Petites contradictions entre humains…

S’il y a bien une chose que la connaissance des hommes enseigne, c’est que nous sommes tous bourrés de petites ou grandes contradictions intérieures. Parfois, ces contradictions s’inscrivent à travers les pages d’un journal. Ainsi, « La Libre » de jeudi dernier, 21 juin – premier jour de l’été. En achetant ce quotidien chez mon libraire, il m’annonce que ceci me donne droit à un paquet de ‘relationship bracelets’. Il s’agit de petits bracelets en caoutchouc qui permettent d’afficher au poignet son statut affectif (marié, célibataire, en couple, libre…) et sa recherche (amitié, plaisir, romance, une relation,…). Voilà une curieuse façon d’étaler sur les plages les possibles contradictions entre son « statut » et sa « recherche ». A la limite, le bracelet pour lequel j’aurais encore une tendresse particulière, est celui qui affiche : ‘it’s complicated’. Il dit quelque chose de notre époque. La révolution sexuelle a voulu libérer le désir, en pensant que cela faciliterait la vie des hommes. Quelques tabous pesants sont tombés – et c’est heureux – mais la vie affective de nos contemporains ne s’est certainement pas simplifiée pour la cause.

Pourquoi ? Une explication se trouve en p.55 du même journal, sous la plume d’Armand Lequeux. Ce professeur en sexologie de l’Université catholique de Louvain ne me contredira pas si je le décris comme un de ces intellectuels qui a œuvré, sans agressivité aucune, pour que l’Université catholique vive moins sous la tutelle de l’Eglise. Or qu’écrit-il dans une chronique intitulée, rien de moins que : « Qui bottera le c… des jeunes ? » Je le cite : « Notre première limite, c’est d’être nous et rien que nous, dans notre existentielle solitude, à tout jamais orphelins du bain amniotique qui nous contint pendant neuf mois. De bonne grâce ou à son corps défendant, notre mère a dû nous en expulser. Ouste. Dehors. Buiten. Voici les premiers mots d’amour qui s’inscrivirent dans notre mémoire extra-utérine ! (…) Qui dira leurs limites à nos « kids » de dix ans qui se comportent comme des ados et s’affichent « en couple » sur Facebook dont l’accès est pourtant officiellement interdit avant 13 ans ? Qui dira leurs limites à ces Lolitas prépubères qui se maquillent et se déguisent en putes avec la bénédiction de leur mère et le malaise de leur père ? Qui bottera le cul de ces jeunes adultes, adolescents jusqu’à 30 ans, qui squattent le domicile parental et tardent à s’engager dans la vie adulte ? Qui dira les limites à nos besoins frénétiques de consommer, de posséder, de nous endetter à titre individuel ou collectif ? Avez-vous une autre explication à la crise financière que traversent nos Etats occidentaux ? A l’évidence, nous vécûmes pendant des décennies au-dessus de nos moyens. Le temps est venu de payer, puisque nous fûmes incapables de nous limiter, de dire stop. Qui dira leurs limites à nos amours ? Pour beaucoup de nos contemporains, le couple est une valeur refuge surinvestie. Tant mieux, mais aussi tant pis ! Les attentes tuent quand elles sont démesurées et qu’on s’imagine recevoir des dividendes sans avoir investi. Notre conjoint n’est pas le remède de notre existentielle solitude. Il n’est pas le bouche-trou des manques que nous n’assumons pas. Il n’est pas tout pour nous et nous ne pourrons jamais prétendre être tout pour lui. Faute de l’avoir compris et assumé, nous risquons de transformer notre déception en amertume et notre amertume en rejet ». Je cite largement le Professeur Lequeux, car je partage son avis sur la question. Mais je pense qu’il reconnaîtra avec moi que – s’il avait écrit cela, il y a 30 ans – il se serait fait gentiment traiter par l’establishment intellectuel de l’époque de réactionnaire, voire de facho. Et que ce qu’il explique, jure quelque peu avec la distribution des ‘relationship bracelets’ à l’achat du même journal. Peut-être conclura-t-il même avec moi que cette Eglise catholique que tant d’intellectuels ont souhaité écarter de la place publique, contribuait à sa façon – parfois maladroitement, sans doute – à mettre des limites au désir. Que les positions morales catholiques furent, dès lors, un peu vite déclarées obsolètes. Contradictions… contradictions…

Et puis, est-ce uniquement aux jeunes qu’il faut « botter le c… » ?  En pp.24-25 du journal, l’excellente journaliste économique Ariane van Caloen, commente le rapport du bureau de recherche parisien indépendant AlphaValue. Ledit rapport décortique les conséquences de la séparation des métiers de banque d’affaires et de détail. Je cite l’article : « Sa conclusion est édifiante : le modèle de banque universelle défendu par des grandes institutions comme BNP Paribas ou Société générale est destructeur de valeur. A contrario, une séparation des métiers de banque de détail (où la collecte des dépôts sert au financement des entreprises) et de banque d’affaires (où les fonds sont alloués à des investissements à risque) en créerait. Les analystes ont même fait des calculs très précis qui ont de quoi intéresser l’Etat belge, premier actionnaire de BNP Paribas avec une participation de 11 %. »  Bref, si j’en crois l’article, c’est aussi aux banquiers qu’il faudrait botter le c… Et pourtant, en p.30 toujours du même journal, on signale que ce même groupe BNP Paribas a décerné son prix de la philanthropie individuelle. Celui-ci récompense « un individu ou un groupe familial reconnu pour son action philanthropique, pour l’éthique, l’exemplarité, l’impact et la constance de son engagement ». Contradictions… contradictions…

Je le répète : s’il y a bien une chose que la connaissance des hommes enseigne, c’est que nous sommes tous bourrés de petites ou grandes contradictions intérieures. La croissance spirituelle consiste à en prendre conscience et à essayer de s’en libérer. Rien n’est plus contraire à la vie spirituelle, que cet aveuglement qui consiste à croire que seuls les autres sont pétris de contradictions. Qu’en nous, tout se vivrait conformément à nos idéaux. Ceci explique l’avertissement du Christ à l’encontre des docteurs de la loi : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais du moment que vous dites : ‘Nous voyons !’ votre péché demeure ».  (Jean 9, 41)

4 réflexions sur « Petites contradictions entre humains… »

  1. Merci Eric, j’ai pris plaisir à prendre connaissance de ce jet, et l’ai fait suivre à plusieurs contact. Je te rejoins à plusieurs niveaux. J’attends avec impatience de lire comment chacun-e de mes ami-e-s va trouver cette réflexion.

    Il me tarde de te revoir une fois.

    Jea

  2. Eric écrit : « je cite largement le Professeur Lequeux, car je partage son avis sur la question. Mais je pense qu’il reconnaîtra avec moi que – s’il avait écrit cela, il y a 30 ans – il se serait fait gentiment traiter par l’establishment intellectuel de l’époque de réactionnaire, voire de facho.  »

    « Tout homme intelligent aboutit rapidement à des conclusions réactionnaires… »

    « Lorsque le progressiste émet une condamnation, tout homme intelligent doit se sentir visé. »

    Nicolas Gomez Davila in « les Horreurs de la démocratie ».

    Un affreux réactionnaire que j’aime beaucoup.

    Cordialement

  3. Entièrement d’accord que nous portons en nous différentes contradictions.
    Pour certains, c’est plus compliqué que pour d’autres. Causes : circonstances de la vie, de l’éducation, clash des valeurs et de la réalité, dans sa vie personnelle ou entre soi et son environnement…
    Heureusement qu’il y en a UN qui demeure, éternellement, et qui ne change pas.
    Heureux celui ou celle qui le trouve (ou plutôt se laisse trouver) et en fait la pierre angulaire de sa vie. Il/elle peut en outre se décharger sur LUI de tous ses fardeaux.

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