Les chrétiens fêtent ce dimanche la Pentecôte – soit l’avènement du Souffle fondateur qui inspira la communauté des disciples de Jésus, transformant ces hommes fragiles et peureux en apôtres indomptables de l’Evangile. Il y a quelque chose de cela – sous une version profane – avec le débarquement. Un prêtre âgé me confia : « Quand ce 6 juin 44, nous avons appris par Radio Londres « qu’ils » avaient débarqués, un souffle de liberté a traversé la ville. Nous n’étions pas encore libres, mais nous nous sentions rejoints. » L’élévation morale des soldats anglo-canado-américains des plages de Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword n’était, sans doute, pas différente de celle de la moyenne des jeunes de leur âge, mais le souffle libérateur qui les poussa à débarquer au péril de leur vie, rendit leur épopée « sacrée ». Ceci explique que – sans faire l’impasse sur les horreurs de la guerre – les cimetières des plages du débarquement sont devenus des sanctuaires de la civilisation.
Le débarquement comporte, en effet, un enjeu de civilisation. L’embrasement de 1939 fut multiple. En schématisant, on peut y déceler trois facettes de nature bien différente. La Deuxième Guerre mondiale, fut tout d’abord la troisième manche après la victoire prussienne de 1870 et l’humiliation allemande de 1918. En cela, la Seconde Guerre mondiale ne fut « que » le prolongement de la Première et la raison d’être du combat trouva, une fois encore, sa racine dans le XIXème siècle. Une deuxième perspective se superpose à la première : il s’agit de l’autre face géographique du conflit – soit la guerre entre les États-Unis et le Japon. Ici, est annoncé le XXIème siècle, dont l’épicentre se situe dans le Pacifique. Reste un troisième aspect. Plus profond. Plus sombre aussi. Un enjeu fondateur : la Seconde Guerre mondiale fut une guerre de civilisation. Non pas un choc entre deux cultures, mais bien un choix de civilisation au sein de la modernité occidentale. L’enjeu était l’utilisation de la technologie : arme de destruction massive de toute différence ou instrument d’intégration de la diversité ? Imposition du « meilleur des mondes » ou émancipation de l’humanité ? Telle fut la grande question politique du XXème siècle. Elle fascine encore, car elle n’a pas fini de nous interroger.
Avec sa puissante intuition géopolitique, c’est cet enjeu que Churchill esquissa, à l’aube du conflit mondial, dans son fameux discours du 18 juin 1940 aux Communes : « Si nous parvenons à lui (Hitler) résister, toute l’Europe pourra être libre, et la vie du monde progresser vers de hautes et vastes terres baignées de soleil. Mais si nous échouons, alors le monde entier, y compris les États-Unis, y compris tout ce que nous avons connu et aimé, sombrera dans les abîmes d’un nouvel âge des ténèbres rendu encore plus sinistre, et peut-être plus durable, par les lumières d’une science pervertie ». Un 6 juin 44, il fallut le courage de milliers de jeunes hommes sur les plages de Normandie (sans oublier ceux des rues de Stalingrad), pour que la civilisation connaisse une nouvelle Pentecôte.
En ce début de XXIe siècle, cultivons une Mémoire vigilante.