Une dépêche Belga a de quoi inquiéter. Elle reprend une étude menée par une plateforme de la VUB. D’après celle-ci, la moitié des élèves bruxellois de confession musulmane serait antisémite. L’étude est intitulée “Jong in Brussel” et fut menée par la plate-forme « Onderzoek Jeugd ». Ses sont publiés ce jeudi dans De Morgen. “Un chiffre très élevé et inquiétant” selon le sociologue Mark Elchardus de la VUB. “Ce qui est grave, c’est que ces sentiments anti-juifs n’ont rien avoir avec un niveau social ou culturel peu élevé, ce qui est le cas parmi les autochtones racistes. Chez les élèves bruxellois autochtones, 10pc sont antisémites. “L’antisémitisme chez les élèves à une inspiration théologique et il y a un lien direct entre le fait d’être musulman et celui d’éprouver des sentiments antisémites”, selon le scientifique. “Chez les catholiques ayant des sentiments antisémites, ceux-ci sont loin d’être aussi forts”, souligne M. Elchardus qui plaide pour davantage d’attention pour l’entente mutuelle au sein d’écoles comptant de nombreux musulmans. L’étude met aussi en évidence le fait que les jeunes belges, marocains, turcs et Européens du Sud cherchent des liens dans leur propre culture. Ils se font encore toujours difficilement des amis dans une autre communauté ethnique que la leur, aussi et surtout en ce qui concerne leurs relations amoureuses.
L’antisémitisme n’est pas un sentiment anodin. Il s’en prend à la minorité religieuse la plus ancienne et la mieux harmonieusement intégrée de notre pays. Bref – et même si une bonne dose d’anti-sionisme (ce qui n’est pas la même chose) explique le phénomène – l’antisémitisme est un symptôme du refus de pluralisme dans une société. Il constitue un des principaux baromètres de la santé démocratique d’une population. Cette étude de la VUB n’est donc pas à banaliser. Faut-il pour autant réagir à cet antisémitisme par un surcroît de sentiment antimusulman ? Ce serait tomber dans le piège infernal. Au rejet répond le rejet. Les colombes sont écrasées et les faucons de tous côtés triomphent.
Il existe une alternative. Elle consiste à forcer la rencontre entre jeunes musulmans, jeunes juifs, jeunes laïques et jeunes chrétiens – et ceci dans le cadre même de l’école. Sur ce blog, j’écrivais la chose suivante le 25 mars dernier, en écho à la proposition du député Richard Miller (reprenant le projet d’Hervé Hasquin) de remplacer une partie des cours philosophiques par des cours de philosophie: « Je garderais les cours convictionnels (ou philosophiques), car ils offrent des racines aux élèves, ce dont ils n’ont jamais eu tant besoin. Cependant, je ferais en sorte que durant le 3e degré du secondaire (les 5e et 6e années) un cours philosophique sur deux soit « collectif ». C’est-à-dire que les élèves des différents cours philosophiques se retrouveraient ensemble pour partager sur un sujet en commun et ceci – sous la modération collective de leurs différents professeurs. Ainsi, les élèves pourraient être invités à présenter aux autres un point particulier de leur tradition religieuse et/ou laïque, ou encore à envisager en commun certains enjeux moraux à partir des différents regards convictionnels. L’autre cours – « séparé » – permettrait à chaque courant d’évaluer la discussion commune et de relancer des idées pour la prochaine rencontre. Il ne faudrait surtout pas chercher à noyer les différences et éventuelles confrontations entre élèves au nom du « politiquement correct », mais bien insister sur l’apprentissage d’une culture du débat respectueux. Ainsi formerait-on les citoyens de demain pour notre démocratie plurielle. Pourquoi cette idée ? Parce que mon expérience personnelle (en 5° et 6° année de secondaire, je me trouvais dans un collège international qui pratiquais quelque chose de cela – voir www.uwc.be) m’a appris que le contact engagé et non pas « neutre » avec d’autres convictions, permet au jeune de se réapproprier ses racines propres, tout en l’immunisant contre la tentation fondamentaliste. Il ne s’agit donc pas de promouvoir un modèle « melting pot », qui voudrait gommer les différences, mais bien un modèle « patchwork » qui donne de comprendre par le concret de la rencontre que nos couleurs sont différentes, mais que – bien loin de constituer une menace – pareille diversité nous enrichit ». (Cours philosophiques ou cours de philosophie ? Débat. Modèle « patchwork »)
J’apprends donc avec satisfaction qu’un futur décret est en préparation en Communauté Wallonie-Bruxelles. Un de ses objectifs serait pareille mise en œuvre. Alain Maingain, conseiller de la ministre de l’Enseignement Marie-Dominique Simonet, y explique : « Il est prévu qu’une partie commune aux différents cours dits philosophiques soit construite. Ce ne sera pas l’occasion d’initier sérieusement les élèves à la philosophie en soi. Mais bien de confronter les élèves de différentes confessions. Des activités interconfessionnelles pourront être organisées au sein des cours de religion existant. Tous les profs de morale, de religion catholique, protestante, islamique,… seront alors présents. Pas question donc de toucher au cadre actuel des cours de religion. Mais il s’agit de profiter de ces cours pour initier les jeunes aux autres grands courants de pensée et à l’éducation à la citoyenneté ». (Catherine Ernens, Vers l‘Avenir) Gageons que – pour être signifiant – ce projet nécessitera des collaborations entre établissements scolaires, tous réseaux confondus. Ce ne sera pas facile à mettre en œuvre, mais ne nous y trompons pas : il y a urgence et l’objectif est prioritaire. En effet, ce que nous semons aujourd’hui dans nos têtes blondes… ou brunes, constituera la récolte de demain.
En simplifiant pas mal, on pourrait dire que le pluralisme et la tolérance occidentales se basent sur la distinction entre péché et pécheur, l’interdiction de juger les intentions d’autrui, la tolérance d’un moindre mal en vue d’un bien supérieur, et le concept du pardon par amour (don de soi) et non par faiblesse. Ce sont là des réalités d’origine chrétienne, même si ignorées comme telles, que la foi musulmane de soumission à un Dieu transcendent jusqu’à l’arbitraire ne connaît pas, ni est prêt à reconnaître. Je suis plein de bonne volonté envers nos frères musulmans (j’ai souvent voyagé dans leurs pays et j’y ai connu des personnes très vertueuses), mais je reste à la fois plein de scepticisme quant aux possibilités d’intégration de la vision du monde musulmane en Occident, encore soit-il chrétien convaincu ou sécularisé post-chrétien.
Apprendre à connaître nos racines (cours « convictionnel ») et à découvrir celles des autres (cours « collectif ») me paraît être d’un merveilleux bon sens et d’un optimisme sans faille, merci, cher Eric! Je commencerais par former les enseignants à ces objectifs, afin de les rendre enthousiastes et « performants » dans un cours comme dans l’autre, en les faisant travailler ensemble, toutes confessions et croyances confondues. Et pour pouvoir former les enseignants, il faudrait d’abord former les ministres et les parlements! Quelle gageure, quel défi, mais quel formidable apport pour la société!
On devrait certainement créer des cours de « tolérance » qui insisteraient sur les caractéristiques propres à chaque religion ou philosophie afin d’informer les élèves avant toute chose. Car on le sait, on crains ce que l’on connais mal, les zones d’ombre sont génératrices de sentiments de peur et de rejet.
Et puis les grands mythes « installés » quoi que l’on dise par la génération de nos grands parents – à propos du danger que représente sois-disant le judaïsme ou l’Islam – ont la dent dure et pourissent encore les mémoires de nos jeunes générant des préjugés dont on ne sait plus très bien quelles en sont les fondements. Mais la mémoire est tenace d’une génération à l’autre. Mémoire à laquelle vient évidemment s’ajouter la peur générée par les attentats de tous ordres commis par les extrémistes musulmans.
Bref, peur de la différence : ce n’est pas nouveau. Mais surtout peur de ce que l’on connait mal !
Informer et susciter les échanges est la seule manière de préparer les élèves d’aujourd’hui à devenir les adultes de demain. Informer et permettre aux jeunes de croire encore en l’homme, autrement quelles perspectives d’ épanouissement pourrons-nous leur offrir pour l’avenir, pour leur avenir ?