Dictature de la petite phrase

Mon attention a été attirée en ce jour par une interview de Jean-François Kahn (le Soir de jeudi 27 mai p.15), journaliste-fondateur de Marianne. Invité il y a peu à France Culture pour parler de son dernier livre, il lui fut demandé à brûle-pourpoint de commenter l’affaire DSK. Dans sa réponse improvisée, il glisse malencontreusement la petite phrase : « troussage de domestique ». Sur le moment, sur le plateau personne ne s’en offusque – même pas Caroline Fourest, féministe pur jus – car l’expression trouve sa place dans un contexte. Ce n’est au bout de 48 heures que la petite phrase, isolée, est sortie de son contexte et que la machine médiatique s’emballe. Kahn reconnut que son expression était malvenue et – sortie de son contexte – inadmissible. Mais c’est sa conclusion qui retient surtout mon attention. Je le cite : « On peut « fusiller » des gens pour leur pensée, pour leurs arguments, pas pour une phrase. Là, je suis victime de ce processus. Mais je veux en faire un cas d’école. Je me suis assez battu là-dessus. Parce que dans certains nombre de cas, on peut se dire que le type s’exprime mal mais que, quelque part cela traduit son inconscient… Mais moi, tout le monde sait que je pense pas ça. Et pourtant, tout le monde pilonne ».

Dictature de la petite phrase… Voici ce que j’écrivit à ce sujet dans la préface à mon ouvrage « Quand l’Eglise perd son âme » (éd. Fidélité/Avant-Propos, 2011) : Ayant dirigé plus de huit années durant le service de presse des évêques, je suis pleinement conscient qu’une des lois de base du journalisme est de pouvoir informer vite et clair, afin de suivre le trépignement de l’actualité. Cela donne en presse écrite des articles courts et incisifs, des manchettes qui cognent et des photos qui parlent (et l’équivalent en sons et en images pour l’audiovisuel). De plus, il y a la pression qui règne dans les rédactions : a l’heure ou n’importe quel internaute peut vous griller un scoop via Twitter, le temps n’est plus a la paisible réflexion en vue d’analyses ciselées. Souvent, on est condamne a balancer l’info et a voir venir ensuite. Je comprends le phénomène et j’ajoute que, malgré cela, de nombreux journalistes n’en font pas moins leur travail avec une authentique conscience professionnelle. Il n’empêche. Je suis de ceux qui pensent que la vérité est souvent dans les nuances et je ne puis que constater qu’un pareil phénomène tue la nuance : ≪ Sur un avion vers l’Afrique, Benoit XVI a dit que l’usage du préservatif aggravait la propagation du sida ≫ ; ≪ lors d’une interview, Mgr Leonard a déclare que les homosexuels étaient des anormaux ≫ ; ≪ le même Archevêque de Malines-Bruxelles a déclaré que le sida découlait d’une espèce de justice ≫ etc., etc. Autant d’informations qui, telles quelles, ne correspondent pas a la vérité historique et qui furent amplement corrigées par leurs (f)auteurs, remises en contexte, expliquées… Sans beaucoup d’effet. Seule la petite phrase qui choque est médiatique. Sa mise en perspective est ennuyeuse et ne mérite donc pas une manchette. C’est ainsi. Aux responsables d’Eglise d’en tenir davantage compte dans leurs communications futures. D’accord. Mais peut-être aussi aux medias de faire leur examen de conscience.
La frontière entre une société de l’hyper-information et de l’hyper-désinformation est tenue. Au déficit des analyses répond l’inflation de l’émotivité ; celle qui met au monde une société surfant sur les petites phrases et anecdotes, sur arrière-fond de pipolisation qui fait vibrer par procuration. Les sociologues appellent cela l’≪ émocratie ≫. Phénomène inévitable a l’heure des multimédias, mais qui ne doit pas pour autant devenir totalitaire. Dans la mesure des moyens humains et financiers, j’en appelle donc à conserver la culture d’un journalisme d’analyse qui ne se contente pas de reprendre les dépêches d’agence et ose même parfois un raisonnement a contre-courant des grandes vagues d’indignations ≪ made in politiquement correct ≫… Au risque de fâcher le faux dieu des rédactions : saint audimat, priez pour nous.

Dictatuur van politieke correctheid – het vrije woord als tegengif

Een merkwaardig artikel viel deze donderdag te lezen in de krant De Morgen (p.22). Deze gaf een ingekorte versie van het dankwoord dat filosoof en professor aan de UCL, Philippe Van Parijs uitsprak ter gelegenheid van de uitreiking van de Arkprijs van het Vrije Woord 2011, die woensdagavond in Antwerpen plaatsvond. Ik laat hem eventjes aan het woord:
“Wie ben ik om een Vlaamse, anti- clericale, literaire prijs te durven ontvangen, of toch iets dat soms zo omschreven wordt? (…) Geen Vlaming, geen « vrijzinnige », en helemaal geen letterkundige. Slechts een Brusselse filosoof die reeds 57 jaar ononderbroken in het Franstalige katholieke onderwijs zit. (…) Dat ik deze Arkprijs mag ontvangen heeft ongetwijfeld iets te maken met het feit dat ik leraars heb gehad die ervoor gezorgd hebben dat ik na twaalf jaar Collège du Sacré Coeur niet alleen in staat was het boek te lezen en ervan te genieten maar me ook vrij voelde om over dat boek te schrijven wat ik echt dacht. Ons vrije woord heeft veel te danken aan de leerkrachten die ons hebben leren lezen, ook in andere talen, en kritisch denken, ook in katholieke colleges. (…) Het vrije woord verdedigen betekent zijn eigen mening uitdrukken, ook en vooral wanneer die de pensée unique van het tijdperk tegenspreekt, of die van zijn eigen gemeenschap, of de orthodoxe anti-pensée-unique van zijn eigen clubje; ook en vooral wanneer de waarheid niet prettig is en politici en media die daarom niet zo graag vertellen. Maar het vrije woord verdedigen betekent ook de vrijheid van anderen verdedigen om dingen te zeggen waar we zelf niet mee akkoord gaan (…) Die vrijheid van afwijking beschermen tegen de dictatuur van de politieke correctheid is van groot belang.”.

Ik heb daar weinig aan toe te voegen. Professor Van Parijs past trouwens toe wat hij hier preekt. De man is één van de grote voorvechters van het afschaffen van de “C” van UCL. Maar dit doet hij nooit door ondergrondse vormen van lobbying. Hij roept op tot een eerlijk en open debat. Het is dan ook niet verwonderlijk dat aartsbisschop Leonard deze man van het vrije woord hoog in aanzien houdt, hoe groot hun meningsverschillen ook mogen zijn.
Morele meerderheden zijn zelden verstandig of verdraagzaam. Integendeel. Ik moest het nog aan mijn lijf ervaren toen ik een paar maanden geleden betoogde voor de bescherming van het ongeboren leven. “Hoe kan iemand nog vandaag het recht tot abortus in vraag stellen?”, hoorde ik prominente voorstanders van de zgn. verdraagzaamheid rondbazuinen. ’t Ja, de dictatuur van de politieke correctheid is haast onzichtbaar. En juist daarom des te gevaarlijker voor het vrije woord.

Pour le meilleur et sans le pire

La semaine dernière, la presse annonça que désormais en Belgique trois mariages sur quatre se terminaient par un divorce. Initialement, je n’ai pas voulu réagir à l’information. En effet, j’avais déjà effleuré le sujet sur mon blog avec le ‘post’ : « l’enfant du divorce ». Et puis, je suis conscient que le nombre des divorces ne peut qu’augmenter dans une société où les conjoints vivent plus vieux, travaillent tous les deux, placent leur épanouissent affectif au-dessus de la stabilité familiale, ne subissent plus de pression sociale à rester ensemble – un monde où les femmes sont financièrement indépendantes et peuvent dès lors prendre congé de leur Maurice, quand celui-ci pousse le bouchon un peu loin. Je ne dis pas que c’est bien ou normal, mais je souligne que c’est un fait et – comme le disait ce bon vieux Winston – « un fait est plus important qu’un Lord Maire ». Par honnêteté, j’ajoute que – si je m’étais marié – je serais peut-être à l’heure qu’il est, tout aussi divorcé. En effet, j’ai préparé nombre de couples « en béton » au mariage, et leur union n’en a pas moins fait naufrage. Reconnaissons-le : l’échec fait partie de la vie et des engagements.

Mais c’est justement ici que le bât blesse. Nulle part dans les médias, n’ai-je vu apparaître le mot « échec ». Deux personnes se sont jurées amour et fidélité pour le meilleur et pour le pire. Quand la vie les sépare, il s’agit pour les commentateurs d’un avatar ; tout au plus d’une épreuve. Mais le mot « échec » semble banni du vocabulaire politiquement correct – déculpabilisation oblige. J’ai même entendu une journaliste commenter le traditionnel « unis pour le meilleur et pour le pire », en disant que le « meilleur » était ce qui permettait le mariage et le « pire » ce qui expliquait le divorce.
Donc, pas un mot sur l’échec des conjoints et silence radio sur le coût social du divorce. Si la vie à deux est un enfer, je puis comprendre que des époux jugent qu’il vaille mieux – même pour l’enfant – se séparer. Mais trop souvent, l’enfer ne commence qu’après le divorce et c’est l’enfant qui le subit. Je pense à ces interminables bagarres judiciaires de parents qui règlent leurs comptes sur le dos du fruit de leurs entrailles. Et quand ce n’est pas l’enfer, ce n’en est pas moins le purgatoire, car rien ne remplace un nid familial. Exemple vécu : chaque année vers Noël, des proches invitent largement à partager leur repas de fête. L’an dernier, se trouvait ainsi à table une homme divorcé avec son gosse de dix ans. Durant les agapes, nous plaisantions sur les cadeaux de Noël et c’est là que l’enfant lança à son père : « mon cadeau serait que maman et toi reviviez ensemble ». Silence gêné. Et notre hôte de le briser par un diplomatique : « encore de la dinde, quelqu’un ? »

Bref, que le nombre des divorces augmente me semble malheureusement dans l’ordre des choses. Par contre, que notre société ne semble pas trop s’en émouvoir et fasse apparemment peu pour inverser la tendance … – là, je m’interroge. Prenons un comparaison – bancale, comme toutes les comparaisons: les accidents de la route. Une chose est de reconnaître qu’avec l’augmentation du trafic leur nombre ne peut qu’augmenter. Une autre est de se demander comment faire de la prévention pour les limiter. Je ne plaide pas pour un retour au puritanisme, mais – au vu de son coût social – pour la mise en oeuvre d’une réelle politique de prévention du divorce.

Planète-village

D’accord, il n’est pas totalement roux, ni vraiment catholique. D’accord son accent irlandais n’est pas au point et sa Cadillac un peu lourde pour les casses-vitesses de Dublin. Mais qu’importe. On y croit. Regardez ce gars arpenter avec sa dame, l’unique rue du village de Moneygall et saluer la foule. Pas de doute, c’est l’enfant du pays. Voyez-le entrer chez Ollive Hayes, le pub d’où son arrière-arrière-arrière grand-père partit pour New-York en 1850. Contemplez-le qui salue ses « cousins » Healy, Donovan et Benn, avant de payer une tournée générale. Quelque jours plus tôt, lors de sa visite à l’usine Guinness, la Reine avait poliment refusé de boire le liquide couleur brou de noix. Un étendard vivant, la chope à la main… it is just not done. Mais ici, l’homme le plus puissant de la planète pose négligemment un billet sur le comptoir en blaguant : « je voudrais que vous sachiez que le président paie ses notes de bar ». Allez, slàinte… santé ! Ne me dites pas que ce type n’est pas un gars du pays, lui qui déclara à Dublin : « I have come home to Ireland ». Et on y croit.

Aujourd’hui, après O’Bama l’Irlandais, c’est Mr. Président, le meilleur allié des sujets de Sa Grâcieuse Majesté. Ensuite, ce sera le populaire leader du monde libre au G8 de Deauville et puis le puissant protecteur de l’Europe de l’est à Varsovie. Tout cela n’est pas que de la « com ». Il s’agit d’un état d’esprit. Métis né à Hawaï d’un père africain, éduqué en Asie musulmane, faisant sa carrière dans l’Illinois, cet homme aurait pu être de nulle part, mais choisit de se sentir d’un peu partout. Il aurait pu se résigner à ne jamais trouver sa juste place, mais en conclut qu’il pourrait briguer n’importe quelle place. Même président des Etats-Unis. Et on y croit. Harold Gutman, l’ambassadeur des Etats-Unis en Belgique, raconte que lorsque le sénateur Obama lui demanda de l’aider dans sa campagne à l’investiture, il n’avait pas devant lui un potentiel candidat, mais un futur président.
Le monde est son village, mais ne nous y trompons pas : ses lunettes sont celles du pays qu’il dirige. Ainsi, quand on l’interroge sur les guerres d’Irlande, il fait le lien avec le conflit israélo-palestinien. Le président espère convaincre ses partenaires européen de laisser les Etats-Unis à la manœuvre et de ne pas voter unilatéralement à l’ONU la reconnaissance de l’Etat palestinien.

Bref, on n’aime ou pas Barack Obama, mais l’homme ne peut nous laisser indifférent. En effet, ce président dit quelque chose du monde qui advient en ce XXIe siècle. Non pas un monde sans conflits d’intérêts ou guerres – hélas – mais un monde métissé. Un monde où, pour être de quelque part, il faut aussi être un peu de partout. Un monde dont un des signes annonciateurs fut Jean-Paul II – l’infatigable berger de la planète-village.

Clarté, Nuances et Frères anti-bling-bling

J’étais heureux de lire la ministre CD&V Inge Vervotte dans les colonnes du Soir de ce WE (p.5) : « c’est un plaidoyer pour les nuances, contre la superficialité. Aujourd’hui, on nous demande de ne plus voir la complexité des choses. (…) Bien sûr, c’est plus facile de faire un Twitter avec cinq mots, où vous ne devez pas expliquer ce que vous voulez dire ».
Ce propos fait écho à ce que j’exprimais il y a quelques jours dans mon post : « Twitterpolitics et Banques Centrales ». Conjuguer clarté de vue et nuance du jugement, voilà un défi à opposer à ceux qui sombrent dans le simplisme. Commençant une enquête sur le néo-populisme, Olivier le Bussy (qui fut, dans une autre vie, Akéla de la meute dont j’étais l’aumônier) , conclut son édito dans la Libre du WE (p.64) par ces paroles : “Cessez de rire, charmante Elvire”, chantait Reggiani, évoquant “les loups qui envahissaient Paris”. Certes, les années 2010 ne sont pas les années 1930. L’ordre géopolitique et le paysage sociologique ont changé, des gardes-fous ont été dressés. Mais, aussi improbable que soit ce scénario, il faut, pour préserver les acquis d’une période de paix d’une longueur inédite, garder à l’esprit que le pire peut se produire. Et ces mots de Mitterrand : “Le nationalisme, c’est la guerre.” ».

Clarté de vue et sens de la nuance doivent diriger notre projet d’avenir comme inspirer notre regard sur le passé. Ce WE, des médias francophones s’indignaient de l’hommage rendu par certains flamands à la mémoire de Joris van Severen, tombé en 40 sous des balles françaises. Je n’ai guère de sympathie pour les idées nationalistes du personnage, mais je me retrouve davantage dans l’approche nuancée de Christian Laporte, qui écrit dans La Libre (ce lundi p.8): « Rien de tel, face à pareille controverse que de laisser la parole aux scientifiques plutôt que de tirer des conclusions définitives, sous le coup de l’émotion, qui pollueraient un débat qui doit rester strictement historique… ».
Prenons un autre exemple, pour illustrer mon propos : j’invite chacun à lire la « lettre aux Anglais » écrite en 1940 par Georges Bernanos, alors exilé au Brésil. Celui qui je considère comme un des plus grands écrivains chrétiens du XXe siècle s’y révèle d’une lucidité extrême. Bien avant d’autres – dont Mitterrand – ce catholique conservateur démasque l’imposture du régime bigot de Vichy. En même temps, au détour des lignes, on voit perler de-ci, de-là, les traces d’un pénible antijudaïsme. Le fait de reconnaître en Bernanos un grand écrivain et un visionnaire, n’empêche nullement de totalement se désolidariser de cet aspect de sa pensée du moment, tout en reconnaissant qu’elle était sans doute liée à une époque. Je le répète : la clarté d’un jugement n’empêche pas de prendre en compte la complexité humaine et donc, de s’exprimer en nuances.

C’est pourquoi, je salue à mon tour le cinéma des frères Dardenne. Dans un monde où la tentation de jugements-à-la-twitter nous guette, ils dépeignent l’humanité au plus proche de ses aspérités et contradictions. Voilà pourquoi, une profonde humanité se dégage de leur œuvre. Même quand la vie ou les choix transforment l’homme en moins-que-larve, celui-ci reste attiré par la lumière.
Malgré les éloges de la critique mondiale et les prix des successifs festivals de Cannes, pareil cinéma ne transformera pourtant jamais en milliardaires ces « frères anti-bling-bling ». Un film sur le peuple ne fait pas nécessairement un film populaire. Nous aimons trop le rêve pour aller voir un film qui fasse office de miroir, avec sa clarté et ses nuances. Je confesse d’ailleurs aller plus allègrement voir un James Bond plutôt qu’un film des frères Dardenne. Tout comme il est plus facile de passer 15 jours dans un club Méd., plutôt que de prendre le chemin de Compostelle. Reste à savoir ce qui, au bout du compte, marquera une vie. La beauté se trouve souvent du côté de l’exigence.

La Croix sans la Bannière

Je déjeunais il y a quelques jours avec un jeune philosophe de l’ULB (pour les Non-Belges : Université Libre – c’est-à-dire non-confessionnelle – de Bruxelles). Je trouve cet homme intelligent et d’une belle ouverture d’esprit. Bref, un libre-penseur authentiquement libre et penseur. A un moment donné, nous parlons de nos blogs respectifs et il me demande pourquoi j’ai choisi d’orner le mien d’une croix. Je lui réponds que je n’ai jamais mis mon identité en poche. De plus, cette photo me parle: l’océan atlantique au goût d’horizon, le rayon de soleil qui transperce de gros nuages – telle l’Esprit qui traverse notre opaque humanité – et puis, dressée à l’avant-plan, cette croix en pierre. « Stat crux dum volvitur orbis ». Telle est la devise des Chartreux : « Pendant que tourne la terre, la croix demeure ».

Signe d’un Dieu qui épouse notre humanité jusque dans la souffrance et la mort, la Croix n’a pas fini de nous interroger. Trop souvent, les hommes passent à côté de son questionnement, car à leur yeux la croix est identifiée à une bannière. A l’époque de la splendeur catholique, elle servait d’étendard à une Eglise triomphante. Aujourd’hui, elle serait plutôt un repoussoir pour nombre de ceux qui ont claqué la porte des sacristies. Cachez donc cette croix que je ne saurais voir…

Pourtant, la croix nous parle – que nous soyons chrétiens ou non, que nous nous disions croyants ou pas. Déjà sa simple apparence rappelle que l’humain se situe au croisement entre l’horizontal – notre dimension terrestre – et le vertical – notre aspiration spirituelle. Pour s’épanouir authentiquement, l’un ne peut jamais se vivre sans l’autre.
Mais le signe de la croix nous invite à creuser plus loin encore. Dans l’Evangile de ce dimanche, Jésus déclare : « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie ». (Jean 14, 6) Le Chemin est celui de la croix : grandit en humanité celui qui aime, même dans la souffrance et le rejet. La Vérité est celle de la croix : un homme nu et humilié, cloué sur une potence, nous en dit plus sur Dieu et sur l’homme que tous les puissants de la terre. La Vie est celle de la croix :à l’époque du Christ, les philosophes stoïciens prêchaient le chemin de la morale et les philosophes épicuriens la voie du plaisir. Mais ni la seule morale, ni l’unique plaisir ne peuvent à eux seul combler le cœur de l’homme. Seul celui qui accepte d’aimer au risque de tout donner… et de tout perdre, découvre le chemin étroit et sinueux vers la plénitude et la paix. Ce que j’écris ici en quelques pauvres lignes, ne suffira pas à convaincre nombre de lecteurs. Tel n’est pas mon objectif. Je leur suggère simplement – qu’ils soient chrétiens ou pas, croyants ou non – de contempler désormais la croix, non pas comme une bannière, mais tel un signe qui interroge les cœurs et laboure les consciences.
« Stat crux dum volvitur orbis ».

La mère de tous les conflits

Alors que l’Europe se débat avec ses affaires internes (succession de DSK à la tête du FMI et consolidation de l’euro), c’est des Etats-Unis que vient une initiative de taille en matière de politique internationale. Les observateurs déclaraient il y a quelques mois encore, que la Realpolitik avait eu raison du « Yes we can » de son président métis. Depuis plusieurs semaines pourtant, une vent frais se met à nouveau à souffler sur Washington. Il y eut d’abord le discours d’El Paso sur l’immigration : « Nous sommes un peuple d’immigrants », avait osé Obama. Et hier, auréolé par l’élimination de l’ennemi n°1 – ce qui rassura ces Américains qui voyaient en leur chef, un Commander faible voire complaisant par rapport au terrorisme – Barack « Hussein » ne laisse pas s’échapper son avantage. Il tend la main aux révolutions du printemps en assurant un plan Marshall pour consolider les démocraties arabes naissantes. Mais surtout, il ose mécontenter l’allié israélien en proposant la reconnaissance d’un Etat palestinien sur base des frontières de 1967.

Ce faisant, l’hôte de la Maison Blanche prend un risque électoral, mais un risque calculé. Obama semble comprendre, comme jadis le président Clinton (dont l’épouse dirige la diplomatie américaine), que le conflit en terre sainte est la « mère de tous les conflits » au Proche et Moyen Orient. Le meilleurs moyen pour les Etats-Unis de définitivement casser la dynamique d’Al Qaida, est de faire droit aux revendications du peuple palestinien et – par effet boomerang – d’assurer une sécurité durable à Israël. Le chemin sera long, mais la démarche du président américain pourrait rétablir ce qui manque le plus à la diplomatie dans cette région du monde : une confiance en la capacité américaine à arbitrer ce conflit. Il y a quelques temps, je rencontrais des chrétiens d’Orient, tout ce qu’il y a de plus modérés. A ma surprise, ils étaient persuadés que les révoltes arabes étaient téléguidées en secret par un plan américano-sioniste destiné à redessiner et affaiblir le Moyen-Orient en vue du renforcement d’Israël. Que de méfiance en comparaison avec ces diplomates de la région qui prédisaient, il y a 30 ans au jeune étudiant que j’étais, qu’Israël formerait bientôt avec la Palestine, la Jordanie et le Liban une espère de « Benelux » qui deviendrait le moteur économique de la région. Pareil rêve peut aujourd’hui encore devenir réalité. Ailleurs dans le monde, qui aurait pu croire il y a 10 ans, qu’un souverain britannique rendrait un jour hommage à Dublin aux victimes de la guerre d’indépendance contre l’Empire ? Alors… ‘Good luck, Mister President !’

“Il arrivera dans l’avenir que la montagne du temple du Seigneur sera placée à la tête des montagnes et dominera les collines. Toutes les nations afflueront vers elle, des peuples nombreux se mettront en marche, et ils diront : « Venez, montons à la montagne du Seigneur, au temple du Dieu de Jacob. Il nous enseignera ses chemins et nous suivrons ses sentiers. Car c’est de Sion que vient la Loi, de Jérusalem la parole du Seigneur. » Il sera le juge des nations, l’arbitre de la multitude des peuples. De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances des faucilles. On ne lèvera plus l’épée nation contre nation, on ne s’entraînera plus pour la guerre. Venez, famille de Jacob, marchons à la lumière du Seigneur ». (Isaïe II, 2-5)

Green Queen, Zwarte Piet et Grand Rabbin

La politique est l’art humain de gérer le vivre-ensemble. En politique, un symbole vaut mille paroles. Hier, l’image était forte. Le souverain britannique atterrit sur un aéroport qui porte le nom d’un diplomate anglais fusillé en 1916 pour intelligence avec les rebelles d’Irlande. La Reine porte du vert, couleur de la République qui l’accueille. Elle dépose une gerbe au Garden of Remembrance, le jardin du souvenir – lieu qui fait mémoire de ceux qui sont tombés pour arracher aux Britanniques leur indépendance. C’est une autre femme qui se tient à ses côtés, la présidente irlandaise Mc Aleese. Parce qu’elles portent la vie, les femmes me semblent plus aptes à faire naître les symboles. Surtout les symboles de réconciliation. Pourtant, ce furent deux hommes – deux guerriers – qui ouvrirent un chemin : en 1921 Michael Collins, le fameux leader Sinn Fein se rend à Londres et rencontre le Secrétaire colonial en charge de l’Irlande, un certain Winston Churchill. Les deux coqs se toisent, car chacun représente tout ce que l’autre déteste. L’Empire contre la République. Les négociations de paix patinent. Jusqu’un soir où Collins – ayant déjà bien bu – s’emporte et lance à Churchill : « Vous – fumier – aviez mis ma tête à prix ! » Ce à quoi l’autre – tout aussi sobre – répond en lui montrant une affiche datant de la guerre des Boers : « De quoi vous plaigniez-vous ? Les Afrikaners avaient mis la mienne à prix bien moindre ! » Ce sera le déclic. Ils passeront la nuit à boire et à chanter. La paix des guerriers ouvrira un chemin – long, sinueux et douloureux – que deux femmes ont fleuri hier à Dublin.
L’histoire sanglante d’Irlande nous rappelle la chance de vivre dans un pays pacifique comme notre doux royaume d’Absurdistan. Mais sans confiance, pas d’accord. Le nouveau formateur à peine désigné, les commentaires vont bon train : « A qui veut-on refiler le Zwarte Piet ? A la NVA en forçant un accord sans elle ? Au PS en le poussant à accepter un gouvernement proche de la VOKA ? Finalement, n’est-pas celui qui acceptera de devenir premier ministre qui aura hérité du Zwarte Piet ? » Une chose est sûre : tant que l’on joue à Zwarte Piet, il n’y aura pas d’accord. Collins et Churchill y sont arrivés. Pourtant, infiniment plus les séparait que De Wever et Di Rupo. Alors…
Hier à Dublin, une reine verte a fleuri un jardin du souvenir. Réconciliation ne signifie pas oubli. Réconciliation signifie : « mémoire pacifiée ». A propos de l’amnistie, j’écrivais lundi en flamand sur ce blog qu’il serait indigne de transformer ce sujet grave en querelle communautaire. Que le débat ne devait pas se mener entre flamands et francophones, mais entre générations qui succèdent aux victimes et aux bourreaux de la dernière guerre. Si une voix mérite de résonner dans ce débat, c’est bien celle du Grand Rabbin Guigui, sage parmi les sages – au côté duquel j’ai eu l’honneur de mener par le passé différents débats citoyens. Dans La Libre de ce jour (pp.52-53), il écrit : « Comment peut¬on recommander d’oublier, de faire table rase du passé et de repartir sur de nouvelles bases? Pourquoi sont¬ils si nombreux aujourd’hui les doux pédagogues d’amnésie? Je crois que si nous leur cédions et dispersions les cendres en enterrant la mémoire de nos morts, c’est nos enfants que nous exposerions. Je suis convaincu que si devait sonner pour nous l’heure de ne plus honorer nos cimetières, c’est que les camps ne seraient pas loin. (…) Notre combat n’est pas un combat égoïste qui vise à sauvegarder exclusivement nos communautés. C’est le combat de tous les démocrates mené pour que le monstre nazi ne relève point la tête, afin que les valeurs pour lesquelles nous luttons soient préservées. Notre soif de dignité est aussi celle de tout être humain qui veut marcher la tête haute ». Evidemment, la voix de familles de collaborateurs se sentant stigmatisées par les mesures d’après-guerre, doit également se faire entendre dans pareil débat. Mais pas au prix de l’oubli ou du déni. La question est hautement symbolique et – je le rappelle – en politique, un symbole vaut mille paroles.

Eglise catholique et abus sexuels : « La loi du silence perdure ? » (Le Soir p.9)

Le Soir est un quotidien laïque que j’ai toujours connu critique par rapport à l’Eglise – mais rarement outrancier. Eh bien, quelque chose semble avoir changé depuis six mois. C’est bien simple, je pense n’avoir plus lu depuis des semaines dans les pages du grand quotidien vespéral la moindre note positive, encourageante, etc. concernant l’Eglise catholique. Je sais bien que je ne suis pas un lecteur neutre, mais je ne l’étais pas davantage avant. Le lecteur engagé que je suis, pense donc que quelque chose à changé dans ce journal où travaillent de nombreux journalistes qu’il respecte – à commencer par l’auteur de l’article du jour (à découvrir en p.9). Par rapport à l’instruction du Vatican publiée hier, je m’étais attendu de la part du Soir à un titre du genre : « Un premier pas, mais peut mieux faire » ou encore « C’est un peu tard, mais c’est mieux que rien ». Mais non. Un peu à la manière de ces profs intraitables qui cassent leur bête noire en classe quoi que le cancre fasse, l’article titre: « La loi du silence perdure ». Je sais bien que l’auteur de l’article n’est pas nécessairement celui du titre, mais le contenu reflète l’en-tête. Pour vérifier si pareille analyse sévère était partagée, j’ai été lire la presse flamande – pas nécessairement plus tendre avec Rome – mais je n’ai rien retrouvé de tel. Comment expliquer pareille mansuétude ailleurs dans la presse? L’article du Soir s’en explique: « Les communicateurs du Saint-Siège ont réussi, lundi, à convaincre les agences de presse d’un prétendu durcissement des autorités ecclésiastiques face au scandale des abus sexuels sur mineurs perpétrés par des prêtres ou des religieux ». Voilà la communication du Vatican érigée au rang de spin doctor, capable de tromper la presse mondiale. Un véritable scoop. Et pourquoi – je cite l’article – « la loi du silence a manifestement de beaux jours devant elle » ? Parce que l’instruction du Vatican demande de « tenir compte de la législation du pays où se trouve la Conférence épiscopale, en particulier en ce qui concerne l’éventuelle obligation d’informer les autorités civiles ». En d’autres mots, au lieu de respecter les législations en vigueur, l’instruction vaticane aurait dû imposer la dénonciation « urbi et orbi », même là où une législation démocratiquement votée en déciderait autrement, réservant – par exemple – ce droit à la victime. Décidément, j’ai bien du mal à suivre pareil raisonnement. L’article revient aussi sur le secret de la confession, dont le caractère absolu devrait être levé. Ce que je pense de la question peut être lu sur mon « post » du 29 mars : « Secret professionnel des prêtres et secret de confession : réalité et phantasme ». Conclusion: du lecteur que je suis ou de l’article, un des deux doit être aveugle.

DSK – Secret bancaire, secret d’état, secret d’alcôve

Je m’abstiendrai religieusement de commenter le fond de l’affaire DSK, d’autant plus que personne ne sait vraiment qu’en penser. Qu’un des hommes les plus puissants et brillants de la planète agresse sexuellement une employée d’hôtel, dépasse ce que le bon sens peut comprendre. Soit nous avons affaire à un délinquant sexuel, soit il y a un piège visant à faire tomber l’homme public. Quoi qu’il en soit, cette glauque histoire illustre une fois de plus qu’en démocratie, ce qui fait chuter les puissants, est soit l’incompétence – et ici, chacun reconnaît que DSK est tout sauf incompétent – soit la part d’ombre devenue ingérable – ou présentée comme telle par un piège. Bref, quand l’affreux Mister Hyde déborde trop sur le brave Docteur Jekyll. Et pour ce qui est de l’ombre tapie en chacun de nous, il n’y a guère d’originalité à attendre. Comme l’écrivait Dostoïevski, les trois tentations du Christ au désert résument toutes celles qu’un homme puisse connaître : avoir, pouvoir, valoir. « Posséder, dominer, séduire »… Qui d’entre nous n’est pas parfois enivré par une de ces trois liqueurs – voire par toutes les trois à la fois ? Voilà pourquoi – et depuis toujours – les petits ou grands secrets bancaires, secrets d’état et secrets d’alcôve constituent une belle matière à scandale, à chantage, à piège ou plus communément – à rumeur. Ah, la rumeur… A l’époque où j’avais une fonction publique, combien de fois ne m’a-t-on pas glissé « innocemment » quelque secrets sulfureux sur un de nos décideurs ? Les trois-quarts du temps, je pense qu’il s’agissait de calomnies, mais – qu’importe – la rumeur salit tout ce qu’elle touche. Les trois-quarts du temps aussi, le messager de la rumeur ne me semblait pas particulièrement malveillant, mais – que voulez-vous – c’est si gai de dire du mal de son prochain. Ce faisant, cela nous dédouane un peu de nos propres ombres. Chacun le perçoit mieux aujourd’hui : le clergé catholique n’est nullement épargné en matière de part d’ombre. Et éviter la calomnie ne signifie pas entretenir une culture du silence. En pleine tourmente médiatique, le porte-parole que j’étais se disait parfois en souriant qu’il aurait été plus tranquille s’il était resté laïc. Mais avant de découvrir ma vocation à la prêtrise, mon rêve secret était de finir ma carrière comme directeur du FMI. Aujourd’hui, je me rend compte que la fonction n’aurait pas été moins exposée…