Ce jour de prière pour les défunts est propice à une réflexion sur la dernière proposition de l’Open-VLD. Ce parti, actuellement un des plus sécularisés de Belgique, profite de la période d’attente d’un gouvernement fédéral de plein exercice, pour lancer une proposition d’élargissement de la loi sur l’euthanasie: « Et si on l’ouvrait à des personnes qui sont fatiguées de vivre?… » Le débat vient des Pays-Bas et il agite la Flandre. « Malaise, malaise… » réagissait un éditorialiste, « car à quel âge mettre le curseur? » Sous-entendu: OK pour une personne de 95 ans, mais quid du jeune tout juste majeur, qui en a marre de vivre? La presse du Nord comme du Sud du pays est donc (pour le moment) majoritairement contre l’idée. Elle parle d’un glissement vers un « suicide médicalement assisté ». Les rédactions du royaume sont tout de même un peu mal à l’aise. Il est en effet curieux, dans ce pays qui se veut à la pointe du « progrès bioéthique », que l’intelligentsia se retrouve – une fois n’est pas coutume – dans le camp des (osons le vilain mot) « conservateurs ».
La question de l’Open-VLD donne à penser. Non parce que je la soutiens, mais en ce qu’elle est le prolongement naturel de la réflexion enclenchée par la législation belge actuelle sur l’euthanasie. En effet, à partir du moment où l’on postule que la vie n’est pas un « inconditionnel inviolable », mais que la personne malade ou en souffrance peut demander et obtenir légalement le droit de mourir, le critère pivot de la légitimité d’un acte, devient le choix individuel. Combien de fois, au cours d’un débat sur l’euthanasie, ne m’a-t-on pas lancé à la figure, avec une assurance toute péremptoire : « Qui êtes-vous pour restreindre le choix d’une personne? Personne ne vous oblige à demander l’euthanasie pour vous-même, mais laissez au moins ce droit à ceux qui le souhaitent! » OK. OK. Mais si tel est le cas, pourquoi le restreindre? Pourquoi le choix ne serait-il ouvert qu’à ceux qui auraient reçu de deux médecins un certificat de santé suffisamment mauvaise, pour justifier leur droit légal d’en finir? Pourquoi en exclure les autres qui en ont simplement assez de vivre? La proposition de l’Open-VLD ne fait que prolonger un peu plus la logique du libre choix. A l’époque du débat sur la dépénalisation de l’euthanasie, j’argumentais que cette législation légitimait une forme de « suicide médicalement assisté ». Je me faisais contrer de toute part. La proposition de l’Open-VLD me conforte dans ma conviction.
Il y a une alternative fondamentale à trancher entre deux visions philosophiques sur l’homme. Soit, l’humain est considéré comme un individu qui se réalise par ses choix souverains. Dans ce cas, en effet, l’euthanasie se justifie: chacun choisit librement quand et comment quitter cette vie. Mais alors, soyons logiques jusqu’au bout: au nom de qui ou quoi restreindre ce choix? Qui suis-je pour refuser à mon prochain qui le « désire souverainement » un permis de mourir? La proposition de l’Open VLD l’a bien compris. L’autre vision est que l’humain n’est pas un individu, mais une personne, soit un être fondamentalement relationnel. Une personne, dont l’humanité et la liberté ne se réalisent qu’en relation avec le monde, les autres et (pour le croyant)… avec l’Autre. Au nom de l’inter-responsabilité qui nous relie les uns aux autres, la société pose alors des balises sociales, dont celle de l’inviolabilité de toute vie humaine. Ceci n’enlève rien à la légitimité de conclure sa vie dignement et du droit de mourir sans trop de souffrance (via les soins palliatifs et toute forme de sédation, etc), mais fait de l’interdit de tuer un fil rouge à ne pas transgresser. L’interdit de tuer ne supprime pas une légitime latitude des médecins dans l’accompagnement de la fin de vie. Les partisans de la loi belge de dépénalisation, ont argumenté qu’il était plus juste – et moins hypocrite – de laisser au patient, lui-même, le choix de sa fin de vie. Ce faisant, ils ont engagé le pays sur un chemin, que la récente proposition de l’Open-VLD ne fait que pousser un peu plus loin. Je fais partie de ces « pénibles conservateurs » qui pensent qu’il ne s’agit pas d’un progrès.