Faut-il croire au GADLU… ?

Pour les profanes – non-francs-maçons – dont je suis, le terme GADLU peut sembler désigner une recette de cuisine hongroise. Il n’en est rien. Il s’agit de l’abréviation en Loge du « Grand Architecte De LUnivers ». De par le monde, la majorité des loges maçonniques sont appelées régulières et font de l’adhésion au « Grand Architecte » un passage obligé (en terminologie maçonne : un Landmark), alors que les Loges – dites libérales ou a-dogmatiques – laissent à leurs membres une entière liberté à ce sujet. C’est principalement sur cette question que se sont séparées les grandes tendances en maçonnerie. La maçonnerie régulière dépend de la Grande Loge Unie d’Angleterre et est surtout présente dans le monde anglo-saxon, alors qu’en France et en Belgique c’est la tendance libérale – dont le Grand-Orient est le principal ambassadeur – qui est de loin majoritaire. Aujourd’hui, la rupture laisse lentement place au rapprochement, les deux branches collaborant par exemple au musée de la maçonnerie récemment ouvert à Bruxelles.

« Fort bien que tout cela », me dira-t-on, « mais en quoi est-ce que cela concerne le prêtre catholique que tu es ? »  Loin de moi toute velléité de me mêler de la vie intérieure du monde maçonnique (même si j’y ai nombre d’amis, je rappelle qu’un contentieux existe toujours entre celui-ci et le catholicisme), mais je suis d’avis que pareille polarisation nous apprend quelque chose d’important sur le fonctionnement de l’esprit humain. Je pense, en effet, que nombre de nos oppositions ne se fondent pas tant sur des arguments rationnels, que sur une charge émotionnelle.

Je m’explique : à quoi pensent les maçons réguliers quand ils parlent du Grand Architecte ? Je cite Eli Peeters, leur Grand Maître belge (le Vif 1er juillet p.26) : Il s’agit du « principe qu’il existe quelque chose qui dépasse l’individu ». Que rejettent les maçons libéraux quand ils récusent l’obligation d’adhérer au GADLU ? Je cite Eddy Caekelberghs, premier Grand Maître adjoint du Grand orient de Belgique : « Les maçons a-dogmatiques ne se sentent liés par aucun principe créateur ». (le Vif p.27) Bref, les deux points de vue son parfaitement conciliables : il est, en effet, parfaitement possible et acceptable d’adhérer à un principe qui dépasse l’individu, mais qui ne soit pas considéré comme « créateur » de l’univers. En terme savant : on peut être « déiste » sans être « théiste ».

Les maçons réguliers énoncent sans complexe qu’une démarche initiatique en vue d’un développement personnel n’est possible qu’en référence à un principe qui dépasse l’individu, chacun  restant libre de croire que l’origine de ce principe se trouve sur terre ou au ciel. En cela, la maçonnerie régulière reflète bien la culture anglo-saxonne, qui n’a pas connu de combat pour la sécularisation et pour qui, en conséquent, le « Grand Architecte » n’est émotionnellement que fort peu lié au Dieu de la révélation chrétienne. Ainsi, quand un Yankee lance « God bless America », cela ne signifie pas pour autant qu’il fait une profession de foi religieuse. De même, l’athéisme a mauvaise presse Outre-Atlantique, car la plupart n’y voient nullement une question de foi religieuse, mais bien un refus pratique d’adhérer à des valeurs qui dépassent l’intérêt individuel. Bref, de par une histoire différente qui a engendré un inconscient collectif distinct, dans l’univers anglo-saxon les mêmes mots ne signifient pas nécessairement la même chose. Plus que de divergence rationnelle, il s’agit avant tout d’une question de charge émotionnelle.

Le monde maçonnique libéral est, quant à lui, né de la lutte contre l’influence sociale de l’Eglise catholique. « Ecrasons l’infâme ! » proclamait à son sujet Voltaire. Le rejet parmi les loges a-dogmatiques de toute obligation d’adhérer au GALDU est, selon moi, moins dû à une opposition rationnelle à un quelconque principe « qui dépasse l’individuel » (sinon, comment comprendre la dimension symbolique des activités maçonniques ?), qu’à une posture émotionnelle engendrée par l’inconscient collectif de ses membres – ce « Grand Architecte » leur rappelant par trop le Dieu d’une Eglise catholique qui représente l’adversaire historique.
C’est l’expérience que je fis avec un vieux sage maçon – membre du Grand-Orient de Belgique (GOB). Je l’apprécie et, je pense que c’est réciproque. Cependant, dans nos échanges, je devais éviter l’utilisation de tous mots à charge émotionnelle trop « catholique ». Parler de « foi » en des valeurs, ou encore de « spiritualité » citoyenne… c’était déjà perçu comme une manœuvre de curé, destinée à le récupérer. Cela rendait le dialogue difficile. Avant de débattre de nos divergences – bien réelles, elles – il fallait d’abord déminer le vocabulaire.

Bref, je le répète : nombre de nos oppositions ne se fondent pas tant sur des arguments rationnels, que sur une charge émotionnelle. Celui qui veut permettre le dialogue entre communautés humaines, devra autant travailler les émotions que le débat de fond. Dans leurs échanges œcuméniques, les chrétiens catholiques, orthodoxes et protestants en savent quelque chose. Dans leur recherche d’un nouveau compromis institutionnel, les Belges flamands et francophones, aussi. Le monde maçonnique ne fait pas exception. La question du GADLU en est, selon moi, la preuve.

 

Karl-Heinz Weasley et la crise gouvernementale en Belgique

Avec la sortie du dernier film de la série, la Pottermania bat à nouveau son plein. Je n’ai jamais partagé l’avis de ceux qui pensaient que la lecture d’Harry Potter encourageait la pratique des sciences occultes chez les jeunes. Le risque n’est évidemment pas zéro qu’un mineur à la dérive confonde l’histoire et la réalité. D’où un besoin de vigilance et d’éducation de la part des parents et autres adultes. Mais reconnaissons que la possibilité de « dégâts collatéraux » provoqués par une œuvre littéraire auprès de personnes fragiles, a malheureusement toujours existé. Ainsi, le roman épistolaire « les souffrances du jeune Werther » que Goethe publia fin du 18e siècle et qui provoqua quelques suicides romantiques parmi une jeunesse désœuvrée.
Ce devoir de vigilance de la part des adultes étant rappelé, soulignons que le talent de J.K. Rowling est justement de parler de notre réalité en faisant de la fiction. Voldemort (pour les profanes de la série : le très méchant) est le tenant d’une communauté de sorciers de sang-purs, là où Harry et ses amis défendent un monde qui s’ouvre à la différence. Pas besoin de baguette magique pour transposer ce récit dans notre réalité quotidienne. Cela, la plupart des jeunes lecteurs de « Harry Potter » l’ont fort heureusement bien compris.

Parmi les nombreux personnages de la saga Potter, la figure d’Arthur Weasley, père de Ron, mérite notre attention (pour ceux qui ont vécu ces dix dernières années sur la planète Mars, Ron est le meilleur ami d’Harry). Ce brave fonctionnaire du ministère de la magie est issu d’une prestigieuse lignée de sorciers pur-sang. Et pourtant, Arthur Weasley respecte le monde des « moldus » (pour le demi-pourcent de la terre qui l’ignore encore, le terme « moldus » désigne les non-magiciens) et fait tout pour essayer de mieux connaître cette autre communauté d’humains, à la fois si semblable et si différente.
Ce matin, j’ai découvert quelque chose de cela en écoutant à la radio (Matin Première – RTBF)  Karl-Heinz Lambertz, le ministre-président de la communauté germanophone de Belgique. Voilà un homme politique socialiste aux convictions proches de celles d’Elio Di Rupo, qui n’en garde pas moins une vision des choses propre à la culture germanique. En l’entendant parler de la Flandre, je me suis dit : « Tout en défendant les positions francophones, cet homme parle comme un flamand et analyse les choses comme on le fait au nord du pays ».
De là à le nommer Formateur, il y a un pas que le Roi ne pourra sans doute pas franchir. Cependant, pour sortir de l’impasse, il est important que nos hommes politiques capitalisent sur ce genre de personnalités qui – à la manière d’Arthur Weasley face aux Moldus – symbolisent un pont entre Flamands et Francophones.   

“News of the World” – ou l’arroseur arrosé

Je ne me réjouis pas du malheur des autres. Le sort de Rebekah Brooks, Andy Coulson et Glen Mulcaire – la rédactrice-en-chef et les journalistes incriminés de feu le journal ultra-tabloïd « News of the world » – n’est pas enviable. Avoir sa photo affichée à la « une » de toutes les gazettes ; lire des rumeurs répandues sur son compte sans pouvoir réagir ; alimenter les discussions de comptoir ; être devenu l’objet d’une curiosité publique malsaine…. Je les plains sincèrement.

Cependant, comment oublier qu’ils endurent ce que « News of the world » a fait subir – des années durant – à nombre d’autres personnes que le quotidien à sensation espionnait illégalement avec la complaisance – voire la complicité – de politiciens et policiers? Ce qui est arrivé n’est d’ailleurs pas qu’une mise en garde à l’encontre de certaines catégories professionnelles. Cela nous regarde tous. Les récentes rumeurs que des internautes anonymes ( ?) font circuler sur la candidate à la président française Martine Aubry, ne valent pas mieux.
J’écrivais récemment dans « Credo politique » (p.94) : « J’invite chaque journaliste adepte du billet d’humeur à se poser une simple question avant de le diffuser ou de le publier : – Si ce reportage ou cet article me visait moi ou ceux que j’aime, comment est-ce que je vivrais cela ? Cela aide parfois à ajouter quelques nuances, qui gratifient le sujet du jour d’un début de bénéfice du doute… ».
Avec ces trois journalistes livrés en pâture aux médias nous avons une cruelle illustration de l’arroseur arrosé. Et je me pose la question : le jour où ils reprendront la plume, l’épreuve subie les rendra-t-elle plus respectueux et prudents par rapport aux personnes qui font l’objet de leurs articles ?

Credo politique : revue de presse

Ce 22 juin sortait de presse mon dernier essai « Credo politique » (éditions Fidélité/Avant-propos). Un prêtre qui se penche sur la question politique, cela surprend. Il n’est donc pas étonnant que la presse se soit intéressée à cet écrit. Je m’en réjouis, car si le propos est situé, il se veut également un appel citoyen qui dépasse les clivages philosophiques. En ce temps d’antipolitisme latent, ce n’est en effet pas un luxe de réfléchir sur les fondamentaux du vivre-ensemble.

Ci-dessous une revue de presse provisoire et non-exhaustive :
Dans le Vif/L’Express du 16 juin paraissait sous la plume d’Olivier Rogeau, une présentation du livre sur une page, avec deux pages de bonnes feuilles.
Le 22 juin, une recension du livre paraissait sur Cathobel et puis dans l’hebdo catholique « Dimanche », sous la plume de Pascal André.
Le 2 juillet, paraissait dans le quotidien « La Libre » une interview de votre serviteur par Christian Laporte, sous le titre : « Le prêtre qui parle politique ».
Le même jour, une présentation du livre paraissait sur le blog « Belgicatho ».
Enfin, cette semaine dans « Ubu-Pan » (p.11),  Paul Grosjean traite du livre tout en « clin d’œil » dans sa « Chronique de Saint-Hubert », avec en prime une caricature intitulée « de Beukelaer aime Churchill ». Le haut-de-forme… je vais y penser ! ;-)

Blog: Bilan du mois de juin

Ce blog a été ouvert le 11 mars 2011. En mars, il recevait 1467 visites et 2383 pages avaient été vues. Du 3 avril au 3 mai, il recevait 3689 visites et 5483 pages étaient visionnées ; du 1er mai au 31 mai 3322 visites et 5626 pages visionnées. Du 1er juin au 31 juin, le blog a reçu 3464 visites et 5721 pages furent visionnées. La fréquentation reste stable et enregistre même une légère augmentation. Merci à vous, les lecteurs, et tout particulièrement à ceux d’entre vous qui me laissent des commentaires.

En avril, plus de la moitié des visiteurs consultaient mon blog via ma page Facebook (55%). En mai, cette part tomba à 44%. En juin, ils ne sont plus que 40%. Par contre, le nombre des lecteurs qui entrent immédiatement sur le blog a encore augmenté de 22% et atteint aujourd’hui 25%. Signalons que 18% de lecteurs viennent par ‘Google’ et 3% par le blog ‘Belgicatho’ qui – fort élégamment – relaie de temps en temps un de mes propos. Bref, il y a un quart des lecteurs de ce blog qui ont l’habitude de consulter celui-ci en direct. Le lectorat reste majoritairement belge (2956 visites). La France suit avec 259 visites. Loin derrière, la 3° place est occupée par l’Allemagne (36 visites) et les Pays-Bas (35 visites).
La moyenne de fréquentation reste d’environ 150 visites par jour. Le podium du mois des articles les plus consultés est le suivant : 1. « Fais ton âge, car tu le vaux bien » (6 juin – 412 visites) 2. « Scoutisme et identité catholique : Ask the boy » (10 juin – 269 visites) 3. «Coupable d’innocence » (9 juin – 215 visites). Un regret : le dossier du 27 juin qui vit l’intervention de 4 journalistes sur la question de la dénonciation judiciaire (La Libre, Le Soir, Le Vif/L’Express et Het Laatste Nieuws) n’a pas eu le succès escompté et a – somme toute – recueilli peu de réactions des lecteurs. Sans doute trop technique. C’est dommage, car par ce biais s’engageait un réel débat de fond. Je remercie une fois de plus les quatre journalistes qui ont joué le jeu. Je me rends compte que – plus que les débats – les lecteurs sont demandeurs de réflexions d’ordre spirituel sur des sujets qui touchent à l’âme humaine ou aux enjeux de société.

Déménagement vers Liège et temps de vacances oblige, ce blog entrera en repos aux alentours de la fête nationale belge (21 juillet) et, sans doute, jusqu’à l’Assomption. Le prochain bilan se fera donc en septembre. Bon repos à tous ceux qui peuvent prendre un temps de congé.

Spiritualité citoyenne (suite) – Les analphabètes sont parmi nous

Il y a quelques jours mon téléphone portable rendait l’âme – un modèle assez élaboré, devenu au fil des années un outil de travail quotidien. Le voilà cassé. Comment le remplacer et par quoi ? Je n’y connais rien. Tant que j’étais porte-parole des évêques, c’était le service informatique de la conférence épiscopale qui me conseillait. Bref, je me sens perdu. Comme un petit enfant. Sans les conseils patients et avisés du webmaster catho.be – qui de surcroît me fit le transfert de données vers le nouvel appareil en un tour de main – je pense qu’aujourd’hui encore, je tournerais en rond.
Pourquoi je raconte cela ? Parce que cette petite expérience – en soi pas bien grave – me fit mieux saisir ce que c’était que l’analphabétisme. Demandez-moi de prendre la parole à l’improviste devant un auditoire sur nombre de sujets, je pense que je retomberai sur mes pattes. C’est un exercice que je connais et que je maîtrise. Par contre, face à un acte aussi banal que l’achat d’un GSM, me voilà paralysé. C’est un univers que je ne connais pas et qui – à vrai dire – me fait un peu peur. Du coup, je deviens maladroit et même un peu bébête.

C’est exactement ce que vivent les personnes qui parlent mal notre langue ou qui – il y en a plus qu’on ne le pense – ont des difficultés à la lire ou à l’écrire. Face à des actes administratifs simples, nous nous demandons parfois pourquoi nombre de nos concitoyens sont lents, absents, peu réactifs… Bref, maladroits et bébêtes comme je l’étais pour acheter un GSM. Pour certains, il s’agit sans doute de paresse ou de négligence. Mais pour beaucoup d’autres, la raison est bien plus humiliante : devant une simple formulaire, ils paniquent car le déchiffrer et le remplir représente une montagne.
Ceci permet de mieux comprendre la réelle utilité des enseignants, travailleurs sociaux et bénévoles qui se rendent disponibles pour aplanir pareilles montagnes – un peu comme mon webmaster bon Samaritain le fit pour l’achat du téléphone portable. Alors, quand nous voyons des personnes lentes ou perdues face aux actes les plus banals de la vie, ne les jugeons pas trop vite. Qui sait ? Un jour prochain, nous pourrions à notre tour nous retrouver analphabètes – comme je le fus pour un simple achat de GSM.

Spiritualité citoyenne (suite) – La rumeur, cette mégère à l’haleine chargée

–          « Tu ne connais pas la dernière ? »
–          « Non, raconte ! »
–          « Eh bien, figure-toi qu’on dit que… »

La presse people n’a rien inventé. Elle ne fait qu’appliquer les bonnes vielles recettes des villages d’antan. Rumeurs, cancans, commérages…  Ce que nous pensons percevoir de la vie des autres, devient le théâtre d’un voyeurisme que nous jugeons bien innocent.

Ainsi DSK : l’homme au destin – proclamé providentiel – pour la France, jeté en enfer – puis presque blanchi – mais ne dit-on pas que… Combien de commentaires de presse ; combien de dessins d’humoristes ; combien d’émissions de divertissement; combien de conversations de boudoir n’ont pas conclut au sujet d’une histoire dont nous ne savons – somme toute – que peu de choses ?
Plus sympathiquement, à peine apprend-on que votre serviteur est nommé doyen au centre de Liège, que d’aucuns spéculent déjà sur de plus hautes fonctions qui pourraient s’ouvrir à lui. Ce n’est pas bien méchant, mais c’est usant. Pendant ces six derniers mois, je recevais de deux à trois allusions quotidiennes sur de possibles nominations dans l’archidiocèse. Je pensais en être quitte, mais pas encore arrivé à Liège – voilà que cela repart… Aujourd’hui, je comprends mieux la lassitude du cardinal Danneels quand – inlassablement – les journalistes lui demandaient s’il allait succéder à Jean-Paul II. Tout cela n’est pas bien méchant – me dira-t-on – et cela ne fait de mal à personne. Sans doute, mais cela ne fait pas non plus de bien à quiconque

Retour sur DSK : ce dimanche soir, Martine Aubry était invitée au JT de France 2. Un moment donné, le présentateur l’interroge sur les dessous de l’affaire. Elle répondit : « J’essaie de ne parler que de ce que je connais. Donc, je me tairai sur cette question ». Parole pleine de sagesse. Tellement éloignée de ces mégères de village qui – l’haleine chargée – colportent des ragots de porte en porte.

 

Spiritualité citoyenne (suite) – Un populisme politiquement correct

Sans doute avez-vous déjà fait cette expérience : un automobiliste vous double et vous râlez en le traitant intérieurement d’une brochette de noms d’oiseaux. Un peu plus loin, la voiture se gare et le chauffeur en descend. Il vous aperçoit et vous fait un souriant signe de la main. Vous le reconnaissez : c’est un copain. Du coup, votre attitude change du tout au tout. Devant vous ne se trouve plus cet espèce de… (censuré) qui m’a dépassé, mais un frère humain qui me salue et que je reconnais. Ici commence la politique : le contrat social – cet acte inconscient qui permet de vivre en société – se recrée à chaque fois que je salue et reconnais un concitoyen. (D’où mon malaise face à la burqa qui ne permet pas la reconnaissance). Le populisme – lui – naît à chaque fois que je considère l’autre comme une menace. La première attitude construit la société « avec » l’autre, la seconde défend son pré fleuri « contre » l’autre.

Il y a quelques jours, je me trouvais chez un élu communal. Vers la fin du repas, il m’expliqua le plus simplement du monde qu’en Belgique les communes excluaient des adjudications publiques les entreprises qui venaient de l’autre côté de la frontière linguistique. Pas d’entrepreneurs flamands dans les communes wallonnes donc, et vice-versa. Si cela est exact, c’est sans doute une question de réalisme politique – au vu de la régionalisation de notre pays. Cependant, je pense qu’avec pareille préférence régionale s’ouvre une forme « soft » et politiquement correcte de populisme. Celui des bonnes consciences qui pointent du doigt vers les mouvements ouvertement anti-démocratiques, oubliant un peu trop vite que la Bête dort en chacun de nous. A chaque fois qu’une communauté d’hommes est perçue comme une menace plutôt que comme un voisin, le parasite du populisme se réveille en nous. Alors, sournoisement et en silence, il anesthésie toute spiritualité citoyenne et vide de sa substance le contrat social.

Pope on-line – en anglais dans le texte.

Ce 29 juin, l’Eglise célèbre la solennité des Saints Pierre et Paul, les deux grand apôtres considérés comme les « colonnes de l’Eglise ». En ce jour, les catholiques prient plus particulièrement pour le Pape, successeur de Pierre. Bien que pétri de culture classique, Benoît XVI n’a pourtant pas rechigné à choisir la veille de cette solennité pour envoyer son premier « tweet » et annoncer le lancement du nouveau site d’actualité du Vatican http://www.news.va/en. Par-delà l’anecdote qui a été reprise par la presse du monde entier, il est heureux de souligner que le Vatican semble avoir pris la mesure de la mondialisation numérique.

Il y a autre chose à souligner. Que ce soit pour le nouveau site ou pour tweeter, la langue qu’utilise tout naturellement le Vatican est… l’anglais. Dans mon ouvrage « Pourquoi je ne crois pas en la faillite du christianisme » (éd. Nouvelle Cité » 2009), je plaide pour que l’Eglise catholique adopte l’anglais comme langue « utilitaire ». Sans rien renier du patrimoine latin du Catholicisme et de l’usage des langues vernaculaires dans les Eglises locales, l’anglais serait ainsi appelé à devenir l’idiome officiel pour toute communication catholique vers le monde entier. Je suis conscient que je m’aventure ici sur un terrain délicat. Mon point de vue déplaira à nombre d’opposants au « totalitarisme culturel des anglo-saxons ». Mais « un fait est plus important qu’un Lord Maire », rappelait Churchill. Et le fait est que – quand deux personnes de langues différentes se rencontrent aujourd’hui quelque part sur le globe – elles conversent tout naturellement en anglais. Un peu comme elles l’auraient fait en latin, il y a encore un siècle. Et pas que les quidams : quand ils n’ont pas étudié à Rome (dans ce cas, ils connaissent l’italien), les évêques du monde entier se parlent dans la langue de Shakespeare.

Bref, que cela plaise ou non, l’anglais a remplacé le latin comme langue mondiale. Une Eglise qui se veut universelle ne peut, selon moi, impunément ignorer cette réalité. D’ailleurs, c’est ainsi que le latin s’imposa en Occident entre le IVe et le Ve siècle, tout simplement parce que les habitants d’Europe occidentale ne comprenaient plus le grec. A l’époque déjà, il se trouva des fidèles pour critiquer l’abandon de la noble langue des Evangiles pour ce latin qui était parlé dans l’administration et l’armée. L’histoire se répète. Comme au Ve siècle, nous entrons avec l’univers numérique dans un monde totalement différent. Or «vivre c’est changer ; être parfait, c’est avoir changé souvent », écrivait le bienheureux Newman (« Essai sur le développement de la doctrine chrétienne »). Le Christ, lui, enseignait : « À vin nouveau, outres neuves » (Marc 2,18). En le paraphrasant en fonction de notre propos, cela donnerait : « A monde nouveau, langue nouvelle ».

Spiritualité citoyenne (suite) – indignations et péché originel d’Adam… Smith

« Indignez-vous ! » lançait Stéphane Hessel. En voilà un qui a reçu le message. C’est, en effet, un gros coup de colère que pousse le professeur émérite UCL en psychiatrie, Jean-Yves HAYEZ dans les colonnes de La Libre de ce mardi (« A chaque jour son injustice » p.55). Je le cite : « Nous, Belges et Européens, sommes une civilisation décadente si pas finissante. Les nantis au pouvoir, politique et économique, ont créé des mécanismes costauds et légalisés pour que leurs fortunes individuelles et celles de leurs alliés non seulement ne soient jamais menacées, mais continuent même à s’accroître. Que tous les autres payent, et que les pauvres et les immigrés sans papier crèvent, ici ou renvoyés par charters chez eux! Cela ne durera plus très longtemps. Dans moins de trente ans, les indignés de tous les pays se seront organisés et auront fait leur révolution. Les systèmes sociaux changeront d’une façon que l’on n’imagine même pas, mais qui sera plus juste. J’espère vivre assez vieux pour voir ça et défiler au milieu d’eux. En chaise roulante peut-­être, mais défiler quand même ».

A ce coup de gueule fait écho l’article de Jean-Paul Marthoz en p.14 du Soir (« Les nouveaux faux-monnayeurs »): « Pour quelles raisons, par exemple, les Etats-Unis, lors de la Grande dépression des années 1930, réussirent-ils à renforcer leur démocratie, alors que l’Europe s’abîmait dans le totalitarisme ? Le discours que le président Franklin Roosevelt prononça le 31 octobre 1936 au Madison Square Garden de New York apporte peut-être une partie de la réponse. En effet, au lieu de noyer les responsabilités et d’évoquer une culpabilité collective face à la crise, le grand patricien démocrate s’en prit sans fioritures aux « ploutocrates », qui avaient par leurs folies spéculatives ruiné le pays et jeté dans la rue des dizaines de millions d’indignés. « Ils avaient considéré que le gouvernement des Etats-Unis était une de leurs dépendances, déclara-t-il fameusement. Or, nous savons qu’un gouvernement dirigé par l’argent organisé est tout aussi dangereux qu’un gouvernement contrôlé par le crime organisé ».

Qu’il me soit permis de faire écho à ces indignations citoyennes par un passage de « Credo politique » : « Le modèle d’Adam Smith – penseur du capitalisme sans entrave – a ses limites internes. En basant la prospérité de tous sur la recherche de profit des individus, l’économie prend pour horizon la durée de vie des intéressés et non le très long terme. L’individu investit pour lui-même, voire ses enfants ou petits-enfants. Il pense rarement à un siècle de distance. « In the long run, we are all dead », souriait l’économiste John Maynard Keynes (1883-1946). Ainsi, existe-t-il  un  meilleur investissement que de financer une éducation de qualité pour tous ? Cette dernière permet à une société de maximaliser les compétences de tous ses citoyens en l’espace de deux générations. Pourtant, quel individu payera de bon cœur des impôts pour éduquer des enfants qu’il ne connaît pas et qui ne sont peut-être pas encore nés ? Cette impossibilité à penser le très long terme ou de se sentir solidaire de ce qui dépasse son cercle d’intérêt est la faiblesse du modèle d’Adam Smith. Je le nomme – par clin d’œil vers le livre de la Genèse – « le péché originel d’Adam ».
Au XIXème siècle, ce péché passait pour véniel, car il ne blessait pas mortellement le système. Aujourd’hui, la crise écologique qui secoue notre « planète village » le rend apparent. Oui, l’appât du gain a permis de contribuer à la prospérité de tous, mais en trichant avec le juste prix des choses. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, deux générations se sont enrichies, non seulement en vivant au-dessus de leurs moyens – d’où l’endettement public colossal des nations industrialisées, qui hypothèque la prospérité des générations à venir. Mais plus encore, en pillant la planète de leurs enfants. Le profit à court et moyen terme l’a emporté sur la perspective à très long terme. Pour dire les choses autrement, la « taxe carbone » et autres correctifs fiscaux écologiques (par exemple, payer au Brésil une redevance pour la conservation de la forêt amazonienne, etc.) ne sont pas des rêveries romantiques, mais une volonté de corriger le marché afin que les échanges économiques ne se fassent pas complices du plus formidable cambriolage intergénérationnel de l’histoire – celui qui consiste à piller la planète de ses enfants. Il pourrait apporter à la boutade de Keynes sa vérité apocalyptique : « In the long run, we are all dead ». Certaines des intuitions de Marx retrouvent dès lors leur pertinence : seule une régulation politique forte permet de guérir la faille smithienne par rapport au péché d’argent. Aujourd’hui, c’est au niveau mondial qu’il faut agir, puisque le marché est planétaire.
Telle est une des intuitions du trop méconnu enseignement socio-économique de l’Église catholique. Au n°67 de son encyclique Caritas in Veritate  (2009), Benoît XVI écrit : « Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. On ressent également fortement l’urgence de trouver des formes innovantes pour concrétiser le principe de la responsabilité de protéger et pour accorder aux nations les plus pauvres une voix opérante dans les décisions communes.(…) Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. (…) Une telle Autorité devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux ». (in « Credo politique », éd.Fidélité/Avant-propos, 2011, p.73 et suiv.)