Certains cathos s’en étonnent, mais c’est ainsi : J’éprouve une sincère sympathie pour Pierre Galand, président du Centre d’Action Laïque, tout comme j’en avais pour son prédécesseur Philippe Grollet. Chez Philippe, je m’amusais de son intelligence vive et taquine qui aiguisait nos débats. Chez Pierre, je salue l’engagement de longue date du militant humanitaire. Ainsi, c’est lui qui me fit découvrir et rencontrer Stéphane Hessel, avant que son « indignez-vous » n’en fasse la coqueluche des médias. Voilà pour les fleurs. Maintenant les épines : la sympathie n’empêche pas les désaccords. Jeudi dernier 19 janvier, Pierre Galand avait trempé sa plume dans le picrate avant de publier un billet d’humeur particulièrement corsé dans les pages de La Libre (« Tant va la foi au moulin »). En toute amitié, j’aimerais lui répondre sur deux points :
Premier point : A propos du dernier livre de Mgr Léonard, Pierre Galand écrit dans son billet d’humeur: « Le voici qui s’attaque à présent au Parlement, l’enceinte ultime de la représentation du peuple souverain, coupable à ses yeux de se montrer indocile aux préceptes spirituels chers à son dogme. Reconnaissons que les réactions outrées ont été quasi unanimes, même parmi ceux supposés être « de son camp ». » De quoi s’agit-il ? Mgr Léonard a écrit dans son livre « Agir en chrétien » (publié en français il y a plusieurs mois déjà) qu’il regrettait que « le Parlement s’attribue le droit de décider par vote majoritaire du sens de la sexualité, de la différence du masculin et du féminin, de la signification du mot ‘mariage’, du rapport métaphysique de l’être humain à la finitude et à la mort, de la qualité des embryons méritant ou non d’être respectés, etc ».
Je rappelle, une fois de plus, ce qu’écrivait à ce sujet le 7 janvier dans les colonnes du Soir – un journal pas forcément aux ordres de l’Eglise – le journaliste Ricardo Gutierrez,: « Non, André Léonard ne « s’en prend » pas au Parlement. Il invite, au contraire, les chrétiens aux « convictions fortes » à peser sur le débat politique. Oui, le prélat a raison quand il écrit que « dans une société séculière et pluraliste », les croyants doivent pouvoir exprimer leurs opinions, influer sur le débat public qui n’est pas le monopole des athées et des agnostiques. Oui, le prélat a le droit, comme tout citoyen d’un Etat démocratique, de critiquer le Parlement et même d’estimer qu’un vote légitime des élus du peuple « ne suffit pas à fonder le droit ». C’est sa perception ».
Et puis, un peu de mémoire : en décembre 2009, c’est Pierre Galand qui lançait un tonitruent « le Sénat me déçoit ! », suite au retrait de la proposition de loi Mahoux sur la neutralité de l’Etat. Était-ce de la part du Président du CAL une attaque contre « l’enceinte ultime de la représentation du peuple souverain, coupable à ses yeux de se montrer trop docile aux préceptes spirituels » ? Non bien sûr. Pierre Galand s’exprimait au titre de la société civile et cela était tout à fait honorable et respectable. L’archevêque serait-il donc le seul citoyen du royaume à ne pouvoir publiquement s’indigner ?
Second point : Pierre Galand dénonce le lobbying religieux et puis répond au reproche que l’on pourrait faire au CAL d’être au moins aussi « lobbyiste » que les cultes : « Bien sûr, certains auront beau jeu de stigmatiser le « laïcisme » – néologisme visant à désigner les « intégristes de la laïcité » – et de dénoncer notre lobbying, comme une atteinte à la séparation des « Eglises » et de l’Etat. Trop facile ! Ce postulat ne résiste pas à l’analyse : la laïcité n’est en aucune façon une religion et ne propose aucune mesure sociétale partisane ». Que la laïcité philosophique ne soit pas une religion – personne ne le conteste. Que le CAL ne soit pas un acteur philosophiquement engagé et donc « partisan », c’est cela qui ne résiste pas à l’analyse. Le Centre d’Action Laïque a été fondé, non comme une agence gouvernementale chargée de vérifier la neutralité de l’Etat, mais bien comme un organe représentatif des citoyens se reconnaissant des principes de la laïcité philosophiques. Il est donc un acteur important – je dirais même indispensable – du compromis à la Belge, mais non moins partisan pour la cause. Sa vigilance concernant les « accommodements raisonnables » demandés par certains cultes, n’en reste pas moins un réel apport au débat démocratique. Mais, pour qu’il y ait débat, il faut que la liberté de parole soit entière pour tous les acteurs de ce débat, et cela veut dire – Mgr Léonard inclus.