Mariage pour tous – Deux réflexions

Par manque de temps, je ne me suis pas encore prononcé dans ce blog sur le débat qui agite la France autour du mariage pour tous. Sur le fond, personne ne s’en étonnera: mon avis sur la question du « mariage pour tous » rejoint celui exprimé par les évêques de Belgique. Dès 1998 – donc avant l’adoption de la loi sur le mariage homosexuel – ceux-ci ont déclaré qu’ils comprenaient que des couples unisexes stables demandent un statut reconnu par la société avec des droits et des devoirs réciproques. Cependant et afin de préserver la symbolique de l’alliance conjugale entre l’homme et la femme, ils ne souhaitaient pas que pareil statut se confonde par mimétisme au mariage. A réalité autre, construction juridique adaptée. De même, ils déclareront plus tard comprendre que les élus de la Nation offrent aux enfants éduqués par des couples homosexuels toutes les garanties légales nécessaires, mais qu’ouvrir un droit généralisé à l’adoption aux couples unisexes ne serait pas dans l’intérêt des enfants. Depuis, des lois légalisant le mariage et l’adoption homosexuelle ont été votées en Belgique. Je n’ai pas changé d’avis, mais je prends acte de ce choix démocratique et, comme tant d’autres, j’ai des connaissances homosexuelles qui « ont fait le pas ». Pour varier le débat, ce n’est donc pas sur le fond de la question que je souhaite ici m’arrêter, mais bien sur deux de ses aspects connexes.

Le premier est la crise de l’institution civile (en France: républicaine) du mariage. Une récente étude sociologique montre qu’en Belgique, 45% des enfants, sont nés en 2009 hors mariage, alors qu’ils n’étaient que 4% en 1980. En France – chose impensable, même sous Mitterrand – le chef de l’Etat n’est pas marié, sans que cela ne crée de grosses polémiques – et son prédécesseur se re-re-maria en cours de mandat. Cela illustre bien que quand on parle de « mariage pour tous », il faut se rendre compte que l’institution protégée par le Code civil est paradoxalement bien plus en perte de vitesse que la conception catholique du mariage. Je comprends donc l’argument de certains théologiens, qui suggèrent de donner un autre nom que celui de « mariage » au sacrement catholique, ce dernier désignant un engagement bien précis: l’union indissoluble (pour le meilleur et pour le pire) entre un homme et une femme. En effet, l’écart entre la réalité profane et culturelle du couple et celle du sacrement, devient aujourd’hui très grand. Ces théologiens se demandent donc si un même nom (mariage) peut encore désigner deux réalités devenues si différentes, sans créer trop de malentendus. Puisque la société a transformé en profondeur la conception civile du mariage, peut-être l’Eglise devra-t-elle transformer le nom qui est donné au sacrement, afin d’en préserver le sens. Voilà en tout cas, un beau sujet à méditer.

Un second aspect des choses qui m’a frappé, c’est que nous sommes adeptes de la démocratie… tant que les autres pensent comme nous. C’est, en effet, ce que je me suis dit en observant la réaction navrée de nombre d’observateurs belges, face au succès de la mobilisation française contre le « mariage pour tous ». « Comment se fait-il que la France – pays laïque par excellence – ne puisse avoir un débat serein sur le sujet? », fut le commentaire de plus d’une rédaction dans notre pays. La presse aurait-elle dit la même chose si un demi-million d’indignés était descendu dans les rues de Paris pour contester l’austérité économique? Non, bien sûr. Alors, pourquoi ce deux poids, deux mesures? Parce que – selon ces observateurs –  le « mariage pour tous » irait dans le sens du progrès. Curieux, tout de même, que des penseurs qui se disent attachés à la laïcité, développent une vision quasi sacrale de l’histoire. Pourquoi le mariage entre personnes du même sexe, irait-il forcément dans le bon sens? Réponse habituelle: « Parce que cela respecte davantage la libre volonté des individus ». Dans ce cas, pourquoi s’accrocher à la monogamie? Pourquoi ne pas également permettre le mariage entre plus de deux adultes consentants? Cet exemple par l’absurde, illustre que les critères qui fixent le mariage sont un choix de société. Et choisir, signifie mettre une limite. Celle-ci exclura inévitablement certaines personnes. Pareil choix n’est pas anodin. Il est donc sain qu’un vaste débat de société s’organise en France sur le sujet et que celui-ci mobilise de nombreux partisans des deux positions. Je salue surtout le fait que l’unanimité se soit faite entre les deux camps pour condamner toute forme d’homophobie. Combattre le rejet de l’autre, c’est cela – bien plus qu’un consensualisme mou sur tout sujet de société – qui est un indice de la bonne santé démocratique d’une société.

8 réflexions sur « Mariage pour tous – Deux réflexions »

  1. Merci Eric pour cette prise de position. Ce qui me réjouit dans le débat en cours est de constater qu’il y a maintenant un large consensus pour reconnaître l’importance, pour les couples de même sexe qui le désirent, d’une reconnaissance sociale de leur engagement. De nombreux catholiques répètent cela y compris parmi les manifestants de dimanche dernier.
    D’autre part, je pense que Mr Hollande a rendu un grand service aux communautés de foi en parlant de « mariage » pour tous. Cela permet aux opposants d’insister sur la spécificité de l’union d’un homme et d’une femme, que j’admets tout-à-fait. OK les Eglises et autres communautés ont un répit avant de se prononcer sur ce qui compte avant tout pour moi: l’accueil en leur sein de couples homosexuels. Je suis profondément reconnaissant à ma paroisse protestante d’offrir un tel accueil à mon compagnon et à moi.

  2. Bonjour,
    Très intéressant comme point de vue. J’avais appréhendé le problème de l’utilisation du mot « mariage », mais sans envisager le changement de nom de la part de l’Eglise.
    Ci-dessous, un commentaire laissée sur Contrepoints.org (blog libéral, d’où l’approche économique) :
    Le problème avec la mariage pour tous, c’est, outre la conséquence de l’adoption, l’utilisation du mot « mariage ».
    En effet, ce dernier a une histoire ainsi qu’une connotation religieuses, ce qui fait qu’en changer les modalités change profondément les repères de la société.
    Qu’aurait été l’effet si l’Etat avait appelé ça « union civile »?
    Quant à l’approche libertarienne, elle donne, à raison je crois, la possibilité à tout individu de « souscrire » à ce type de contrat, qu’il soit le sacrement catholique (homme-femme, indissolubilté, …), la bénédiction protestante (homme-femme, divorce possible selon les confessions, etc.), ou n’importe quel sorte de contrat établi entre les deux parties (ou plus?) pour organiser un cadre de vie, avec établissement des devoirs et obligations, clauses particulières et cie. Dans ce troisième cas, le contrat pourra (devra?) porter n’importe quel nom (union civile, accord de vie, contrat d’entraide,…).
    Mais l’utilisation du mot « mariage », qui je le répète a une connotation religieuse, précisément catholique (dans nos contrées en tout cas), m’évoque une sorte d’abus sur le nom du « produit offert ».
    Le mariage reste de facto une « marque déposée » de l’Eglise.

    Qu’en pensez-vous?

  3. En débattait mardi soir à la radio, avec cet avis (que je partage avec moi-même :=)) que l’énervement autour du « mariage pour tous » résulte d’une différend sémantique, du conflit entre la revendication légitime d’une union civile entre personnes de même sexe et le contenu spirituel d’un mariage religieux; les deux regroupés sous le même vocable… D’où ton idée de changer le nom de mariage me semble séduisante pour apaiser les invectives venues des deux côtés de la barre. Mariage (de mars, l’homme), régime « matrimonial » (de la mère), etc… : un débat à achever… Enfin, l’invocation par les manifestants de Paris du « droit à un père et à une mère pour les enfants » m’a surpris par son simplisme. Veuf depuis 8 ans, j’ai élevé seul mes enfants alors en bas-âge et n’ai pas l’impression d’avoir failli à leur éducation-affection portée. Et ne voudrait pas ressentir ce slogan comme un reproche à ne point avoir « choisi » (« acheté par nécessité ou obligation ») une mère de remplacement à mes enfants…

  4. Cher Eric,

    Une tendance de société qui gomme les références à père, mère à remplacer par parents dans les textes officiels.
    Disparition de Mademoiselle pour Madame, de même.
    Mme Milquet Cdh qui propose de supprimer le mot allochtone de la presse….

    Il est évident que le mot mariage ne représente déjà plus qu’un contrat civil passé entre 2 individus.
    Annemie Turtelboom:
    Parmi les modifications souhaitées par la ministre Turtelboom figure l’élargissement du contrat de mariage pour permettre à l’avenir d’élaborer ses propres règles avec le conjoint, sur mesure, en fonction de la situation familiale et financière. Et avec la possibilité de les adapter en cas de changement de situation.

    Bientôt pour être politiquement aseptisé nous utiliserons notre numéro de régistre national pour nous présenter…

    Alors, oui pourquoi pas un mot nouveau pour exprimer le « sacrement du mariage ».
    Cordialement, Gilles

  5. Je ne peux m’empêcher de penser (même si vos arguments sont, comme toujours, excellents) que les prises de positions des autorités religieuses concernées ont un arrière goût de patriarcat. Les entendre faire l’éloge de la douceur des femmes, de leur nature maternelle, de leur don pour soigner et éduquer (et donc de la nécessité d’une mère dans un foyer) me rappelle soudain que ce sont des hommes qui s’expriment. Hommes n’accordant d’autre part, aucune place à la femme dans leur système de pouvoir.
    Quelle élégante façon de les exclure du monde de la décision !
    Ce que ces hommes de foi (toutes religions confondues) défendent dans cette affaire est moins le mariage pour tous que le patriarcat. Et « au nom de la défense des enfants », ils mobilisent les femmes dans un combat qui, in fine, est un combat contre elles-mêmes. Une manière quelque peu surnoise de les ramener à « leur état naturel » celui de la procréation, de l’éducation et du silence.

  6. Bonsoir cher cousin,
    J’ai lu avec attention et apprécié ton article sur le « Mariage pour tous » (et l’adoption ?)… en France.
    Cependant, deux paramètres politiques sont à prendre également en considération et sont (volontairement ?) tus par la plupart des médias français:
    1/ Ce « tsunami » médiatique moral et religieux permet de monopoliser l’attention des français en les détournant de la grave crise économique qui sévit et des jugements qu’ils pourraient porter concernant l’inertie de l’actuelle gouvernance française…
    2/ La baisse de popularité de la gauche française dans les sondages et surtout d’une partie de son électorat, pourrait être avantageusement compensée par le gain électoral provenant de la communauté homosexuelle reconnaissante de l’acquisition de son droit au mariage et à l’adoption… Passage en force ? Sinon, pourquoi refuser un referendum ?
    Sous prétexte de vouloir moralement,laïquement et (electoralement ?) « gommer » les différences entre communautés hétéro et homo (au risque d’accentuer l’homophobie ?), la gauche française n’a jamais autant fragiliser le « pacs » liant la religion catholique à la Politique laïque…
    Cette stratégie politicarde m’écoeure car elle nous écarte du fond pour n’en présenter qu’une « forme »…
    Ton cousin franco-belge en colère…

  7. Eric, (je me permets cette licence, car nous ne conaissons pas, mais nous sommes frères en/par JC)…
    J’ai eu connaisance de votre blog, via le Blog de F. De Smet, que je suis régulièrement, et sur lequel j’interviens, sans cacher mon « état » de laic catholique pratiquant et libre penseur (sans tiret, sans obédience, fusse-t-elle de Rome).

    Mon commentaire sur le « mariage pour tous » recouvre largement, mais sans votre « plume », vos arguments : je vous en laisse juge.
    Je partage votre « irritation » (très maitrisée) devant les simplifications, les caricatures dont le « monde catholique » est la vicitme (parfois consentante : Mgr Leonard, dans sa dernière intervention télévisuel semble avoir pris conscience de l’écart entre la pensée et son exposé médiatique, par, nature court et peu nuancé : il faut savoir utiliser techniquement les nouveaux moyens de communication, quand on a un « statut officiel » : les raccourcis sont retenus, les formules, les « bons mots », n’ont pas leur place dans la communication des « pasteurs » (Qui a dit de tourner 7*77 fois sa langue dans sa bouche ?)

    A +, peut être

    Bernard HALLEUX

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