Un regard intéressant et bien documenté de Jean-Paul Marthoz, Journaliste et essayiste, sur un courant de pensée influent dans l’administration américaine actuelle. Celui-ci fait écho à mon post: « Zorro et la realpolitik »
(…) Toutefois, les acteurs décisifs de ce drame (intervention en Libye aux Etats-Unis) se trouvaient (…) au sein même de l’administration démocrate, parmi ceux que l’on appelle les liberal hawks (« les faucons de gauche »), nommés par Obama en 2009 au Département d’Etat et au Conseil national de sécurité (NSC). Ces hauts responsables appartiennent à une génération formée au sein de la « communauté des droits humains ». Façonnée par la mémoire de l’Holocauste et par l’antitotalitarisme, entrée en politique lors des années 1980-1990, elle a été choquée par la passivité de la communauté internationale lors des génocides qui ont ensauvagé la fin du XXe siècle : au Cambodge, au Guatemala, au Kurdistan irakien, au Rwanda, en ex-Yougoslavie. Et elle a fait le voeu d’agir contre ce que Daniel Jonah Goldhagen, dans son dernier livre Worse Than War a appelé « l’éliminationnisme », « la volonté d’un Etat d’éliminer des peuples ou des groupes». Prix Pulitzer 2003 pour son monumental A Problem from Hell, une étude de l’Amérique face aux génocides, Samantha Power, responsable des droits humains au sein du NSC, a mené la charge. A côté d’elle, des personnes marquées elles aussi par l’histoire des massacres de masse et par l’inaction américaine : Susan Rice, l’ambassadrice à l’ONU, membre de l’administration Clinton lors du génocide rwandais ; Michael Posner, secrétaire d’Etat adjoint aux droits de l’homme et ancien directeur de l’ONG Human Rights First ; Harold Koh, le conseiller juridique du Département d’Etat et ancien doyen de la Faculté de droit de Yale ; David Pressman, chargé des crimes de guerre et de la protection des civils au NSC et ancien conseiller de la Cour suprême rwandaise ; Gayle Smith, directrice des affaires humanitaires au NSC et co-fondatrice de Enough, une ONG engagée dans la lutte contre les atrocités de masse en Afrique centrale et au Darfour. Ces dernières semaines, leur interaction a été constante avec les ONGde droits humains, en particulier Human Rights Watch, dont le directeur, Kenneth Roth, a défini dans un essai publié en 2004 les critères d’une intervention militaire au nom de la « responsabilité de protéger les populations civiles en danger ». Cette « pédagogie de l’ingérence » établit sept principes essentiels : l’intervention ne peut avoir lieu qu’en cas de violations massives et en cours des droits de l’homme
; elle doit être la dernière option raisonnable pour stopper les tueries ; elle doit poursuivre prioritairement un objectif humanitaire ; les résultats escomptés doivent être supérieurs à ceux qu’entraînerait l’inaction ; elle doit être menée dans le strict respect du droit humanitaire international ; elle doit recevoir – idéalement – l’approbation du Conseil de sécurité des Nations unies et viser, en premier lieu, à répondre aux intérêts de la population du pays concerné. La semaine dernière, les menaces du colonel Kadhafi ont réveillé le spectre des horreurs passées. Pour la « génération des génocides», Benghazi ne pouvait en aucun cas figurer sur la liste infâme des massacres perpétrés en toute impunité, aux côtés de Choeung Ek, Panzos, Halabja, Gikondo, Vukovar ou Srebrenica. ■