« L’herbe est toujours plus verte… » – 14° dimanche, Année B

 «Un prophète n’est méprisé que dans son pays, sa famille et sa propre maison ». (Marc 6, 1-6)

Elle est presque comique, cette scène décrivant Jésus qui retourne prêcher à Nazareth – son village. On entend d’ici les commérages : « Non mais ! Pour qui se prend-il à nous faire la leçon ? Nous l’avons connu en culotte courte! » Devant le peu de foi de ses familiers, Jésus ne réalise que de rares signes du royaume (miracles).

Nous ressemblons à ces Nazaréens. Nous partons bien loin en vacances pour visiter du patrimoine, mais connaissons mal notre région. Les hommes politiques qui sont morts, étaient des hommes d’état, alors que ceux qui vivent aujourd’hui sont des médiocres –  sauf peut-être s’ils gouvernent un pays éloigné. Nous rencontrons des gens « formidables » sur internet, mais trouvons nos proches tellement décevants. Bref – comme l’énonce le dicton – « l’herbe est toujours plus verte chez le voisin ».

Et pourtant… quand l’Evangile nous parle des autres, il décrit surtout notre « prochain » – c’est-à-dire celui qui vit près de nous, tous les jours, dans le quotidien. C’est avec lui qu’il faut apprendre à cheminer à l’écoute de l’Esprit. Parfois même, nous pouvons devenir « prophètes » l’un pour l’autre.

Zeker weten? (De Morgen p.6)

In een column betiteld “God bestaat dan toch”, schrijft Yves Desmet in het dagblad “De Morgen” van deze donderdag (p.6): “Het is een beeld dat in mijn geheugen gebrand staat. Evolutiebioloog Richard Dawkins spreekt een zaal studenten toe, en spreidt zijn armen. « Stel je voor », zegt hij, « dat de afstand tussen mijn beide handen de tijd is vanaf de oerknal tot nu, de volledige geschiedenis van het universum. » Dan neemt hij een nagelschaartje, knipt de nagel van zijn wijsvinger af, en zegt: « En dit is dan de volledige geschiedenis van het universum, minus de tijd dat er mensen bestaan. » Op dat ogenblik verdween het laatste restje agnost in mij, en werd ik atheïst. Omdat het geloof in een scheppende God net zoiets is als geloven dat de natuur een eeuwenoude eik heeft laten groeien met als enige bedoeling het laatst bijgekomen blaadje van deze lente te laten ontstaan. Of God de mens naar zijn beeld en gelijkenis heeft geschapen, is nog niet bewezen, het omgekeerde is vrijwel zeker waar. Zoals die oude grap het nog steeds het mooiste formuleert: de paus krijgt als eerste en enige sterveling de toelating om naar de hemel af te reizen en de Allerhoogste te ontmoeten. Bij zijn terugkomst wacht een concilie vol kardinalen hem op om er nu eindelijk het fijne van te weten. Hij schraapt zijn keel en zegt: « Om te beginnen: Ze is zwart. » Iedere gelovige is atheïst tegenover tenminste vijf andere godsdiensten. Nee, alles wat de wetenschap ons sinds Darwin heeft geleerd is dat we we een schitterend ongelukje zijn, een waanzinnig toeval. Als diersoort toevallig the fittest to survive gebleken, als individu het wonderlijke toeval dat net die ene zaadcel van de miljoenen die mijn vader heeft geproduceerd net als eerste bij dat ene van de honderden eicellen van mijn moeder heeft geproduceerd, binnendrong. Moeder en vader die op hun beurt het toevallige product waren van één zaadcel van de miljoenen die zijn vader, enzovoorts, enzovoorts. Geboren worden is een groter toeval dan vijf keer op rij EuroMillions winnen. Maar daarom waren alle raadsels nog niet opgelost, ook niet voor de wetenschap. Want hoe is ooit uit de energie van de oerknal massa ontstaan, en later leven? Vijftig jaar geleden waren het twee Belgen, François Englebert en Robert Brout, die als eersten de hypothese formuleerden: er moet een deeltje zijn dat energie massa geeft, anders kunnen we meteen een nieuwe fysica bedenken. Het moest er zijn, maar het duurde nog een halve eeuw voor we het uiteindelijk zagen. Gisteren was het zover: Higgs, het deeltje dat waarlijk massa en materie geschapen heeft. God bestaat dan toch, Het is alleen veel kleiner dan we dachten”.

Op deze column zal ik heel kort reageren: Indien er maar één iets is, dat de wetenschappelijke methode ons heeft geleerd, dan is het de constante dat men alleen maar antwoorden krijgt op vragen die gesteld worden. Wie alleen maar vraagt: “Hoe zit het heelal allemaal in mekaar?”, zal nooit een goddelijke opperarchitect tegenkomen – zelfs niet die van de vrijmetselarij. Alles zal hem overkomen als resultante van blinde regels en koele toeval. Dus atheïsme met Dawkins als profeet.
Maar indien de “waarom” vraag opkomt, dan wordt de werkelijkheid anders gekleurd. “Waarom het heelal? Heeft dat allemaal zin? En de liefde die me drijft – is dat maar een biologisch fenomeen? Of toch iets anders?”  Komen die vragen ook op – ik bedoel soms – bij Dawkins en Desmet? Misschien wanneer ze hun kinderen recht in de ogen kijken… Wie weet of er dan wat twijfel groeit? Twijfel of hun nageslacht louter en alleen maar de resultante is van een onwaarschijnlijke loterij. Zeker weten, Yves?  

Inquisitio – fresque postmoderne

Le chaud mois de juillet réduisant le nombre des réunions en soirée, j’ai pu regarder ce mercredi soir les deux premiers épisodes de la série TV lancée par France 2 : Inquisitio. Ce téléfilm a fait réagir les catholiques de France. Le porte-parole des évêques de l’Hexagone, Mgr Bernard Podvin eut une réaction virulente à son encontre : « Programmée, hélas, à heure de grande écoute. Plusieurs universitaires médiévistes, peu suspects de complaisance envers l’Eglise catholique, nous disent combien ils sont atterrés par cette série. Citons, entre autres points scandaleux, le traitement indigne réservé à la grande mystique Ste Catherine de Sienne…  Parce que cette période historique est extrêmement difficile pour tous, elle requiert d’autant plus un service délicat et éminent de la vérité. Quand un tel parti-pris aimante une production, qu’a t’elle encore de … culturelle ? Je pleure et m’indigne de songer qu’à l’audimat, beaucoup risquent de se croire  instruits par cette manière tendancieuse d’honorer l’histoire humaine et religieuse … »
Cette réaction n’est pas vraiment contredite par Nicolas Cuche, le réalisateur de la série : « Et pourtant, même peu montré, le Moyen Âge reste extrêmement puissant dans l’imaginaire collectif. Autrement dit, il était pour moi un espace de liberté où inventer un univers qui soit vraisemblable et évocateur sans prétendre à une vérité de reconstitution, un espace plus vierge que ne l’aurait été la cour de Louis XIV par exemple. « Mon » Moyen Âge s’inspire parfois aussi bien des historiens que de la science fiction et des jeux vidéo. Je l’assume ». 

Ce que j’en pense ? Inquisitio est un téléfilm moyennement bien ficelé, qui n’arrive pas à la cheville du Nom de la Rose. N’est pas Umberto Ecco, qui veut. Inquisitio n’en décrit pas moins certains aspects d’un XIVe siècle qui vit se déployer, tout à la fois les grandes peurs en Occident et la raison moderne.
Ceci étant dit, si le personnage de l’inquisiteur a de l’épaisseur, les gentils médecins juifs de la série me semblent peu crédibles. Deux siècles plus tard, je ne dis pas. Mais ces savants qui dissèquent des corps pour comprendre, sont surtout une projection au mieux anachronique de nos attentes du jour.
Ce n’est cependant pas le pire : Comme le signale Mgr Podvin, dans Inquisitio, la description du personnage de sainte Catherine de Sienne est totalement hors propos. Je comprends bien que le réalisateur ne prétend pas à la reconstitution historique et que « son » Moyen Âge s’inspire tout autant de la science fiction et des jeux vidéo… Il n’empêche. Ne pas prendre en compte le phénomène de la sainteté au cœur de l’histoire chrétienne, c’est totalement passer à côté de son sujet. Travestir, de surcroît, Catherine de Sienne en une sorte d’éco-terroriste illuminée, n’est pas tant faire preuve de liberté créatrice que le signe que l’on a rien compris ou voulu comprendre.
Bref, Inquisitio s’avère in fine une reconstitution épique un peu cheap, qui surfe sur nos clichés postmodernes. Si la série ne nous apprend que trop peu ou fort mal sur le XIVe siècle, elle est par contre éloquente pour illustrer les phantasmes de notre XXIe siècle naissant.      

Tombouctou – du bûcher des Vanités au Boson de Brout, Englert et Higgs

Dans le nord du Mali, des salafistes jihadistes détruisent des mausolées de saints musulmans – patrimoines mondiaux de l’humanité. La population a tenté de s’interposer. En vain. Dès le début de sa présence en Afrique, l’islam a montré une grande souplesse et adaptabilité en ce qui concerne la pratique religieuse. L’islam s’enracine vraiment au Mali par l’arrivée des confréries. Cette manière de vivre leur religion en dépendance d’intermédiaires humains, deviendra la caractéristique même de l’islam africain. Cet islam vécu à l’Africaine est toujours resté suspect, entaché d’idolâtrie, aux yeux des musulmans venus d’ailleurs. Aujourd’hui l’islam confrérique, auquel la majorité des musulmans maliens se rattache, est surtout contesté par le courant wahhabite.

Je discutais, il y a deux jours de cela, avec un jeune intellectuel musulman – qui a étudié la théologie à Médine. Il m’apprit qu’en Arabie Saoudite, devenue wahhabite, toute forme d’attachement « humain » à la religion est combattu. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe siècle, nombre des vestiges millénaires des origines de l’islam ont été détruits : des mosquées bâties par les proches du prophète ont été rasées, la maison de Khadija à la Mecque est aujourd’hui un hôtel « clinquant » et le lieu de prières des premiers musulmans avant l’Hégire est devenu… un coiffeur pakistanais. Bref, le wahhabisme fait fi du patrimoine, par peur de l’idolâtrie.

Pareille « pureté assassine » au nom d’un idéal religieux, est récurrente au cours de l’histoire. L’amour frileux du ciel détourne des choses de la terre. Le drame veut que les iconoclastes de chaque époque sont souvent animés de nobles idéaux. Pensons à Savonarole, qui éleva en 1497, le bûcher des Vanités pour combattre les vices de Florence. De jeunes garçons furent envoyés de porte en porte pour collecter tous les objets liés à la corruption spirituelle : miroirs, cosmétiques, images licencieuses, les livres non religieux, les jeux, les robes les plus splendides, les nus peints, les livres de poètes jugés immoraux (dont Boccace ou Pétrarque). Des chefs-d’œuvre exceptionnels de l’art florentin de la Renaissance ont ainsi disparu dans le bûcher de la Piazza della Signoria, y compris des peintures de Botticelli, que l’artiste avait lui-même apportées.

A tous ceux-là, je réponds que rechercher le « vrai » et le « bien » sans passer par le « beau » – est illusoire et trompeur. Cela détourne de la vérité, autant que de la bonté. Les fous de Dieu de Tombouctou sont sincères, mais leur action est criminelle et mensongère. Comment servir Dieu sans reconnaître sa trace – même imparfaite – dans la recherche esthétique de ses créatures ? Dans les colonnes du quotidien « le Soir » de ce jour (p.23), je lisais l’interview du professeur ULB François Englert – un des trois concepteurs du « boson » de Brout (+), Englert et Higgs. Les expérimentations du CERN de Genève sont, en effet, en train de corroborer une intuition vieille de près d’un demi-siècle, émise par trois physiciens théoriques: celle d’une particule à l’origine de la masse des particules de l’univers. Quand le journaliste demande au vénérable savant pourquoi avoir « inventé » une telle hypothèse, celui-ci répond : « C’est une question d’esthétique. Mon métier de théoricien de la physique a notamment été de trouver de belles explications à des phénomènes inexpliqués. (…) Proposer un mécanisme simple et logique, c’est donc une question d’esthétisme scientifique. » Si la recherche de beauté guide les scientifiques les plus pointus, combien plus doit-elle conduire les théologiens de tous bords ? Celui qui renie la beauté, agit en ennemi du Créateur de toute beauté. Car là où se trouve l’authentique splendeur – Dieu n’est jamais loin.

 

« Tour de France » – 13° dimanche, Année B

 «Je te le dis, lève-toi». (Marc 5, 21-43)

C’est sans doute un des clichés les plus injustes concernant le christianisme : ce soupçon tenace chez tant de nos contemporains, qu’il s’agirait d’une religion hostile à la vie. A les entendre, la foi chrétienne empêcherait d’être pleinement vivant. Même si des maladresses peuvent parfois donner cette impression, la vérité est à l’opposé. Ainsi, l’Evangile de ce dimanche, qui nous montre un Jésus qui redresse, relève, ranime… Bref, un Christ qui rend à la vie. Le Dieu de l’Evangile nous veut vivants. Et les exigences morales de notre foi, ne sont pas là pour nous empêcher de profiter de l’existence. Il s’agit de balises destinées à nous faire goûter à la liberté spirituelle.

La vie est à l’image de ce tour de France que notre ardente cité de Liège accueille ce WE. Il s’agit d’une course d’endurance par étapes. Avec ces coups de chaleur, ces cols à gravir et son lot de crevaisons. Mais avec Christ, l’arrivée sur les Champs-Elysées est promise à tous. Avec Lui, il y a même un podium pour la queue de peloton – pour les ouvriers de la 11° heure. La seule chose qu’Il veut éviter, c’est nous voir abandonner. Le Christ est un entraineur sportif qui lance à chaque chute de vélo : « Je te le dis, lève-toi ».           

Greg Burke…

I learned a few days ago that some smart American journalist – called Greg Burke – had been appointed senior communicator to the Secretary of State, Vatican’s top governing structure. “At last”, thought I, “poor father Lombardi really needed help”. Having served a nine years term as spokesman to the Belgian bishops, I know exactly what I’m talking about. Spokesmen are communicators – and father Lombardi is quite good at doing so. But communicators – as I became – are not to be confused with media professionals. They are trained to give the message, not to shape the image. This is why I always relied on the consultancy of media actors. « You’re shaping the message, you’re molding the message, and you’re trying to make sure everyone remains on-message, » says Burke. « And that’s tough. »
Greg Burke”… That name sounded familiar to my ears. Then, all the sudden, it popped up into my mind. We had met some twenty-two years ago. In 1990, I still was an ecclesiastical student in Rome, just ordained a deacon. In those days, I decided to help as secretary during the synod about priestly formation. There I served amongst cardinals and  bishops. There I saw JPII presiding and Josef Ratzinger counseling.

Then, on one late afternoon, there were but four of us still working on some document at the Vatican: cardinal Danneels – the Belgian archbishop, a French bishop, another deacon belonging to that bishop’s diocese and myself. All the sudden, father Di Falco, then spokesman to the French episcopacy stormed into the room, somewhat out of breath. “Le” cardinal urgently needed a chauffeur to drive him to Fumicino airport, he said. In those days, when French Catholics talked about “le” cardinal (translate: “THE” cardinal), everyone understood. Even if the elder daughter of the Church counted half a dozen porporati, the only possible answer was “Lustiger” – familiarly called by insiders: “Lulu”, the charismatic archbishop of Paris. My French deacon colleague was prepared to help, but his bishop said somewhat imperiously: “I still need your service”. So, I told father Di Falco, with a not so humble smile: “Well, if the Republic misses a chauffeur for “le” cardinal, the small Belgian kingdom might help”. So it happened that Di Falco brought me outside where  a small 104 Peugeot was waiting, with two poliziotti in motorcycle just beside. I entered the car and there was “le” cardinal. Nervous and decided as ever, he didn’t even bother saluting me, but said: “You just follow that police escort and don’t think about anything else!” “Fasten your seat belt, Eminence”, I answered. And there we drove at full speed out of the Vatican. The police escort plunged into the chaotic late afternoon Roman circulation and I did my very best to follow them. Actually, it was fun, but somewhat scary. Whilst I was trying to concentrate on my driving wheel, “le” cardinal was giving an interview in English to some smart young American journalist, sitting at the rear of the Peugeot. It was about the next Synod to come, which the Pope had asked Lustiger to prepare. The Berlin wall crumbled and a Synod on Europe was on the agenda. I remember the journalist asking: “Do the changes in Eastern Europe mean the victory of Christianity over Communism?” “No”, answered the prophetic prelate, “it just means the victory of one materialism over another”. From time to time, “le” cardinal did not find the needed English word and shook my hands concentrated on the driving wheel, with a vivid: “How on earth do you say that?”, nearby pushing the Peugeot outside the road and guiding the three of us straight into Eternal Light. Though enjoying the race, I was sweating and even praying. The American journalist, on the contrary, remained remarkably calm. At last, Fumicino Airport was in sight. The police escort left. I parked and leaving the journalist in the car, accompanied cardinal Lustiger into the airport. There we were informed that the flight to Paris would be an hour belated. “Le” cardinal took that up with philosophy and I nearly laughed. Leaving the great churchman waiting for his plane, I then returned to the Peugeot. Whilst driving back to the Vatican, I had a conversation with the young man now sitting next to me.

I learned his name was Greg Burke and that he worked for “Fox News”. He also told me he belonged to Opus Dei. My experience with “la Obra” was that most of its members were brilliant, and that many were not that stiff. Burke clearly wasn’t. We returned the car to the French and then went on sharing a pizza. I had a very enjoyable evening and still remember some of our conversation. I don’t think we ever met again, but my guess is that the Vatican picked the right person up, to coordinate its communication. I wish Greg Burke the best of lucks and will pray for him. May the Spirit inspire his work and Francis of Sales, the patron saint of journalists, help him to make the right decisions.

 

Petites contradictions entre humains…

S’il y a bien une chose que la connaissance des hommes enseigne, c’est que nous sommes tous bourrés de petites ou grandes contradictions intérieures. Parfois, ces contradictions s’inscrivent à travers les pages d’un journal. Ainsi, « La Libre » de jeudi dernier, 21 juin – premier jour de l’été. En achetant ce quotidien chez mon libraire, il m’annonce que ceci me donne droit à un paquet de ‘relationship bracelets’. Il s’agit de petits bracelets en caoutchouc qui permettent d’afficher au poignet son statut affectif (marié, célibataire, en couple, libre…) et sa recherche (amitié, plaisir, romance, une relation,…). Voilà une curieuse façon d’étaler sur les plages les possibles contradictions entre son « statut » et sa « recherche ». A la limite, le bracelet pour lequel j’aurais encore une tendresse particulière, est celui qui affiche : ‘it’s complicated’. Il dit quelque chose de notre époque. La révolution sexuelle a voulu libérer le désir, en pensant que cela faciliterait la vie des hommes. Quelques tabous pesants sont tombés – et c’est heureux – mais la vie affective de nos contemporains ne s’est certainement pas simplifiée pour la cause.

Pourquoi ? Une explication se trouve en p.55 du même journal, sous la plume d’Armand Lequeux. Ce professeur en sexologie de l’Université catholique de Louvain ne me contredira pas si je le décris comme un de ces intellectuels qui a œuvré, sans agressivité aucune, pour que l’Université catholique vive moins sous la tutelle de l’Eglise. Or qu’écrit-il dans une chronique intitulée, rien de moins que : « Qui bottera le c… des jeunes ? » Je le cite : « Notre première limite, c’est d’être nous et rien que nous, dans notre existentielle solitude, à tout jamais orphelins du bain amniotique qui nous contint pendant neuf mois. De bonne grâce ou à son corps défendant, notre mère a dû nous en expulser. Ouste. Dehors. Buiten. Voici les premiers mots d’amour qui s’inscrivirent dans notre mémoire extra-utérine ! (…) Qui dira leurs limites à nos « kids » de dix ans qui se comportent comme des ados et s’affichent « en couple » sur Facebook dont l’accès est pourtant officiellement interdit avant 13 ans ? Qui dira leurs limites à ces Lolitas prépubères qui se maquillent et se déguisent en putes avec la bénédiction de leur mère et le malaise de leur père ? Qui bottera le cul de ces jeunes adultes, adolescents jusqu’à 30 ans, qui squattent le domicile parental et tardent à s’engager dans la vie adulte ? Qui dira les limites à nos besoins frénétiques de consommer, de posséder, de nous endetter à titre individuel ou collectif ? Avez-vous une autre explication à la crise financière que traversent nos Etats occidentaux ? A l’évidence, nous vécûmes pendant des décennies au-dessus de nos moyens. Le temps est venu de payer, puisque nous fûmes incapables de nous limiter, de dire stop. Qui dira leurs limites à nos amours ? Pour beaucoup de nos contemporains, le couple est une valeur refuge surinvestie. Tant mieux, mais aussi tant pis ! Les attentes tuent quand elles sont démesurées et qu’on s’imagine recevoir des dividendes sans avoir investi. Notre conjoint n’est pas le remède de notre existentielle solitude. Il n’est pas le bouche-trou des manques que nous n’assumons pas. Il n’est pas tout pour nous et nous ne pourrons jamais prétendre être tout pour lui. Faute de l’avoir compris et assumé, nous risquons de transformer notre déception en amertume et notre amertume en rejet ». Je cite largement le Professeur Lequeux, car je partage son avis sur la question. Mais je pense qu’il reconnaîtra avec moi que – s’il avait écrit cela, il y a 30 ans – il se serait fait gentiment traiter par l’establishment intellectuel de l’époque de réactionnaire, voire de facho. Et que ce qu’il explique, jure quelque peu avec la distribution des ‘relationship bracelets’ à l’achat du même journal. Peut-être conclura-t-il même avec moi que cette Eglise catholique que tant d’intellectuels ont souhaité écarter de la place publique, contribuait à sa façon – parfois maladroitement, sans doute – à mettre des limites au désir. Que les positions morales catholiques furent, dès lors, un peu vite déclarées obsolètes. Contradictions… contradictions…

Et puis, est-ce uniquement aux jeunes qu’il faut « botter le c… » ?  En pp.24-25 du journal, l’excellente journaliste économique Ariane van Caloen, commente le rapport du bureau de recherche parisien indépendant AlphaValue. Ledit rapport décortique les conséquences de la séparation des métiers de banque d’affaires et de détail. Je cite l’article : « Sa conclusion est édifiante : le modèle de banque universelle défendu par des grandes institutions comme BNP Paribas ou Société générale est destructeur de valeur. A contrario, une séparation des métiers de banque de détail (où la collecte des dépôts sert au financement des entreprises) et de banque d’affaires (où les fonds sont alloués à des investissements à risque) en créerait. Les analystes ont même fait des calculs très précis qui ont de quoi intéresser l’Etat belge, premier actionnaire de BNP Paribas avec une participation de 11 %. »  Bref, si j’en crois l’article, c’est aussi aux banquiers qu’il faudrait botter le c… Et pourtant, en p.30 toujours du même journal, on signale que ce même groupe BNP Paribas a décerné son prix de la philanthropie individuelle. Celui-ci récompense « un individu ou un groupe familial reconnu pour son action philanthropique, pour l’éthique, l’exemplarité, l’impact et la constance de son engagement ». Contradictions… contradictions…

Je le répète : s’il y a bien une chose que la connaissance des hommes enseigne, c’est que nous sommes tous bourrés de petites ou grandes contradictions intérieures. La croissance spirituelle consiste à en prendre conscience et à essayer de s’en libérer. Rien n’est plus contraire à la vie spirituelle, que cet aveuglement qui consiste à croire que seuls les autres sont pétris de contradictions. Qu’en nous, tout se vivrait conformément à nos idéaux. Ceci explique l’avertissement du Christ à l’encontre des docteurs de la loi : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’ votre péché demeure ».  (Jean 9, 41)

« Précurseur » – Nativité Jean-Baptiste

«Il marchera devant le Seigneur avec l’Esprit de puissance du prophète Elie, pour faire revenir le cœur des pères vers leurs enfants, convertir les rebelles à la sagesse des hommes droits, et préparer au Seigneur un peuple capable de l’accueillir». (Luc 1, 5-17)

Le 24 juin – exactement six mois avant la Nativité – l’Eglise célèbre la naissance de Jean le Baptiste. Noël est célébré lors du solstice d’hiver : avec la naissance du Christ, la lumière commence à croître dans le monde. La naissance du Baptiste – avec ses feux de la saint Jean – se fête lors du solstice d’été, alors que la longueur des jours commence à décroître : « Lui, il faut qu’Il grandisse ; et moi, que je diminue » (Jean 3, 30), disait le Précurseur du Christ.

Alors que bientôt débutent les mois d’été, qui sont pour beaucoup un temps de repos et de recul, demandons au Baptiste que ce soit aussi un temps qui nous prépare à davantage accueillir le Christ dans notre vie – comme le précurseur avait mission de le faire : « préparer au Seigneur un peuple capable de l’accueillir ».

RIO +20 – la tentation du fatalisme

Il y a quelques années encore, vivaient autour de moi de jeunes intellectuels soucieux du réchauffement climatique. Ils martelaient : « Il faut agir maintenant, sinon on va dans le mur ». Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont devenus fatalistes. Ils murmurent – désabusés : « On est dans le mur… A quoi bon des sommets, tels Rio +20, qui polluent par tous les déplacements qu’ils génèrent, plus que ce que les maigres décisions prises font économiser à la planète ? » Les plus durs ajoutent : « L’homme n’a pas pu gérer sa croissance ? La nature se chargera de le faire… En éliminant une bonne part de l’humanité ».  Fait nouveau : des publications de plus en plus sombres commencent à voir le jour. Après avoir lu « Saison brune », la BD de Philippe Squarzoni, une amie me dit : « on a presque honte de vivre ».  

Pareille vision des choses a le mérite de la lucidité. Mis à part une petite tribu de climato-sceptiques, la communauté scientifique voit l’enjeu du réchauffement climatique et sait ce qu’il convient de faire pour y répondre. Notre mode de développement épuise les ressources de la planète. Il s’agit dès lors de développer un modèle durable de développement. La difficulté est qu’aucun responsable politique n’a les moyens de mettre en œuvre pareil changement salutaire. Pourquoi ? Parce que pour que cela se fasse, chacun doit y souscrire. En l’absence d’une autorité mondiale capable de prendre les décisions qui s’imposent, on en est réduit à espérer un consensus de toutes les nations. Or, les puissances émergentes ont pour projet de croître et les puissances déclinantes que nous sommes, ont pour nécessité de relancer leur économie. Bref, le durable n’est plus une priorité pour grand-monde. Enfin – et peut-être plus grave encore – l’opinion publique semble s’être quelque peu lassée d’un sujet qui la dépasse. Pour s’en convaincre, il suffisait de lire ce matin les « unes » des gros tirages de la presse populaire en Belgique francophone : un journal faisait ses choux gras avec les enfants naturels d’un monarque, tandis qu’un autre n’en avait que pour l’Euro de football. « Du pain et des jeux »

La tentation du fatalisme est puissante. Elle assure de ne jamais être déçu. Cependant, celui qui y succombe se condamne à la stérilité. Saluons donc le travail humble de tous ces scientifiques qui continuent à calculer des paramètres de changement climatique pour nous informer. Saluons aussi les grandes religions et spiritualités qui ont intégré l’urgence écologique dans leur enseignement. En ce jour, le cardinal-président des conférences épiscopales des pays de l’Union européenne déclare : «  Nous devons travailler à une nouvelle culture du respect pour la création, de la solidarité et de la justice, afin d’atteindre un développement humain véritable et authentique ». (Reinhard Cardinal Marx, Archevêque de Munich et Freising, Président de la Commission des Episcopats de l’UE – COMECE)

Ce qu’il manque encore ? Selon moi – je le répète – une autorité mondiale capable de faire adopter par toute la planète de nécessaires et impopulaires mesures. Dans son encyclique Caritas in Véritate  (2009), Benoît XVI l’enseigne, en commençant par un avertissement : « Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux.» (n°57). Plus loin, il précise cependant : « Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. (…) Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. (…) Une telle Autorité devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux ». (n°67)

Personnellement, je verrais bien ce genre de fonctions tutélaires occupées par quelques politiciens de premier rang,  en fin de carrière. Ils seraient élus pour un seul et long mandat, non-renouvelable – quelque chose comme un septennat. Ceci leur laisserait le temps d’agir dans la durée et les libérerait de la contrainte de rester populaires pour être réélus.

Un rêve que tout cela ? Peut-être, mais le rêve à un avantage sur le fatalisme : il laisse une chance à l’avenir.

« No future » – 11° dimanche, Année B

 «Nuit et jour, qu’il dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit». (Marc 4, 26-34)

Il y a un quart de siècle naissait le mouvement punk. Des jeunes en révolte criaient de rage contre la société. Leur credo était : « no future ». La plupart sont aujourd’hui mariés et parents. Quelques-uns sont cependant morts d’overdose ou de suicide. Aujourd’hui, le « no future » est plus diffus et généralisé. Une enquête parue cette semaine sonne comme un coup de massue : 8% des sondés belges entre 18 et 75 ans auraient déjà tenté de se suicider, 10% souffrirait d’angoisse ou de dépression, 57% sont inquiets pour l’avenir de leurs enfants et le même % aurait besoin d’un accompagnement psychologique. L’augmentation du mal-être, par rapport aux années précédentes est impressionnante. Face à la crise et à la précarité, la foi chrétienne n’a pas de solution magique à proposer. Le christianisme n’est pas un opium qui sert à oublier et accepter. Cependant, la vie avec Christ nous construit intérieurement dans la confiance. Si une dose de stress fait partie de toute vie, l’Esprit du Ressuscité nous rappelle que rien – même pas la mort – ne peut vaincre la puissance de l’Amour. Alors, malgré les épreuves, abordons l’avenir avec confiance: «Nuit et jour, que le semeur dorme ou qu’il se lève, la semence germe et grandit».