Coup de pouce inattendu à la Marche pour la Vie :-)

C’est par mail que j’ai appris qu’une contremanifestation pour défendre le « droit des femmes à l’avortement » se tiendrait ce dimanche, même jour (27 mars) et même heure (15h), à quelques encablure de la place royale, lieu de départ de la «Marche pour la Vie ». Au programme des contremanifestants : échassiers, fanfare, château gonflable, goûter (offert) et discours politiques. Le motif ? « Montrons-leur que nous sommes nombreux-ses à être pour le choix ! »
Je tiens à rassurer les organisateurs de cette contremanifestation: Nos concitoyens sont en effet nombreux à être favorable au droit à l’avortement. Beaucoup ne souhaitent d’ailleurs pas que cette question éthique de premier plan vienne à nouveau chatouiller leur conscience. Je me rappelle un débat à ce sujet, l’année dernière sur les plateaux TV de la VRT. Dans l’émission « Fara », je me trouvais face à la sénatrice Marleen Temmerman, gynécologue, connue au nord du pays pour sa défense du droit à l’avortement. Le débat était franc, mais serein. A un moment donné, il y eut l’intervention d’un autre invité, venu sur le plateau pour parler de tout autre chose. Il représentait le monde de l’entreprise et était étiqueté comme proche d’un parti flamand aux idéaux démocrates et chrétiens. Cet invité me lança, avec une infinie condescendance dans le regard : « Enfin, il faut un peu vivre avec son temps. J’ai une fille de 17 ans. Je sais de quoi je parle ». Voilà pour moi l’argument-roi qui érige la paresse intellectuelle au rang de dogme social : « Il faut vivre avec son temps ». Je m’imagine fort bien quelque docte maître-esclavagiste des colonies, lançant en plein 18e siècle au jeune idéaliste, venu lui reprocher de réduire des hommes au rang d’animal domestique : « Il faut bien vivre avec son temps ». Non, Monsieur. La démocratie mérite d’autres arguments que celui de la poussive convenance aux mœurs du moment. Evidemment, qu’il s’agit de tenir compte de la culture dans laquelle nous vivons. Mais pas pour tout subir. La force des démocraties est de parfois forcer le destin. Quand Mitterrand et Badinter firent abolir la peine de mort contre la majorité de l’opinion publique française, ils en savaient quelque chose.
C’est là que la démarche des organisateurs de la « Marche pour la Vie » me bluffe. Ces jeunes universitaires – ils pourraient être mes enfants – sont « bien de leur temps ». Ils sont parfois fougueux – privilège de l’âge – mais nullement extrémistes et certainement pas fachos. Leur appel citoyen veut réveiller les consciences endormies par cette simple vérité : nous avons tous été un embryon. Une société qui ne reconnaît pas la dignité et le caractère inviolable de toute vie humaine à naître, ébranle le socle humaniste sur lequel elle est fondée.
Ces jeunes ne sont pas des agitateurs. Ils veulent propager leur message en invitant à une paisible marche. Pour attirer du monde, ils ne font pas appel à des échassiers, ou à une fanfare. Ils n’installeront pas de château gonflable et n’offriront pas le goûter. Et puis surtout : il n’y aura pas de discours politiques. Je leur avais prédit que cette seconde marche pour la vie ne recueillerait sans doute pas une grande attention de la part des médias. En effet, ce n’est plus la première du genre et la presse se lasse vite. De plus, avec l’actualité internationale dramatique du moment, les rédactions ont d’autres priorités un dimanche après-midi de printemps. Grâce à cette contremanifestation, je pense maintenant qu’il en sera autrement. La polémique est médiatique. Les organisateurs de la contremanifestation ont donc donné un sympathique coup de pouce à l’initiative courageuse des jeunes organisateurs de la « Marche pour la Vie ». Ce n’était sans doute pas leur but, mais ça – il fallait y penser avant.

Libye : La génération des génocides (le Soir 22 mars p.14)

Un regard intéressant et bien documenté de Jean-Paul Marthoz, Journaliste et essayiste, sur un courant de pensée influent dans l’administration américaine actuelle. Celui-ci fait écho à mon post: « Zorro et la realpolitik »

(…) Toutefois, les acteurs décisifs de ce drame (intervention en Libye aux Etats-Unis) se trouvaient (…) au sein même de l’administration démocrate, parmi ceux que l’on appelle les liberal hawks (« les faucons de gauche »), nommés par Obama en 2009 au Département d’Etat et au Conseil national de sécurité (NSC). Ces hauts responsables appartiennent à une génération formée au sein de la « communauté des droits humains ». Façonnée par la mémoire de l’Holocauste et par l’antitotalitarisme, entrée en politique lors des années 1980-1990, elle a été choquée par la passivité de la communauté internationale lors des génocides qui ont ensauvagé la fin du XXe siècle : au Cambodge, au Guatemala, au Kurdistan irakien, au Rwanda, en ex-Yougoslavie. Et elle a fait le voeu d’agir contre ce que Daniel Jonah Goldhagen, dans son dernier livre Worse Than War a appelé « l’éliminationnisme », « la volonté d’un Etat d’éliminer des peuples ou des groupes». Prix Pulitzer 2003 pour son monumental A Problem from Hell, une étude de l’Amérique face aux génocides, Samantha Power, responsable des droits humains au sein du NSC, a mené la charge. A côté d’elle, des personnes marquées elles aussi par l’histoire des massacres de masse et par l’inaction américaine : Susan Rice, l’ambassadrice à l’ONU, membre de l’administration Clinton lors du génocide rwandais ; Michael Posner, secrétaire d’Etat adjoint aux droits de l’homme et ancien directeur de l’ONG Human Rights First ; Harold Koh, le conseiller juridique du Département d’Etat et ancien doyen de la Faculté de droit de Yale ; David Pressman, chargé des crimes de guerre et de la protection des civils au NSC et ancien conseiller de la Cour suprême rwandaise ; Gayle Smith, directrice des affaires humanitaires au NSC et co-fondatrice de Enough, une ONG engagée dans la lutte contre les atrocités de masse en Afrique centrale et au Darfour. Ces dernières semaines, leur interaction a été constante avec les ONGde droits humains, en particulier Human Rights Watch, dont le directeur, Kenneth Roth, a défini dans un essai publié en 2004 les critères d’une intervention militaire au nom de la « responsabilité de protéger les populations civiles en danger ». Cette « pédagogie de l’ingérence » établit sept principes essentiels : l’intervention ne peut avoir lieu qu’en cas de violations massives et en cours des droits de l’homme
; elle doit être la dernière option raisonnable pour stopper les tueries ; elle doit poursuivre prioritairement un objectif humanitaire ; les résultats escomptés doivent être supérieurs à ceux qu’entraînerait l’inaction ; elle doit être menée dans le strict respect du droit humanitaire international ; elle doit recevoir – idéalement – l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies et viser, en premier lieu, à répondre aux intérêts de la population du pays concerné. La semaine dernière, les menaces du colonel Kadhafi ont réveillé le spectre des horreurs passées. Pour la « génération des génocides», Benghazi ne pouvait en aucun cas figurer sur la liste infâme des massacres perpétrés en toute impunité, aux côtés de Choeung Ek, Panzos, Halabja, Gikondo, Vukovar ou Srebrenica. ■

Marcher pour la vie (La Libre 22 mars pp.54-55)

Dr Cécile Deneyer, Monique Roisin, Eléonore Delwaide, Monique de Thysebaert, Anne Schaub, Michel Ghins, Charles Delhez, Bénédicte Gillis, Eric de Beukelaer, Carine Brochier, Laetitia Pouliquen, Xavier Muller, Dr Timothy Devos
et les moins de 30 ans : Michel de Keukelaere, Coralie Schaub, Domitille Trufin, Amandine Stas, Aude Gosset, Amandine Balland, Dominique Héron.
Collectif “marchforlife”

Ce dimanche 27 mars 2011, la deuxième Marche pour la vie partira de la place Royale à Bruxelles. L’année dernière, l’événement avait réuni près de 2000 participants. Les médias en parlèrent, insistant sur la présence du nouvel Archevêque. Derrière les commentaires de presse perlait souvent une incompréhension : plus de 20 ans après le vote de la loi dépénalisant l’avortement et mis à part quelques intégristes obtus, quel citoyen normalement constitué pouvait encore remettre en question “le droit fondamental de toute femme à disposer de son corps” ? Poser les termes d’un
débat, c’est choisir son terrain. Parler d’avortement en termes de “droit de disposer de son corps”, c’est obscurcir le fait que toute IVG met en jeu un autre droit, bien plus important encore : celui de vivre. Une société fondée sur les droits humains peut­elle déclarer sans mauvaise conscience qu’une vie commençante n’est pas inviolable durant le premier tiers de la grossesse (12 semaines), comme c’est le cas actuellement en Belgique ? Avec cette vie, nous partageons une même dignité. A ce titre, elle requiert notre total respect et solidarité.
A cela, il est régulièrement objecté que – bien entendu – l’avortement est un mal, mais qu’il s’agit du “moindre mal” face à certaines grossesses non planifiées. Tel fut l’objectif annoncé par le législateur : la dépénalisation partielle de l’interruption de grossesse était prévue comme un recours exceptionnel pour répondre à la détresse de la femme dans certaines conditions strictes. Or, comme il était à prévoir, la volonté du législateur fut détournée. Une illustration éclatante de ceci est offerte par la récente circulaire envoyée – en violation du principe de neutralité – par l’administration de la Communauté française à toutes les écoles, afin de servir d’outil didactique aux élèves du secondaire. Cette circulaire était intitulée “Droit à l’avortement en Belgique”. Or, parler aux élèves d’avortement en termes – non
plus de dépénalisation – mais bien de “droit” constitue déjà en soi un dangereux glissement sémantique. Celui­ci trompe les jeunes générations en banalisant un acte grave aux conséquences psychologiques non négligeables (1). Cette banalisation est renforcée par la quasi gratuité de l’avortement. Pour des adultes, celui­ci est même moins cher que la contraception. En effet, sur un coût total de 413,10 euro, la femme qui se fait avorter devra débourser 3,20 euros (et 7 vignettes de mutuelles). Au­delà du délai légal, la brochure rappelle même qu’un avortement reste légalement possible aux Pays­Bas et ceci jusqu’à deux tiers de la grossesse (24 semaines, soit la limite de viabilité). A la question “Trop tard… Quelle solution ?”, la brochure suggère deux options aux élèves : recourir à l’avortement ou proposer l’enfant à l’adoption. Nulle mention n’est faite de la condition d’“état de détresse” imposée par la loi. Le simple fait de tomber enceinte en étant jeune semble impliquer pareil état de détresse. Ensuite, alors que la brochure renseigne abondamment sur les possibilités d’avortement (avec des mots aseptisés tels que “contenu de l’utérus”, ou d’“ovule fécondé”), aucune information n’est fournie sur les modalités d’une proposition à l’adoption. Aucune réflexion, non plus, sur le fait que les couples désireux d’adopter sont nombreux et doivent souvent se diriger vers l’étranger, par manque de possibilités en Belgique (2). Enfin et surtout, la première possibilité semble la grande absente de cette brochure : “je garde l’enfant… comment la société peut-elle m’aider ?” Pour couronner le tout, à la question de savoir quelles sont les menaces qui pèsent sur l’évolution de l’avortement, les élèves apprendront dans le dossier pédagogique que le danger vient des “lobbys religieux au
Parlement européen”. Ben voyons. Vous avez dit : respect de la neutralité ?
Face aux protestations, les promoteurs de là­dite brochure ont argumenté que celle­ci était neutre, car uniquement informative. S’il en est ainsi, nous proposons qu’une autre brochure informative soit également envoyée à tous les établissements scolaires, en ce compris ceux du réseau officiel. En résumé, voici quels en seraient les arguments : “Il n’y a pas de bien plus précieux que la vie humaine. Voilà pourquoi, celle­ci se doit d’être protégée dès son origine. Ceci implique d’éduquer chaque élève à être responsable de sa sexualité. Bien davantage qu’une hygiène du corps, la sexualité est appelée à être langage de l’âme. En cas de grossesse non planifiée d’une élève, la première chose à faire, est d’accueillir la jeune fille et de l’écouter, sans jamais la culpabiliser. Il est également important de lui rappeler que l’avortement, présenté par certains comme une possibilité, n’est pas pour autant une réponse adéquate. Que le chemin qui consiste à porter cette grossesse à terme, afin de garder l’enfant ou, à défaut, de le confier pour adoption, est sans doute plus difficile à court terme. Qu’à long terme, cependant, cette voie est davantage porteuse de sens et donc de bonheur, car elle permet de sauvegarder une vie à naître”. Pareil message ne serait nullement contraire à la ”neutralité”, vu qu’il respecte l’esprit de la législation sur la dépénalisation de l’avortement, qui considérait celui­ci comme un ultime recours et non comme un droit banalisé. Pourtant, il y a fort à parier qu’envoyé par l’administration à tous les établissements scolaires, il provoquerait un tollé général et que d’aucuns exigeraient la démission de la Ministre. Pourquoi ? Parce que nous vivons dans une société où la mentalité abortive s’est généralisée et où l’avortement est banalisé. Tous ceux qui pensent que, bien loin d’être une avancée, pareille banalisation est une atteinte à la valeur sacrée de toute vie humaine, sont invités à se joindre ce dimanche 27 mars à 15h à la Marche pour la vie (3). Elle se veut une démarche citoyenne paisible, moderne et décomplexée. En effet, bien loin d’être passéiste, la défense de la vie est et reste un combat d’avant garde. La défense de la vie n’est d’ailleurs le monopole, ni des cathos, ni des chrétiens, ni même des croyants. Elle rassemble des citoyens conscients qu’un des socles de notre civilisation est la défense de l’inviolabilité de toute vie humaine.

(1) Un dossier sur les conséquences psychologiques de l’avortement, publié par l’Institut Européen de Bioéthique peut être consulté sur http://www.iebeib.org/fr/document/les­consequencespsychologiques­de­lavortement248.html
(2) Signalons le beau film “Juno”, maintenant disponible en vidéothèque. Il montre l’exemple d’une jeune fille enceinte qui confie son enfant dès la naissance à l’adoption.
(3) http://www.marchforlife.be

Zorro et la realpolitik

Dans sa chronique http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_libye-une-guerre-ethique-rapide-aerienne?id=5811493#newsArticlePane, Edouard Delruelle, président adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme écrit : « Vendredi soir, lors du débat de la « Semaine de l’Info », j’avais exprimé mon scepticisme au sujet de cette intervention militaire ; mais j’avais le sentiment d’être en complet décalage avec l’enthousiasme unanime de notre Parlement, des éditorialistes, de l’opinion publique, qui semblaient tous approuver comme un seul homme cette intervention militaire en Libye. Bon, depuis que les opérations ont débuté, des voix commencent à se faire entendre pour s’interroger sur l’objectif réel de ces frappes aériennes. Objectif humanitaire : secourir les populations civiles ? Ou objectif politique : déterrer Kadhafi de son bunker ? Et dans les deux cas, comment faire l’économie, à terme, d’une occupation terrestre de la Libye, avec le risque d’enlisement que cela comporte ? Et puis si la communauté internationale décide d’intervenir chaque fois qu’un dictateur tape du gourdin sur son propre peuple, il y a du pain sur la planche : Sarkozy et Pieter De Crem sont attendus demain au Yémen, au Bahreïn, pour ne rien dire de la Côte d’Ivoire, où Laurent Gbagbo réprime allègrement ses adversaires depuis plusieurs mois dans une indifférence grandissante. En fait, ce qui est horripilant avec ces ingérences, c’est qu’elles se présentent comme des opérations morales, et non comme des opérations politiques. Depuis quelques semaines, on nous décrit Kadhafi comme un monstre patibulaire, Barbe-Bleue sanguinaire qui défierait l’humanité, si bien que le conflit de Libye serait un conflit entre le Bien et le Mal. Kadhafi est effectivement un monstre patibulaire, mais avec lequel nous avons signé de juteux contrats pendant 40 ans, et sur lequel nous comptions encore il y a un mois pour renvoyer à grands coups de baston les immigrés africains dont nous ne voulions pas. Aujourd’hui, on lâche Kadhafi pour des raisons qui sont politiques et non pas morales : l’Occident n’a pas vu venir les révolutions arabes et a peur de perdre le contrôle dans la région ; la répression du peuple libyen est une occasion unique pour l’Occident de mettre le pied dans la région (qui regorge de pétrole, by the way), et il est probable qu’il y restera un bout de temps. Je ne dis pas qu’il faut rester les bras ballants. Une alternative, par exemple, c’eût été d’armer l’opposition libyenne, de lui donner les moyens de renverser elle-même le clan Kadhafi. Il n’est d’ailleurs pas trop tard pour le faire. Mais qu’on ne nous fasse pas croire (encore une fois) à la fable de la guerre éthique, rapide, aérienne. La bonne conscience humaniste, en l’espèce, relève au mieux de la naïveté, au pire de l’hypocrisie. N’oublions pas la formule célèbre de Clauzewitz : « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ». Posons-nous donc la question : de quelle politique cette guerre est-elle la continuation ? Quant à moi, je reste à ce jour incapable de répondre à cette question ».

Je ne partage que partiellement ce point de vue. Evidemment, il y a la realpolitik. Celle qui a voulu que l’Occident soutienne le régime libyen et profite de ses petro-dollars. Celle qui a permis de nous allier à des régimes autoritaires, car ils nous semblaient le rempart contre le fondamentalisme. Mais – même en politique – le calcul froid n’est pas la seule donnée du problème. La preuve ? Votons-nous uniquement pour des politiciens en fonction de notre raison et de calculs intéressés ? Partiellement, oui. Mais toutes les études démontrent que nos motifs ne sont pas que rationnels. Consciemment ou non, l’émotion joue un grand rôle : les électeurs votent aussi en fonction de l’aura qu’un candidat dégage de par sa capacité à nous enthousiasmer pour une cause. Eh bien, nos élus sont fabriqués de la même glaise que nous. Ce ne sont pas des robots. C’est donc le même cocktail qui dirige les grandes et petites décisions politiques : le calcul et la raison y jouent une part importante – c’est la realpolitik – mais l’influence de la passion et de l’intuition ne sont pas à négliger. En nombre de nos dirigeants occidentaux – comme en la plupart d’entre nous – il y a un Zorro qui sommeille. Un justicier au grand cœur qui rêve de casser la gueule aux méchants pour secourir la veuve et l’orphelin. Oui, comme le déclare Clausewitz, la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Mais non, la politique n’est pas que realpolitik. Consciemment ou non, il s’y dévoile une part d’émotion, de passion et même… d’idéal. Parmi les raisons de l’intervention en Libye, ne négligeons donc pas la voix de la conscience torturée de l’Occident face aux printemps arabes qui nous réveillent d’une certaine forme de cynisme politique, allié au fait que le régime libyen entre parfaitement dans le rôle du méchant. Bref, il n’a pas trop fallu pousser pour que Zorro se réveille en nos chefs d’états et de gouvernements – et ceci sous les applaudissements de l’opinion publique. La bonne conscience humaniste ne relève donc pas « au mieux de la naïveté et au pire de l’hypocrisie ». Par contre, là où je rejoins le président adjoint du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, est qu’on ne peut faire une guerre « propre »: aérienne, rapide… chirurgicale. Toute guerre – si éventuellement « justifiée » soit-elle – contient sa dose de barbarie. On ne se lance pas impunément, et la fleur au fusil, dans pareille aventure. Ces dernières années, l’Occident a démontré que sa capacité à commencer des interventions militaires n’avait d’équivalent que sa difficulté à les conclure. Pour le bien du peuple libyen et pour le rayonnement des valeurs humanistes, prions qu’il en aille différemment cette fois-ci.

Eenzaamheid en integriteit

Ik kende de deken van Kortrijk niet, maar de dood van een medepriester, op een paar jaren na mijn tijdgenoot, laat niet onverschillig. Omwille van feitelijkheden waarmee ik geen zaken heb en waarschijnlijk ook gebukt onder een verborgen vorm van depressie zou de man uit het leven zijn gestapt. Merkwaardig is dat we het hier niet hebben over een armzalige en verlegen pasterke die zijn weg niet vond bij de mensen. De deken was zachtmoedig, bemind en populair. Een succesvolle priesterleven is dus geen garantie tegen wanhoop. Men kan tegelijkertijd troostend optreden t.a.v. allen een troosteloos eenzaam door het leven gaan. “Wat hij voor anderen heeft kunnen doen, heeft hij niet voor zichzelf kunnen doen », zei bisschop De Kesel gedurende de uitvaart. « Aan deze vorm van eenzaamheid is hij ten onder gegaan. »
Eenzaamheid behoort tot elk menselijk leven. Celibatair of gehuwd, we blijven allen ergens een raadsel voor onze medemensen en eigenlijk ook een beetje voor onszelf. Deze “terra incognita” is de zetel van onze eigenheid. De kerkvaders noemden dit “de interne woestijn”. In deze woestijn blaast Gods Geest, om het ziel te inspireren dat luistert naar zijn stem. Geestelijke eenzaamheid is dus noodzakelijk en zelfs gezond. Daarom heeft een mens nood aan stilte en moet een gelovige tijd maken voor gebed.
Maar er bestaat een dodelijke vorm van eenzaamheid. Het heet “vervreemding”, een vorm van geestelijke kanker dat elke levensrelatie aantast: relatie tot de anderen, relatie tot God en relatie tot zichzelf. Wie ten prooi valt aan vervreemding, verliest de weg naar zijn eigen ziel. Zelfdoding kan dan een wanhopige poging worden om zichzelf te herwinnen. De tegengif heet “integriteit”. Deze is een vorm van intieme dialoog met zijn eigen ziel, met naaste vrienden en – voor de gelovige – met God. Wanneer donkere wolken boven ons leven zweven, deugt het niet om alleen maar met anderen bezig te zijn. Christus zei niets anders: “Bemin je naaste… begin met jezelf”. Met de jaren ervaar ik hoe moeilijk dit soms kan zijn, zelfs voor wie gelooft. Daarom moeten we blijven bidden voor wijlen de deken van Kortrijk en voor allen die lijden onder het juk van de vervreemding.

Five o’clock tea, parole d’expert et dessous des cartes.

« Une nouvelle chasse l’autre », me suis-je dit ce matin en voyant la « une » d’un de nos quotidiens. Disparu en pages internes, le Japon. Remplacé par un scoop et une photo : un de nos responsables politiques a pris le thé à Westminster. Je comprends le choix du point de vue médiatique, mais cela ne le rend que plus intéressant à commenter. Bien sûr que la radioactivité c’est dangereux et que cela fait très peur. Mais la radioactivité est invisible et n’offre donc pas beaucoup d’images. Après quelques jours, le public se lasse et on passe à autre chose… Une nouvelle chasse l’autre, même si la radioactivité – elle – n’a pas disparu. Cela dit aussi quelque chose de notre monde. Les enjeux les plus importants nous échappent : qui d’entre nous comprend vraiment ce qui se passe à Fukushima ? Cela reste le domaine de quelques spécialistes. Voilà ce qui a permis la construction de centrales nucléaires près d’une faille sismique et ceci, en oubliant de prévoir le risque de tsunami. La complexité du chantier fut couvert par la garantie de nombreux experts, qui eux-mêmes faisaient une analyse sur base d’autres expertises, qui elles-mêmes… Aujourd’hui, tout le monde se dit : « comment avons-nous pu ? », mais les experts n’ont rien vu. Il en fut d’ailleurs de même pour la crise des « subprimes », ces outils financiers tellement complexes et virtuels que leur niveau de toxicité avait échappé à tous ces experts qui avaient certifié la solidité des créances sur base d’autres expertises qui… Les analyses des experts sont précieuses et mêmes indispensables, mais toutes les analyses du monde ne remplacent pas un regard synthétique qui embrasse du regard tous les aspects d’une question. Ce regard fait de plus en plus défaut, de par la technicité des dossiers : tout le monde s’en mêle, mais plus personne ne sait encore vraiment de quoi on parle. D’où la floraison d’explications plus ou moins magiques : derrière la crise de Wall Street ou de Fukushima se cacherait un grand complot, voire un calendrier maya. Dans ma famille, il y avait ainsi un cousin éloigné qui expliquait tout drame du monde ou de la famille par le « dessous des cartes »… la vraie vérité qu’on nous cachait ; le grand complot secret de quelques forces tellement puissantes que personne n’en avait jamais entendu parler. La réalité est plus prosaïque : l’humanité veut avancer toujours plus vite et faire plus fort, sans prendre le temps de s’asseoir pour réfléchir à ce qu’elle fait : « Quel est celui d’entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout ? Car, s’il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui :Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever ! » (Luc 14, 28-29) Si le Seigneur revenait aujourd’hui, il changerait la parabole. Il parlerait d’un homme qui construit une tour sans prendre le temps de poser des fondations… La tour s’est effondrée et cela n’avait rien à voir avec le « dessous des cartes ».

Prime de risque

C’est avec intérêt que j’ai lu la présentation par Joan Condijts dans les colonnes du Soir (p.27) du dernier livre de Bruno Colmant et Benoît d’Udekem. ( « 2011-2013 : Les prochaines conflagrations économiques » De Boeck & Larcier). J’apprécie chez le premier des deux auteurs, avec lequel j’ai coécrit un ouvrage de dialogue-débat, une grande intelligence alliée à belle honnêteté intellectuelle. C’est ce qui permet à ce banquier d’envisager des chemins d’avenir en rupture avec le discours dominant de rigueur budgétaire, pourtant prôné par la banque centrale européenne sous influence de l’Allemagne – moteur économique de l’Europe et bon élève en la matière : « L’endettement public devient d’une telle inégalité qu’il doit se passer quelque chose. Et le scénario le plus probable est qu’on passe par une période d’inflation. » Une inflation contrôlée et canalisée, s’entend, mais une inflation tout de même. Je n’ai pas compétence pour me prononcer sur la question. Favoriser l’inflation est intellectuellement dérangeant, car c’est un peu jouer la cigale contre la fourmi : celui qui s’est endetté s’enrichit par rapport à celui qui épargne. Cependant, dans un environnement où le mauvais exemple de surendettement vient de la première économie mondiale, c’est peut-être cela « jouer la carte de la mondialisation ».
Ce qui retient surtout mon attention, est la motivation donnée : « Les Etats doivent en effet régler l’ordre social, c’est-à-dire le bien-être des générations à venir, et parallèlement gérer la valeur de la monnaie. Nous pensons que les Etats devront privilégier le premier au détriment du second.» Ici est rappelé en quelques mots que « l’économie politique », c’est l’économie au service de la politique – le bien de la cité – et non inversement. Or la politique n’est pas une science exacte, mais un art pratique. Aristote enseignait qu’elle n’est pas d’abord guidée par la sagesse théorique (sofia), mais bien par le bon sens pratique (phronèsis). Ce bon sens se doit donc d’être le gardien de l’ordre social en usant de souplesse et de pragmatisme. C’est pareille souplesse qui pourrait inviter à léser l’épargnant d’aujourd’hui pour soulager le citoyen de demain, car c’est lui qui devra in fine apurer la dette publique colossale contractée par ses (grands-)parents.
Plus loin encore est esquissé le profil de l’homme public souhaité : « il faudra aussi que des hommes de caractère émergent. Ils devront prendre des risques à titre personnel. Car dans les crises et les moments de perdition, ceux dont les schémas de pensée sont répétitifs et obéissants sont écartés par l’Histoire ». Cela est tellement vrai. Notre monde en perpétuel changement a besoin de créateurs plus que répétiteurs. Churchill, qui donnait comme conseil aux jeunes gens : « étudiez l’histoire », était le premier à oser des chemins d’avenir qui rompent avec le passé.
Voilà donc une invitation à prendre des risques et à le faire – non par égoïsme – mais en vue de l’ordre social. Ce faisant, gardons tout de même à l’esprit que dans une vie « l’assurance tous-risques » n’existe pas. Celui qui prend des risques doit être prêt à en payer le prix. C’est ce que nous rappelle la population libyenne… Pour les chrétiens, c’est le sens même du Vendredi saint qui voit cloué sur une croix Celui qui avait pris tous les risques de l’Amour. Mais la croix n’est pas le dernier mot. Il y a le matin de Pâques. Parfois ceux qui prennent des risques en payent chèrement le prix. Mais si leur cause est portée par l’amour, une fécondité leur survivra. A défaut d’être sage, il est donc de « bon sens » de prendre le risque de l’Amour, car ce qui donne du prix à une vie n’est pas d’abord la quantité des années ou la qualité du confort. Il s’agit de l’intensité du souffle.

L’héroïsme ordinaire

Il existe un héroïsme extraordinaire. Celui d’une Mère Theresa ou d’un saint François d’Assise. Ces êtres dont toute la vie dit quelque chose de la démesure de l’Amour.
Mais il existe également un héroïsme ordinaire. Celui de l’homme qui se jette à la mer pour sauver un enfant qui se noie. Ou du pompier qui se rend au cœur de l’incendie. Celui de ces résistants libyens qui défendent la liberté avec des moyens dérisoires. Celui de ces hommes et femmes qui travaillent à stabiliser la centrale nucléaire de Fukushima. Ils savent qu’ils y laisseront leur vie ou au moins leur santé. Pourtant ces personnes ordinaires y sont allés sans rechigner, laissant derrière leur conjoint et enfants pour sauver des milliers de vies. Et s’ils tombent, d’autres prendront leur place. A méditer par tous ceux qui désespèrent de notre humanité. Capable du pire, Monsieur tout-le-monde peut aussi se révéler un héros ordinaire.

Commission parlementaire abus sexuels (le Soir p.11)

« La situation, chez nous,
est pire qu’au sein de l’Eglise »
Denis Holsters, président de l’Ordre
des médecins, a dépeint,
mardi, devant la commission
parlementaire sur les abus
sexuels, une situation qu’il estime
« pire que dans l’Eglise », au
sein de sa corporation… Si un
évêque a la possibilité d’infliger
des sanctions ou une réaffectation
forcée aux prêtres abuseurs,
les organisations professionnelles
des médecins apparaissent
bien démunies face aux
déviants.