RIP Benoit XVI – le Pape théologien

Je me souviens de l’élection de Benoît XVI. Je me trouvais sur place Saint-Pierre, ayant accompagné le cardinal Danneels à Rome pour les funérailles du pape Jean-Paul II, ainsi que pour le conclave qui s’ensuivrait, en ma qualité de porte-parole des évêques de Belgique.

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Quand le nom du nouveau pape fut connu, beaucoup de catholiques craignirent que celui qu’une certaine presse surnommait « le Rottweiler de Dieu », entraine l’Eglise catholique dans une période de glaciation théologique.
Inutile de dire que sa première Encyclique était attendue et que cette même presse s’apprêtait à faire ses choux gras, en relevant les condamnations pontificales.
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Et puis parut, un jour de Noël 2005, « Deus caritas est » et les rédactions du monde furent muettes d’embarras: un pape qui célèbre l’amour plutôt que de souligner ses excès; un pape qui parle de l’accord entre « amour-eros » et « amour-agape »; un pape qui cite Nietzsche; un pape qui ne condamne pas le corps, mais l’invite à l’unifier à l’âme. Que se passait-il donc pour que Benoit XVI échappe totalement au récit médiatique dans lequel d’aucuns voulaient l’enfermer?
Il se passait que le monde découvrait enfin que ce Pape était avant tout un des plus grand théologiens catholiques de la seconde moitié du XXe siècle. Ses encycliques resteront dans l’histoire comme des modèles d’érudition, écrites dans un langage accessible et avec un style pédagogique.
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Huit ans plus tard, Benoît XVI surprit une nouvelle fois le monde par sa renonciation à la charge pétrinienne. Le théologien n’était pas un manager. Avec son intelligence vive et sa douce humilité, il comprit qu’il fallait passer le flambeau, écrivant ainsi un nouveau chapitre de la papauté.
François, le nouveau Pape, a un profil bien différent de son prédécesseur et un caractère latin aux antipodes de sa nature réservée, mais les deux hommes sont restés unis de par leur amour de l’Eglise. Benoit XVI et François ne savent que trop bien qu’ils ne sont que les serviteurs du Bon Berger, le Christ – que Benoit XVI contemplera désormais en face à face.
Prions pour lui, alors qu’il prie pour nous.
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(Ci-dessous un extrait de la première encyclique de Benoit XVI: Deus caritas est »)

(3.) À l’amour entre homme et femme, qui ne naît pas de la pensée ou de la volonté mais qui, pour ainsi dire, s’impose à l’être humain, la Grèce antique avait donné le nom d’eros. Disons déjà par avance que l’Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot eros, tandis que le Nouveau Testament ne l’utilise jamais: des trois mots grecs relatifs à l’amour – eros, philia (amour d’amitié) et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier, qui dans la langue grecque était plutôt marginal. En ce qui concerne l’amour d’amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples. La mise de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour qui s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque chose d’essentiel dans la nouveauté du christianisme concernant précisément la compréhension de l’amour. Dans la critique du christianisme, qui s’est développée avec une radicalité grandissante à partir de la philosophie des Lumières, cette nouveauté a été considérée d’une manière absolument négative. Selon Friedrich Nietzsche, le christianisme aurait donné du venin à boire à l’eros qui, si en vérité il n’en est pas mort, en serait venu à dégénérer en vice. Le philosophe allemand exprimait de la sorte une perception très répandue : l’Église, avec ses commandements et ses interdits, ne nous rend-elle pas amère la plus belle chose de la vie ? N’élève-t-elle pas des panneaux d’interdiction justement là où la joie prévue pour nous par le Créateur nous offre un bonheur qui nous fait goûter par avance quelque chose du Divin ?

(5.) (…) Cela dépend avant tout de la constitution de l’être humain, à la fois corps et âme. L’homme devient vraiment lui-même, quand le corps et l’âme se trouvent dans une profonde unité ; le défi de l’eros est vraiment surmonté lorsque cette unification est réussie. Si l’homme aspire à être seulement esprit et qu’il veuille refuser la chair comme étant un héritage simplement animal, alors l’esprit et le corps perdent leur dignité. Et si, d’autre part, il renie l’esprit et considère donc la matière, le corps, comme la réalité exclusive, il perd également sa grandeur. L’épicurien Gassendi s’adressait en plaisantant à Descartes par le salut: «Ô Âme !». Et Descartes répliquait en disant: «Ô Chair !»[3]. Mais ce n’est pas seulement l’esprit ou le corps qui aime : c’est l’homme, la personne, qui aime comme créature unifiée, dont font partie le corps et l’âme. C’est seulement lorsque les deux se fondent véritablement en une unité que l’homme devient pleinement lui-même. C’est uniquement de cette façon que l’amour – l’eros – peut mûrir, jusqu’à parvenir à sa vraie grandeur. Il n’est pas rare aujourd’hui de reprocher au christianisme du passé d’avoir été l’adversaire de la corporéité; de fait, il y a toujours eu des tendances en ce sens. Mais la façon d’exalter le corps, à laquelle nous assistons aujourd’hui, est trompeuse. L’erosrabaissé simplement au «sexe» devient une marchandise, une simple «chose» que l’on peut acheter et vendre; plus encore, l’homme devient une marchandise. En réalité, cela n’est pas vraiment le grand oui de l’homme à son corps. Au contraire, l’homme considère maintenant le corps et la sexualité comme la part seulement matérielle de lui-même, qu’il utilise et exploite de manière calculée. Une part, d’ailleurs, qu’il ne considère pas comme un espace de sa liberté, mais comme quelque chose que lui, à sa manière, tente de rendre à la fois plaisant et inoffensif. En réalité, nous nous trouvons devant une dégradation du corps humain, qui n’est plus intégré dans le tout de la liberté de notre existence, qui n’est plus l’expression vivante de la totalité de notre être, mais qui se trouve comme cantonné au domaine purement biologique. L’apparente exaltation du corps peut bien vite se transformer en haine envers la corporéité. À l’inverse, la foi chrétienne a toujours considéré l’homme comme un être un et duel, dans lequel esprit et matière s’interpénètrent l’un l’autre et font ainsi tous deux l’expérience d’une nouvelle noblesse. Oui, l’eros veut nous élever «en extase» vers le Divin, nous conduire au-delà de nous-mêmes, mais c’est précisément pourquoi est requis un chemin de montée, de renoncements, de purifications et de guérisons.
 
(8.) Nous avons ainsi trouvé une première réponse, encore plutôt générale, aux deux questions précédentes : au fond, l’«amour» est une réalité unique, mais avec des dimensions différentes; tour à tour, l’une ou l’autre dimension peut émerger de façon plus importante. Là où cependant les deux dimensions se détachent complètement l’une de l’autre, apparaît une caricature ou, en tout cas, une forme réductrice de l’amour. D’une manière synthétique, nous avons vu aussi que la foi biblique ne construit pas un monde parallèle ou un monde opposé au phénomène humain originaire qui est l’amour, mais qu’elle accepte tout l’homme, intervenant dans sa recherche d’amour pour la purifier, lui ouvrant en même temps de nouvelles dimensions. Cette nouveauté de la foi biblique se manifeste surtout en deux points, qui méritent d’être soulignés: l’image de Dieu et l’image de l’homme.

Esprit de Noël – Nativité du Seigneur, Année A

« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime » (Luc 2, 1-14)

 Noël est – bien entendu – une fête chrétienne. En l’Enfant de la Crèche, Dieu fait une alliance de chair avec l’humanité. Désormais, le Très-Haut verra le monde avec nos yeux, sentira les odeurs avec nos narines et le goûtera les saveurs avec notre langue. Il partagera nos joies et nos peines, l’amitié comme la trahison, la vie comme la mort. Et de son premier cri de nouveau-né jusqu’à dernier souffle de supplicié, c’est d’Amour infini qu’Il embrassera la terre.

Cependant – par-delà la fête religieuse – Noël est aussi un état d’esprit. Croire en l’esprit de Noël, c’est s’accrocher à ses rêves pour qu’ils changent la réalité. Ainsi – comment saisir la fin de l’Apartheid, sans le rêve de Mandela d’unenation arc-en-ciel ? L’esprit de Noël contredit tous ceux qui prétendent que devenir adulte, c’est renoncer à ses rêves.Ceux-là que vise l’indignation du Petit Prince : « Je connais une planète où il y a un Monsieur cramoisi. Il n’a jamais respiré une fleur. Il n’a jamais regardé une étoile. Il n’a jamais aimé personne. Il n’a jamais rien fait d’autre que des additions. Et toute la journée il répète comme toi : »Je suis un homme sérieux ! Je suis un homme sérieux ! » et ça le fait gonfler d’orgueil. Mais ce n’est pas un homme, c’est un champignon! » L’esprit de Noël célèbre l’humain en l’homme, plutôt que le parasite – le champignon. « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes qu’il aime »

« Père… autrement » – 4e dimanche de l’Avent, Année A

« Joseph, fils de David, ne crains pas…» (Matthieu 1, 18-24)

Les deuxième et troisième semaines de l’Avent, Jean le Baptiste est le personnage au centre de l’Evangile du dimanche. Le quatrième et dernier dimanche, il s’agit de la Vierge Marie. Mais lors de l’année liturgique consacrée à l’évangile selon Matthieu – comme cette année – c’est Joseph qui est à l’avant-scène. Matthieu écrit, en effet, pour des lecteurs juifs et pour ceux-ci, c’est le père qui compte – d’autant plus que c’est Joseph qui est de lignée davidique. Mais Matthieu ne peut tricher avec la vérité : l’Enfant vient de l’Esprit-Saint. Le rôle de Joseph-le-juste consiste simplement à accepter d’adopter Celui qui vient d’En-Haut. Et dont Dieu a choisi le prénom : « Jésus », c’est-à-dire « le Seigneur sauve ».

La situation de Joseph est particulière. Et pourtant, beaucoup de pères font une expérience, pas si éloignée de la sienne. Quand leur épouse tombe enceinte, ils se sentent quelque peu étrangers aux mystères de la grossesse et de la naissance. Inversement – ils pressentent souvent plus vite que cet enfant ne leur appartient pas ; qu’il lui faudra tracer sa propre route. Sur ce chemin de confiance, saint Joseph est un précieux compagnon spirituel : « Joseph, fils de David, ne crains pas…»

« La joie de l’Evangile » – 3e dimanche de l’Avent, Année A

« Cependant, le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. » (Matthieu 11, 2-11)

Le troisième dimanche de l’Avent, est surnommé Gaudete – ce qui signifie en latin « dimanche de la joie ».

Dans son exhortation apostolique « la joie de l’Evangile », le Pape enseigne : « (2) Le grand risque du monde d’aujourd’hui, avec son offre de consommation multiple et écrasante, est une tristesse individualiste qui vient du cœur bien installé et avare, de la recherche malade de plaisirs superficiels, de la conscience isolée. Quand la vie intérieure se ferme sur ses propres intérêts, il n’y a plus de place pour les autres, les pauvres n’entrent plus, on n’écoute plus la voix de Dieu, on ne jouit plus de la douce joie de son amour, l’enthousiasme de faire le bien ne palpite plus. Même les croyants courent ce risque, certain et permanent. Beaucoup y succombent et se transforment en personnes vexées, mécontentes, sans vie. Ce n’est pas le choix d’une vie digne et pleine, ce n’est pas le désir de Dieu pour nous, ce n’est pas la vie dans l’Esprit qui jaillit du cœur du Christ ressuscité ».

C’est à cette joie – offerte aux plus petits dans le Royaume des cieux – que Jésus invite le Baptiste enfermé dans sa prison : « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés… »  C’est également à pareille joie que nous sommes conviés.

« Casser la voix » – 2e dimanche de l’Avent, Année A

« A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur » (Matthieu 3, 1-12)

Jean-Baptiste est le compagnon des 2e et 3e dimanches de l’Avent. Habillé d’une tunique de chameau, d’une voix rauque il crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur ! »

Gare aux bienpensants qui objectent qu’un boulevard est déjà prêt : « Nous avons Abraham pour père », ou encore « Nous sommes de bons chrétiens ». Ceux-là se feront traiter « d’engeance de vipères ».  Le temps de l’Avent n’est pas celui de la bonne conscience, mais bien de l’examen de conscience : Quels fruits spirituels produisons-nous ?

Dans le désert de nos villes et de nos vies, une voix crie à s’en casser la voix.  Préparons donc les chemins du Seigneur, afin d’accueillir l’Enfant de la crèche. Lui – « baptisera dans l’Esprit Saint et dans le feu ».

« La vie s’écoule » – 1er dimanche de l’Avent, Année A

«Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra!» (Matthieu 24, 37-44)

Avec le temps de l’Avent, s’ouvre une nouvelle année liturgique : nous quittons l’année durant laquelle l’Evangile selon saint Luc fut proposé chaque dimanche à l’église et entrons dans l’année consacrée à saint Matthieu.

Plus immédiatement, l’Avent est le temps de quatre semaines qui nous prépare à la Nativité. Alors que les devantures de magasins annoncent la fête, l’Eglise prépare les cœurs à la venue de l’Enfant-Dieu. Ce serait dommage qu’arrivé la Messe de minuit, nous nous disions soudainement – comme surpris : « déjà Noël ». Tenez-vous prêts et veillez ! Tel est le message de l’Avent.

Quand j’étais gosse, je pensais qu’à trente ans un homme était vieux. Mais la vie passe et – sans crier gare – voilà bientôt la soixantaine. Et de se dire : « Qu’ai-je fait de ces années ? » La vie s’écoule. Ne la gâchons pas. Vivons pour ce qui ne passe pas. Le Seigneur viens. C’est cela, l’esprit de l’Avent : «Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra.»

Le Roi humilié – Dimanche du Christ-Roi, 34e dimanche, Année C

 Le peuple regardait…. Les chefs ricanaient… Les soldats se moquaient… L’un des malfaiteurs suspendus à la croix l’injuriait… (Luc 23, 35-43)

L’évangéliste Luc – qui nous accompagna tout au long de cette année liturgique – insiste souvent sur les sentiments des protagonistes. En ce dernier dimanche de l’année liturgique – dimanche du Christ-Roi – il souligne ainsi l’humiliation du Christ en croix. Rien n’est épargné au Fils de l’homme : indifférence de la foule, railleries des chefs des prêtres, insultes des soldats. Même un des co-suppliciés se moque de lui.

Et pourtant – au plus profond de cette noire souffrance – paraît déjà une lueur de Pâques. « Jésus, souviens-toi de moi », lui lance le bon larron. Et c’est en Roi – déjà vainqueur de la mort et du péché – que le Verbe supplicié lui répond : « Amen, je te le déclare : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis ».

Le disciple n’est pas au-dessus de son Maître : Servir pareil Roi ne nous épargnera pas humiliation et moqueries. Mais même le plus petit geste inspiré par Son Esprit, inaugure – dès à présent – un Royaume plus durable que le péché. Que la mort même.

Crises et krachs – 33° dimanche, Année C

 « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre ». (Luc 21, 5-19)

En cette fin d’année liturgique (dimanche prochain, c’est le « Christ-Roi », dernier dimanche de l’année liturgique), les lectures parlent de fin du monde.  Mais les paroles du Christ invitent à garder la tête froide. Oui, il y aura des guerres et des catastrophes. Les choses les plus stables finiront pas s’écrouler – des empires s’écroulent et des krachs boursiers ruinent les banques. Cela ne doit pourtant pas nous presser à suivre tous les illuminés qui annoncent une fin du monde imminente : « Ne vous effrayez pas : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas tout de suite la fin ». Quant aux persécutions – même de la part de proches – Jésus ajoute : « Pas un cheveu de votre tête ne sera perdu.».

Oui, la vie est courte et fragile. A chaque génération ses guerres, tragédies et catastrophes. Une seule chose est durable et permanente : le Christ et Son Evangile. «C’est par votre persévérance que vous aurez la vie ».