme toutes les idoles – il occupe une place démesurément gonflée. Et telle la grenouille qui se prend pour le bœuf, tout finit un jour par se dégonfler, en laissant bien des victimes sur le carreau. Ce n’est donc pas tant sur la consistance de l’argent que je m’interroge, mais sur notre rapport à lui. « Que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme? » (Marc 8, 36) Entre « nerf de la guerre » et « Royaume de Dieu », chacun est invité à mettre ses priorités. « Nul ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24). Ce conseil n’est pas qu’évangélique. Il est aussi économique. L’histoire humaine le démontre à souhait: le seul système économique qui soit durable, est celui qui attribue à l’argent sa réelle place. Bref, qui lui octroie… son juste prix. Du fond des âges, la sagesse populaire murmure: L’argent est un excellent serviteur, mais un détestable maître.

 

Roi couronné de Vérité – 34° dimanche, Année B

 « Tout homme qui appartient à la vérité, écoute ma voix ». (Jean 18, 33-37)

Pilate – l’homme fort de la région – regarde le Prisonnier qui lui est livré: « Alors, tu es roi ? » Il y a dans la question du gouverneur de la curiosité, de l’incompréhension et sans doute un peu d’ironie. Celle des hommes de pouvoir, qui ne comprennent que le langage du glaive. « Le pape, combien de divisions ? » souriait Staline. Mais Staline est mort dans un isolement total. Son entourage le craignait trop pour intervenir médicalement. L’enfer terrestre, en quelque sorte. Le Christ, lui, marche vers Sa mort – libre et aimant. « Ma royauté ne vient pas de ce monde… Je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité ». En ce dimanche du Christ-Roi, dernier dimanche de l’année liturgique, ne nous trompons donc pas de royaume. Renonçons à celui de la haine, du mensonge et de la violence – même et surtout pour faire triompher l’Eglise. Ce serait doublement trahir le Christ. « Tout homme qui appartient à la vérité, écoute ma voix ».   

Lîdje!

Ainsi, nous n’organiserons pas la fameuse Expo universelle de 2017. C’est une réelle déception, mais non une totale surprise. Grâce aux enormes ressources naturelles du Kazakhstan, la candidature d’Astana avait de redoutables atouts. Souhaitons donc bonne chance à cette capitale nouvelle d’un pays nouveau. Mais saluons aussi l’élan et l’enthousiasme qui ont porté les espoirs liégeois. Finies les années looser.  La Cité Ardente regarde avec confiance vers l’avenir. Si on exclut Bruxelles, ville-capitale de souche flamande mais majoritairement francophone, Liège est la métropole de culture latine la plus au nord de l’Europe.  Proche voisine d’Hasselt, Maastricht et Aix-la-Chapelle, Lîdje a pour vocation géographique d’être une passerelle culturelle et un carrefour économique. Même sans Expo universelle, elle se doit de relever les défis que le XXIe siècle lui adresse. Lors de mon installation comme curé-doyen du cœur de ville, j’en avais nommé un: « Il y a le Liège qui gagne: cette ville se redresse. Il y a aussi le Liège qui perd: avec la crise la pauvreté augmente chez les plus précarisés. Je souhaite donc que le Liège qui gagne se mette au service du Liège qui perd. » Un ami marxiste fit remarquer avec le sourire que ma tirade détournait un slogan de militance. Je plaide coupable. A la lutte des classes, un chrétien préfère la responsabilisation de tous. Puisse l’avenir ne pas nous traiter de doux rêveurs.

Cher « Boanergues »…

Cher « Boanergues »,

Un lecteur plus assidu que moi du site « forum catholique » m’a signalé l’article sévère que vous y avez publié à mon encontre: http://www.leforumcatholique.org/message.php?num=650759. Je ne souhaite pas ici faire de commentaire sur le contenu de votre charge et encore moins sur les ambitions que vous me prêtez. Je demande aux lecteurs d’en faire autant et de garder une retenue de bon aloi. Dieu jugera, lui qui sonde les cœurs et les âmes.

Alors, pourquoi réagir? Une seule chose m’y invite. Vous écrivez à mon sujet: « Son « oui » n’est jamais « oui », son « non » n’est jamais « non ». » Fort bien, mais moi au moins, je m’exprime à visage découvert. Voyez-vous, les courriers courageusement anonymes sont non seulement signe de lâcheté, mais également le masque qu’utilise le diviseur, quand il veut parasiter l’Eglise. Voilà pourquoi ce type de dénonciations remplissent les archives des tyrans et les poubelles des hommes de bonne volonté. Cher « Boanergues », votre pseudo signifie « fils du tonnerre ». Alors, puisque vous consultez ce site et lirez donc le présent message, j’espère que le « fils du tonnerre » trouvera le courage de réagir sur mon blog en dévoilant son vrai nom. Non pas pour que je me venge, mais afin que je sache pour qui je dois prier, selon la demande de Notre Seigneur (Matthieu 5, 43 et suiv.) Si vous trouvez ma demande parfaitement illégitime, méditez donc cette autre parole du Christ: « Celui qui fait la vérité, vient à la Lumière ». (Jean 3, 21)

 

Colloque(s) sur l’islam à L’Université Libre de Bruxelles

Le 13 novembre 2010, la « Pensée et les hommes » organisait un colloque à l’ULB sur la présence de l’islam à Bruxelles.  Les actes de ce colloque sont disponibles: http://www.ulb.ac.be/wserv2_oratio/oratio?f_context=unibooks&noteid=622&style=&f_type=view&data-file=bib1
Ce 17 novembre 2012, une deuxième édition de ce colloque eut lieu, sous le patronage du président de la Chambre, André Flahaut. Elle se déroula dans la même Université: http://www.lapenseeetleshommes.be
A chaque fois, il me fut demandé une intervention. Un curé en col romain qui s’exprime à la tribune de l’Université du Libre-examen, devant une salle comble de francs-maçons… Et ce, qui plus est, sur une sujet explosif… Voilà bien un défi que j’aime relever.
Je ne prétends nullement développer ici une approche exhaustive ou sans failles. Comme toute production intellectuelle, mon avis est ouvert à la critique. Mais si personne ne s’exprime, il n’y aura pas de débat. Et celui-ci sera remplacé par la méfiance, la rumeur et le murmure.
Je remercie donc les organisateurs pour leur confiance et le public pour son écoute bienveillante.
Les textes de mes deux contributions se trouvent ci-dessous. Le lecteur attentif remarquera qu’ils se recoupent.

1. Islam et démocratie :
un regard de théologien à partir de l’expérience catholique. (Novembre 2010)

 Angle d’approche
« Le jour où l’Islam sera majoritaire, appliquera-t-on la Sharia dans les rues de Bruxelles ? » C’est la question qui fâche. Combien de fois ne l’ai-je pas entendue dans la bouche de concitoyens inquiets, qui n’étaient nullement islamophobes. A tort ou à raison, l’Islam apparaît à de nombreux observateurs comme une pensée globalisante – une pensée qui s’adapte à la modernité et à l’économie de marché, mais qui ne serait pas soluble dans le pluralisme. L’Islam serait une religion dont le projet intrinsèque serait politique : l’aboutissement de la foi musulmane serait l’établissement d’une société régie selon les principes coraniques. « Tu verras », me disent ces voix, « tant qu’ils sont minoritaires, les musulmans se plient à notre tradition politique, mais le jour où ils deviendront majoritaires, les non-musulmans seront réduits en dhimmitude ».

Je souhaite ici étudier succinctement cet enjeu du point de vue théologique. La question que je pose est : Quels critères théologiques rendent possible qu’une religion adopte la démocratie comme projet politique – un projet qui inclut pleinement la notion de liberté religieuse? Je ne m’occuperai donc pas ici des critères sociopolitiques permettant l’intégration d’une population immigrée : accès à l’éducation et émergence d’une classe moyenne, etc. Je ne parlerai pas, non plus, de la question des « accommodements raisonnables » qu’une société doit ou non faire pour faciliter l’intégration des adeptes d’une religion. Je ne traiterai pas plus de la difficulté psychologique avec laquelle est confronté celui qui possède une double racine nationale : le fils d’un immigré originaire de Rabat se sentira-t-il plus Belge ou Marocain ? Je rappelle simplement que le dilemme de la double racine n’est pas propre à nos concitoyens musulmans. Je connais dans ma bonne ville de Liège des petits-fils d’immigrants italiens qui, quand la Belgique rencontré l’Italie dans un match de foot, ne se privent pas de crier dans les rues de la cité ardente : « Viva Azzuri ! » La question du sentiment de double appartenance nationale n’est donc pas avant tout liée à la religion. Enfin, mon propos ne traite pas davantage de la légitime influence exercée par une population dominante sur la société. Ainsi en 1830, 98% de la population belge était catholique. Le poids du catholicisme était donc tout naturellement important dans le pays, mais jamais celui-ci ne devint religion d’état. Dans un même ordre d’idée, si en 2030 les croyants de religion musulmane forment une majorité à Bruxelles, il serait naturel que ceci influe la vie de la capitale. A condition toutefois que cela ne fasse pas du Coran la nouvelle constitution de la région bruxelloise.

Evolution catholique
« Charité bien ordonnée commence par soi-même »… Pour illustrer mon propos, je voudrais partir du Catholicisme. En un siècle le regard que la religion à laquelle j’appartiens a posé sur le pluralisme politique a fondamentalement évolué.
En 1864, le pape Pie IX énumère encore dans un texte officiel – nommé « le Syllabus » – 80 erreurs de notre temps. Il y condamne une série de contre-vérités concernant notamment la démocratie, la liberté de religion, la séparation de l’Église et de l’État, le rationalisme, le socialisme etc. Ainsi trouve-t-on dans le syllabus parmi les propositions condamnées, la thèse suivante : « A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes. Aussi c’est avec raison que, dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers » (propositions 77-78).
Le raisonnement sous-jacent au Syllabus était encore le suivant : la religion chrétienne est porteuse de vérité. Or, il est dans l’intérêt de tous les hommes de découvrir la vérité. Donc, dans un état dont la population est à majorité catholique, seul le catholicisme doit être promu par les instances publiques et recevoir en conséquence le statut de religion d’état. Les autres religions ou convictions politiques seront tolérées, à condition de ne pas chercher à se propager. Même si la portée de ce texte fut fort adoucie par l’interprétation qu’en firent la plupart des évêques de par le monde qui trouvaient déjà à l’époque son contenu dépassé, la position que le Syllabus défend était à peu près celle qu’on retrouve aujourd’hui dans un régime islamique. Ici aussi, le point de vue défendu est que le Coran révèle à l’homme sa vérité la plus profonde et que – dans une société à dominante musulmane – la Sharia doit donc s’appliquer. Les autres religions sont tolérées à condition de ne pas être prosélyte.

En 1965, soit un siècle et un an plus tard, le pape Paul VI promulgue la déclaration du concile Vatican II sur la liberté religieuse. Fruit d’une lente évolution de la pensée théologique « Dignitatis humanae » défend une position bien différente en matière de pluralisme politique : « Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. Il déclare, en outre, que le droit à la liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine telle que l’ont fait connaître la Parole de Dieu et la raison elle-même. Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse dans l’ordre juridique de la société doit être reconnu de telle manière qu’il constitue un droit civil ». (Dignitatis humanae n°2)

Qu’est-ce qui a permis l’évolution qui donne à l’Eglise catholique de décréter aujourd’hui que la liberté religieuse et le pluralisme politique sont non seulement légitimes, mais en plus nécessaires ? Il s’agit d’une prise de conscience « théologique » que 14 siècles de religion d’état avaient fait perdre de vue : le fait qu’une vérité spirituelle ne peut jamais s’imposer par la contrainte. Il est normal et naturel que pour un croyant la religion se veuille la principale boussole de son existence. Cependant, il s’agit également de rappeler que cette boussole perd le nord dès qu’elle s’exerce sous la contrainte. La laïcité politique, ou séparation entre religions et Etat, trouve ici sa justification théologique: dans l’espace public chaque citoyen doit jouir d’une totale liberté de conscience, afin de pouvoir authentiquement chercher la vérité spirituelle qui donnera sens à sa vie. Toute alliance entre le sabre et le goupillon, non seulement dévoie la politique mais, en outre, pervertit la religion.

Religions et libre-examen dans l’espace public
Cela revient-il à dire que dans un état de droit les convictions religieuses sont à reléguer dans le domaine de la vie privée ? Je me suis toujours opposé à cette façon de voir, car elle me semble philosophiquement erronée. Il est au contraire normal et sain que les convictions profondes d’un homme influent sur sa vie de citoyen et son engagement politique. Personne ne songe à demander à un libre-exaministe de ne pas appliquer le libre-examen dans son action politique. De même, il serait vain de demander à un catholique de ne pas faire de la politique en catholique, ou à un musulman à ne pas faire de la politique en musulman. Une démocratie saine ne se construit pas sur le gris de l’absence de convictions philosophiques, mais sur un patchwork de couleurs convictionelles différentes.

Les religions et convictions n’appartiennent pas au domaine du privé, mais à celui de l’intériorité : C’est par un acte de foi porté par une expérience religieuse qu’un homme se reconnaît chrétien ou musulman. Cela fait partie de son intériorité. De même, c’est par une foi en la raison qui se suffit à elle-même, porté par une conviction philosophique, que l’on devient libre-exaministe. Cela aussi, fait partie de l’intériorité. Au nom de la liberté religieuse, tout homme a droit au libre choix de son intériorité. Pareil choix repose sur une expérience « intérieure » – expérience dès lors toujours quelque peu incommunicable. En effet, personne ne peut prouver pourquoi il croit en Dieu ou pourquoi il n’y croit pas.

La démarche spirituelle diffère de celle qui prévaut dans l’espace public ou cohabitent des citoyens de toutes convictions. « L’homme est un animal politique », enseignait Aristote, « parce que l’homme est un animal qui parle ». La vie politique se fonde sur le langage, qui implique l’échange de communication. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cœur de la démocratie s’appelle un « parlement ». Or, se parler n’est possible que si l’on possède un langage commun. Comme les convictions religieuses et philosophiques sont de l’ordre de l’intériorité – et donc du domaine de ce qui toujours quelque part incommunicable –  celles-ci ne peuvent servir de langage commun pour fonder une société laïque. L’apport majeur des Lumières à notre civilisation est d’avoir rappelé que le seul langage capable de fonder une démocratie, est le langage de la raison. Non pas la raison procédurale, qui se borne de constater que les formes ont été respectées dans la prise de décision, mais la raison intelligente qui cherche à comprendre ce que l’autre me dit afin de lui répondre. Sa grammaire logique et sa visée critique font en sorte que seul ce type de raison permet à des personnes de convictions différentes d’écouter l’autre sans a priori en vue d’arriver avec lui à prendre une décision politique commune en vue du bien de la cité.

Voilà pourquoi en démocratie – même si tous les citoyens partagent la même conviction religieuse – aucune révélation ne peut servir de « base constitutionnelle » à l’Etat. En effet, dans ce cas-là il y aurait deux catégories de citoyens : ceux qui adhèrent à la religion officielle et qui seraient citoyens à part entière et ceux qui n’y adhèrent pas et qui deviendraient, de par ce fait, des citoyens de seconde catégorie. Autrement dit, même si demain Bruxelles devient à 99% catholique ou musulmane, il n’y aurait de démocratie véritable que si le pourcent de non-catholiques ou de non-musulmans jouit des mêmes droits politiques que tous les autres citoyens. L’enjeu se vérifie dans des questions bien concrètes qui ont trait à la liberté religieuse : le droit de sortie et le droit de faire entrer. Dans un état de droit, chaque citoyen doit pouvoir apostasier sa foi sans être inquiété politiquement et doit  être en droit de – non seulement célébrer publiquement sa religion – mais également de pratiquer un prosélytisme paisible visant à faire de nouveaux adeptes.

Islam et démocratie
Une prise de conscience théologique permit à l’Eglise catholique de se réconcilier avec la laïcité politique au cours des XIXe et XXe siècles, au point d’en devenir aujourd’hui un fervent avocat. Il s’agit de savoir où la théologie musulmane se situe sur ce chemin. La question se pose avec une acuité particulière à l’heure où, après l’échec de la mouvance nationaliste et socialisante qui avait dominé les nations arabes au cours de la guerre froide, un certain « réveil de l’Islam » prône une conception moderne mais globalisante de la religion. De plus, pour l’Islam les données du problème diffèrent en deux points par rapport au christianisme. Premièrement, la révélation divine n’y est pas concentrée dans une personne – comme le Christ pour les chrétiens – mais bien dans un écrit, le Coran. Secondement, là où le christianisme se veut une religion de la grâce – l’homme ne naît pas chrétien, mais le devient pas le baptême et la foi – l’Islam se présente davantage comme la religion naturelle de l’humanité : tout homme naît musulman, mais nombre d’entre eux perdent cet héritage par des conditionnements socio-historiques.

L’option est donc la suivante : Soit le théologien musulman considère que, puisque le Coran et les enseignements du Prophète présentent le projet de Dieu sur l’homme mais aussi sur la société, leurs prescrits se doivent d’être appliqués « en direct » à toute société où la foi musulmane est majoritaire. Dans ce cas, nous retrouvons une théologie comparable à celle du Syllabus de Pie IX, une théologie qui prêche l’alliance du sabre et du croissant. C’est ce que l’on nomme le courant islamiste. Soit le théologien musulman considère que le Coran – comme parole de Dieu – est la source première d’où découlent les principes éthiques dont vivent les croyants, mais que ceci ne dispense pas de respecter l’autonomie d’un espace politique laïque – un espace où domine la raison. Dans ce cas, l’Islam peut se marier avec la démocratie avec le même bonheur que le christianisme. Cette dernière option est défendue par des théologiens comme Fazlur Rhaman, qui écrivait : « Les prescrits du Coran ne peuvent être appliqués littéralement dans le contexte d’aujourd’hui, car ceci aurait pour effet de pervertir le but même du Coran ». (The Impact of Modernity on Islam, p.127, Journal of Islamic Studies, vol.5 n°2, Juin 1966, pp.112-118).

Le courant démocratique en Islam est-il aujourd’hui aussi minorisé que d’aucuns le prétendent ? Je ne suis pas assez expert pour répondre, mais je peux comprendre la difficulté : adopter le projet démocratique implique de revenir sur une longue tradition de pensée théologique fondée sur la religion d’état. Rompre avec pareille tradition doctrinale séculaire exige une profonde remise en question de l’Islam, comme ce fut le cas pour le Catholicisme au cours des XIXe et XXe siècles. La réalité du terrain démontre pourtant que la plupart de nos concitoyens de religion musulmane sont de paisibles démocrates. Dans un pays comme les Philippines, il existe même un parti politique nommé « les démocrates chrétiens et musulmans ». Pourquoi pas ? Je rappelle que deux questions servent de « test » pour vérifier la compatibilité démocratique  d’une religion : l’apostasie et le prosélytisme. Un Islam démocratique enseignera haut et fort que, dans le Coran, aucun châtiment terrestre n’est envisagé contre ceux qui apostasient ou changent de religion, pas plus qu’envers les non-musulmans qui annoncent librement leur foi. Que les avertissements du Coran ne relèvent que du domaine spirituel et de la vie dans l’au-delà. Seul pareil enseignement rend la théologie musulmane compatible avec l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme sur la liberté religieuse : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». Mieux encore, seule cette voie me semble concilier la démarche du croyant musulman avec le prescrit du verset 256 de la Sourate 2 (La vache, Al-Baqarah) : « Nulle contrainte en religion » !

2. Traditions abrahamiques dans un monde multipolaire :
       le complexe du homard, 50 ans après Vatican II (Novembre 2012)

Carapace plutôt que colonne vertébrale
La psychologue François Dolto décrit le « complexe du homard » comme une des manifestations de l’adolescence. Quand il perd sa carapace, le sympathique crustacé se protège, tant qu’il n’en a pas acquis une autre. Ainsi l’adolescent : en pleine mue, le pubère se construit une identité défensive, voire même caricaturale. (On dira que les ados sont souvent un peu « too much »). L’adulte, lui, n’a normalement pas besoin de carapace. Il a une colonne vertébrale : une identité enracinée dans le réel. Celle-ci lui permet de communiquer sans agresser. Les vertébrés n’ont pas besoin de carapace dure. Ils ont une peau, capable de douceur. Celui qui est solide de l’intérieur, s’autorise la douceur vers l’extérieur. « Heureux les doux, ils posséderont la terre », proclamait le Christ. Chez l’adulte, la dureté est donc symptôme d’insécurité. Le complexe du homard est alors le signe d’une régression mentale : la carapace est le symptôme d’une intériorité en panne de consistance.

Pareil phénomène vaut pour les individus, mais s’applique également aux réalités collectives. Exemples : Un nationalisme agressif est l’expression d’une nation insécurisée. Une culture intolérante, pointe vers une civilisation qui doute. Aucun phénomène humain n’est à l’abri de la régression mentale – du repli identitaire. Petit clin d’œil à mes amis de l’ULB : Une laïcité philosophique agressive, est tout autant le marqueur d’un libre-examen en perte de repères.

Bref, la meilleure façon de demeurer lucide et vigilant face à la tentation du complexe du homard est de ne pas s’en croire immunisé. Celui qui ne voit la possibilité de repli identitaire que chez « les autres », témoigne déjà d’une identité dangereusement bétonnée. Appliquons cela aux religions abrahamiques. Le judaïsme est un cas particulier, car il s’agit d’une religion sans visée universaliste. La régression mentale juive sera donc plutôt un complexe du « Bernard l’ermite » – le tout aussi sympathique crustacé, qui se cherche un coquillage protecteur. En effet, quand il se sent insécurisé, le judaïsme a davantage tendance à se refermer sur lui-même, plutôt que d’agresser le monde extérieur. (Certains objecterons qu’une frange politique en Israël se montre aujourd’hui particulièrement agressive envers les Palestiniens. C’est exact, mais l’ultra-sionisme est un phénomène plus politique que théologique). Le « complexe du homard » s’applique, par contre, tant au christianisme qu’à l’islam. Quand elles se sentent insécurisées, grande est la tentation pour ces deux religions universalistes, de se construire une carapace.

Complexe du homard chrétien-catholique
L’historien français Jean Delumeau a fort bien étudié le complexe du homard chrétien dans son ouvrage « La peur en Occident » : A partir du XIVe siècle, le christianisme encaisse une série de chocs et ceux-ci vont durcir son rapport au monde. Cela commence par la grande peste (1347-1352) – qui élimine entre 30 et 50% de la population européenne en cinq ans, faisant environ vingt-cinq millions de victimes. A l’époque, on ignore tout des microbes. Le fléau est donc perçu comme une punition divine. La religion devient angoissée et le mal est ressenti comme omniprésent. Se greffent sur ce traumatisme les guerres incessantes qui présideront à la création de l’Europe des nations (pensons  la guerre de cent ans). Résultat : La civilisation chrétienne entre en dépression et se forge une carapace. Le péché prend plus de place que la Grâce ; le diable a plus d’importance que le Bon Dieu. Juifs et sorcières servent de bous-émissaires. Par réaction, des générations successives d’intellectuels s’éloigneront progressivement du christianisme – perçu comme adversaire de l’humanisme. (Les humanistes au XVIe siècle, les penseurs des Lumières au XVIIIe…). Ce phénomène culmine avec la révolution française. Nouveau tremblement de terre pour le catholicisme, sur fond de terreur antireligieuse. Avec le XIXe siècle vient l’accalmie et le concordat napoléonien. L’Eglise peut se reconstruire, mais le complexe du homard est toujours bien présent. L’Eglise post-révolutionnaire se conçoit comme une forteresse assiégée. Et il va de soi, qu’après Copernic, les publications de Darwin et Freud ne sont pas de nature à calmer le jeu…
Ainsi en 1864, le pape Pie IX énumère dans un texte officiel – nommé « le Syllabus » – 80 erreurs de notre temps. Il y condamne une série de contre-vérités concernant notamment la démocratie, la liberté de religion, la séparation de l’Église et de l’État, le rationalisme, le socialisme etc. Ainsi trouve-t-on dans le Syllabus parmi les propositions condamnées, la thèse suivante : « A notre époque, il n’est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l’unique religion de l’État, à l’exclusion de tous les autres cultes.(…). Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et faire un compromis avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne (propositions 77, 80). Même si la portée de ce texte fut fort adoucie par l’interprétation qu’en firent la plupart des évêques de par le monde, qui trouvaient – déjà à l’époque – son contenu dépassé, la position que le Syllabus défend était à peu près celle qu’on retrouve aujourd’hui dans un régime islamiste. Le complexe du homard était bien vivant.

Il y a 50 ans – Vatican II
Le Concile Vatican II, dont l’Eglise catholique vient de fêter le 50° anniversaire de l’ouverture, renoue avec un regard bienveillant posé sur le monde. Fini la carapace du homard. Le catholicisme entre à nouveau en dialogue avec la société. Sans naïveté – certes – mais également sans préjugés. La constitution pastorale Gaudium et Spes (1965) illustre ce nouvel état d’esprit : « L’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique. » La même année, le pape Paul VI promulgue la déclaration du concile Vatican II sur la liberté religieuse. Fruit d’une lente évolution de la pensée théologique « Dignitatis humanae » rappelle une évidence : une vérité spirituelle ne peut s’accueillir sous l’effet de la contrainte. « Ce Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être exempts de toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres.» (Dignitatis humanae n°2) La laïcité politique, ou séparation entre religions et Etat, trouve ici sa justification théologique: dans l’espace public chaque citoyen doit jouir de sa liberté de conscience, afin de pouvoir authentiquement chercher la vérité spirituelle qui donnera sens à sa vie. Toute alliance entre le sabre et le goupillon, non seulement dévoie la politique mais, en outre, pervertit la religion.

Alors que du bonheur ? Non, car quitter sa carapace pour retrouver une colonne vertébrale spirituelle, n’est jamais acquis une fois pour toute. En ce début de XXIe siècle, le complexe du homard redresse la tête dans certains milieux catholiques particulièrement insécurisés. Ils objectent : « Depuis que l’Eglise s’est tournée vers le monde, le monde lui a tourné le dos ». Je regardais il y a quelques semaines une vidéo d’ordinations à la prêtrise dans un milieu catholique traditionaliste. (Ceux qui rejettent Vatican II). J’étais admiratif devant ces jeunes hommes assoiffés d’absolu. Cependant, en voyant cet idéal figé dans un passé fantasmé, une autre image m’est venue à l’esprit : celle de tous ces jeunes fondamentalistes musulmans, cherchant à vivre leur religion comme au temps du prophète.  Vous avez dit complexe du homard ?

Complexe du homard musulman
Dans une récente interview (La Libre, 10 novembre pp.6-7), Alain Winants, patron de la Sûreté de l’Etat, déclare :  « Certains éléments dans la société ont tendance à se radicaliser sous l’influence de certaines idées, comme le salafisme, interprétation rigoriste de l’Islam qui veut retourner à l’Islam des origines. Il prône le rejet des valeurs de l’Occident et le repli identitaire. Avec pour conséquence que ces personnes se mettent en marge de la société dont elles rejettent les valeurs. On voit surgir des comportements qui n’ont pas de place dans notre société : polygamie, inégalité homme-femme, rejet fondamental de l’homosexualité, mise en doute de la théorie de l’évolution. On voit que ces personnes qui suivent ce courant tentent de bâtir leur propre société, avec leurs valeurs, leur enseignement, leur médecine, leur propre police – cela, c’est dans les souhaits – voire leur propre justice. On peut arriver à une bipolarisation. Ces comportements vont susciter une réaction de l’extrême droite qui va trouver dans cette idéologie un terreau pour combattre l’islam en général. On voit apparaître en Angleterre des mouvements comme ‘Nations against Islam’. En Belgique, il y a des mouvements, soutenus par l’extrême droite, qui prônent une politique contre l’islamisation des villes. Et cette réaction de l’extrême droite peut engendrer une réaction de l’extrême gauche (Ainsi, l’affaire ‘burqa blabla’ qui enflamma l’ULB. Elle illustre bien la possible alliance contre-nature, entre gauche radicale et anarchique, d’une part et islam fondamentaliste, de l’autre. Note de l’A). (…) Dans la durée et sur le long terme, il (le salafisme) est peut-être plus dangereux qu’un attentat terroriste ».

Ici surgit la question à cent million d’euro – celle qui agite nombre d’occidentaux quand ils parlent de « la montée de l’islam ». L’islamisme est-il un phénomène structurel ou conjoncturel ?  Autrement dit : Les relents fondamentalistes qui agitent une partie minoritaire – mais fortement agissante – du monde musulman, sont-ils le propre de cette religion ou s’agit-il, comme ce fut le cas dans le monde chrétien, d’un symptôme du complexe du homard ? Pour le dire crûment : Quand il devient totalitaire, l’islam montre-t-il son vrai visage ou sa caricature adolescente?

Il revient avant tout aux musulmans de répondre à cette question. Cependant, je ne vois apriori pas pourquoi, si l’ouverture pacifiée au monde est possible pour le catholicisme, cela ne le serait pas pour les musulmans. Nombre de mes contradicteurs sur ce point m’objectent que – par son essence même – l’islam ne s’accommode d’une culture qu’en l’islamisant. Que les croyants musulmans acquis au pluralisme démocratique, quand ils sont sincères, ne sont pas représentatifs. Quitte à me faire traiter de naïf, j’objecte : Et si, au contraire, l’islamisme n’était qu’une régression nostalgique vers le passé et l’islam des lumières un chemin d’avenir? Pour étayer mon intuition, je souligne – qu’à l’instar du christianisme – l’islam sort également de siècles de turbulences. Ceci expliquerait qu’il ait, à son tour, cédé au complexe du homard. Le califat, qui fut la première puissance mondiale au Xe siècle, fut mis sous tutelle ottomane dès le XIVe. Avec la mort de Soliman le Magnifique (1566), l’empire turque déclina à son tour. Jadis lumière du monde et alliée des sciences, la civilisation musulmane devint décadente, au moment précis où l’astre de l’occident se remit à briller. Quand advint la révolte arabe contre les Ottomans (1916-1918) et l’épopée de Lawrence d’Arabie, les alliés ne tinrent pas leurs promesses et les pays du Proche et Moyen Orient devinrent des protectorats pétroliers. Puis, il y eut la guerre froide. La génération des Nasser et Arafat lorgna un temps vers le camp soviétique pour obtenir une place sur l’échiquier mondial. Mais avec le mur de Berlin, le communisme s’écroula. Des siècles de déclin ont donc replié les nations musulmanes sur elles-mêmes. Restées à la périphérie de l’histoire, les masses n’ont pas intégré l’avènement de la raison critique et la perspective historique. Quant aux élites, orphelines de grandes causes et insécurisée dans un monde multipolaire, elles se cherchent désormais un avenir dans un retour aux sources. Ce faisant, la tentation est grande de préférer la carapace du homard à la colonne vertébrale spirituelle : C’est sous sa forme figée que l’islam paraîtra donc le plus fidèle.

Spiritualité citoyenne
La première guerre mondiale illustra que le nationalisme mène à la guerre. La seconde guerre mondiale démontra que le racisme était un délire mortifère. La chute du mur de Berlin signa l’échec du marxisme. La faillite de Lehman-Brothers (2008) souligna que le capitalisme n’apporterait pas le paradis sur terre. Il est donc réjouissant de voir la jeunesse se tourner vers la spiritualité pour se trouver une identité. Notre monde multipolaires a, en effet, besoin de citoyens enracinés. Dans mon essai « Credo politique » (éd. Fidélité/Avant-Propos, 2011), je plaide donc pour une nouvelle « spiritualité citoyenne », qu’elle soit – selon les citoyens – croyante, agnostique ou athée. Mais notre monde multipolaire fait peur. Et la peur est mauvaise conseillère, car elle est source de régression mentale. Le complexe du homard rôde. La tentation est grande de se protéger du réel, en se construisant une carapace.

Alors, faut-il espérer un Vatican II musulman ? L’expression est anachronique, car l’islam n’a pas de Vatican et les sunnites sont dépourvus de clergé. Cependant, si le concile Vatican II a signifié pour l’Eglise catholique une renonciation symbolique au complexe du homard, lui permettant de poser un regard bienveillant sur le monde, alors oui – l’islam est appelé à poursuivre sur le même chemin. Une spiritualité de la paix ne peut se laisser dominer par la peur. Succomber au complexe du homard est toujours un aveu de faiblesse. Une religion avec une colonne vertébrale saisit – elle – comme par instinct, que l’authentique spiritualité ne peut s’accommoder de contrainte. Evidemment que les préceptes du Coran peuvent inspirer les musulmans pour mener des débats démocratiques, un peu comme les catholiques s’inspirent de ce qu’ils appellent la loi naturelle (les principes chrétiens accessibles à tout homme par un travail de la raison). Mais, pas plus que la loi naturelle, la sharia ne peut se substituer au débat démocratique et s’imposer à une société. Ici je rappelle ce que j’énonçais lors du précédant colloque de l’ULB, dans cette même salle : L’apport majeur des Lumières à notre civilisation est d’avoir rappelé que le seul langage capable de fonder une démocratie, est le langage de la raison. Non pas la raison procédurale, qui se borne de constater que les formes ont été respectées dans la prise de décision, mais la raison intelligente, qui cherche à comprendre ce que l’autre me dit, afin de lui répondre. Sa grammaire logique et sa visée critique font en sorte que seul ce type de raison permet à des personnes de convictions différentes (catholiques, musulmans, libre-exaministes, etc.) d’écouter l’autre sans a priori, en vue d’arriver avec lui à prendre une décision politique commune en vue du bien de la cité.

Conclusion
Le complexe du homard représente, non seulement un danger pour la démocratie, mais il transforme, en outre, toute religion en sa caricature. Par-dessus tout, il est un aveu de faiblesse : Quel est ce dieu, tellement peu sûr de lui, qu’il ordonne la contrainte pour être reconnu ? Par contre, libéré du complexe du homard, une religion perçoit que le pluralisme démocratique est allié de la foi, car il permet un réel choix. Qu‘il soit chrétien ou musulman, la foi du croyant adulte ne sera authentique, que si son cheminement spirituel est vécu en totale liberté. J’en appelle donc aussi aux médias : Elles ont évidemment pour mission d’informer sur les dérives fondamentalistes. Mais – même si c’est moins vendeur – elles doivent également laisser la parole à ces intellectuels musulmans qui défendent une foi solide, mais non défensive. Une foi qui accepte la raison humaine comme langue maternelle de la démocratie. Bref, une foi qui a traversé le complexe du homard.

Calendrier Maya – 33° dimanche, Année B

 « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ». (Marc 13, 24-32)

En cette fin d’année liturgique (dimanche prochain, c’est le « Christ-Roi », dernier dimanche de l’année liturgique), les lectures parlent des « fins dernières » en usant de ce qu’on appelle le style apocalyptique: « Le soleil s’obscurcira et la lune perdra son éclat. Les étoiles tomberont du ciel et ». Les amateurs de prédictions sont friands de coller une date sur la fin du monde. Ils le font à l’aide de Nostradamus ou du calendrier Maya .Tel n’est pas le sens de la parole du Christ. Oui, ce monde aura une fin, mais – comme le signale l’évangile de Matthieu pour le même passage : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul. » (Matthieu 24,36) Ne cherchons donc pas à fixer des échéances, mais vivons chaque instant avec une réelle intensité spirituelle. Car la vie est courte et fragile. Celui qui remet les décisions importantes « à plus tard », court le risque qu’un beau jour, il soit « trop tard ». A l’heure des réseaux sociaux, la mort soudaine d’un jeune est encore plus « stupéfiante ». Un instant plus tôt, il ou elle communiquait sur des bagatelles en toute légèreté sur sa page Facebook. Quand on est jeune, la mort semble bien abstraite. Puis soudainement, le fil de la vie se rompt et la page Facebook se remplit de messages de condoléances des copains. Oui, la vie est courte et fragile. A chaque génération ses guerres, tragédies et catastrophes. Une seule chose est durable et permanente : « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ».