Minorités chrétiennes en terre d’islam : attention, danger d’extinction

Il m’arrive de méditer le testament de Dom Christian de Chergé, le prieur assassiné des moines de Tibhirine. En voici un extrait : « Je sais aussi les caricatures de l’Islam qu’encourage un certain idéalisme. Il est trop facile de se donner bonne conscience en identifiant cette voie religieuse avec les intégrismes de ses extrémistes. L’Algérie et l’Islam, pour moi, c’est autre chose, c’est un corps et une âme. Je l’ai assez proclamé, je crois, au vu et au su de ce que j’en ai reçu, y retrouvant si souvent ce droit fil conducteur de l’Évangile appris aux genoux de ma mère, ma toute première Église, précisément en Algérie, et déjà, dans le respect des croyants musulmans ».

Je fais mienne cette confiance en la coexistence pacifique entre musulmans et chrétiens. Mais inutile de se voiler la face. De puissants mouvements néo-fondamentalistes n’en veulent pas. Ils considèrent les minorités chrétiennes en terre d’islam – parfois pourtant bien plus anciens occupants de ces pays qu’eux-mêmes – comme des intrus et œuvrent dans l’ombre pour les chasser par toutes voies de fait. Ci-dessous l’édito du jour (1.), paru dans le quotidien bruxellois « le Soir », peu suspect d’être à la solde de lobbys chrétiens. Pour ceux qui lisent l’anglais, je fais le lien entre son analyse et le récit reçu, il y a peu d’une connaissance en voyage chez les chrétiens d’Irak. Parfait exemple du civil servant européen, ce témoin n’a rien d’un islamophobe. Ce qu’il écrit – j’en publie ici des extraits (2.)  – n’en est que plus poignant. Il est temps que l’opinion publique occidentale – en ce compris musulmane – prenne conscience de ce drame et fasse savoir par toutes voies politiques et diplomatiques que le sort des minorités chrétiennes ne leur est pas indifférent.  Si les minorités chrétiennes disparaissent de ces pays qu’elles occupent, parfois depuis l’origine du christianisme, personne en Occident ne pourra prétendre « qu’il ne savait pas ».

1.    « Silence, on tue des chrétiens ». Edito paru dans « le Soir » du 27 décembre 2011 par MAROUN LABAKI  « Le nord-est du Nigeria, c’est loin. On ne peut le nier. Mais les minorités chrétiennes d’autres régions ou pays majoritairement musulmans, à tous égards plus proches, sont également la cible d’attaques meurtrières. Des violences de plus en plus fréquentes? L’Histoire en dressera le bilan. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que les malheurs des minorités chrétiennes continuent à être accueillis avec une certaine indifférence dans les pays occidentaux. Il n’est en réalité que la vieille droite, voire l’extrême droite, pour s’en émouvoir. La gauche et les laïques sont largement aux abonnés absents. Comme si ces chrétiens isolés étaient foncièrement suspects, tous des adorateurs de Dieu, de Pétain et d’autres reliques poussiéreuses. Sans doute la Realpolitik – qui n’a, comme on sait, pas de couleur politique – est-elle aussi pour quelque chose dans cette indifférence. La protection des minorités, également au sein des systèmes démocratiques, est un enjeu universel, crucial, imposant. Et la responsabilité de les protéger ne doit souffrir aucune exception. En l’occurrence, les minorités chrétiennes sont des confettis de notre monde, mâtinés d’autres riches influences et éparpillés par les bourrasques du temps. Ce sont les dépositaires de nos valeurs autant que des ponts jetés vers d’autres cultures – si précieux à l’heure où l’enthousiasme qui avait salué le Printemps arabe fait place au doute. Certes, il est arrivé que les minorités chrétiennes, en terre d’Orient principalement, se fourvoient, qu’elles se trompent d’alliés. C’est toujours le cas en Syrie, par exemple, où nombre de chrétiens défendent à présent le régime finissant de Bachar el-Assad, qui est l’émanation d’une autre minorité, les Alaouites. Choquant ? Sans doute. Mais tellement compréhensible ! Les chrétiens de Syrie ont peur des islamistes, qui ont partout autour d’eux le vent en poupe – et qui ne sont hélas ! pas tous « modérés ». Ils savent que les crucifix ne suffisent pas, qu’ils n’ont jamais empêché les croix de se dresser dans les cimetières. C’est la panique, le sauve-qui-peut… Nous devons apporter une réponse crédible à leur vulnérabilité, répondre à leurs regards implorants ».

2.    A journey amongst Christians in Iraq: (…) Up to 2003 it seems christians had not fled the war and chaos in any greater numbers than muslims or other groups. Since then all is changed. At least one third, and probably up to half of iraqs christians have left the country in less than a decade, having been here since the dawn of christianity and long before islam arrived on the scene in the 7th century. The continuing presence of americans in iraq after 2003 served as a magnet for the more extreme islamists, including al qaeda. As the country degenerated into sectarian violence between sunni and shia, the christians were caught in the middle of a country that has become increasingly intolerant towards minorities after decades of enforced secularism under saddam Hussein. Up until now the mainly-kurdish north of the country proved a relatively safe haven for Christians. Firstly because the areas controlled by the kurdistan regional government have been largely spared the violence of the south, running their own affairs since the kurdish uprising of 1991 at the end of the first gulf war when america declared this part of the country a safe haven, but also because this is the historical homeland of Christian Iraq. So when the country started to descend into chaos after 2003, many of the christians in baghdad and other cities in the arabic south of the country fled north to kurdistan where they mostly still had family or clan links. I have met a number of priests here who told me that they had previously worked in baghdad but that their church is now closed because the whole congregation has either moved north or left the country entirely. (…) Fear has now started to take hold among the christians in the north too. On my second day here we visited the town of zakho where only 2 weeks earlier a pogrom had taken place following Friday prayers. All fired up by angry imams, muslim youths poured out of the mosques and headed for the christian districts where they proceded to smash up and burn the businesses of the ‘infidel’ Christians. The main targets were hairdressing salons and liquor stores. A Chaldean sisters set about filming the violence on her mobile phone to collect evidence. I watched the clips on her phone and was just astounded at the wanton violence of up to 100 youths as they smashed up two shops, but equally amazed at how this sister had the courage to just stand there filming it all. She explained it as if the youths were zombies who had been programmed (or paid) to mindlessly carry out one deed  so they were not even aware of her presence. (…) An even more sinister side to the pogrom was the flyers that were scattered in the broken-up shops. The sister gave me a copy of one she had collected and read it for me. Written in Kurdish it warned the owners of the shops that if they were to open up their business again, the next time they would be killed. (…)  A Christian spiritual leader invited us into his home and told us that the violence was not spontaneous but planned and part of an orchestrated campaign to try to force all Christians to leave Iraq. Since 2003 the strict wahabi strain of sunni islam has been exported by Saudi Arabia to Iraq. According to that source, the Saudis pay for the construction of mosques and madrassas (coranic schools) as well as providing other social services. All the while promoting their intolerant brand of islam that preaches the presence of christians on muslim soil is an abomination which all good Muslims must end. As proof of his conspiracy theory, he told us that any attempt to contact the police, mayor or other authorities on the day of the pogrom were met with switched-off mobile phones. When he did manage to get through to one police chief, he was told that the crowd was too big for the police to manage so they were staying away. The Christians then decided to protect themselves and by calling around got together a group of young men armed with Kalashnikovs. By firing into the air they were able to disperse most of the violent thugs. It was only when some of the muslims then came back with their own guns that the police finally arrived (about 7 hours after the violence had started) to calm the situation and prevent a complete bloodbath. When we visited the Chaldean monastery, the prior told us of further episodes of the ongoing persecution of Christians in Iraq. During the past summer the monastery received 100 families fleeing from Baghdad. He was critical of European countries in particular. Christians here feel neglected, abandoned by their brothers and sisters in Europe, he said. From watching European media he gets no sense that there is any realisation of what is going on so he understands that ordinary people in europe are ignorant of the fact even that there are Christians in Iraq at all. But the political class must be aware of what is going on but does nothing.(…)

2 réflexions sur « Minorités chrétiennes en terre d’islam : attention, danger d’extinction »

  1. Je n’approuve pas l’expression « terre d’islam » : une religion n’est jamais liée à un territoire. Les prétendues « terres d’islam » sont de vieilles « terres chrétiennes » conquises le plus souvent par la force et martyrisées ; la Turquie et le Proche-Orient sont exemplaires à cet égard.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.