« Grâce à Dieu », le film de François Ozon, commence à être diffusé en Belgique. Normalement, je m’abstiens d’aller au cinéma (un de mes hobbys) en carême, mais ici, j’ai fait une exception. Le sujet de la pédophilie au sein de l’Eglise me touche de trop près, pour que je fasse l’impasse. Il y a dix ans, c’était la Belgique qui était dans l’oeil du cyclone avec la démission-choc de l’évêque de Bruges. Comme porte-parole des évêques, je me trouvais alors en première ligne.
Le film d’Ozon n’est pas dénué de petites faiblesses, propres à une production à modeste budget. Ainsi, pour la scène de la confirmation (tournée dans une église belge), l’accessoiriste a sorti des chasubles de musée. Il aurait pu emprunter des vêtements liturgiques actuels. Plus troublant, voici (encore) un film français où les acteurs fument énormément. Cela souligne la souffrance des protagonistes, mais constitue malgré tout une publicité déguisée pour l’industrie du tabac (volontaire?).
Ceci étant dit, quant au fond, « Grâce à Dieu » est un film puissant, parce qu’il n’est pas une fiction à thème. Il se contente de raconter le drame de l’abus sexuel, en suivant le vécu et le regard des victimes. Cette sobriété rend la narration plus dure encore. En sortant de la salle du cinéma un peu groggy, je sentis le regard lourd de certains spectateurs, apercevant mon clergyman.
J’avais été visionner le film avec 3 amis: deux femmes et un homme. L’homme était troublé, mais soulignait que l’époque avait changé. Une des deux amies se demandait ce que nous transmettions dans l’éducation, pour qu’un enfant ne puisse pas dire « non » à un adulte pervers. L’autre amie ne comprenait pas que le père Preynat n’ait pas été arrêté par l’Eglise: comment a-t-on pu le laisser faire tant de victimes? Moi-même, je mentirais si je niais ma honte en sortant de la salle obscure. En effet, je ne puis – malgré tout – que me sentir solidaire de cette Eglise institutionnelle qui, face à l’évidence, semble une fois de plus sourde et aveugle.
Et l’évidence est qu’un pédophile patenté ne peut rester au contact avec des enfants, surtout dans une fonction aussi symboliquement chargée que celle de prêtre… N’importe qui, avec un minimum de bon sens, sait cela. Alors, une institution où – par excellence – les enfants devraient être en sécurité… comment a-t-elle pu l’oublier ? J’ai surtout été marqué par cette scène du film (apparemment vécue) où Alexandre, la première victime a avoir porté plainte, est invité par la psychologue du diocèse à prier avec son agresseur… Quelle confusion des genres! Dans ce genre de situation, la cicatrisation des blessures ne peut être envisagée, si ce n’est dans la vérité et la justice.
Isabelle de Gaulmyn, responsable pour l’information religieuse du quotidien La Croix est originaire de Lyon et a fréquenté le groupe scout, où a sévi le père Preynat. Elle est donc plus légitime que moi pour expliquer ce qui s’est passé, ce qu’elle a fait par un livre, mais aussi sur son blog ici et encore ici.
Personnellement, en guise d’explication c’est bien la notion de « cléricalisme » dont parle si souvent notre Pape, qui me vient à l’esprit. Et ce, dans une double dimension:
Le cléricalisme comme esprit de caste, qui aveugle face aux évidences. Ainsi, ces militaires qui refusent de voir des crimes de guerre ; ces économistes qui nient des situations béantes d’injustices sociales; ces politiques qui ne comprennent plus ce qu’est le bien commun… Bref, chaque fois que « l’entre-soi » brouille le sens du réel. Les responsables de l’Eglise de Lyon ne sont pas des monstres. Mais ils sont devenus les rouages myopes d’un système qui se préserve, et que seule l’action extérieure de la justice a pu gripper. A leur place, aurais-je été plus lucide?
La seconde dimension du cléricalisme, est celle qui donne de confondre l’institution avec l’Eglise, en tant que peuple de Dieu. A la fin du film, le fils d’Alexandre demande à son père: « Papa, tu crois toujours en Dieu? » Bien sûr que je comprends l’interrogation du jeune homme et, qu’à sa place, j’aurais eu la même. Mais la véracité du christianisme ne dépend pas de la crédibilité du clergé. C’est le cléricalisme qui donne de confondre les deux. Je me souviens de la remarque d’un intellectuel catholique flamand, face à la vague d’apostasies (appelée improprement « débaptisations ») qui a suivi le scandale de l’évêque de Bruges: « Je ne vois pas en quoi les turpitudes d’un prélat de Flandre occidentale affecteraient la question de savoir si – oui ou non – le Christ est Fils de Dieu et mon Sauveur ». Ce chrétien laïc avait compris que la sainteté de l’Eglise découlait de Dieu, qui seul est saint. Et que c’est sur Sa sainteté que tous les baptisés – laïcs comme clergé – se greffent. Comme me dit un jour ma mère: « plus je fréquente l’Eglise et plus je crois en Dieu. Sans Lui, il serait impossible qu’elle se maintienne, avec la médiocre qualité de leadership de nombre de ces clercs ». C’était dit avec humour… et amour, mais cela fait mouche.