Il y a quelques années encore, vivaient autour de moi de jeunes intellectuels soucieux du réchauffement climatique. Ils martelaient : « Il faut agir maintenant, sinon on va dans le mur ». Aujourd’hui, nombre d’entre eux sont devenus fatalistes. Ils murmurent – désabusés : « On est dans le mur… A quoi bon des sommets, tels Rio +20, qui polluent par tous les déplacements qu’ils génèrent, plus que ce que les maigres décisions prises font économiser à la planète ? » Les plus durs ajoutent : « L’homme n’a pas pu gérer sa croissance ? La nature se chargera de le faire… En éliminant une bonne part de l’humanité ». Fait nouveau : des publications de plus en plus sombres commencent à voir le jour. Après avoir lu « Saison brune », la BD de Philippe Squarzoni, une amie me dit : « on a presque honte de vivre ».
Pareille vision des choses a le mérite de la lucidité. Mis à part une petite tribu de climato-sceptiques, la communauté scientifique voit l’enjeu du réchauffement climatique et sait ce qu’il convient de faire pour y répondre. Notre mode de développement épuise les ressources de la planète. Il s’agit dès lors de développer un modèle durable de développement. La difficulté est qu’aucun responsable politique n’a les moyens de mettre en œuvre pareil changement salutaire. Pourquoi ? Parce que pour que cela se fasse, chacun doit y souscrire. En l’absence d’une autorité mondiale capable de prendre les décisions qui s’imposent, on en est réduit à espérer un consensus de toutes les nations. Or, les puissances émergentes ont pour projet de croître et les puissances déclinantes que nous sommes, ont pour nécessité de relancer leur économie. Bref, le durable n’est plus une priorité pour grand-monde. Enfin – et peut-être plus grave encore – l’opinion publique semble s’être quelque peu lassée d’un sujet qui la dépasse. Pour s’en convaincre, il suffisait de lire ce matin les « unes » des gros tirages de la presse populaire en Belgique francophone : un journal faisait ses choux gras avec les enfants naturels d’un monarque, tandis qu’un autre n’en avait que pour l’Euro de football. « Du pain et des jeux »…
La tentation du fatalisme est puissante. Elle assure de ne jamais être déçu. Cependant, celui qui y succombe se condamne à la stérilité. Saluons donc le travail humble de tous ces scientifiques qui continuent à calculer des paramètres de changement climatique pour nous informer. Saluons aussi les grandes religions et spiritualités qui ont intégré l’urgence écologique dans leur enseignement. En ce jour, le cardinal-président des conférences épiscopales des pays de l’Union européenne déclare : « Nous devons travailler à une nouvelle culture du respect pour la création, de la solidarité et de la justice, afin d’atteindre un développement humain véritable et authentique ». (Reinhard Cardinal Marx, Archevêque de Munich et Freising, Président de la Commission des Episcopats de l’UE – COMECE)
Ce qu’il manque encore ? Selon moi – je le répète – une autorité mondiale capable de faire adopter par toute la planète de nécessaires et impopulaires mesures. Dans son encyclique Caritas in Véritate (2009), Benoît XVI l’enseigne, en commençant par un avertissement : « Pour ne pas engendrer un dangereux pouvoir universel de type monocratique, la « gouvernance » de la mondialisation doit être de nature subsidiaire, articulée à de multiples niveaux et sur divers plans qui collaborent entre eux.» (n°57). Plus loin, il précise cependant : « Face au développement irrésistible de l’interdépendance mondiale, et alors que nous sommes en présence d’une récession également mondiale, l’urgence de la réforme de l’Organisation des Nations Unies comme celle de l’architecture économique et financière internationale en vue de donner une réalité concrète au concept de famille des Nations, trouve un large écho. (…) Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, le bienheureux Jean XXIII. (…) Une telle Autorité devra évidemment posséder la faculté de faire respecter ses décisions par les différentes parties, ainsi que les mesures coordonnées adoptées par les divers forums internationaux ». (n°67)
Personnellement, je verrais bien ce genre de fonctions tutélaires occupées par quelques politiciens de premier rang, en fin de carrière. Ils seraient élus pour un seul et long mandat, non-renouvelable – quelque chose comme un septennat. Ceci leur laisserait le temps d’agir dans la durée et les libérerait de la contrainte de rester populaires pour être réélus.
Un rêve que tout cela ? Peut-être, mais le rêve à un avantage sur le fatalisme : il laisse une chance à l’avenir.
Tu sais, c’est précisément ce qu’épingle Squarzoni: notre faculté à vivre dans une bulle de rêve et d’imaginaire en nous disant qu’on trouvera bien une issue. Cela nous permet de vivre dans une position quasi schizophrénique: d’un côté, on sait qu’on approche la catastrophe, de l’autre on vit comme de bons épicuriens. Et je suis la première à le faire…. A très bientôt
D’où mon plaidoyer pour une autorité tutélaire, qui ne craint pas l’impopularité. En la matière, l’Eglise catholique crie dans le désert depuis 50 ans.
Dès qu’on parle d’autorité mondiale, je pense à l’Antéchrist, mais ça doit être moi qui déraille…
Je le pense aussi !
Vous me semblez plus pertinent dans la recherche éthymologique du mot « art » en langue russe …!
Mais non. Vous êtes marqué par le lumineux « Court récit sur l’Antéchrist » de Vladimir Soloviev. Mais ici, il ne s’agit pas d’appeler de ses voeux une autorité morale mondiale qui dira le bien et le mal, mais de prendre acte du fait que notre monde ne peut s’en sortir qu’en prenant des décisions impopulaires qui s’appliqueront à tous: le principe de subsidiarité appliqué à l’ère de la mondialisation.
Bien sûr j’ai lu le saisissant récit de Soloviev, mais il y a aussi à l’époque moderne L’Antichrist de JH Newman (plus théologique que Soloviev)… Le principe de subsidiarité s’avère submergé depuis longtemps dans beaucoup de domaines. Moi aussi, j’ai envie de rêver, mais je n’y arrive décidément plus.
Soyons prêts.
L’ONU est l’instance à partir de laquelle on peut construire. Son secrétaire général peut être un/e politicien/ne de grand format et d’expérience. On notera qu’un ministre du nouveau gouvernement français, Mr Canfin, a demandé le 8 juin, dans La Croix, que le programme pour l’environnement (PNUE) devienne une agence de l’ONU plutôt qu’un organisme autonome comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
L’ONU a déjà des moyens d’action, en particulier les conventions internationales qui se négocient en son sein. Quand j’étais fonctionnaire européen, je me suis intéressé à la convention sur l’immigration. Elle est en vigueur mais très peu ratifiée par des Etats européens. On pourrait progresser sur le développement durable en intégrant les objectifs qui, selon Rio+20, devront être définis, dans de nouvelles conventions.
Michel écrit:
« L’ONU est l’instance à partir de laquelle on peut construire. »
Eric écrit: « D’où mon plaidoyer pour une autorité tutélaire, qui ne craint pas l’impopularité. En la matière, l’Eglise catholique crie dans le désert depuis 50 ans. »
Vatican II a 50 ans cette année. A la fin du Concile (dont on n’est autorisé qu’à dire du bien ou à se marginaliser), le discours de Paul VI à l’ONU définissait la ligne du parti toujours en place à Rome par une formule choc: « Nous avons plus que quiconque le culte de l’homme », pour un pape démocrate chrétien cela ne posait pas de problème de faire profession d’humanisme dans le « machin », après une multitude de papes contre révolutionnaires, antimaçonniques et antilibéraux, cela faisait contraste…
De temps en temps, j’aime bien relire les encycliques les plus sulfureuses des prédécesseurs de nos papes mondialo-compatibles. Droits de l’homme sans Dieu compatibles, diraient les mauvais esprits… Je me dis que l’herméneutique de la continuité avec la Tradition de l’Eglise est un jeu amusant pour qui veut être fidèle à la ligne Benoit XVI. Le site du Vatican regorge encore de condamnations des loges et des courants protestants ou talmudiques dont l’oligarchie est encombrée. Ce qui est en place dans les sphères multinationales et que les discours concordistes des papes actuels encensent avec bienveillance est en léger contraste avec les textes du magistère du XIX ème siècle et même du début XXème.
Je me suis amusé naguère à copier/coller Léon XIII en faisant croire qu’il s’agissait d’un texte de Benoit XVI, pieuse supercherie qui plongea mes interlocuteurs dans des abîmes de perplexité.
Le théologien me parlera de tradition « vivante » pour se dédouaner des sévérités passées. Je retourne bien volontiers l’argument en considérant la Tradition « vivante » du milieu des années soixantes du siècle dernier comme très circonstancielle. L’arroseur arrosé.
Je suis un très mauvais esprit. je ne crois pas que l’on puisse fonder sans Jésus-Christ.
Omnia instaurare in Christo. Devise d’un pape à décanoniser d’urgence.
Cordialement vôtre.
Cher Olivier,
Wilkipedia me confirme que le Pape est Pie X, l’homme de l’antimodernisme, vous ne serez pas surpris que cela ne me plaît pas, mais aussi celui de la communion fréquente. Une fraternité qui vous est peut-être chère se réclame de lui. Elle me fait penser à la communauté johannique. Je lui souhaite d’approfondir sans stigmatisation sa recherche spirituelle.
Cher Michel,
je regarde le catholicisme actuel comme un dinosaure égaré dans un monde qui m’est de plus en plus étranger. Cela me rend gentil et silencieux avec les adeptes de la religion réformée puisque je m’y sens au fond de plus en plus étranger et pas du tout polémique ou tonitruant puisque cela serait totalement inutile.
J’aime mes ex-coreligionnaires dans leur soupe réformée, il n’y peuvent rien puisque la structure de l’Eglise est restée monarchique et donc la réforme à tout transformé par voie d’autorité. Je n’ai que des mots aimables au clergé qui est dans un système étranger à celui dont j’
dont j’ai connu les derniers beaux restes (mon clavier saute). c’est une époque engloutie…
La paroisse voisine de la mienne avait une salle saint Pie X qui s’appelle désormais Jean Paul II; La basilique de la Trinité (excusez du peu) à Cherbourg où se sont mariés mes parents s’appelle désormais Jean XXIII, je ne sais si le défunt appréciera cette préséance. les biens heureux de l’époque détrônent la Trinité et le saint détesté de tout ce qui pensait mal au siècle dernier. Soit.
Tout est bien, je vois mon pays dans une apostasie massive et une invasion musulmane sans limite applaudie du clergé qui inaugure les mosquées, oecuménisme oblige.
J’espère mourir avant la conclusion finale.
Dieu nous réserve sans doute des surprises.
Cordialement
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Je ne sais s’il vous arrive de lire La Croix. Aujourd’hui, elle a publié une critique d’un roman sur Spinoza, dont l’auteur pratique la psychologie existentielle fondée sur 4 préoccupations majeures : la mort, la liberté, la solitude et l’absence de sens à la vie.
Aussi longtemps que nous le pouvons, il est bon me semble-t-il de tâcher de nous situer vis-à-vis de ces quatre priorités. Il est sans doute plus facile de le faire en dialogue, avec peut-être d’autres solitaires. Avec l’âge, la préparation à la mort dans le don libre et quotidien de soi, gagne en importance et permet peut-être de trouver rétrospectivement un sens à notre vie, si elle n’a pas satisfait aux standards du succès mondain.
Avec tous mes voeux, je continuerai de prier pour vous.
Merci de votre gentillesse,
La Croix était un journal royaliste au début du siècle dernier, romain et de contre réforme, of course.
Il est devenu démocrate chrétien et moderniste, en changeant de propriétaire, c’est un peu le journal officiel de l’épiscopat moderno. Evidemment Saint Pie X n’est pas de leur paroisse.
Leur saint c’est sans doute Jacques Delors, chrétien démocrate, puis démocrate social puis socialiste. Pour l’archevêque de Paris c’est l’homme de Vatican II. Il est plus aimable que sa fille…Martine Aubry peut être le point final de l’itinéraire spirituel de la Croix.
Soit.
J’en reste au concile de Trente, c’est plus drôle. Au moins l’interlocuteur voit l’affreux dans la ligne de mire.
J’enterre les morts dans l’Eglise conciliaire pour aider mon curé moderniste, c’est la seule chose que je fais dans l’Eglise réformée, mais je pratique dans le rite extraordinaire, puisque ma religion est extravagante. Le Grégorien me plonge entre les X et XVI ème siècles au rayon dinosaurus. Dieu est bon pour moi.
Merci au pape Benoit XVI de m’avoir sorti de mon camp d’extermination avec alcool frelaté.
Si les modernos deviennent charitables tout est possible.
Dinosaurus.
A Michel sur Spinoza,
J’ignore ce qui s’écrit dans la Croix sur Spinoza.
On me parle de temps en temps du juif hérétique de la synagogue d’Amsterdam, plus doué si mes souvenirs sont exacts pour l’horlogerie que la philosophie, mais plus célèbre comme philosophe ou plutôt idéosophe comme dirait Maritain.
Le panthéisme de Spinoza
Spinoza fut viré de sa synagogue pour panthéisme, si je ne m’abuse. Pour lui il n’y a qu’une seule substance Dieu-nature dont tout émane. C’est un monisme. Evidemment c’est une athéologie. Ou un panthéisme, tentation la plus courante de l’esprit.
A cela je réponds toujours de façon basique que la substance est ce qui est premier dans l’être et que rien ne justifie d’attribuer la même substance à tous les êtres comme Spinoza. Mon interlocuteur partage avec moi la même essence, il est homme donc il a deux yeux pas trois (sauf accident) et ne partage pas avec moi la même substance il est indépendant. Voilà pour le monisme de Spinoza, facile à réfuter et ce depuis longtemps. Attribuer la même substance à vous-même, à Dieu et à de la merde, c’est la confusion à laquelle aboutit le panthéiste. C’est donc la fin de toute morale puisque quoi que nous fassions le grand tout nous absorbe à la sortie. Le rabbin hurle, mais aussi le théologien catholique.
Spinoza ou la philosophie malade de son idéalisme coupé du monde réel des êtres savamment hiérarchisés et pensés.
Spinoza le confus. Le savant ne peut que hurler après le théologien.
Cordialement
Merci beaucoup. Je ne connais pas Spinoza, le livre était un roman à son propos. En revanche, je lis La Croix avec grand intérêt, cela ne vous surprendra pas.
Tous mes voeux pour votre ministère bien précieux et pour votre participation à la liturgie selon le rite extraordinaire. En ce moment, je lis un livre sur Vatican II écrit par le père O’ Maley et publié aux éditions Lessius. Il explique bien et sans jugement le problème posé par l’évolution de l’Eglise catholique sur les rapports entre elle et l’Etat, qui a rendu possible la déclaration sur la liberté religieuse qui m’enthousiasma à l’université.
Je ne vous écris évidemment pas cela pour vous choquer mais pour vous exprimer ma conviction que parfois les discussions sont inutiles, car elles mettent en question des trésors spirituels qui aident chacun de nous à vivre. En revanche se soutenir par la prière est toujours bienvenu puisque nous sommes tous appelés à mourir dans l’ouverture à Dieu. Bonnes vacances.
Bonjour à Michel Biart et à Olivarus.
J’ai lu vos échanges de propos avec intérêt et votre culture à tous deux me laisse pantois. Je n’ai hélas pas le temps d’acquérir toute cette culture.
Que votre tristesse de ne plus vous sentir « chez vous » ne vous fasse pas désespérer, Olivarus. Que la Joie du Seigneur soit votre force (Néhémie 8, 10) ; Nous avons un statut d’étranger dans ce monde parce que notre patrie est ailleurs, mais notre mission est ici et maintenant (http://topchretien.jesus.net/topmessages/view/8475/vous-etes-dans-le-monde-mais-pas-du-monde.html)
Merci à vous Michel pour vos paroles de sagesse fraternelle et votre souci de rencontre du frère en Christ, malgré des idées différentes des vôtres.
Dieu vous bénisse tous deux.