Ce 11 mai, j’ai publié une chronique dans le Vif , intitulée « Péché originel d’Adam… Smith ». Un lecteur envoya au journal et à moi-même une sévère critique de mon propos. Celle-ci vient d’être publiée en p.118 de l’hebdo, sous le titre : « Veut-on retourner au Moyen Age ? » Vu cette publication, il est utile que je fasse connaître ma réaction – sans nulle rancune, mais afin d’éviter que mes propos soient interprétés d’une façon pour le moins… surprenante.
Voici donc le courrier des lecteurs de Jean-Luc Grayet, suivi de ma réponse :
Veut-on retourner au Moyen Age ?
Monsieur Eric DE BEUKELAER se prétend : « abbé nomade ». Qu’est-ce à dire ? S’agit-il d’un SDF (sans diocèse fixe) ? Non, puisqu’il est chanoine-curé des paroisses (pardon : de l’entité pastorale) de la rive gauche à Liège. Il est donc, au contraire, plutôt sédentarisé et bien ancré dans le système. Pourquoi, dès lors, parler de « nomade » ? Nomadisme serait-il ici synonyme de liberté de pensée ? Personnellement j’en doute en découvrant ses propos plutôt conventionnels sur l’économie mondiale et les théories d’Adam Smith dont il dénonce le « péché originel » ( !) mais surtout sur le rôle que, selon lui, devrait jouer l’Église.
Ce serait pour avoir méconnu l’enseignement de celle-ci sur les problèmes socio-économiques que le monde va si mal. Et de citer l’encyclique Caritas in veritate de Benoît XVI qui préconise une « Autorité politique mondiale ». Le Pape comme arbitre des conflits mondiaux, comme expert pour résoudre la crise : est-ce bien sérieux ? Veut-on retourner au Moyen Âge où la pape se prétendait au-dessus des empereurs et des rois et voulait leur dicter sa loi ?
La crise – en particulier celle de l’euro – est profonde et nul ne sait vraiment si ou comment nous allons nous en sortir mais je doute que les « intuitions constantes » de l’Église catholique puissent nous y aider.
Jean-Luc GRAYET
Ma réponse :
Cher Monsieur,
Je vous suis reconnaissant de m’avoir envoyé votre courrier au « Vif ».
Permettez-moi de rectifier certains de vos propos. Vous écrivez : « M. Eric DE BEUKELAER se prétend : abbé nomade ». Nullement. C’est la rédaction du ‘Vif’ qui a cru bon de me présenter ainsi. Je fus le premier à m’en étonner vu mes fonctions sédentaires, mais il me fut répondu que cela était dû au fait que j’avais souvent changé de fonction ces derniers temps. Dont acte.
Vous poursuivez : « Nomadisme serait-il ici synonyme de liberté de pensée ? » Nullement. La liberté de pensée se vérifie, entre autre, à la capacité de s’ouvrir à des pensées qui ne sont pas nôtres. Je ne vous connais pas et ne peut donc juger de votre liberté de penser. Cependant, je m’étonne du gouffre qui sépare ce que j’ai écrit et ce que vous avez lu. Vous me faites dire : « Ce serait pour avoir méconnu l’enseignement de celle-ci sur les problèmes socio-économiques que le monde va si mal ». Je n’ai jamais écrit cela. Je signalais que l’intuition d’un contrôle politique sur l’économie mondialisée était – entre autre et non exclusivement – défendu par la pensée de l’Eglise. Vous poursuivez: « Le Pape comme arbitre des conflits mondiaux, comme expert pour résoudre la crise : est-ce bien sérieux ? Veut-on retourner au Moyen Âge où la pape se prétendait au-dessus des empereurs et des rois et voulait leur dicter sa loi ? » J’avoue que je reste pour le moins pantois devant la pensée que vous me prêtez. Plus personne de sérieux dans la planète catholique ne défend cela depuis bien… bien longtemps. Comme l’énonce fort justement mon ami Baudouin Decharneux, professeur à l’ULB, une des marques de la liberté de pensée, est de ne pas se construire un contradicteur de pacotille, qui n’existe qu’en fantasme : un catholique nécessairement nostalgique du Moyen-âge ou un laïque forcément bouffeur de curé.
Bien cordialement,
Eric de Beukelaer
Contre la mauvaise foi, il n’y a rien à répliquer. Même Dieu baisse les bras.
Bien répondu Eric.
C’était une bonne chose de répondre. Car il y en a toujours qui seront prêt à adhérer à une interprétation caricaturale de cette chronique. Cela n’empêchera pas certains de continuer à préférer la caricature mais au moins les précisions pour une plus juste compréhension auront été données…
Comme il n’y a pire sourd que celui qui ne veut entendre, il n’y a pire lecteur que celui qui veut lire autre chose que ce qu’il lit ;-)! Courage, cher Eric, et bravo pour ta réponse, comme toujours paisible et pertinente!
Le Père de Beukelaer ne demande pas à ce que tout le monde soit réceptif à son appel et il respecte profondément ( justement ) le point de vue tous (croyants ou non ). Quel serait donc l’intérêt pour quiconque de venir chercher à briser en lui cet élan d’amour et de vérité qui n’a pour but que de répandre le bien ? Je n’essaierai pas de comprendre quel mal-être conduit certains à vouloir démolir ce que d’autres construisent mais je suis vraiment très gênée pour eux.
Personnellement, en tant qu’historien, je ne reste pas pantois quand M. Grayet parle de « retour au Moyen Age » à propos de la mise en place d’une autorité politique mondiale préconisée par le pape Benoît XVI comme remède à la crise économique. Il aurait peut-être été plus juste de parler de « retour aux illusions du Moyen Age », car c’est bien à cette époque que le mythe du pouvoir universel a eu le plus de force et le moins de réalité.
Merci. J’admire toujours le (semblant de?) calme avec lequel tu te lances dans les débats publics. C’est une belle grâce que de ne pas prendre son adversaire pour un idiot, même quand celui-ci fait des efforts pour en avoir l’air. Je continue à suivre tes inteventions avec gratitude et admiration. Au nom des Catholiques, Merci.
Merci à Eric de poursuivre son bonhomme de chemin et de pensée. J’ajoute … et pourquoi pas le Moyen Âge … pourquoi tout y serait-il si noir en tout ? Sans vouloir dire qu’il faut retourner à un césaro-papisme qui y a peut-être prévalu mais pourquoi toujours diaboliser ce brave Moyen-Âge qui nous apporté de bien belles choses aussi … et de plus il est long et nullement monolithique … mais tout ceci dit sans vouloir m’immiscer dans le lien entre la réponse à l’article du Vif que l’abbé Eric De Beukelaer osa proposer à la vue de tous …
Le problème d’une vieille institution comme l’église…tout le monde en a une image, souvent sociale voire familiale . Quid de l’ecoute curieuse ?
Signé: un anticlérical qui suit avec beaucoup d’intérêt un Abbé Nomade…
Le rapport intellectuel devant probablement se trouver dans les environs de un à cent avec de tels prodiges, j’admire ton courage de remettre, ici bien davantage encore que ce cher Boileau, ce pénible ouvrage sur un tel métier !