Tic tac, tic tac, tic tac… Boum!

Dans son édito du jour, Béatrice Delvaux – éditorialiste en chef du Soir – commente une récente étude sur la richesse des Belges. Les 20% des Belges les plus riches totaliseraient 60% de la richesse nationale; là où les 20% les plus pauvres ne possèderaient que 0,2% de celle-ci. Béatrice Delvaux commente: « L’évolution spontanée creuse, elle, le fossé entre un noyau dur de 10 % de très pauvres qui cumulent tous les handicaps (chômage, logement précaire, assuétudes…) et les plus nantis qui cumulent les avantages, comme la capacité à payer à leurs enfants les très bonnes unifs, les cours particuliers, les spécialisations ». Et l’éditorialiste d’évoquer l’économiste français Thomas Piketty dans Le capital du XXIe siècle, sorti il y a quelques semaines: «  Si vous prolongez la tendance actuelle jusqu’à 2040 ou 2050, prédit Piketty, les inégalités deviennent insoutenables. Même les plus fidèles adeptes du marché doivent s’en inquiéter. Or, les politiques ont les leviers pour résoudre la tension ou éviter l’explosion.  »  Il suggère un impôt progressif sur le capital, parallèle à l’impôt progressif sur le revenu. Non pour se venger des riches mais pour garder le contrôle d’une dynamique mondiale explosive.

Là se situe le cœur de l’enjeu. La richesse n’est pas un péché. C’est la pauvreté qui est le problème. Trop de précarité au milieu de trop de richesse, tue le contrat social et génère la violence. Le pape François ne déclarait rien d’autre ce dimanche. En visite pour une journée en Sardaigne, le souverain pontife a délaissé le texte qu’il avait préparé avant de rencontrer des ouvriers au chômage et des mineurs venus lui parler de leur condition et s’est exprimé spontanément pendant une vingtaine de minutes. « J’ai trouvé de la souffrance, ici (…) On vous affaiblit et on vous vole votre espoir. Excusez-moi si j’emploie des mots forts mais où il n’y a pas de travail, il n’y a pas de dignité », a-t-il déclaré. « C’est la conséquence d’un choix mondial, d’un système économique qui provoque cette tragédie, un système au centre duquel se trouve une idole appelée argent ». « Nous ne voulons pas de ce système économique mondialisé qui nous fait tant de mal. Hommes et femmes doivent être au centre (du système économique) comme Dieu le veut, et non pas l’argent ».

Plus prosaïquement, je rappelais dans ma chronique Quand les riches s’en mêlent’, parue dans les pages du quotidien ‘La Libre’ en septembre 2011, qu’il est dans l’intérêt bien compris des riches de veiller à un minimum de justice distributive. Du moins, s’ils ne veulent pas que leurs gosses partent à l’école munis de gilets pare-balles. Regardons la Grèce… Les tensions sociales augmentent avec les inégalités. Et la colère des pauvres est rarement pacifique . Tic tac, tic tac, tic tac…. Il est temps de rééquilibrer la répartition des richesses – avant qu’il ne soit trop tard.  

 

 

 

9 réflexions sur « Tic tac, tic tac, tic tac… Boum! »

  1. Bonjour,
    Je crois que les inégalités financières sont naturelles quelque part puisqu’il y a inégalité de compétence, d’investissement personnel dans le travail. Il serait erroné de mesurer le bien-être uniquement de ce point de vue. Par exemple, un pauvre gagnant 50 en 2003 et un riche gagnant 100 ; si en 2013 le pauvre gagne 80 et le riche 150 quel est le problème? L’inégalité s’est accrue mais le niveau de vie de chacun a évolué dans le bon sens. Logique puisque l’inégalité est naturelle (la différence de salaire est logique entre quelqu’un qui travaille 60h par semaine, 27h ou 37h ; elle est logique entre celui qui ose prendre des risques financiers et celui qui n’en prend pas ; elle est logique entre celui qui a fait 15 ans d’étude et celui qui n’en a pas fait). Si l’inégalité n’est pas acceptée, on glisse sur une pente qui nous amènera tôt ou tard au totalitarisme communiste (cf. Hayek, La Route de la Servitude).
    Concernant l’école (accès à l’université), la composante financière est, je crois, loin d’être déterminante (l’un de mes amis de condition modeste a reçu beaucoup d’aide pendant ses études ; ces dernières lui coûtaient environ € 150 par an pour le minerval). En effet, des parents « cadres » ou médecins ou autre pousseront plus facilement leur progéniture vers des hautes études, vers un univers plus « intellectuel » que d’autres. Si on veut vraiment donner à chacun la même chance, il faut, comme V. Peillon le propose, « arracher chaque enfant à sa culture, à sa religion, à sa tradition familiale, pour le mettre dans le moule de la République » ; soit tous au goulag ou à la révolution culturelle bis, comme vous le voulez.
    Je crois que la pauvreté doit être éradiquée, mais sur une base volontaire et individuelle (chrétienne), pas par la force via un régime central et autoritaire.
    Qu’en pensez-vous?

    1. Cher Monsieur,
      Vous vous situez dans le domaine des moyens: libéralisme vs. socialisme; action privée vs. action publique. Mon propos se trouve bien en amont. Il constate que le taux de pauvreté devient critique au vu de la répartition des richesses. Et que l’histoire apprend que cela est source de violence sociale. Bref, je ne parle même pas de morale, mais de « charité bien ordonnée… ». Lisez à cet égard mon article en lien qui compare « Versailles » et le « Blitz ».
      Cordialement,
      EdB

  2. Cher Eric,
    Un sujet compliqué que tu abordes là. Quelques commentaires de l’économiste/financier que je suis.
    La redistribution des richesses tend à décourager l’esprit d’entreprise, et la création de valeur en général (et donc la croissance). En effet, quel intérêt y a-t-il à investir mon temps et mon argent (avec tous les risques que cela comporte) dans un projet rentable si au bout du compte, je suis privé de la moitié du bénéfice ?
    Si le marché du travail était efficace, chaque salaire devrait correspondre à la valeur ajoutée du travailleur. Un job rare et fort demandé (càd à haute valeur ajoutée pour la société) doit offrir un haut salaire, de sorte à encourager un maximum de personnes à opter (en termes d’études et de formation) pour ce job, plutôt qu’un autre moins demandé et au salaire moins attrayant. Plus on redistribue les revenus, plus on casse ces incitants et plus on gaspillera des ressources à payer des gens à « casser des cailloux » (ou vendre des parapluies au Sahara, c’est selon).
    Taxer les revenus du capital existe déjà. Les taxer progressivement est une autre paire de manches en termes de faisabilité, mais pourquoi pas. Par contre, taxer directement le niveau de capital (et pas seulement les revenus qu’il génère) est injuste, car ce capital est le fruit de revenus antérieurs (du travail, notamment) déjà taxés. En plus, il encourage les cigales (=consommation immédiate) plutôt que les fourmis (=épargne et investissement), ce qui n’est guère prudent.
    Bref, l’enfer étant pavé de bonnes intentions, il faut se garder de toute naïveté en la matière et bien considérer toutes les conséquences des choix politiques en matière de distribution. Plutôt que de donner un poisson (= redistribuer un revenu sans conditions), il vaut mieux enseigner la pêche (= inciter les gens à choisir des jobs à valeur ajoutée, bien payés, et leur donner les moyens de faire ce choix). En d’autres mots : agir à la source des inégalités, plutôt que sur les inégalités elles-mêmes. En d’autres mots encore : agir sur les causes, et pas (seulement) sur les symptômes.

    1. Cher Tanguy,
      Une fois de plus, nous ne parlons pas de la même chose. Tu défends le fonctionnement du marché libre, que je ne conteste pas. Je pointe vers un sérieux disfonctionnement: non pas l’inégalité des revenus, mais l’actuel niveau d’inégalité des revenus – qui ne cesse de croître ces dernières années. Prenons une image: Une rivière est un fait et une chance. Ceci qui veut empêcher l’eau de librement couler vers la mer, va créer des inondations. Mais la civilisation qui refuse de placer des berges et des barrages pour réguler les flots… aura un marais. Source de maladies et empêchant toute construction. Il en va de même pour le marché libre. Sans gardes-fous, il devient le serpent qui se mange la queue. La hausse dans les sondages des partis anti-système n’est qu’un symptôme du malaise qui croît. Tic tac, tic tac… C’est tout le plaidoyer de la doctrine sociale de l’Eglise: un marché bien tempéré, qui permet l’émergence d’une classe moyenne forte et dynamique. L’exemple « Lula » et de quelques autres pays d’Amérique latine, est à méditer. Il est clair qu’aujourd’hui, une régulation efficace ne peut se faire au niveau de la Région wallonne ou de la Belgique. C’est l’Union européenne qui est maître du jeu, à défaut d’un arbitre mondial. C’est tout l’argument que j’ai développé dans mon dialogue avec Bruno Colmant dans l’ouvrage « la Bourse et la Vie ». Le fait que ce dernier prône aujourd’hui un taux d’inflation contrôlé en Europe pour faire baisser la pression sur la dette des pays du sud, est justifié par le souci de maintenir le « contrat social ». Amicalement, EdB

  3. Merci pour ces clarifications Eric. Je te rejoints sur bien des points. Avec une légère réserve sur ton diagnostic que les inégalités de revenus se seraient accrues ces dernières années. Pas plus tard qu’avant-hier j’ai assisté à un séminaire consacré à l’impact des changements institutionnels sur l’économie belge, et un professeur en économie a affirmé qu’il n’était pas exact d’affirmer que les inégalités de revenus s’étaient accrues en Belgique ces dernières années. Selon la mesure et la méthodologie utilisées, on peut aboutir à des conclusions fort différentes… Il n’y a donc pas consensus en la matière. Juste pour te donner un exemple, arguant d’inégalités stables en Belgique et même diminuant en Allemagne, Grèce (!!) et Portugal: http://www.express.be/business/fr/economy/linegalite-des-revenus-est-reste-stable-en-belgique-de-2007-a-2011/184200.htm

    1. Cher Tanguy, Il y a les experts et leurs méthodologies. Et il y a l’expérience quotidienne sur le terrain, telle celle que je fais à Liège. La pauvreté augmente et elle touche désormais des personnes socialement intégrées qui, à un moment donné, tombent sous le seuil de flottaison. Quand les médias parlent de réduire certains salaires de patrons publics à 290.000 euro, ceux-ci ont du mal à se sentir membre de la même société. Pourtant, c’est cela la base du « contrat social ».

    2. Tanguy,
      On sait la « relativité » des statistiques : il y a une méthode rigoureuse et mille interprétations. Une moyenne, ou un instrument plus (soit disant) sophistiqué ne peut fonder une réflexion : la statistique n’est qu’un instrument « historique », il interprète un passé ou même un présent récent; le reste est du ressort de l’interprétation…Il nous reste notre action et notre engagement.
      L’inégalité en Belgique, est un fait constaté et objectivé, tant au niveau statistique (répartition des patrimoines, des revenus, etc.) . Notre système de protection sociale (hyper généreux) au niveau européen et planétaire, n’a pas réduit l’écart des richesses : mais c’est un fameux filet que beaucoup d’autres pays peuvent nous envier : mais nos largesses ont aussi leurs limites…
      Nous sommes aussi un paradis fiscal pour les « riches »…et un paradis social pour les plus démunis. Comment est-ce possible?…
      Chercher la réponse…

  4. En effet ! lorsqu’après une vie de travail on se retrouve avec 11OO euros par mois pour vivre, les 290 000 euros passent assez mal !

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