La raison contre les peurs – Laïcité et Marche pour la vie

Demain dimanche à 11h, l’émission radio Et dieu dans tout ça? – La Première RTBF, traitera du thème : « Religions et organisations philosophiques dans le débat public : jusqu’où aller ? » Votre serviteur y a participé, aux côtés (entre autre) d’Eliane Deproost – secrétaire-généraledu Centre d’Action Laïque (CAL). Malgré les différences philosophiques, chacun autour du micro défend la liberté d’expression, dans le respect de l’ordre public et des bonnes mœurs. Hasard du calendrier, demain à Bruxelles aura lieu l’annuelle « Marche pour la vie », au cours de laquelle des citoyens de toutes convictions philosophiques – parmi lesquels de nombreux catholiques – attirent l’attention de l’opinion publique sur la protection de la vie humaine, depuis sa conception jusqu’à sa fin naturelle. A ce sujet, Henri Bartholomeeussen – nouveau président du CAL – a publié jeudi dernier une chronique dans les colonnes du quotidien bruxellois « Le Soir » : « La raison contre les peurs »

Toute critique est respectable si elle vise le bien commun et s’appuie sur des arguments rationnels

Le président du CAL ouvre sa chronique par ces mots : « A l’heure où certains ressortent leurs velléités d’interdiction et agitent à nouveau leur catalogue de peurs à l’occasion de l’anniversaire du vote de la loi dépénalisant partiellement l’avortement en Belgique, le Centre d’action laïque souhaite appeler tous les démocrates à débattre des questions éthiques avec calme et rationalité. Toute critique est respectable si elle vise le bien commun et s’appuie sur des arguments rationnels. Agiter des craintes liées à l’émotion ou à des dogmes ne contribue pas à un débat démocratique serein. A cet égard, nous devons constater que la violence des campagnes contre les partisans de la liberté de choix pour les femmes et l’agressivité de ceux qui leur dénient le droit de disposer de leur vie sont fort éloignées de la sérénité. Les arguments scientifiques ou philosophiques rationnels sont de plus en plus évincés du débat au profit de communications qui recèlent mensonges, supputations et amalgames. »

« Toute critique est respectable, si elle vise le bien commun. » Voici donc la vision du bien commun défendue par la Marche pour la vie, telle qu’expliquée sur leur site web : « La Marche pour la Vie a pour objectif de promouvoir le respect de la Vie humaine, de la conception à la mort naturelle. Les participants demandent aux autorités compétentes la mise en place de politiques d’aide aux personnes dont la vie est remise en question par les difficultés et les souffrances qu’elles connaissent ou pourraient connaître, et l’abolition ou l’amendement de toutes les lois et décisions de justice contraires au respect intégral de la vie humaine. (…) Animés d’un grand respect pour chacun(e), les participants se désolidarisent de toute attitude blessante envers les femmes ayant subi un avortement. Les participants ne les jugent pas mais, au contraire, souhaitent les aider à prendre un nouveau départ. (…) Les participants établissent une distinction entre l’avortement, qui a pour but délibéré de supprimer une vie humaine et une intervention médicale qui aurait pour objectif de sauver la vie de la mère avec pour conséquence, inévitable et non recherchée en elle-même, le décès de l’enfant.»
« Toute critique est respectable, si elle s’appuie sur des arguments rationnels. » Les arguments rationnels existent et le nier ne contribue pas au « débat démocratique serein ». C’est ce que j’ai voulu rappeler dans une récente chronique, parue dans le quotidien « La Libre » : Avorter : un enjeu philosophique .

Le fait d’ouvrir un droit n’oblige personne à y recourir.

Le président du CAL poursuit sa chronique par ces mots : « Rappelons une bonne fois que le fait d’ouvrir un droit n’oblige personne à y recourir. Donner une possibilité élargit le champ des libertés individuelles pour tous les citoyens.»  C’est l’argument le plus faible de sa chronique. La polygamie et le port de la burqa en public sont interdits en Belgique. La loi doit placer des interdits, quand il s’agit de défendre un intérêt supérieur.  Je souligne qu’il en va de même pour l’avortement, qui reste pénalisé en Belgique au-delà du délai légal.

L’absence d’un cadre légal laisse le champ libre aux abus de toute nature

Le président du CAL énonce ensuite : « L’absence d’un cadre légal laisse le champ libre aux abus de toute nature, à la clandestinité et à de dramatiques situations de santé publique. Car en ce qui concerne le droit à l’avortement, encadré comme il l’est par la loi de 1990, c’est bien de cela qu’il s’agit. » C’est l’argument le plus fort de sa chronique : les avortements clandestins sont un phénomène à empêcher à tout prix.  Mais, à cet égard aussi, les arguments des organisateurs de la Marche pour la vie, méritent d’être entendus : « Les participants réaffirment le droit pour toute femme d’être informée des possibilités qui lui sont offertes pour mener sa grossesse à terme ainsi que son droit à une information sérieuse et objective quant aux conséquences qu’un avortement peut avoir sur sa santé physique et psychologique. Les participants adressent cet appel aux autorités publiques, aux médias, ainsi qu’aux personnes qui côtoient ces femmes en détresse. »

Laissons là les débats idéologiques 

Le président du CAL conclut sa chronique par ces mots : « Laissons là les débats idéologiques : rien n’est plus éloigné des préoccupations du citoyen comme du législateur. Rien n’est plus éloigné des préoccupations des professionnels de la santé qui assistent, au quotidien, à la détresse des femmes confrontées à des grossesses non désirées et qui connaissent les catastrophes sanitaires qu’entraînent les avortements clandestins. (… ) Qui a intérêt à empêcher nos enfants de disposer des outils leur permettant d’adopter une attitude de respect mutuel, de comprendre les mécanismes affectifs, de prévenir les MST/IST et les grossesses non désirées ? Quel agenda cet intérêt sert-il ? Poser la question, c’est y répondre. C’est un agenda purement politique. Un agenda qui veut maintenir les femmes en situation de dépendance. Un agenda qui refuse les évolutions de la société, en matière de liberté familiale notamment. »

Prêter aux marcheurs pour la vie un agenda « purent politique » visant à « maintenir les femmes en situation de dépendance », n’est-ce pas là justement sombrer dans le « débat idéologique » ? C’est le propre de la plaidoirie d’avocat que d’être tentée de noircir les motivations de son contradicteur. C’est, au contraire, le défi du diplomate que de vouloir entrer dans les réelles motivations de son adversaire, afin de davantage le comprendre et d’ainsi mieux communiquer avec lui. A la lecture de cette chronique, je me dis que l’heure de la diplomatie n’a pas encore sonnée au CAL. Toute possibilité de dialogue est-elle, dès lors, impossible ? Ironie de la presse – sur la même page que la chronique d’Henri Bartholomeeussen se trouvait une interview du philosophe agnostique André Comte-Sponville, à propos de son livre « Le sexe ni la mort » (Albin Michel, 2012).  Le philosophe y déclare : « Au fond, nous sommes passés d’une erreur à une autre : de la diabolisation du sexe à sa banalisation aujourd’hui. Ce sont deux erreurs. » Voilà une parole laïque qui rejoint la perception de nombreux marcheurs pour la vie. Si des différences subsistent quant à l’avortement, une action commune serait donc envisageable entre le CAL et d’autres courants convictionnels, pour prévenir le nombre des grossesses non désirées par un discours responsabilisant sur la sexualité. Chiche ?    

11 réflexions sur « La raison contre les peurs – Laïcité et Marche pour la vie »

  1. « Au fond, nous sommes passés d’une erreur à une autre : de la diabolisation du sexe à sa banalisation aujourd’hui. Ce sont deux erreurs. »
    Tout est là et résume parfaitement la situation actuelle !
    Quant au droit de « disposer de son corps » s’il amène à une grossesse non désirée, Est-ce vraiment un droit ? On p

  2. On parle énormément des femmes comme toujours mais je suis étonnée de constater que le rôle du « père potentiel » est rarement évoqué; alors, soit la femme subit une grossesse non désirée soit doit se résoudre au drame de l’avortement… L’homme, lui …

  3. Bonjour,
    Je suis laïque, mais je dois dire que le ton de l’article du Soir m’a laissé perplexe. Évidemment, le fond est pour moi une évidence et du simple bon sens. Par contre la forme me semble peu « pédagogique » et plutôt de nature à rebuter ceux qui ont une autre opinion.
    Par ailleurs, le point central me semble l’appel à la rationalité dans ce débat. A mon avis, c’est là que la bât blesse, en excluant de fait tout acte de foi. Effectivement, poser une égalité de principe entre conception et humanité (au sens d’être humain plein et entier avec tous les droits conséquents) est irrationnel et arbitraire. Mais je pense que c’est parfaitement admissible, même si je ne suis pas d’accord personnellement.
    Par contre, vouloir imposer à tous une interdiction d’avortement n’est pas admissible. La dépénalisation de l’avortement ne contrevient à aucun droit humain. Ce n’est pas le cas de la polygamie ou du port de la burqa qui contreviennent clairement à l’égalité entre les sexes.
    Je retiens l’appel à une action commune en matière de prévention et d’information. Les milieux laïques sont actifs dans ce sens depuis longtemps; ce serait bien d’avoir une unanimité sur les questions de respect entre les sexes, de contraception, de regard positif sur l’homosexualité entre autres.
    Bien à vous,
    Th

    1. Cher Thierry,
      D’abord ce n’est pas « mon » article dans « le Soir ». Mais une réponse à un article – d’où la forme un peu lourde.
      Je ne pose aucun égalité entre « humanité et « conception ». Je pose simplement la question de la dignité de la vie à naître: Décider à partir de quand la vie humaine est inviolable n’est pas irrationnel du tout. C’est une des bases de l’état de droit. Celui qui décide que c’est « à partir de six semaines » ne peut pas gronder que son voisin, qui – lui – affirme « à partir de la conception », est irrationnel. Pourquoi, dans ce cas, ne pas dire: « un an après la naissance »? Bref, arrêtons de déclarer que ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, sont dès lors moins rationnels que nous. C’est une position parfaitement émotionnelle et… dogmatique.
      Par contre, la question d’éviter autant que faire ce peut des avortements clandestins, est un réel sujet. Je le marque dans mon écrit.
      Bien à vous,
      EdB

      1. Bonjour Eric,
        Oui, désolé pour le quiproquo, mais j’avais bien compris qu’il s’agissait d’un commentaire à l’article du Soir (j’y suis abonné et m’attendais assez à une réaction).
        Je pense avoir bien exprimé que selon moi, une position arbitraire est bien recevable. Ceci dit, je fais une différence entre « à partir de la conception », qui est pour moi un a priori d’origine purement religieuse (ce qui ne lui enlève pas sa pertinence) et « à partir de x semaines », qui est une limite juridique simplement pratique.
        Bien à vous

  4. Bonjour,

    Je souhaiterai laisser la parole à des femmes elles-même au sujet de l’avortement, parce qu’il vont dans le sens du type d’action commune que vous préconisez, je me demande pourquoi on en lit si peu…

    « Dans le même esprit, j’ai eu un recours à un IVG.
    Je pense sincèrement que j’ai fait une erreur et il m’arrive d’y penser.
    Que l’IVG soit médicale ou naturelle, les douleurs psychologiques seront présentes à vie. »
    I*

    « (…) j’ai vécu aussi la grossesse non désirée avant mais il m’était impossible dans mon for intérieur de mettre fin à une vie naissante pour moi c’était impensable et le côté spirituel n’avait rien à voir là dedans puisqu’à l’époque je ne baignais dans aucune eau et j’ai décidé envers et contre tout de laisser cette vie éclore et que je saurais bien au moment venu comment gérer ça et j’ai donné naissance a une adorable petite fille qui a 35 ans aujourd’hui et je ne regrette rien et j’ai appris bien plus encore aujourd’hui sur le côté sacré que possède la vie, intuitivement je le savais à l’époque mais vu le nombre de personnes qui ne comprenait pas ma décision et qui ne voyaient que par l’IVG, j’aurais pu me laisser séduire par ce choix.
    Tout le monde ne réagi pas pareil mais je reste persuadé qu’il doit y avoir un certain nombre de femmes qui souffrent après une IVG. »
    T*

    « Cela explique aussi que, dans ces circonstances là, il n’y a jamais de « moment de deuil » et que c’est cela qui est difficile. Si au moins, on enterrait quelque chose, ou laissait partir un ballon dans le ciel. Mais on n’a rien. »
    B*

    Bien que ces témoignages de trois femmes sortent de nulle part, j’espère que les citer ici n’est pas un tort, mais je le fais aussi pour répondre à un argument de M.Marrique: car si il est irrationnel de considérer qu’il y a égalité de principe entre conception et humanité, alors cela veut dire que ces témoignages devraient être qualifiés d’irrationnels.

    Peut t-on qualifier la souffrance de ces femmes d’irrationnelle ?

    Il faudrait que toutes les femmes qui souhaitent avorter, puissent lire ce type de témoignages sincères (je crois qu’une seule des femmes citée était chrétienne).

    Cordialement,
    YW

    1. Bonjour,

      Je ne rejette nullement un ressenti irrationnel. Je suis moi-même athée, ce qui est parfaitement irrationnel et arbitraire.
      Il s’agit de minimiser la souffrance autant que possible. Cela peut passer ou non par l’avortement. Comprenez bien que personne ne défend l’avortement comme étant quelque chose d’anodin et de purement technique. Je défend simplement le droit d’y recourir pour celles dont c’est le choix en toute conscience. Ou de n’y pas recourir si le ressenti est autre.

      1. Monsieur,

        Reste que la définition du moment ou le foetus est un humain ou non est primordiale…car alors rentre en jeu la liberté de deux personnes.
        Cordialement
        Frédéric

      2. Bonjour,

        L’amie de l’un de mes cousin a eu recours à l’IVG deux fois de suite…le père du garçon, qui en a été attristé est pourtant notable local, et même gardien d’une église, bien que non pratiquant.

        Aussi, que le choix puisse être fait en toute conscience est un argument fort louable…en théorie.
        En pratique, cet exemple m’a pourtant convaincu que la conscience n’est hélas peut-être pas une richesse si partagée, et si facile à acquérir et transmettre.
        Je cite cette histoire, non pour crier haro sur eux ou qui que ce soit d’autre, mais juste pour apporter ma pierre à transmettre la conscience des dangers dont j’ai connaissance.

        Etre athée n’est à ce qu’il semble pas un ressenti…n’est-ce pas plutôt une absence de ressenti là où d’autres disent en avoir ?

        Je vous prie de m’excuser pour le ton un peu vif de mon commentaire précédent.
        Cordialement.

  5. Juste une remarque :
    Lorsqu’on voit une échographie réalisée en début de grossesse, on est étonné (en tout cas, moi je l’ai été) de constater à quel point on se trouve déjà devant un petit enfant en miniature. L’idée que cette petite miniature se trouverait dans la période « admise à l’avortement » me paraît absolument surréaliste …

  6. Bonjour,

    Suis d’accord avec vous mais, dans des cas exceptionnels, nous n’avons pas le droit de juger, comme le Christ n’a pas jugé la femme adultère ou Marie-Madeleine. Il leur a donné une chance de re-naître.
    Quen pensez-vous?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.