Ce 11 juillet paraissait dans le quotidien « le Soir » un article sur le recours en annulation devant la cour constitutionnelle, introduit par « Citoyens pour la vie » (nom de l’association de fait sous laquelle se sont regroupées sept personnes physiques) contre la loi du 15 octobre 2018 sortant l’avortement du code pénal. Sans surprise, le Centre d’action laïque a décidé d’introduire un « mémoire en tierce intervention ». La sortie du droit pénal de l’avortement et la volonté de transformer sa dépénalisation en « soin sanitaire » est un dossier sur lequel travaille depuis des années Sylvie Lausberg, directrice de la cellule Etude et Stratégie du CAL, depuis peu également présidente du Conseil des femmes francophones de Belgique. Pour Sylvie Lausberg, un tel recours rappelle qu’il subsiste « quelques groupuscules anti-choix, bien organisés, et qui ont une stratégie commune en Europe ». « Cela montre qu’il y a bien une bataille engagée autour de ce droit pivot. Il s’agit, à nouveau, d’insérer dans la législation des considérations religieuses de l’existence. Et ça, nous nous y opposons. »
J’ai hésité de réagir à cet article. Par manque de temps, mais aussi parce que je sais d’expérience que les réseaux sociaux s’en emparent dans une bataille rangée entre pro-vie et pro-choix, souvent sous la forme d’un dialogue de sourds qui étouffe le fond de la question, que – une fois encore – je souhaite ici poser. De plus, je me sens mal à l’aise avec les outrances de langage des plus virulents militants dans ces débats… dans les deux camps. (Ainsi, je récuse comme inappropriés, les termes « meurtre » pour un avortement et « assassinat » pour une euthanasie, utilisés par les ultras pro-vie).
Cette question, je l’avais un jour posée à Sylvie Lausberg dans un débat sur l’avortement qui se tenait à l’ULB et ne reçut pas de réponse. Alors voici, une fois encore: je veux bien accepter que pour nourrir la vision « sacrée » de toute vie humaine, depuis sa naissance jusqu’à son décès, la foi religieuse qui est la mienne, joue une part. Il n’empêche: le socle de base de toute démocratie humaniste sont les droits de l’homme. Et ceux-ci reposent sur le caractère inviolable de toute vie humaine. La question que je pose et reposerai donc aussi longtemps qu’il le faudra, est de savoir sur quels critères philosophiques, et donc à partir de quand, une société fonde la reconnaissance du caractère « humain » et donc inviolable de quelqu’un. A sa naissance? Pourquoi? Trois mois avant la naissance? Pourquoi? Ceux qui, comme moi, répondent « depuis sa conception », affirment philosophiquement que la dignité humaine ne se négocie pas. Quid des autres?
Il est trop court de répondre: parce que le parlement l’a ainsi décidé. C’est une réponse « politique » qui laisse la place à toutes les dérives totalitaires – un parlement pouvant prendre des décisions terribles, comme l’histoire le démontre. Refuser de répondre à pareille question philosophique, en argumentant que ce serait entrer dans un débat religieux, c’est laisser un élément fondateur de toute société humaniste, à l’arbitraire de la majorité idéologique du moment. Bref – un un mot comme en mille – si le débat démocratique ne doit entrer dans des considérations théologiques sur le début et la fin de la vie, il ne peut faire l’économie du débat philosophique sur la question.
Se contenter de dénoncer ceux qui agitent « des considérations religieuses » sur le début ou la fin de la vie, est une stratégie visant à décrédibiliser tout opposant. Et une façon de masquer sa propre peur du débat sur une question aussi fondamentale. Il est en effet plus simple de déclarer que l’on a gagné le débat des idées et que l’on est soutenu par la majorité de la population (ce qui est correct), que de justifier sur quelles bases philosophiques, on milite pour faire de l’avortement un simple droit sanitaire. Sauf à faire appel à la magie: il n’y aurait qu’un amas de cellule dans le ventre, jusqu’à ce que la femme qui porte l’embryon le décide. Et là – pouf! – apparaît, par magie un être humain doté de droits inviolables.
Pour être complet, je rappelle qu’il en va de même pour toute vie humaine: se battre pour la dignité de l’embryon humain et se désintéresser du sort des migrants qui se noient en Méditerranée, ou encore du réchauffement climatique, de la perte de biodiversité et de ses conséquences sur l’humain, c’est faire preuve d’un humanisme… à géométrie variable.
Une société démocratique digne de ce nom, n’échappe pas aux grands débats philosophiques. Et ceux-ci ne se mènent pas à coup de slogans et de partis-pris idéologiques. Facile à écrire. Mais à vivre concrètement…