Dans une opinion publiée ce jour dans La Libre, en pp.42-43, un haut-fonctionnaire fédéral, signant sous le pseudonyme de « Paul Robert », explique que la mentalité sous-jacente au pacte migratoire, est celle qui prévoit, ni plus ni moins que la disparition des peuples européens et leur remplacement par les « migrants ». Et l’auteur de citer, pour appuyer sa thèse du « grand remplacement », nul autre que Charles Maurras -soutien du régime français de Vichy. Comme lui, il fustige le « peuple visible » – soit les élites – qui ânonnent leur mantra multi-culturaliste contre le « peuple réel », qui lui se rebiffe. Sa critique n’épargne pas au passage, l’Eglise « qui semble avoir décidé de confondre le globalisme niveleur et déracinant du libéralisme avec l’universalisme du Christ ».
Qu’il me soit permis de réagir en trois points:
- L’auteur reproche aux politiques migratoires de vouloir remplacer nos populations vieillissantes… Mais, que je sache, ce n’est pas suite à un complot des élites ou à une trahison de l’Eglise, que nous vivons une baisse de la natalité en Europe de l’Ouest depuis un demi-siècle. Et le fait de signer ou non le pacte migratoire n’y changera rien. Par contre, sans l’accueil de populations étrangères pour entrer sur le marché de l’emploi, qui payera nos pensions? Bref, cette chronique semble supputer qu’en stoppant les migrations à nos frontières, les femmes chez nous auront plus d’enfants. Chacun comprend – je pense -que celui qui écrit cela, prend son rêve pour la réalité.
- Opposer les « élites » au « peuple réel » est une rengaine dangereuse. Bien sûr que les migrations font peur. Peur aux personnes précarisées à qui on fait croire – à tort – que ces étrangers viennent prendre leurs emplois. Peur aussi aux bourgeois qui doutent de notre civilisation post-moderne, face à l’arrivée de populations majoritairement d’origine musulmane. Cette peur est un signe de faiblesse. Ici, je cite le ministre de la justice Koen Geens, dans une interview, ce jour même dans le quotidien « le Soir » (p.22): « La migration met-elle en cause notre civilisation? Sommes-nous faibles à ce point? Pour ne pas avoir peur, il faut avoir une identité propre – qui n’est pas nécessairement l’identité chrétienne, mais celle des Lumières et en tout cas autre chose que le simplisme de nos « normes et valeurs ». On ne peut s’ouvrir à l’autre qu’en étant un peu rassuré sur soi-même. » Au lieu de hurler au loup, invitons donc le « peuple réel» à retrouver un peu de confiance en cette civilisation des droits de l’homme, née il y a 50 ans sur les ruines de la seconde guerre mondiale et héritière, tant du Judéo-Christianisme que des Lumières.
- Enfin, accuser l’Eglise de confondre« le globalisme niveleur et déracinant du libéralisme avec l’universalisme du Christ », est aussi facile que gratuit. L’Eglise ne confond rien du tout. Elle tente de prêcher l’Evangile. Que cela plaise ou non au « peuple réel ». Car le « peuple réel » n’est pas automatiquement du bon côté de l’Evangile. C’est ce « peuple réel » qui jadis réclama la libération de Barabbas et la mise à mort du Sauveur. Sans vouloir faire la leçon à qui que ce soit, l’Eglise rappelle que ces immigrés sont nos frères en humanité. Ce faisant, elle sait qu’elle ne se rend pas populaire. Mais elle ne peut échapper à la parole du Maître: « J’étais nu, et vous m’avez vêtu; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus vers moi. (…) Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Matthieu 25, 36 – 40)
Voici ce que j’écrivais à ce sujet dans l’édito de « Entrées libres » de novembre, le journal du SeGEC:
Devoir d’humanité
Une connaissance me raconta son récent jogging matinal du dimanche dans le parc d’une commune bourgeoise en région liégeoise. A peine avait-il commencé à s’échauffer qu’il tomba sur un groupe de sans-abri. « Même ici, on en trouve », se dit-il, vaguement agacé par cette irruption dans sa quiétude dominicale. Dépassant son malaise, il alla cependant leur parler, prenant le temps d’écouter chacune de leurs histoires. L’un d’entre eux lui expliqua qu’il dirigeait une petite entreprise, qui fit faillite suite à un mal de dos aigu, qui le mit en chômage technique. S’ensuivit un sale divorce, qui finit par le mettre sur la paille. Notre joggeur, lui-même indépendant, fut touché par ce récit d’une mésaventure, qui aurait pu être la sienne. Il renonça à poursuivre son sport matinal et alla tous leur acheter des cafés et des croissants….
Parce qu’il avait pris le temps de s’arrêter et de les écouter, ces « sans-abris en situation irrégulière » étaient devenus les noms et visages de frères en humanité. Il en va de même pour ces personnes qui hébergent des réfugiés du parc Maximilien ou d’ailleurs. En prenant la peine d’ouvrir leur foyer et leur cœur à ces illégaux, ceux-ci ont quitté l’abstraction des statistiques pour devenir une histoire. Le philosophe Emmanuel Levinas décrit ce phénomène comme « l’épiphanie du visage » : quand nous regardons un autre humain dans les yeux, il nous devient impossible d’encore le traiter comme un problème à régler. Il s’impose comme un humain à rencontrer.
En ce temps qui nous prépare à la fête de Noël, il ne s’agit pas de pécher par naïveté en prétendant qu’avec un peu de bonne volonté, toute la misère du monde et le drame des migrations sauvages pourraient être réglés. Ce n’est pas le cas. Et les politiciens qui doivent affronter ces délicates questions, méritent notre estime. Il s’agit cependant de ne jamais oublier que les sans-abris et les sans-papiers sont et restent des frères en humanité. Et que plutôt que de stigmatiser un prétendu « délit de solidarité », il s’agit d’encourager un « devoir d’humanité ». Ce n’est d’ailleurs pas anodin si l’évangéliste saint Luc raconte qu’à la naissance de l’Enfant-Dieu, sa mère « l’emmaillota, et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. » (Luc 2, 7).
Que l’Esprit de la Nativité nous rappelle, chaque fois qu’un visage en détresse croise nos joggings matinaux et autres activités, que c’est le Christ que nous accueillons en tous ces pauvres. En d’autres mots, que le Souffle de Dieu nous ramène à notre élémentaire… devoir d’humanité.