Péché originel d’Adam… Smith – Le Vif 11 mai p.58

Cette semaine est parue ma chronique « l’Esprit du temps » dans l’hebdo Le Vif/l’Express.
Vous pouvez lire ce que j’ai écrit en cliquant sur le lien suivant :  Péché originel d’Adam… Smith.

Merci à la rédaction du Vif de m’offrir cet espace d’expression.

12 réflexions sur « Péché originel d’Adam… Smith – Le Vif 11 mai p.58 »

  1. L’individu pensant à des décennies, voire un siècle de distance? C’est optimiste…! Tout au plus quelques mois, dirais-je… Car jamais auparavant l’humanité n’a aussi bien perçu les limites du système, tout en persévérant en faisant le pari ‘tout technologique’ dans le meilleur des cas.

    Bihouix et de Guillebon, les auteurs de « Quel futur pour les métaux », rappellent comment, grâce à son ordonnance de 1669, Colbert sauva les forêts françaises menacées par les besoins croissants de l’industrie et de la construction navale:

    « Ainsi, au 17e siècle, alors que l’âge du monde était évalué à moins de six mille ans (l’histoire biblique), notre société – certes peu démocratique ! – a été capable de se projeter, dans ses décisions, au-delà du siècle. Nous savons désormais que l’âge de l’univers dépasse 15 milliards d’années, mais nous ne pouvons prendre nos décisions au-delà de quelques années : mesurons au passage la formidable régression intellectuelle. »

  2. Cher Père,

    Vous avez raison.

    Je démarre comme cela, puisque la première fois, j’ai utilisé le lance flammes.

    Oui Smith est un adorateur du « divin marché », de la main invisible qui règle efficacement l’offre et la demande et rend inutile l’intervention de l’autorité. On sait la critique marxiste derrière et la critique catholique de Léon XIII.

    Je ne suis pas enthousiaste de la réponse de Benoit XVI et de vous-même (sans attaque ad hominem…)

    « Seule une régulation politique permet de corriger la faille smithienne. Aujourd’hui, c’est au niveau mondial – et, à défaut, européen – qu’il faut agir, puisque le marché et la spéculation sont planétaires. »

    L’Islande vient de répondre au niveau national en nationalisant ses banques en faisant défaut sur la dette et en refusant de faire porter sur ses contribuables les pertes des banques privées. Inutile de vous dire que l’on ne médiatise pas trop les hérétiques. Logiquement si l’on respecte la doctrine sociale de l’Eglise, le principe de subsidiarité devrait jouer. Essayer de résoudre à petite échelle ce que chacun peut faire à son niveau et passer à l’échelon supérieur ce que le plus petit ne peut faire seul et lui redonner à chaque fois que c’est possible le maximum de libertés. Au lieu de tout céder à Big Brother. Idem pour l’Argentine qui a fait défaut sur sa dette et scandale à bord en temps de paix, je vais dire un gros mot, a mis en place avec succès une politique raisonnablement protectionniste. le gros mot est lâché, Ricardo est trahi.

    « Telle est une des intuitions constantes (enseignée depuis les années 1960) du trop méconnu enseignement socio-économique de l’Eglise catholique : «Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands déséquilibres […], il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale. » (Benoît XVI, encyclique Caritas in veritate, 2009, n° 67) »

    Mouais, cela suppose que l’autorité soit émancipée de la bancocratie. Que l’on ait compris qui a le pouvoir à la FED ou à la BCE. Autrement dit que l’on est mis sur la table le pouvoir des méga-banques. La supra nationalité risque fort d’être entre les mains des puissances financières multinationales qui ont un pouvoir de lobbying monstrueux sur les parlements, les médias et les banques centrales. Je dirai que Benoit XVI pèche par naiveté ou suivisme. Déjà Jean XXIII dans Pacem In Terris nous faisait un petit couplet sur le pouvoir mondial. C’est feindre d’ignorer les maffias, les loges et toutes les puissances financières en action dans le monde et fanatiquement hostiles à toute régulation. Pendant que Les anciens de Goldman Sachs président notre BCE, leur maison mère spécule par fonds spéculatifs interposés sur la déconfiture des créances que les Etats ont émises sous les conseils de leurs affidés. Plus de mondialisme plus de pouvoir pour les banksters.

    Il est plus facile de s’en prendre aux populismes que de s’en prendre à l’oligarchie bancaire cosmopolite. C’est politiquement correct.

    Je crois plus à une sortie de crise par reprise de la souveraineté de proximité sur les tours de Babel. Mais je ne milite pour rien , non par timidité mais en me disant qu’il suffit de rester à distance des tours trop élevées.

    Je ne change pas vous voyez, je suis infréquentable.

    Cordialement

    1. Pas infréquentable du tout. Mais le « retour à la nation » me semble un leurre et un piège: la nation n’a plus aucun levier de pouvoir face à la finance fluide. Donc l’économie règne.
      D’où la parade: le domaine de l’Avoir (économie) est mondial, le domaine du Valoir (valeurs) aussi. Le domaine du « pouvoir » (économique uniquement: principe de subsidiarité) doit suivre pour être efficace. Pour me suivre plus en profondeur, lire mon essai « Credo politique » aux éditions Fidélité/Avant-Propos.

      1. « Mais le « retour à la nation » me semble un leurre et un piège: la nation n’a plus aucun levier de pouvoir face à la finance fluide. Donc l’économie règne. »

        Vous avez raison.

        Raison sur l’Etat des lieux; les marchés sont en temps réel, mondialisés et les multinationales ont un pouvoir financier supérieur aux budgets de pas mal d’Etats. Enfin la délinquance financière agit à la vitesse électronique quand la justice agit par commission rogatoire internationale à la vitesse de la bureaucratie. Le droit fonctionne en jouant à la guerre d’avant alors que les truands ont une guerre d’avance. On peut développer sur l’impuissance des nations.

        Mais, vous êtes discutable si vous ne faites pas réciproquement la critique symétrique des structures fédérales type Union soviétique qui sont en train de s’écrouler sous nos yeux par leur propre impuissance à gérer les divergences structurelles entre leurs composantes. La critique est aussi facile à faire et je souhaite bien du plaisir à notre cosmopolitisme mondialiste.

        Je serai même cynique (si les souffrances ne sont pas trop longues) et partisan de l’Europe fédérale de type Jacques Attali pour mieux voir l’effondrement du machin.

        Je crois plus à une participation sélective dans des structures multilatérales en fonction des intérêts concrets des parties concernées que dans de grandes structures où les géants dominent fatalement.

        Mais, je le dis avec bonne humeur, en me disant que les empires crèvent de leurs excès. Je n’en fais pas un catéchisme politique virulent.

        Cordialement

  3. Actuellement, la zone euro est seulement en stagnation. La situation grecque est tragique quelles qu’en soient les diverses responsabilités. L’Espagne et le Portugal doivent aussi poursuivre un vigoureux effort, mais notre pays doit surtout combiner le souci de justice distributive avec celui de défense de la créativité. Il me semble (pour être clair j’appartiens au MCC et donc au MR) que l’approche belge et européenne qui combine l’assainissement des finances publiques et la libération encadrée de l’activité avec des efforts très ciblés de croissance est la bonne approche.
    Cela, c’est un discours de plutôt court terme. Il faut évidemment se préoccuper des contraintes environnementales qui pèseront de plus en plus sur la croissance. Les bouleversements liés à l’urbanisation, l’immigration et l’accélération de l’obsolescence sont tout aussi importants. La redistribution postcoloniale de l’activité et des revenus doit être acceptée, dans l’ordre international comme le suggère Benoit XVI. Nous avons des instances à faire mieux travailler de concert, p. ex. l’OMC et l’OIT.
    Enfin ne soyons pas injustes envers Adam Smith. Elena Lasida a rectifié des idées fausses dans son livre Le goût de l’autre que j’ai lu avec grand intérêt.

    1. « Actuellement, la zone euro est seulement en stagnation.  »

      (je suis économiste de formation, avançons démasqué).

      Je suis toujours plus sévère que vous. Je la vois évoluer en douceur vers une monnaie commune et des monnaies locales (drachme, peseta…) ou atteindre le paroxysme de la crise si le pouvoir veut accoucher à tout prix du fédéralisme.

      Paroxysme de la crise

      Car les Etats divergent en balances commerciales et donc en compétitivité. Ces divergences rendent intenables la monnaie unique sans transferts massifs du centre vers la périphérie. Je ne crois pas un instant que les Etats les moins sinistrés puissent transférer des moyens récurrents vers les Etats faibles. L’Allemagne ne paiera pas.
      Le manque de compétitivité exige dans le cadre d’une monnaie unique des ajustements par les salaires à défaut de les faire par la monnaie. Ces ajustements sont invendables aux populations en régime démocratique. Ne pouvant dévaluer, les Etats faibles accumulent des restrictions budgétaires insupportables aux populations. Théoriquement pour retrouver de la compétitivité en économie ouverte sans droits de douanes, il faudrait que l’Espagne et la Grèce entre autres, ajustent leur salaire de base sur le salaire de base de la Chine, 250 euros. Le coût marginal de la main d’oeuvre en économie ouverte c’est le coût du dernier chinois sortant du chômage. Pourquoi pas? mais en économie ouverte le salaire moyen des pays développés baissera plus vite vers le salaire de base des pays émergents que le salaire de base de ces derniers ne montera en convergence avec les pays riches. Pourquoi ? parce que la masse de population sous occupée dans les pays émergents est considérable par rapport à notre chômage structurel.
      Je raisonne ici en froid économiste sans états d’âme.

      Vers la monnaie commune

      Beaucoup d’économistes vous diront qu’une monnaie commune avec la drachme dévaluée de 50% ou la peseta de 30%, peut être une porte de sortie viable. Mécaniquement la Grèce et l’Espagne verront leurs balances commerciales se rééquilibrer. Importations plus chères donc stimulation des productions locales et exportations plus compétitives. Sans le dire on baisse les salaires internes par rapport à ceux des allemands par exemple. Et en sortie de crise ces Etats peuvent rejoindre à nouveau la monnaie commune.
      Bien entendu leur dette en euros est plus lourde à payer, mais il n’y a pas de politique économique sans effets pervers et de toutes façons ces Etats vont vers le défaut de paiement.
      La monétisation de leur dette par la planche à billets et le moratoire sont inéluctables, car la croissance économique avec excédents budgétaires est inaccessible pour payer les intérêts d’une dette et le capital à plus de 100% du PNB.

      Les remèdes keynésiens de relances par déficits budgétaires ont atteint les limites de leur efficacité. L’ensemble des pays occidentaux sont contraints à monétiser leurs dettes. Ce que l’on dit de la Grèce on peut le dire de presque tous les pays de l’OCDE.

      J’ajoute que des droits de douanes s’imposeront entre zones à fortes divergences de niveaux de vie sauf à désindustrialiser complètement les pays à gros salaires.

      Je prends date calmement ici et vous verrez que la machine économique imposera sa logique.

      (Voir les analyses de Maurice Allais, Krugman, Sapir…)

      Cordialement

      1. L’analyse lucide d’Olivier semble tenir la route et je n’ai pas compétence pour la discuter. La question posée est de savoir ce qui serait économiquement optimal pour la zone euro à long terme, avant de se demander si nos politiques auront la possibilité de « faire payer les riches » (« L’Allemagne ne paiera pas »…, mais l’Allemagne de l’Ouest le fit pour l’Allemagne de l’Est). Ensuite de bien évaluer – en cas d’échec de la solidarité responsable – quel pourrait être le coût en terme politique: le retour à la rivalité intra-européenne?

        1. L’aspect financier

          Merci de votre indulgence. Je fais le perroquet de deux ou trois prix Nobel d’économie qui s’expriment très clairement sur les dessous de la crise.
          Il vaut mieux s’appuyer sur des autorités reconnues.
          J’ai abordé brièvement l’aspect économique, il faudrait compléter par l’aspect monétaire.
          Posez-vous l’énorme question qui fâche: pourquoi les banques centrales prêtent-elles quasi gratuitement aux banques et s’interdisent-elles de prêter directement gratuitement aux Etats?
          Ecartez la réponse connue, usée jusqu’à la moelle de l’indépendance des banques centrales vis-à-vis des politiques pour éviter l’inflation. Une fois le leurre écarté, qui a pris le pouvoir monétaire?

          Tant que vous ne mettez pas sur la table les questions que les banquiers ne veulent pas que l’on pose, vous pouvez toujours vous enfermer dans une dialectique pour ou contre la zone euro, en tout état de cause vous êtes entre des mains prédatrices qui rient sous cape.

          Cordialement

          1. Je suis d’accord. D’où mon appel (dans la foulée de la doctrine sociale) à une réponse politique, quand le marché devient une tumeur cancéreuse qui attaque le corps social.

      1. je ne suis pas économiste mais curieux de tout (ce qui ne me regarde pas!). A la question de la BCE qui prête aux banques à 1% pendant que la Grèce paie entre 5 et 15% aux banques, j’ai vu que, pour la France, en tout cas, c’était Pompidou qui avait édicté cette loi, appelée depuis « loi-Pompidou » ou … loi « Rotschild » (du nom de la banque dans laquelle il travaillait et où il a pêché cette idée!). Cela explique bien des choses surtout si , Monsieur l’Abbé, vous pensez, comme Benoît XVI, qu’une sorte d’autorité mondiale multinationale est nécessaire: un sérieux embryon est né en 1952 sous le joli nom de Bilderberg, sans tomber dans le mythe siglé N.O.M. pour nouvel ordre mondial.
        Si cela vous a échappé, j’ai entendu, à la RTBF, l’annonce que l’Union Européenne venait de signer un traité avec le Vietnam, en vu de baisser fortement les barrières douanières (c’est le Vietnam et les Philippines qui sont à la mode: bien moins chers que les Coréens, eux-mêmes moins chers que les Chinois). Le porte-parole a donné comme principale motivation une facilité d’investir des capitaux occidentaux bien supérieures, soit un encouragement massif à la délocalisation des capitaux et de l’industrie.
        Pour ma part, j’estime normal que chaque pays veille protéger ses intérêts et l’Europe, en se fédérant, doit échanger la perte de « souveraineté » par un avantage. Pour cela, je suis désolé qu’elle n’ait pas approfondi ses matières politiques et sociales avant d’étendre son seul marché à 27.

  4. Ce débat soulève des questions fondamentales. Je ne sens pas vraiment compétent en dépit de mon vieux diplôme d’économiste et de mes 29 ans de carrière à la Commission européenne. En bref
    1. Je suis pessimiste sur l’avenir des économies occidentales et étonné que nous ne soyons pas déjà en décroissance structurelle. D’où mon soutien – incertain – pour ceux qui tentent d’amortir le choc en soutenant l’entrepreunariat.
    2. L’EURO, complément du marché unique, a permis de réduire les spéculations monétaires et rendu l’argent bon marché mais cela a agi comme une drogue.
    3. Au « pifomètre », la Grèce soufrira encore + si elle quitte la zone que si elle y reste. d’où mon espoir, d’abord pour elle, que les prochaines élections ramènent la raison au pouvoir, avec une nouvelle aide européenne, sans doute en provenance de la BEI à qui les traités laissent une marge de manoeuvre.
    4. Les accords commerciaux valent mieux que les guerres. C’est pourquoi je soutiens l’OMC.

    Merci pour ce stimulant échange.

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