J’invite tous les lecteurs de ce blog, s’ils sont amateurs d’analyses économiques, à régulièrement consulter le blog du professeur Bruno Colmant. Outre l’amitié qui nous lie, Bruno est un penseur libre et profond. Ses conclusions croisent mes intuitions, sans toujours les rejoindre. Cela ne rend l’échange que plus fructueux.
Son dernier ‘post’ de ce 25 novembre, est intitulé « des monnaies et des Dieux » . Il s’ouvre par des paroles dignes de l’apocalypse: « Avec un peu d’intuition, nous savons que des phénomènes monétaires inattendus se préparent. Il y aura d’immenses ajustements puisque nous vivons à crédit d’une dette publique dont le remboursement est repoussé d’années en années. Il faut donc réfléchir au sens de la monnaie car je crains qu’un jour, la monnaie perde « sa » valeur. Ce jour-là, ce sera un profond aggiornamento ».
Comment ne pas mettre cela en parallèle avec l’évangile de dimanche prochain? « Il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre, les nations seront dans l’angoisse, épouvantées par le bruit de la mer et des vagues. Des hommes rendront l’âme de terreur dans l’attente de ce qui surviendra sur la terre, car les puissances célestes seront ébranlées. (…) Puis il leur dit une parabole: «Regardez le figuier et tous les autres arbres. Dès qu’ils bourgeonnent, vous savez de vous-mêmes que déjà l’été est proche. De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le royaume de Dieu est proche. Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive ». (Luc 21, 25-36)
Et Bruno Colmant de poursuivre en se faisant philosophe: « Ceci étant, le sujet du phénomène monétaire est obscur. Il est même ténébreux. Parfois, je suis saisi par l’effroi de sa vacuité. Qu’y a-t-il derrière ce dernier ? Le pâle reflet d’imparfaites et éphémères conventions humaines ? Une tentative de mesure dégradée du temps ? Une hallucination collective choisie ? Le néant, une plongée dans son côté sombre ou plutôt une tentative de maquillage de ses ténèbres ? Dans les évangiles, Jésus range l’argent parmi les puissances qui asservissent l’homme. Un nom démoniaque est donné dans l’évangile de Matthieu à l’argent : Mammon. Jésus avance que « Nul ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24). Cette affirmation rappellerait-elle que Dieu et la monnaie sont peut-être de fragiles équivalents sociologiques ou, au contraire, des formulations antagonistes ? La monnaie serait-elle la déclinaison humaine indispensable à la divinité, puisque toute religion est fondée sur la charité et le don…de monnaie. Dieu et la monnaie ne seraient-ils finalement que deux artefacts ? »
Deux grandes questions sont ici posées: Qu’est-ce que l’argent? Qu’est-ce que Dieu? Deux projections du désir humain, qui « fonctionnent » pour faire tourner le monde, mais qui en réalité ne sont que néant? Ce n’est évidemment pas le point de vue du chrétien. L’évangile d’il y a deux semaines le rappelait: « Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas ». (Marc 13, 24-32) Le monde passera, mais ce qui vient de Dieu est éternel. Ainsi l’amour. Et l’argent? Il est « monnaie d’échange » au sens propre du terme: pour ne pas retourner à une société du troc (« Je te donne mes carottes, si tu me donnes tes œufs »), un étalon sert de mesure commune à l’échange commercial. Mais l’étalon est devenu marchandise à son tour: le marché vend et achète des produits financiers. Et contrairement à la carotte, une valeur financière ne vaut que le bénéfice futur qu’on lui attribue. Par le jeu de la spéculation, l’étalon qui – en soi – ne fonctionne que si on a confiance en lui – une confiance basée sur la situation présente et passée (le métal noble de la pièce, la puissance du roi qui bat la monnaie, … ), est devenu tributaire d’un pari sur l’avenir. C’est ici que naissent les bulles spéculatives et les krachs. De plus en plus vite et de plus en plus fort, car l’étalon n’est plus « liquide ». Il est devenu gazeux – ou plutôt numérique. A la vitesse de l’éclair des sommes astronomiques circulent aujourd’hui à travers le globe, dans un permanent jeu d’échec financier bien davantage que pour permettre la circulation des biens de consommation. L’argent est aujourd’hui tellement abstrait que Bruno Colmant pose – à juste titre – la question de sa consistance. Ma réponse est que « oui »: l’argent a une consistance. Mais quand il est confondu avec Dieu, alors – comme toutes les idoles – il occupe une place démesurément gonflée. Et telle la grenouille qui se prend pour le bœuf, tout finit un jour par se dégonfler, en laissant bien des victimes sur le carreau. Ce n’est donc pas tant sur la consistance de l’argent que je m’interroge, mais sur notre rapport à lui. « Que sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il perd son âme? » (Marc 8, 36) Entre « nerf de la guerre » et « Royaume de Dieu », chacun est invité à mettre ses priorités. « Nul ne peut servir deux maîtres… Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Matthieu 6, 24). Ce conseil n’est pas qu’évangélique. Il est aussi économique. L’histoire humaine le démontre à souhait: le seul système économique qui soit durable, est celui qui attribue à l’argent sa réelle place. Bref, qui lui octroie… son juste prix. Du fond des âges, la sagesse populaire murmure: L’argent est un excellent serviteur, mais un détestable maître.
Je ne suis plus vraiment économiste, retraité de 70 ans qui essaye de se maintenir informé, mais ces réflexions me remettent à l’esprit des inquiétudes. Notre pays a frôlé la crise de confiance dans le système bancaire lors de la débâcle de Fortis et des actions judiciaires qu’elle a entraînées. Les conséquences de retraits massifs eussent été incalculables. Oui, la confiance dans la monnaie est fragile.
Aujourd’hui, le maintien de niveau de production en Europe n’est obtenu qu’au prix d’un endettement élevé non seulement des pouvoirs publics mais aussi des entreprises et des ménages, d’après les données que j’ai pu trouver. L’endettement privé paraît lui en forte croissance contrairement à celui de l’Etat qui décélère. Pour cette raison, l’avenir est très sombre. Il est normal de s’endetter si on espère tirer profit de tels engagements mais la redistribution de l’activité dans le monde rend cette possibilité très aléatoire. Ceci montre combien l’éducation à la sobriété devient importante. Il ne suffira pas de corriger des abus évidents, p. ex. dans le secteur financier.
N’y a-t-il pas un manque criant de « morale » dans tout ce système financier ?
Notamment dans une sorte « d’incitation » à l’emprunt par toutes sortes de moyens ?