J’invite à lire la chronique ci-dessous de Vincent de Coorebyter, professeur à l’ULB, chronique publiée en page 15 du quotidien « le Soir » de ce jour.
Je suis surtout frappé par la pleine reconnaissance de ce que les initiés savaient déjà. Je cite ce passage de sa chronique : « La situation change à partir de 2012. Le Cedep qui regroupe douze associations laïques, propose alors de supprimer l’obligation de suivre un cours de religion ou le cours de morale, et réclame une formation citoyenne et philosophique pour tous qui deviendra, quelques années plus tard, le cours de philosophie et citoyenneté. La laïcité organisée renie ainsi le cours de morale, dont le public est cloisonné. Par ailleurs, au moyen d’une stratégie subtile, elle provoque l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015, qui au terme d’une argumentation controversée conclut que la législation permet que le cours de morale non confessionnelle soit engagé, de sorte qu’il n’offre pas un substitut neutre aux cours de religion. »
Et je pose une question: pourquoi la presse, si habile à décoder les enjeux souterrains, ne l’a-t-elle pas dit à l’époque?
Dans un tout autre sujet, j’apprends que plusieurs partis de la Chambre se montrent favorable à à l’ouverture ces jours-ci, d’une enquête par le Conseil supérieur de la justice (CSJ) à propos d’une possible “influence non autorisée” qui aurait précédé le procès d’assises à Gand (procès concernant l’euthanasie de Tine Nys). En clair, d’aucuns soupçonnent le frère René Stockman, supérieur des frères de la Charité, d’avoir influencé le parquet général de Gand. Comment un religieux habitant Rome pourrait ainsi faire pression sur la haute magistrature (chose qui semble tout à fait invraisemblable), n’est pourtant expliqué par personne…. Bref, quand d’improbables rumeurs parlent d’une possible influence catholique sur la justice, le monde politique s’agite. Par contre, que le monde laïque se serve de la Cour Constitutionnelle pour faire passer son agenda, cela semble une manoeuvre tout à fait normale.
« Selon que vous serez puissants ou misérables… » enseignait Lafontaine. Qui est puissant aujourd’hui et qui misérable?
(La chronique de Vincent de Coorebyter)
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Si l’on réaffirme la neutralité du cours de morale non confessionnelle, il semblera faire double emploi avec le cours de philosophie et citoyenneté. Ne pourrait-on choisir de lui conférer officiellement un caractère engagé ? Et comment conserver tels quels ses programmes, à présent qu’il n’est plus soutenu par la laïcité organisée ?
C’est un enjeu dérisoire au regard de la marche du monde, mais il est révélateur des ambiguïtés de la politique belge, et plus précisément francophone.
En vertu de l’article 24 de la Constitution, qui prolonge sur ce point le Pacte scolaire, les écoles publiques doivent offrir le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle. La création d’un cours de philosophie et citoyenneté n’a pas modifié cet état de fait : elle a seulement réduit l’horaire consacré à ces cours à une heure par semaine au lieu de deux.
Le cours de morale non confessionnelle reste donc organisé. Or il se trouve que, au 1 er septembre 2021, ses enseignants devraient détenir un « certificat en didactique du cours de morale non confessionnelle » pour exercer leur fonction. Ce certificat doit donc être mis en place, mais cela suppose de répondre au préalable à une question difficile : à quoi sert encore le cours de morale, aujourd’hui ?
Lorsque l’on a commencé à organiser des écoles publiques, en 1842, l’enseignement de la religion catholique y était obligatoire. Une dispense pouvait être obtenue, mais elle obligeait les parents à manifester une sorte d’hostilité à l’égard du catholicisme, ce qui demandait du courage.
Le tournant du Pacte scolaire
Au fil du temps, les partis porteurs des valeurs laïques ont tenté de rendre le cours de religion facultatif, puis de créer un cours de morale non confessionnelle en alternative au cours de religion. La loi du Pacte scolaire, en 1959, et l’article 24 de la Constitution, en 1988, consacreront cette idée : dans les écoles publiques, un cours de « morale non confessionnelle » doit être proposé en sus des différents cours de religion.
Jusque-là, tout était clair, ou presque. Même s’il a été voulu par les partis de tradition laïque, le cours de morale non confessionnelle était conçu comme un cours neutre, ouvert à tous ceux qui ne souhaitent pas un des cours de religion qui leur sont proposés : il ne s’agissait pas d’un cours de morale laïque, destiné à défendre les principes de la laïcité organisée. Certes, le premier décret sur la neutralité de l’enseignement public, en 1994, parle d’un « cours de morale inspirée par le libre examen ». Mais cette expression doit s’entendre au sens où une démarche pédagogique fondée sur la raison suppose le libre examen. La Commission permanente du pacte scolaire a été limpide dans sa résolution du 8 mai 1963 : « Le cours de morale non confessionnelle est un guide d’action morale fondée sur des justifications sociologiques, psychologiques et historiques. Il ne fait pas appel à des motivations de caractère religieux ; il ne tend pas non plus à la défense d’une ultime conception philosophique déterminée. »
C’est la raison pour laquelle, en Communauté française, le cours de morale n’est pas contrôlé par le monde de la laïcité. Alors que les chefs de culte fixent les programmes des cours de religion, en choisissent les enseignants et organisent l’inspection de ces cours, ce sont les pouvoirs publics qui assument ces prérogatives pour le cours de morale. Comme le disent les libellés législatifs et constitutionnel, le cours de « morale non confessionnelle » n’est pas censé être assimilé à un cours de morale laïque.
Pour autant, le monde de la laïcité organisée a toujours porté un intérêt particulier à ce cours, et en a soutenu le développement en créant la Fédération des amis de la morale laïque en 1969 et le Conseil de la morale laïque en 1998. Plus encore, au fil de glissements successifs, la pratique s’est banalisée de rebaptiser ce cours en « cours de morale laïque », et les programmes officiels adoptés en 2002 et en 2005 (selon le niveau d’enseignement) comportent des références explicites à la laïcité dans leurs premières pages voire, en 2005, dès la première ligne (« Un programme pour le cours de morale laïque ! »). En outre, d’éminents juristes considèrent que les décrets sur la neutralité de l’enseignement public autorisent les professeurs de morale à être aussi engagés que leurs collègues de religion. Cette lecture me paraît discutable, mais elle traduit bien le fait que, pendant plusieurs décennies, le monde de la laïcité a vu dans le cours de morale un relais pour ses valeurs.
L’obligation d’une alternative
La situation change à partir de 2012. Le Cedep qui regroupe douze associations laïques, propose alors de supprimer l’obligation de suivre un cours de religion ou le cours de morale, et réclame une formation citoyenne et philosophique pour tous qui deviendra, quelques années plus tard, le cours de philosophie et citoyenneté. La laïcité organisée renie ainsi le cours de morale, dont le public est cloisonné. Par ailleurs, au moyen d’une stratégie subtile, elle provoque l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015, qui au terme d’une argumentation controversée conclut que la législation permet que le cours de morale non confessionnelle soit engagé, de sorte qu’il n’offre pas un substitut neutre aux cours de religion. Pour la Cour, le caractère laïque du cours de morale a fini par l’emporter, ce qui impose de créer une alternative aux cours de religion et de morale : cette alternative prendra la forme d’une deuxième heure par semaine d’enseignement de la philosophie et de la citoyenneté, pour les parents ou les élèves qui ne veulent pas des autres cours.
Quel programme ?
Nous en sommes là aujourd’hui, et l’ambiguïté est criante.
Aucun décret, et encore moins la Constitution, n’a officialisé la transformation du cours de morale non confessionnelle en un cours de morale laïque. Dans leur grande majorité, les professeurs de morale ne sont pas liés au monde de la laïcité, qui lui-même ne se reconnaît plus dans leur cours. Tout est donc en place pour rendre au cours de morale sa neutralité originelle, et pour interdire à ses enseignants d’utiliser le flambeau laïque ou de préparer leurs élèves à la fête laïque de la jeunesse.
Mais, si l’on réaffirme la neutralité du cours de morale non confessionnelle, il semblera faire double emploi avec le cours de philosophie et citoyenneté, et en particulier avec sa deuxième heure. On pourrait donc choisir, à l’inverse, de conférer officiellement un caractère engagé au cours de morale. Mais peut-on conserver tels quels ses programmes, à présent qu’il n’est plus soutenu par la laïcité organisée ?
Que faire du cours de morale ? C’est la question à laquelle le gouvernement devrait répondre, avant de mettre en place un certificat en didactique du cours de morale non confessionnelle.
Vincent de Coorebyter Professeur à l’ULB