Le chemin de Damas et l’hôtel de Justin

Sur la route de Syrie
Emouvants récits, publiés dans le quotidien « La Libre » de ce jeudi (p.4), de deux parents de jeunes dhihadistes, partis se battre en Syrie. Sean a 23 ans et est le fruit d’un amour d’étudiants. Il a toujours vécu avec sa maman, d’origine congolaise, entre Molenbeek et Laeken. Il a étudié à l’Athénée Royal de Jette, puis entrepris des études de tourisme au Ceria. “À 21 ans”, raconte son père imprimeur, “le frère d’un de ses meilleurs amis, Sébastien, est décédé dans un accident. C’était un drame. Ils ont fait des prières à la mosquée. C’est comme cela que cela a commencé. Sean a lu le Coran. Il s’est converti. Au début, il n’était pas très engagé. C’est venu progressivement. Il s’est converti à la nourriture halal. Il a commencé à écouter des sourates dans son MP3 quand je travaillais avec lui”. Le fait que Sean était métis (tout comme Sammy d’ailleurs) l’a sans doute aidé “à s’intégrer plus facilement dans la communauté nord­-africaine”. Le père pense que son fils cherchait sa destinée et son identité. “Il voulait faire l’islam à fond, un islam sincère et pur”, dit­-il. L’été dernier, le jeune Laekenois est parti faire le pèlerinage de La Mecque comme tout musulman doit le faire une fois dans sa vie. À son retour, il s’était laissé pousser la barbe. Aurait­-il dû s’alarmer ? A posteriori, le père regrette. “Moi je suis bouddhiste”, répond-­il. “J’ai une grande ouverture d’esprit. Je me suis dit qu’il devait faire son expérience. Je lui donnais cet espace de confiance. Mais je regrette. J’aurais dû intervenir. Mais que peut­-on dire à un jeune de 23 ans ?” Sammy est né à Bruxelles le 9 août 1989, d’un père catholique, d’origine ivoirienne, et d’une mère belge, qui milite depuis longtemps dans les mouvements pour la paix. Ils sont aujourd’hui séparés. “S’il n’était pas dans la religion musulmane, il aurait été curé dans la religion catholique”, dit de lui sa mère. Car Sammy a connu un élan religieux très tôt. À l’âge de sept ans, à la suite d’un cours de religion catholique, il demande à être baptisé. Adolescent, vers 14­15 ans, il se convertit à l’islam, une religion qu’abhorrait son père. “Je n’ai pas montré de désaccord”, dit sa mère. “J’ai dit: c’est ton choix. Je me suis levé parfois à 5 heures du matin pour lui préparer à manger pendant le Ramadan !”. Là aussi, la radicalisation est venue en douceur. “Je suis presque sûr que c’est un cheminement”, dit sa mère. “Il y a eu des rencontres. Il voulait se marier et inviter un imam de Molenbeek qui, disait­-il, faisait des prêches magnifiques”. Sammy, qui vit chez son père, renonce à des études de droit devant le bureau des inscriptions à Saint­-Louis. Il se lance alors dans les petits boulots. (…)  En novembre, alors que la mère de Sammy se trouvait en Allemagne et que le père de Sean était en Espagne, le groupe de Laeken est parti pour la Syrie. Les parents n’ont eu des nouvelles que plusieurs semaines après. Sean a téléphoné pour dire qu’ils étaient en Turquie, à faire de l’aide humanitaire dans les camps de réfugiés syriens. “C’était leur couverture pour aller en Syrie”, dit la mère de Sammy. Le père de Sean demande aujourd’hui qu’on ne juge pas son fils comme un “terroriste”, mais comme un jeune converti, parti chercher sa voie à l’étranger. “Ils étaient en recherche d’une identité propre”, dit­-il. La mère de Sammy, elle, a de temps en temps un contact avec son fils sur Skype ou par des appels de GSM dont les numéros changent constamment. Son fils lui a dit qu’il voulait se marier en Syrie. “Je lui ai dit de rentrer, car il va se faire tuer”, dit­-elle. “Il me dit que sa vie est là­-bas. Il m’a assuré qu’il avait ses papiers avec lui. Je n’ai pas senti de contrainte. Moi qui ai milité dans les mouvements pacifistes, je sais que mon fils porte la kalashnikov. Je ne l’accepte pas. Mais il ne veut pas rentrer”.

Sur le parvis de l’hôtel
Ces récits mettent l’opinion publique belge mal à l’aise. Réaction paradoxale. Comment jugerions-nous un jeune qui, en 1940, serait parti pour Londres, afin de combattre les nazis? Nos gouvernements soutiennent l’opposition syrienne… Pourquoi, dès lors, s’inquiéter du fait que certains de nos jeunes compatriotes s’engagent à son côté? La cause syrienne serait-elle moins noble? Non. Alors quelle différence? Le bourrage de crâne de ces jeunes et le fait que notre perception du conflit syrien change. Cette guerre civile nous apparaît moins comme une lutte de libération et plus comme un conflit de religion. Conflit entre l’orthodoxie sunnite, soutenue par le Qatar, et la « secte » alaouite qui détient les rennes du pouvoir, aidée par ses cousins shiites d’Iran. Un conflit qui tient la population en otage. Cette lecture des choses n’est pas tout à fait exacte. La cause de l’opposition syrienne mérite le respect. Mais la tournure des printemps arabes a rendu l’opinion publique occidentale prudente. A la manière de nombre de chrétiens d’orient. D’où le malaise: Pourquoi nos jeunes partent-ils rejoindre des hordes de barbus fanatisés? La réponse est pourtant connue. A la manière des combattants marxistes une génération plus tôt, ils sont en quête d’identité et d’idéal. Quête stupide ou méprisable? Nullement. Dévoyée? Partiellement, sans aucun doute. Mais d’autres quêtes moins périlleuses, n’en sont pas pour la cause plus édifiantes. En p.33 du quotidien « le Soir » de ce jour, je lis que la venue de Justin Bieber en Belgique créé l’habituelle hystérie collective. Une mère déclare: « Je suis ici pour ma fille. Justin est tout pour elle. Je l’accompagne lors du jour le plus important de sa vie. C’est un événement exceptionnel ». Une jeune fan déclare: « Hier, j’ai attendu quatorze heures devant l’hôtel en espérant le voir. Je l’aime tellement. J’espère le voir aujourd’hui. J’attendrai toute la journée s’il le faut ». Un garçon renchérit: « Justin est mon héros. J’aimerais être capable de m’habiller aussi bien que lui, d’être aussi beau et drôle ». Je n’ai rien contre le jeune chanteur canadien, mais en lisant cela,  je pense très fort: « Allo, non mais allo quoi! » Et soudainement, je comprends mieux ce que sont partis chercher Sean et Sammy sur la route de Damas.

Prions pour le peuple syrien et pour ces jeunes combattants, pétris d’idéal autant que de fanatisme.

 

3 réflexions sur « Le chemin de Damas et l’hôtel de Justin »

  1. Merci pour ce message. Sans approfondir autant le sujet, Henry Goldman écrivait il y a quelque temps sur facebook qu’il ne comprenait pas pourquoi on ne voulait pas que de jeunes Belges aillent se battre en Syrie mais qu’on était en faveur de l’envoi d’armes là-bas pour que d’autres jeunes se battent

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