Le Vatican a raison de le rappeler : un chrétien ne se réjouit pas de la mort d’un homme, quel que soit le poids de ses fautes. Ceci étant dit, je ne vais pas pleurer la mort de Ben Laden, non plus. En apprenant ce matin tôt son décès, ma plus grande surprise fut de réaliser… qu’il était encore vivant. Cela fait dix ans que son nom hante l’actualité à la manière d’un fantôme. J’avoue que j’en étais venu à croire qu’il était décédé depuis belle lurette dans quelque maquis afghan et que ce n’était que son épouvantail que partisans et adversaires agitaient, un peu à la manière d’un étendard. Mais non. Il était bien vivant et se cachait même au cœur du Pakistan… dans une ville – cerise sur le gâteau – qui abrite une importante garnison militaire. Echapper une décennie durant à la première puissance mondiale qui a fait de vous l’Ennemi public n°1, cela fait réfléchir : nos satellites, services secrets et autres écoutes téléphoniques semblent bien impuissants face à une guérilla décidée, reposant sur des alliances tribales.
Ceci étant dit, constatons avec soulagement que tous les états, même les plus islamistes, ont salué l’opération militaire. Le terrorisme se réclamant de la Sharia n’a donc plus aucun soutien public. La plupart des observateurs pensent d’ailleurs que les jours de gloire d’Al-Qaïda appartiennent au passé. Reste la question récurrente posée à nos démocraties – qui est de savoir si d’autres formes de manifestations islamistes, pacifiques elles – sont également à mettre au ban de nos sociétés. Ici, nous revenons au débat sur l’interdiction de la burqa que notre parlement vient de voter. A ce sujet, deux opinions fort contrastées apparaissent dans la presse du jour. En p.8 du Soir, Salil Shetty secrétaire général d’Amnesty International, déclare : « En Europe, au Canada, ou aux États-Unis, nous sommes très inquiets de ce virage vers le populisme qui entraîne un abaissement des droits humains. Ce qui était inacceptable il y a trois ans devient la norme. C’est une grande préoccupation pour nous. Quand on voit ce qui se passe en France ou en Belgique avec le vote de la loi interdisant la burqa, le traitement des Roms… Oui, c’est très préoccupant ». A l’opposé, Dirk Verhofstadt – frère de Guy – écrit en p.14 du Morgen : « La Chambre a approuvé l’interdiction de la burqa, presqu’à l’unanimité. Seule Eva Brems (Groen !) a voté contre et je trouve cela scandaleux. Eva Brems ne porte pas de voile sur la tête, mais un bandeau sur les yeux. (…) A l’instar de la croix juive (sic !), la burqa est imposée par un groupe qui se croit supérieur à un autre. Les nazis jugeaient les Ariens supérieurs aux Juifs, aujourd’hui les hommes islamistes orthodoxes se jugent supérieurs à leurs femmes ». (‘De Kamer keurde bijna unaniem het verbod op het dragen van de boerka goed. Alleen Eva Brems (Groen!) stemde tegen, en dat vind ik schandelijk. Eva Brems draagt dan wel geen hoofddoek, maar wel een blinddoek. (…) De boerka is net als de Jodenster opgedrongen door een groep die zich superieur acht tegenover anderen. De nazi’s vonden de ariërs superieur tegenover de Joden, vandaag denken orthodox islamitische mannen hetzelfde over hun vrouwen’.)
Ce que j’en pense? Tout d’abord, je rappelle à Monsieur Verhofstadt qu’une parlementaire qui se démarque en conscience de l’ensemble de ses collègues, mérite le respect et non pas l’opprobre facile. De plus, que sa comparaison entre burqa et étoile juive me laisse songeur. Pour le reste – je le répète – je ne sais pas si l’interdiction était la meilleure solution (lire dans les pages du Soir de ce WE, l’avis critique d’Edouard Delruelle, codirecteur du Centre pour l’Egalité des chances), mais je maintiens que le port de la burqa pose problème dans une civilisation porteuses de valeurs démocratiques. Une chose est de la porter dans un contexte tribal – où cela fait partie de coutumes ancestrales – autre chose est de s’en revêtir dans notre monde pluraliste et ultramoderne. Je me rappelle un débat à l’ULB entre un représentant du Centre d’Action Laïque, votre serviteur et un professeur d’islam. Alors que le catho et le laïque se livraient au « show » habituel de leur guéguerre fratricide – pour le plus grand plaisir de l’auditoire – l’outsider musulman faisait figure de sage dans le panel. A un moment donné, il dit cependant une chose que personne ne releva, mais que je n’ai pas oubliée : « Pour nous musulmans, la distinction occidentale entre foi et raison n’est pas pertinente ». Ce que cet académique voulait selon moi exprimer, est que la foi du musulman irrigue sa raison. Dans ce cas, tout démocrate digne de ce nom partagera son avis. Un athée, comme Dirk Verhostadt, laisse sa raison être irriguée par sa « foi rationaliste », tout comme je laisse la parole du Verbe fait chair inspirer mes réflexions. Cependant, si cela en vient à signifier que, sans une foi bien particulière, l’homme n’a pas d’usage valable de sa raison et que toute discussion avec lui est donc vaine, alors il y a incompatibilité avec une civilisation démocratique. En effet, notre société pluraliste se bâtit un projet commun sur fond de dialogue, de débat, voire de conflit. Le cœur de notre régime politique ne s’appelle d’ailleurs pas pour rien « un parlement ». Quand une pensée se veut totalisante au point de faire déclarer à ses adeptes: « Tout ceux qui ne croient pas comme moi, ne peuvent pas penser validement. Je n’ai donc rien à dire ou partager avec ces mécréants », alors la possibilité même de la démocratie s’estompe. Ce fut la difficulté durant les années de la guerre froide avec les plus radicaux parmi les Marxistes: tous ceux qui ne partageaient pas leur doctrine étaient disqualifiés comme « penseurs bourgeois à la solde du Capital ». Mon malaise par rapport au voile intégral se situe également là : il manifeste par le langage vestimentaire qu’aucun échange social n’est désiré. Je ne pense pas que ce soit acceptable sur la voie publique, car notre société se doit de défendre les piliers sur laquelle elle repose et l’échange social en fait partie. Fallait-il pour autant l’interdire par voie de loi ? Ici – je le répète une fois de plus – c’est au pouvoir politique de trancher, sans faire l’impasse sur l’inquiétude exprimée par le secrétaire général d’Amnesty.